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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°19, 16 mai 2011  >  Les risques du papier-monnaie sans couverture [Imprimer]

Les risques du papier-monnaie sans couverture

 Mouvement pour l’abolition de la FED (2e partie)

par Werner Wüthrich, docteur ès sciences politiques, Zurich

Dans la première partie de cet article (Horizons et débats no 18 du 9 mai 2011), nous avons présenté le député américain Ron Paul et le mouvement «Abolir la FED» qui trouve un écho particulier auprès des jeunes. Ce mouvement plonge ses racines dans l’histoire des Etats-Unis. Nous montrons ce qui a poussé Ron Paul à entrer en politique et quels économistes et écoles de pensée économique l’ont incité à s’opposer à la FED en tant que député au Congrès.

Dans cette seconde partie, nous abordons un autre aspect de la question. Pour le libertarien Ron Paul et le mouvement «Abolir la FED», il ne s’agit pas directement de monnaie mais de davantage de «liberté». Qu’est-ce que cela veut dire? Il est question autres de valeurs telles que l’honnêteté et la sincérité en politique, de la coexistence pacifique des citoyens manifestant une grande responsabilité individuelle ainsi que d’une limitation des règlementations étatiques. Paul souhaiterait pour son pays des structures libérales et fédéralistes, sans centralisme restrictif et avec une faible tutelle de l’Etat. La politique étrangère doit renoncer à ses visées impérialistes et cesser de s’immiscer continuellement dans les affaires des autres pays. Il voudrait que les Etats-Unis deviennent un pays «au visage aimable» correspondant mieux aux idéaux de leurs pères fondateurs. Il leur faut pour cela une monnaie «saine».
Député à la Chambre des Représentants, Paul est conscient du fait qu’il ne sera pas possible d’abolir la FED du jour au lendemain, mais ce n’est pas pour lui une raison de rester les bras croisés.

Un système monétaire transparent

En 2008, Paul a présenté au Congrès une motion visant à corriger un aspect essentiel de la manière de travailler de la FED: Le Congrès devrait surveiller la FED et créer la transparence. Dans son livre «End the FED», il justifie cette proposition de la manière suivante:
«Aujourd’hui où la FED octroie des crédits et des garanties pour des milliers de milliards de dollars et augmente considérablement son bilan, nous ne savons rien de ses accords avec d’autres banques centrales ni des pays et des monnaies auxquels elle apporte son soutien. Evidemment, on ne nous dit surtout pas quels ‹amis› des mondes économique et bancaire on traite plus ‹équitablement› que d’autres. […] Actuellement, la transparence est un sujet brûlant au Congrès car l’opinion publique s’est réveillée et se fait entendre. En témoignent les ‹Tea Parties› spontanés qui se manifestent dans tout le pays. Q’on soit conservateur ou libéral, républicain ou démocrate, la question est urgente pour tout le monde.»
Avec sa motion, Paul a obtenu quelque chose qui ressemble à une révolution. Bien que la loi n’ait pas encore été adoptée, la FED a récemment rendu publics pour la première fois depuis sa création en 1913 de nombreux documents internes, ce qui a permis de ­prendre connaissance de sa politique au cours des dernières années. On apprend quelles banques ont bénéficié pendant la crise financière de milliards de dollars de fonds publics. On s’étonne de constater que des banques étrangères en font partie. Il apparaît que l’UBS n’a pas été aidée uniquement par la Suisse mais également par la FED, comme les grandes banques américaines. Comme nous l’apprend la «Neue Zürcher Zeitung» du 2 avril, l’UBS a pu déposer auprès de la FED pour 30 milliards de dollars de commercial papers (billets de trésorerie difficilement négociables).

Nouveaux aspects du débat suisse sur les banques «too big to fail»

Actuellement, en Suisse, se déroule un vif débat sur la question de savoir si nos deux grandes banques «d’importance systé­mique» – UBS et CS – ne sont pas beaucoup trop grandes pour un petit pays qui, en cas de crise, devrait s’en porter garant.
Il semble qu’en Suisse, peu nombreux sont ceux qui savent que l’UBS a dans toutes les régions des Etats-Unis 311 filiales et emploie quelque 30 000 collaborateurs. Aux yeux de la FED, ces filiales sont tellement importantes pour l’économie américaine qu’elle les considère comme «d’importance systé­mique». Jusqu’ici, on ignorait cela en Suisse.
Pourquoi l’UBS Bank USA (qui a provoqué la crise de la grande banque) ne pourrait-elle pas opérer de manière juridiquement et économiquement indépendante? Doit-elle absolument être liée à la Suisse? Un réseau de filiales si important est suffisamment indépendant et pourrait, en cas de crise, solliciter l’«aide» de la FED au titre de banque américaine «d’importance systémique».
Les contribuables et l’économie suisses n’ont rien à voir avec les affaires des grandes banques en Amérique et pourraient être libérés de leur responsabilité juridique et financière. Personne ne sait si, en cas de crise, les prescriptions plus sévères en matière de fonds propres imposées aux banques suisses tiendront leurs promesses. L’UBS pourrait délocaliser ses affaires américaines afin de clarifier la situation et éviter une épreuve de vérité à la Suisse. Cette mesure serait très bien accueillie par la population.
Au cas où l’UBS prendrait cette mesure (ce que je suppose qu’elle fera), les contribuables suisses pourraient en être reconnaissants à Paul. Avec sa motion au Congrès, il aura fait en sorte que la FED permette à l’opinion publique de jeter un regard sur ses activités mystérieuses. Le résultat profitera aussi à la Suisse.

