Widmer-Schlumpf a-t-elle confiance en cette Cour de justice?«En ce qui concerne la jurisprudence, on a affaire à la Cour de justice qui est la plus haute juridiction de l’Union européenne et qui n’est donc pas un tribunal national, mais une Cour faisant partie de l’UE qui ne se sent aucunement liée aux droits fondamentaux, à la citoyenneté, aux droits politiques et aux garanties institutionnelles ancrées dans la Constitution fédérale suisse.»Hans-Jacob HeitzLa voie bilatérale, un modèle périmé? – Bien sûr que non!par Hans-Jacob Heitz, avocat et médiateur, ancien juge au Tribunal fédéral administratifVu les délibérations imminentes de la Suisse avec l’UE, voici une réponse à la question de savoir si, à l’avenir, la voie bilatérale restera bloquée et s’il existe une autre issue pour la Suisse que celle du bilatéralisme, accompagnée par quelques réflexions indépendantes et créatives en vue de la poursuite de la voie bilatérale. Notre Constitution fédérale (Cst.) définit la voie de la politique suisse, ce qui est naturellement aussi valable pour les traités internationaux. Selon son préambule et les art. 2, al. 1 et art. 54, al. 2, elle stipule, par respect des «acquis communs» et en tant que valeurs de référence immuables: la «liberté» – en nous rappelant que «seul est libre qui use de sa liberté» –, la «démocratie» ainsi que l’«indépendance et la sécurité du pays». En outre, on y trouve aussi l’obligation de s’engager «en faveur d’un ordre international juste et pacifique» (art. 2, al. 4 Cst.). Ces valeurs de base forment elles-mêmes le fondement de notre neutralité armée, ancrée notamment dans notre Constitution aux art. 173 et 185, ce qui souligne la souveraineté de la Confédération suisse, cette «nation née de la volonté collective». Quant aux autorités judiciaires, l’art. 188 Cst. désigne le Tribunal fédéral comme étant l’autorité judiciaire suprême de la Confédération. Selon art. 189, al. 3 Cst., la loi peut – comme dans le droit international – lui conférer d’autres compétences, élargies à l’examen de litiges concernant la violation du droit émanant de traités internationaux, ce qui garantirait l’accès au juge selon l’art. 29a Cst. Avec ses prescriptions constitutionnelles, tel un paramètre, la marge d’action concernant les traités internationaux est clairement définie, ce qui soulève la question de savoir si, au niveau institutionnel, il y a d’autres voies qui s’offrent à la Suisse – sous réserve d’amendements constitutionnels – que le bilatéralisme qui a prévalu jusqu’ici. Cette question sera traitée par la suite et nous y donnerons une réponse. La notion de souveraineté au sein de l’UEComme mis en évidence ci-dessus, la souveraineté suisse se définit par la liberté, la démocratie et l’indépendance assortie de neutralité. L’importance du bilatéralisme dans la zone de tension de la crise de l’UEAprès le Non à l’EEE, la Suisse n’avait pas d’autre choix que conclure des traités individuels sur la base du bilatéralisme. Actuellement la Suisse et l’UE sont reliées par un réseau de plus en plus fin de traités bilatéraux qui forment le fondement de la cohabitation entre la Suisse et l’UE. Depuis un certain temps, cependant, ce fondement est mis en question par les représentants de l’UE, comme à la fin de l’année par Viviane Reding, suppléante du président de la Commission européenne José Manuel Barroso. Au lieu de suivre la voie bilatérale qui a fait ses preuves dans le passé, on veut nous imposer la reprise automatique du droit européen ainsi qu’un tribunal supranational, c’est-à-dire des juges étrangers. Au Conseil fédéral et dans les partis bourgeois, on est toujours d’avis qu’il faut maintenir la voie bilatérale. En principe, c’est bien ainsi! Il me paraît pourtant évident que, dans le contexte de la crise de l’UE et probablement aussi suite à celle-ci, un véritable bras de fer, telle la lutte entre David et Goliath, a éclaté entre la Suisse et l’UE, où il s’agit, à l’instar du comportement de David, de garder sans trop d’émotions la vue globale et son sang-froid. Malheureusement, nos parlementaires suisses, peu résistants aux crises, ont actuellement tendance à perdre les nerfs et à vouloir se profiler par des affirmations peu réfléchies et visiblement contre-productives. Ces signaux, marqués par des divergences internes, correspondent à un comportement totalement erroné. