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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°16, 5 mai 2013  >  L’éducation est un droit civique et doit servir à la formation de citoyens conscients de leurs responsabilités [Imprimer]

L’éducation est un droit civique et doit servir à la formation de citoyens conscients de leurs responsabilités

Projet extrêmement douteux d’un «plan d’études 21» suisse allemand

En Suisse, fin juin 2013, le nouveau «plan d’études 21» sera présenté au public. Il est sensé introduire «l’enseignement axé sur les compétences», dont les objectifs ne seraient pas principalement atteints lors de l’enseignement programme, mais «quand les enfants et les jeunes sont compétents, au sens large du terme. Compétence signifie, en résumé, avoir les connaissances nécessaires et savoir les appliquer.» (NZZ du 10/4/13) Personne n’aura rien à objecter à cette formulation – mais cette formulation générale ne dit rien sur le contenu du nouveau programme scolaire. Celui qui possède des connaissances, peut toujours les appliquer. Savoir quelque chose est toujours une faculté humaine que, comme toutes les capacités humaines, l’individu peut mettre à profit pour sa vie – si tant est qu’il les ait vraiment. Cela a bien évidemment toujours été le sens et la fonction de l’école. Pourtant c’est justement cet objectif qui n’est pas atteint avec la nouvelle notion de compétence. Prenons l’exemple de la «compétence» d’effectuer une recherche sur Internet ou de consulter des atlas pour remplir ou copier correctement une carte vierge des cantons suisse. Mieux vaut disposer soi-même de la connaissance des cantons – indépendamment de l’ordinateur et d’autres outils de travail – ce qui permet également de juger de la pertinence des informations récoltées.
Quoi de neuf donc dans le nouveau plan d’études? En fait les informations obtenues jusqu’à présent se trouvent déjà dans quelques rares publications à ce sujet (cf. «Neue Zürcher Zeitung» du 5/12/12 et du 10/4/13). La formation des enseignants permet de se faire une idée plus précise. Ainsi, Walter Bircher, directeur de la Haute Ecole Pédagogique de Zurich PHZH, a déclaré selon la NZZ que «la formation des enseignants» avait «déjà anticipé le concept. De là à sa mise en œuvre dans l’enseignement de l’école publique, il ne resterait plus qu’un petit pas à faire». (NZZ du 10/4/13) La façon dont les jeunes enseignants aménagent leurs cours, mais aussi la lecture de nouveaux manuels scolaires – autre vecteur de la mise en œuvre anticipée – permettent d’autres aperçus. Ce procédé – à savoir l’introduction d’une formation modifiée des enseignants, et de nouveaux manuels scolaires en vue d’un changement qui n’est pas encore légitimé démocratiquement – est absolument intenable du point de vue démocratique. La lecture des «références spirituelles» du nouveau plan d’études offre également un aperçu clair.
Tout cela montre de façon on ne peut plus claire que le «plan d’études 21» n’est pas simplement un nouveau programme. Il mène à un changement de paradigme dans l’enseignement: la référence à l’en­seignant ne sera plus au centre, mais ce que l’on appelle l’«apprentissage autodirigé». Les connaissances seront standardisées et opérationnalisées, on parle du pilotage axé sur l’input-output; il s’agirait apparemment de garantir la qualité. Sans pouvoir entrer davantage dans les détails, une chose est déjà claire: ce qui s’exprime à travers le «plan d’études 21», est un développement qui a vu le jour dans de nombreux pays européens, et qui a un contexte politique (cf. documentation détaillée dans «Horizons et débats»). Il s’agit d’une réorientation de l’école vers une conception anglo-saxonne de l’éducation, d’un éloignement de la formation des enseignants adaptée aux différents degrés, d’une dépersonnalisation de l’éducation, d’un détachement des valeurs éthiques fondamentales de la tradition humaniste chrétienne de l’éducation, ancrées depuis longtemps dans les lois sur l’école publique actuelles des différents cantons. Dans la tradition européenne il ne s’agit pas seulement de transmettre à l’élève des compétences applicables, mais il doit être formé dans un sens large, en tant que personnalité développant ses compétences tout en étant conscient de leur importance et de sa responsabilité envers la communauté dans laquelle et avec laquelle il vit. Démocratie, Etat social viable et une économie au service de l’homme ne sont ni réalisables ni viables sans ces bases.
L’impact des réformes déjà mises en œuvre a mené, dans de nombreux pays, à un revirement: des parents, des entreprises et des enseignants qui accordent beaucoup d’importance à une éducation soignée, demandent une réflexion sur ce qui fait une véritable éducation. Comme les articles ci-après le montreront, les idées des parents, des enfants et des enseignants, ainsi que de nombreuses études scientifiques – le chercheur en éducation australien John Hattie a évalué des dizaines de milliers d’études des pays anglo-saxons – s’opposent à une orientation, telle que prévue dans le «plan d’études 21». De nombreuses connaissances anthropologiques sur la nature de l’apprentissage humain et tout simplement notre propre expérience scolaire s’y opposent également. Toute personne ayant des souvenirs positifs de sa vie scolaire et d’apprentissage, sait qu’il y avait toujours une composante émotionnelle: un enseignant charismatique capable de transmettre de la joie, aidant et encourageant tout en exigeant beaucoup et en croyant en nous; une communauté de classe où l’on faisait des expériences d’apprentissage ensemble; d’autres personnes et rencontres qui nous ont transmis la joie de la découverte, la fascination totale pour une matière, bref des gens qui vivaient tout cela et nous servaient d’orientation et d’inspiration en nous encourageant et nous recadrant si nécessaire.
Les expériences acquises jusqu’à présent avec des formes déjà mises en œuvre du «nouvel» apprentissage sont révélatrices, comme l’illustrent de façon exemplaire les expériences dans une école professionnelle suisse.
L’apprentissage fait partie de la nature humaine – notre vie, notre culture, le développement de l’humanité en dépendent. L’apprentissage est l’expression de la nature sociale de l’homme. De toute urgence, l’enseignement et l’apprentissage devraient accorder à nouveau davantage d’attention à cela.
Toutefois, seuls quelques aspects du nouveau plan d’études sont mentionnés – bien d’autres sont encore à thématiser et à discuter.

Erika Vögeli