Conférence de presse

La motion de Paul a conduit à une deuxième «révolution»: Le 27 avril, la FED a, pour la première fois de son histoire presque centenaire, convoqué une conférence de presse et informé sur sa politique monétaire. Elle va poursuivre sa politique expansive, a déclaré Ben Bernanke. Le «Quantitative Easing 2 (QE 2)» prendra fin comme prévu à la fin juin. (Avec les programmes QE 1 et QE 2, la FED aura créé 2350 milliards de dollars et triplé ainsi son bilan.) La FED continuera à adapter son bilan, c’est-à-dire à racheter des emprunts d’Etat au moyen de la «planche à billets». Selon la «Neue Zürcher Zeitung», du 30 avril, «Bernanke a ainsi mis en route une sorte de QE 2,5».

Pourquoi la FED doit être abolie

Pourquoi Paul maintient-il que la FED n’est absolument pas nécessaire? Poursuivons ses explications en rassemblant différentes affirmations de son ouvrage «End the FED». Il commence par la question suivante:
«La particularité de la FED consiste dans sa capacité de créer de l’argent à partir de rien et d’inciter en cela les autres banques cen­trales à faire de même. Avons-nous besoin de cela?»
Voici ce qu’il répond:
«Qu’il s’agisse de guerres illégales ou de leur financement avec du papier-monnaie sans couverture, du manque de respect de la Constitution et du Congrès qui ne prend pas ses responsabilités, tout cela nous a conduits à la crise que nous traversons.»
«Il n’y a rien à attendre de bien de la FED. C’est elle qui impose le plus d’impôts. Réduire la valeur du dollar en augmentant la masse monétaire constitue un impôt sournois et perfide frappant les pauvres et les classes moyennes.»
«La FED perturbe les opérations économiques naturelles en manipulant les taux, en provoquant un boom artificiel qui aboutit inévitablement à l’effondrement économique en empêchant les Américains d’épargner, en créant tellement d’argent que les gens ont l’impression qu’il est superflu d’épargner.»
«Si nous ne faisons pas attention, l’écroulement du château de cartes qu’édifie cette banque centrale va nous causer beaucoup plus de problèmes.»
«L’avenir est sombre. Les élites au pouvoir se cachent et, apparemment, personne à Washington ne se préoccupe de la monnaie et du pouvoir de la FED. Personne n’est à l’écoute et surtout personne n’y comprend rien. Devrions-nous alors ne nous préoccuper que de notre propre survie? Je dis: non.»

Renouveau politique

«Naturellement, l’idéologie de la prospérité et du socialisme se vend plus facilement car elle entraîne à faire des cadeaux à la majorité. Mais lorsqu’il s’avère que ce n’est que passager, les gens deviennent plus ouverts à l’idée que la liberté a davantage à leur offrir. Ils reconnaissent que l’étatisme a atteint ses limites. De jour en jour, nous nous en rendons plus nettement compte.»

Abandon de la politique interventionniste

«Autrefois, on partait de l’idée que le gouvernement devait choisir entre les canons et le beurre. Mais maintenant, avec la FED, on remarque qu’une telle décision n’est pas nécessaire. Les politiques se réunissent et tombent d’accord sur un marchandage qui satisfait tous les intérêts particuliers: canon, beurre, etc. y compris les sauvetages sans fin d’entreprises en faillite et les aides à l’étranger. Grâce à la planche à billets, on peut tout accorder.»
«Maintenant l’argent manque pour les prestations sociales. L’Empire mondial ne peut plus être maintenu. Combien de fois devrons-nous vivre cette situation avant de changer fondamentalement les choses?»
«Notre politique étrangère est dangereuse, nous adhérons à des théories économiques insensées et on dit que les gens ont besoin d’une diversion. Or cette diversion est trop souvent la guerre.»
«Le terrorisme est un grave problème mais tant que nous ne reconnaîtrons pas qu’il est une réaction à nos interventions absurdes à l’étranger, la seule issue sera un contrôle accru de notre vie.»
«On nous dit que les dépenses militaires sont nécessaires pour garantir notre sécurité mais le résultat est que le complexe militaro-industriel est florissant et que nous sommes nettement moins en sûreté et beaucoup plus pauvres.»