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de former un front commun et de profiter du fait que l’UE est secouée par la crise. Bilan de performance de la Suisse: nous devons renforcer notre confiance en nous!Dans l’Union européenne, on semble ne pas seulement juger de façon erronée les performances fournies par la Suisse envers l’UE, mais ne pas les voir ou les ignorer complètement; de plus, on néglige de prendre en compte les attrayantes possibilités dont dispose la Suisse comme alternative à l’Union européenne. En ce qui concerne les prestations fournies à l’UE, il suffit de se souvenir des paiements de cohésion annuels s’élevant à des centaines de millions ou à la NLFA, construite uniquement à nos frais pour 20 milliards, et augmentée des coûts pour les raccordements à cette voie de transit chez nos voisins au Nord et au Sud, somme que la Suisse finance volontairement. Nous avons aussi construit la route transversale pour la circulation de transit européenne du Nord au Sud et actuellement on évalue un second tunnel du Gothard qui ne sera pas non plus gratuit. Et face à tout cela, l’UE se permet de nous reprocher de jouer les pique-assiettes – à mon avis, un reproche complètement erroné et véritablement grotesque. Des solutions alternatives en tant que chances pour la SuisseIl s’agit de bien réfléchir au fait que dans le monde globalisé d’aujourd’hui, ce ne sont pas uniquement les sociétés et les marchés européens qui gagnent en intérêt pour l’économie et la société suisse (donc pour la Suisse en général), mais de plus en plus les Etats de l’Europe de l’Est et du Caucase, entre autres à cause de leurs ressources naturelles, ainsi que notamment aussi les Etats asiatiques et d’Amérique latine, les Etats du BRICS, suite à leurs économies en plein essor. Dans ce contexte, il ne faut pas oublier non plus la grande importance qu’a déjà acquise le continent nord-américain (Accord de libre-échange nord-américain ALENA), laquelle en tout cas restera stable à l’avenir. La Suisse et ses autorités fédérales sont bien conseillées en concluant des accords bilatéraux avec ces Etats, ce qui ne peut que renforcer la position de notre pays dans ses négociations avec l’UE. En d’autres termes, il faut redéfinir les priorités au détriment de l’Union européenne. Le scénario tout à fait réaliste que nous présentons ici ne devrait pas laisser indifférents l’UE et ses Etats membres, ce qui devrait de nouveau faciliter les négociations, car sinon l’UE continue à couper la branche sur laquelle elle est assise, comme la crise européenne actuelle nous le démontre sans équivoque. L’UE ne devrait pas négliger que la situation géographique de la Suisse en Europe est d’importance géostratégique, car elle peut – pour les Etats asiatiques, américains et autres, ainsi que pour les associations d’Etats mentionnés plus haut, notamment l’ASEAN, l’ALENA ou les «quatre dragons asiatiques» et leurs marchés – prendre la fonction d’une sorte de porte-avions avec une excellente infrastructure, pour permettre à ces pays l’accès direct à l’UE et ses marchés. En d’autres termes, notre Conseil fédéral devrait enfin développer différents scénarios, avec des décisions prises sous réserves, pour pouvoir négocier et réagir rapidement et du tac au tac. Un tel scénario pourrait s’appeler «bilatéralisme élargi», qui prend en compte les requêtes de l’Union européenne au sujet du contrôle indépendant des contrats bilatéraux, c’est-à-dire de leur respect et de leur meilleure transparence concernant la reprise du droit européen, ce qui se fait actuellement déjà sans que les citoyens puissent s’en rendre compte. Que l’on nomme cela «EEE light», «EEE bilatéral» ou autrement, n’est que d’importance purement formelle et donc secondaire. Pour la surveillance de tels accords, il faudrait aussi prendre en compte les structures d’organisation de l’AELA (Association européenne de libre-échange). Dans ce contexte, la Suisse aurait déjà deux alliés naturels avec le Liechtenstein et la Norvège. En ce qui concerne la surveillance, la Suisse fait figure de partenaire extrêmement fiable, ce qu’il faut une fois de plus rappeler à l’UE. En utilisant un tel comportement et une telle tactique, nous aurions de nouveau la possibilité de reprendre l’initiative. La crise actuelle avec une Union européenne affaiblie ne peut que nous être utile. Dans ce contexte, la devise du scout «Toujours prêt!» ne nous semble pas du tout déplacée. Idée fondamentale: le bilatéralisme a un avenirD’abord, il est important de retenir que le «bilatéralisme» ne se limite pas à la relation entre la Suisse et l’UE ou les 27 Etats membres, mais au contraire, le bilatéralisme gagne toujours plus d’importance au niveau mondial. Les commentateurs qui déclarent le terme «bilatéral» comme étant une parole creuse, respectivement déclarent le bilatéralisme et les accords bilatéraux comme étant morts, méconnaissent l’importance croissante du bilatéralisme dans le monde entier. Il serait souhaitable d’avoir plus les pieds sur terre et de montrer davantage de sens des réalités, plutôt que de décrire des scénarios de naufrage. |