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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°24, 21 juin 2010  >  L’autodétermination au lieu de la soumission [Imprimer]

L’autodétermination au lieu de la soumission

Transposer l’attitude du général Guisan au XXIe siècle

thk. La salle voûtée au sous-sol du château de Jegenstorf, haut lieu de l’histoire, était comble lorsque Markus Somm a commencé sa conférence sur le général Guisan. Somm, auteur d’une biographie de Guisan («General Guisan. Widerstand nach Schweizerart», 2010, ISBN 978-3-7272-1346-5), a étudié de manière approfondie la personnalité de Guisan et son contexte historique.
A lire ou à entendre Somm, on a l’impression que son objectif n’était pas seulement d’étudier un chapitre-clé de l’histoire de la Suisse et ses protagonistes, mais de réfléchir aux similitudes avec la réalité politique actuelle. La Suisse, un des rares pays de l’Eu­rope qui ne se soit pas soumis à la puissance de l’UE, est constamment l’objet d’attaques et de pressions. Reste à savoir si l’Allemagne, pays membre de l’UE, les effectue de son propre chef ou sous les ordres de ses alliés préférés. Aujourd’hui comme hier, il s’agit de sauvegarder l’indépendance, la liberté, la démocratie directe et la neutralité qui caractérisent la Suisse.
Aujourd’hui comme hier, il existe des forces dans notre pays qui ont d’autres projets pour la Suisse et qui lèchent les bottes des puissants, pour des motifs idéologiques, personnels ou économiques. Vu sous cet angle, le livre de Somm et les événements qu’il évoque sont d’une actualité brûlante.
Markus Somm a non seulement évoqué très justement la personnalité du général Guisan, mais il a découvert des faits historiques qui n’avaient jamais été présentés avec une telle clarté. Comme l’auteur le reconnaît, ses recherches approfondies lui ont permis de mieux comprendre un certain nombre de choses. Son grand mérite est d’avoir présenté la personnalité du général Guisan avec toutes les qualités qui ont présidé à son rayonnement et à son action.

La défense de l’indépendance de la Suisse face à l’Allemagne nazie

Henri Guisan a assumé les responsabilités que lui avaient confiées l’Assemblée nationale pendant une des époques les plus difficiles: à partir de l’été 1940, la Suisse était encerclée par le monstre fasciste qui avait fait la preuve de son efficacité militaire lors des guerres éclairs en Pologne et en France. Et le général a pu atteindre l’objectif principal: la sauvegarde de l’indépendance de la Suisse.
L’heure la plus dure pour la Suisse a sonné après la défaite de la France. Personne ne s’attendait à voir capituler la France six se­maines après l’invasion allemande, et surtout pas Guisan. La Suisse comptait sur la résistance de la France et se préparait à résister principalement à une attaque venant du nord.
Le 25  juin 1940, le jour de la capitulation française, le président du Conseil fédéral Pilet-Golaz a tenu un discours sur l’état de la nation. Ce discours, reçu et interprété de diverses façons, eut un effet dévastateur sur la population car il ne faisait pas appel à la volonté de résistance de la population mais demandait plutôt une adaptation aux «réalités existantes». Pour Somm, ce discours n’était pas «dans la tradition de la Suisse».

Qu’est-ce qu’il importe de défendre?

D’après Somm, Pilez-Golaz, n’était «pas un fasciste camouflé» ou un «partisan d’Hitler»; il semble que le problème de Pilez-Golaz, fils d’une mère française, était qu’il projetait la débâcle française sur la situation de la ­Suisse et que ce sentiment transperçait inconsciemment dans le ton et les termes de son discours. L’effet fut désastreux et cela non seulement à cause de ce qu’il avait déclaré mais aussi parce qu’il avait omis de parler de ce qu’il fallait défendre (tout comme aujourd’hui): «l’indépendance, la démocratie, la neutralité».

«Nous sommes Suisses et nous restons Suisses»

Le général Guisan a compris cela et il a pu apporter à ce discours un contrepoint efficace dans son légendaire rapport du Grütli un mois plus tard, le 25  juillet 1940. Les propos exacts du discours ne sont pas connus, ce qui, selon Somm, est «typiquement suisse»: on ne pratique pas le culte de la personnalité: «Personne ne se souvient de ce qu’il a dit en ce jour si décisif pour la Suisse.» Mais l’effet fut impressionnant: «La Suisse avait changé.»

«Respect du peuple et modestie»

«Comment Henri Guisan a-t-il réussi cela?» Ses qualités reposaient surtout sur son «engagement absolu en faveur de la liberté, de l’indépendance de la Suisse». Il a incarné cette «vieille tradition». Par son «amour pour l’agriculture» – il était lui-même paysan – par son «respect de la population et sa modestie», il était intimement lié à la population et cela a créé un climat de confiance solide. Des récits d’habitants de Jegenstorf confirment l’attachement de Guisan pour les personnes. Même longtemps après avoir quitté le château, il retournait souvent sur les lieux et renouait le contact avec les habitants.
Par son attachement résolu à la Suisse – «Nous sommes Suisses et nous restons Suisses» – il incarnait la volonté de la population. Il manifestait une conviction profonde. On savait ce qu’on devait défendre: l’indépendance nationale, la liberté. C’est de cette certitude que se nourrissait la ferme volonté, dans une situation quasi désespérée, de ne pas se soumettre au fascisme inhumain sous ses formes allemande ou italienne.

La conscience de survivre grâce à ses propres forces

L’idée du Réduit national (le dispositif de repli dans la forteresse alpine) est pour Somm porteuse d’une double signification. D’une part, c’était la seule stratégie qui puisse réussir vis-à-vis d’une puissance ennemie énorme et rende la Suisse imprenable. D’autre part le Réduit national avait un grand effet moral: «La conscience de survivre grâce à ses propres forces.»
Pour faire bien comprendre la situation de la Suisse et la politique de Guisan, Somm mentionne les sanctions britanniques contre le continent européen après l’invasion allemande de la Pologne. Pas une seule souris ne pouvait arriver en Europe, et surtout pas des biens de première nécessité. Dans cette situation, mener des négociations avec mesure et clairvoyance sans renoncer à la liberté et à l’indépendance du pays tenait de l’exercice d’équilibriste, ce qu’aujourd’hui presque plus personne n’ose tenter.    •