Sans la FED

«De plus en plus de personnes sont conscientes que la FED est responsable de la crise actuelle et qu’elle doit par conséquent être abolie.»
«On empêcherait l’Etat d’étendre son pouvoir indéfiniment en recourant à des astuces financières. Ce serait un premier pas vers le rétablissement d’un pouvoir gouvernemental conforme à la Constitution. Sans la FED, le gouvernement de Washington serait contraint de vivre selon ses moyens. […] L’épouvantable politique impérialiste à l’intérieur et à l’extérieur devrait cesser.»
«Le cartel des financiers puissant et attaché au secret, qui a beaucoup trop d’influence sur notre politique, se verrait privé de son pouvoir. Sans la FED, la planification macroéconomique keynésienne, qui a fait tant de dégâts, n’existerait plus.
«C’en serait fini de la collaboration empreinte de corruption entre le gouvernement et les banques, qui détermine pratiquement la politique depuis le krach.»
«Si un pays ne pouvait plus obtenir de crédits ni dévaluer sa monnaie, l’appareil gouvernemental serait beaucoup plus réduit, il y aurait davantage de prospérité et de sécurité dans le pays.»
«Une monnaie solide contribue grandement à empêcher les guerres inutiles. A long terme, la prospérité et la paix sont impossibles sans monnaie solide.»

Solution

«Idéalement, la FED serait abolie et la masse monétaire serait gelée à son point actuel. Cela ne signifie pas qu’il n’y aurait plus de crédits mais les fondements du crédit seraient les sommes épargnées et non l’argent fabriqué. […] Parallèlement, on réformerait le dollar de manière à ce qu’il soit à nouveau convertible en or. […] Sans la FED, l’étalon-or contraindrait à la discipline. A Washington, une nouvelle culture ne tarderait pas à naître. On rendrait publics pour la première fois le coût des guerres et des plans sociaux. Comme les ménages en temps de crise, les législateurs se rendraient compte que tout n’est pas possible. Ils devraient prendre des décisions et procéder à des coupes budgétaires. Des directives comptables mettraient un frein aux ambitions, comme dans toutes les situations de la vie. Peut-être allons-nous voir apparaître une nouvelle génération de dirigeants qui disent ce qu’ils pensent et tiennent parole.»

L’étalon-or peut-il fonctionner sans banque centrale?

Selon Paul, l’étalon-or serait certes possible avec une banque centrale, mais une telle banque ne serait pas nécessaire. Voici un exemple: Jusqu’en 1936, la Banque nationale suisse a émis aussi bien des billets que des pièces d’or de 10, 20 et 100 francs, qui pouvaient être utilisés indifféremment dans les paiements et étaient mutuellement échangeables. Avant la fondation de la BNS en 1906, ce principe a fonctionné pendant des décennies sans banque centrale. Les billets étaient émis par les banques cantonales. Après la dévaluation de 30% du franc suisse en 1936, les pièces d’or disparurent des opérations de paiements. Le «vreneli d’or» (pièce de 20 francs) surtout est encore un objet de collection apprécié qui préserve sa valeur. On sait moins qu’après la Seconde Guerre mondiale, la BNS a, conformément à l’ordre monétaire de Bretton Woods, frappé et stocké toute une série de pièces d’or qu’elle n’a cependant jamais mises en circulation.
Paul estime qu’on n’a pas besoin aujourd’hui de banques centrales. Il suffirait d’une loi monétaire qui fixe le titre en or de chaque monnaie.

Y a-t-il aujourd’hui trop peu d’or?

On pose souvent cette question – et d’autres – à Paul. Il répond que non. La quantité d’or nécessaire dépend de son évaluation. L’once d’or fin valait 20 dollars il y a 100 ans; aujourd’hui, elle en vaut 1500 et un jour peut-être 10 000 (ou plus) si l’on conserve le système monétaire actuel.
L’étalon-or ne manque-t-il pas de souplesse pour s’adapter aux nécessités du monde moderne? A cela Paul répond que la souplesse saine ne passe pas par la «planche à billets». Pour lui, «les prix s’adaptent à la masse d’or existante. Emettre de l’argent frais n’apporte aucun avantage à la société. Lorsque la production augmente et que la masse monétaire reste stable, le pouvoir d’achat de l’argent augmente. Quand la production baisse et que la masse monétaire reste stable, le pouvoir d’achat de l’argent diminue.»
Notre monnaie ne doit-elle pas être fixée en tant que moyen de paiement dans une loi étatique? Paul écrit: «L’or est devenu une monnaie parce qu’il possédait toutes les qualités qu’on attend d’une bonne monnaie.»

L’or, moyen de paiement mondial?

Les monnaies couvertes par de l’or pourraient-elles vraiment servir de moyen de paiement dans notre monde globalisé et interconnecté? Paul: «L’étalon-or classique était une sorte de monnaie universelle avec des noms différents pour chaque monnaie nationale. C’est la situation idéale dont je souhaiterais le retour. Une monnaie de papier mondiale serait encore plus exposée à l’inflation que le système actuel.»    •