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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°4, 2 fevrier 2009  >  «Esquisse d’un ordre économique humain universel» [Imprimer]

«Esquisse d’un ordre économique humain universel»

Analyse de livre de Gisbert Otto

Au regard de toutes les réflexions sur le bien et le mal qui dominent en grande partie les débats sur la crise bancaire et financière, le livre de Martin Regner est tout simplement un bienfait. Ni l’économie socialiste planifiée, ni le capitalisme mondial ne mènent quelque part. Les deux systèmes ont échoué: le respect envers la personnalité humaine est absent dans les deux systèmes; au lieu de cela, c’est le pouvoir qui règne. Dans l’économie planifiée, il est exercé par l’élite politique et dans le capitalisme par l’élite de l’économie et de la finance. Contrairement à cela, Regner part des conditions de vie humaine. Ici, il ne tient pas seulement compte des besoins de l’individu, mais il les conçoit dans leur globalité – en relation avec autrui – et établit ainsi le rapport avec la société et l’humanité. L’ordre économique résultant de l’analyse de Regner est axé sur tous les êtres humains: il est créé pour l’humanité.

La pratique de l’économie est sans doute presque aussi ancienne que l’humanité elle-même. Des contraintes de la nature résulte la nécessité de s’aider mutuellement, respectivement de pratiquer l’économie en commun. L’un peut par exemple travailler comme agriculteur, l’autre comme chasseur. Le troisième s’occupe de la construction de logis servant de protection contre les intempéries. Grâce à cette répartition du travail, il n’est plus nécessaire que l’individu s’occupe lui-même de chaque élément vital. A l’origine, le premier but de l’économie est donc de fournir aussi bien que possible les moyens nécessaires à l’existence: l’économie est axée sur l’humanité.

Principes relatifs à un ordre économique humain universel

Martin Regner examine les différents prin­cipes relatifs à l’humanité et expose à ce sujet des éléments très précieux. Ici, l’on citera quelques-unes de ses réflexions uniquement sur le premier principe – le principe de la liberté. «L’être humain est doté de raison et de conscience. […] Sa conscience lui dit comment il doit agir correctement ou comment il aurait dû agir correctement. Comme la conscience indique à l’être humain les mesures de la justesse, il sait qu’il existe des alternatives à ses actes […]. Cette liberté intérieure caractérise la nature de l’être humain et ainsi sa dignité […].»

L’analyse de systèmes économiques déjà connus: l’économie sociale de marché

Lors de son analyse, Regner part des thèses existantes sur ce modèle économique et les réfute. Ci-dessous, on nommera quelques thèses (on évoquera à chaque fois l’argument contraire entre parenthèse):
•    Sur le marché, il existe infiniment d’offreurs et infiniment de demandeurs, le prix se forme selon le principe de l’offre et de la demande. (En vérité, le nombre d’offreurs et de demandeurs est limité sur chaque marché.)
•    Les participants au marché disposent d’informations complètes. (En fait, il faut d’abord se procurer les informations; il y a des pertes de temps.)
•    Les prestations offertes sur les marchés sont homogènes et échangeables. (Selon l’offreur, les prestations sont en partie très diverses.)
Regner démasque le modèle de l’économie de marché comme idéologie qui a dans la pra­tique – avant tout sous la forme du néolibéralisme – des effets extrêmement négatifs sur l’être et son environnement. Le principe primordial est la recherche du profit maximum; le clivage entre les pauvres et les riches s’accroît constamment. Regner n’est en aucun cas seul à critiquer. Il cite entre autre l’économiste Wilhelm Röpke qui attire l’attention sur le manque essentiel découlant de la «pensée unique du marché». Röpke nomme en exemple la morale et le droit comme conditions naturelles de l’existence et du bonheur, de l’Etat et de la politique. Röpke poursuit: La vie économique risque «en permanence de perdre la position centrale de l’éthique si elle n’est pas soutenue par des appuis moraux forts.»

Le capitalisme mondialisé

En outre, Regner analyse les domaines problématiques suivants:
•    Effets du capitalisme mondialisé sur l’économie sociale de marché en Allemagne;
•    Chômage et situation du pouvoir dans l’économie sociale de marché;
•    Origines et effets du capitalisme mondialisé (entre autres les sauterelles …).
Dans le cadre de cette analyse de livre, on ne peut que se référer aux exemples très intéressants que Regner décrit. Sur le capitalisme mondialisé, il écrit de manière très pertinente: «La […] libéralisation mène à des systèmes qui ne méritent plus le nom de système de droit et à des développements économiques où il y a beaucoup de perdants et seulement quelques gagnants. Dans ces systèmes, il infère aux organes étatiques la tâche croissante – au lieu de servir les intérêts du peuple et d’essayer d’établir un juste équilibre entre les perdants et les gagnants […], – de tranquilliser les perdants […], ainsi que de les discipliner au moyen de contrôles et de violence pour ne pas laisser éclater ouvertement les conflits entre les gagnants et les perdants.»

Esquisse d’un ordre économique humain universel

Selon la conception de l’auteur, il ne s’agit pas de développer un autre ordre économique. On a beaucoup plus besoin d’un nouvel ordre économique qui doit correspondre aux principes de l’humanité. Regner ébauche le concept d’une coopérative productive sociale qui montre les principales caractéristiques suivantes:
•    Les coopératives poursuivent l’objectif de l’entraide collective.
•    Elles sont des organisations reposant sur l’autodétermination, l’autogestion et la liberté.
•    Les coopératives sont des propriétés privées. Indépendamment de la hauteur du capital investi, chaque membre a le même droit de vote, c’est-à-dire une voix.
Martin Regner montre de manière convaincante les avantages des coopératives de production. Il aborde les problèmes centraux de la vie commune humaine – par exemple la séparation entre les seigneurs et les valets – et il développe des propositions réalisables. «Ce qui est tout à fait décisif pour l’humanité de l’ordre économique ébauché, c’est qu’il est possible grâce à lui de démocratiser l’économie et de mettre en pratique le droit fondamental à l’autodétermination […] même dans les entreprises.»
Regner s’occupe de manière détaillée de la réalisation de son modèle dans la pratique. Les coopératives de production se basent sur la loi fondamentale (art. 15 sqq.). Au point de vue juridique et fonctionnel, rien n’empêche la transformation des exploitations et des entreprises économiques en coopératives de production. Cependant, Regner remarque: «L’introduction de cet ordre économique en Allemagne apparaît possible […] seulement si en même temps l’on vainc le pouvoir des partis existant réellement en Allemagne, parce que sinon la volonté de l’être humain ne peut pas être mise en valeur.»
La manière conséquente avec laquelle Martin Regner présente son modèle jusqu’à son introduction dans la société est très impressionnante. Il devient évident que le problème n’est pas la fonctionnalité du modèle mais la question du pouvoir relative à la réalisation. Les idées qu’il expose n’en sont pas moins importantes, car il a montré le but de manière convaincante avec des arguments objectifs qui sont fondés sur un savoir très détaillé: un ordre économique servant l’humanité. Les politiciens devraient plutôt s’orienter vers ce modèle plutôt que de tenter de sauver un système malade. L’économie mondiale – le néolibéralisme – ne peut pas être sauvé. Il faut une volte-face conduisant à davantage de responsabilité sociale et d’éthique. La proposition de Martin Regner appelle une réflexion approfondie en direction d’un nouvel ordre économique humain universel.    •