Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  N° 17, 29 juin 2015  >  «Tu ne tueras point – Mon rêve de paix» [Imprimer]

«Tu ne tueras point – Mon rêve de paix»

Analyse de livre par Henriette Hanke Güttinger, historienne

Suite à la lecture de son reportage sur la dernière guerre de Gaza, je me suis intéressée à Jürgen Todenhöfer. Il décrit les conséquences des bombardements sur les enfants, les femmes et les hommes d’une manière qu’on ne rencontre que rarement dans les médias. Cela nous touche profondément et nous permet de comprendre ce que ces agressions signifient pour la vie de toute personne.
En mars, j’ai déniché une édition de poche de «Du sollst nicht töten – Mein Traum vom Frieden» (Tu ne tueras point – Mon rêve de paix) de Jürgen Todenhöfer. Chaque fois que cela m’était possible, j’en lisais des passages. Jürgen Todenhöfer se révèle être un homme dont la plus profonde conviction s’exprime dans ce titre si simple. Le lecteur saisira immédiatement l’évolution qui le mena à son engagement sans failles contre la guerre et pour la paix. Né en 1940, il a vécu les horreurs de la guerre: «Ce que je n’oublierai jamais, c’est la terre qui tremble, les torches humaines, ma ville natale qui se meurt tel un océan rougi par le sang. Voilà ce qu’est la guerre. Ce sont nous, les Allemands, qui l’avons commencée. Mais, fallait-il pour cette raison embraser des villes et tuer des enfants? […] Peut-être que je me suis douté alors, pour la première fois, que les guerres honorables n’existaient pas.» (p. 34)
Désormais, la question de la guerre et de la paix n’arrête pas de préoccuper Jürgen Todenhöfer. En 1960, il vit en tant qu’étudiant à Paris les vives disputes pour ou contre la politique coloniale de la France en Algérie et il s’y rend pour «voir ce qui se passe de ses propres yeux». (p. 35) Dans le train d’Alger à Constantine, il entend des légionnaires allemands et anglais se vanter des massacres de la population algérienne et des rebelles du FLN. Cela le trouble profondément: «‹Pourquoi, ce qui est un crime honteux dans le pays d’origine, est-il un exploit hors des frontières?› Cette question devint la plus importante de ma vie.» (p. 39)
Lorsqu’en 1973 le «London Times» informe sur un massacre commis par l’armée dans la colonie portugaise du Mozambique, l’ancien député au Bundestag, Jürgen Todenhöfer s’y rend pour enquêter sur place. De retour en Allemagne, il confirme la responsabilité de l’armée dans le massacre. Mais en même temps, il condamne les actes de violence du mouvement de libération FRELIMO contre la population civile. Selon Todenhöfer, celui qui combat pour une juste cause doit également respecter le droit humanitaire international. (p. 45 à 49)
Dans d’autres récits de voyage, Todenhöfer raconte l’histoire agitée de l’Afghanistan, depuis l’occupation par l’Union soviétique en 1979 jusqu’à nos jours, en l’inscrivant dans le contexte géopolitique des intérêts occidentaux. (p. 64 à 67) Il cherche toujours le contact avec les gens sur place. Ainsi, il donne au lecteur un aperçu émouvant de la vie, la manière de penser et de ressentir de la population afghane; il lui permet également d’imaginer son immense souffrance. Néanmoins, il n’en reste pas là. Le regard toujours tourné vers l’avenir, il contribue de manière constructive et continue à une amélioration de la situation comme le montrent les exemples suivants.
En 2008, Jürgen Todenhöfer lit à Kaboul dans un journal afghan que l’armée des Etats-Unis aurait tué 30 Talibans à Azizabad. Les images à la télévision afghane montrent une autre situation, voire des enfants et des personnes âgées tués. Le porte-parole de l’armée américaine maintenant sa version, Jürgen Todenhöfer commence lui-même à faire des recherches. Il apprend qu’au village d’Azizabad aurait dû avoir lieu une cérémonie commémorative à la mémoire du frère de Gul Ahmad tué, il y a quelques temps, par les troupes de la FIAS. La veille de ladite cérémonie, le village a été la cible «d’obus et de roquettes». «Puis sont venus les GI. Pendant des heures, ils ont empêché les survivants de porter secours aux blessés et de récupérer les morts sous les débris», dixit Gul Ahmad qui perd 75 membres de sa famille cette nuit-là. Le lendemain, Jürgen Todenhöfer parle au président Hamid Karzai qu’il connaît personnellement depuis 1989 et le prie de protester contre de tels massacres auprès des Etats-Unis. «Dès ce jour-là, M. Karzai dénonce avec encore plus d’intransigeance les attaques de l’OTAN contre la population civile afghane. Pourtant, à partir de ce moment-là, d’éminents dirigeants américains le considèrent de plus en plus comme problème.» (p. 71)
En 2009, deux camions-citernes, que les Talibans avaient mis sous leur contrôle, s’enfoncent dans un gué du Kunduz. Des adultes et des enfants des villages voisins accourent. Dans le camp de l’armée allemande, le colonel Klein, «commandeur ‹de l’équipe de la reconstruction›» observe l’évènement sur écran. «Il informe faussement sur des ‹contacts avec l’ennemi› et exige des bombardiers des Etats-Unis. Les avions transmettent des prises de vues en temps réel dans le poste de commandement de Klein. Le colonel voit qu’il y a beaucoup de personnes entre les camions-citernes, parfois jusqu’à des centaines d’Afghans misérables – adultes et enfants. Il y a du carburant mais beaucoup ne peuvent plus se l’offrir depuis longtemps. Ils accourent d’une douzaine de villages avoisinants. Par cinq fois les équipages des avions américains proposent de chasser les gens par des vols à basse altitude.» Le colonel Klein refuse et exige le bombardement. Plus tard, il informe qu’on venait de tuer 54 rebelles, sans aucune victime civile. (p. 84) Lors d’un talk-show de la télévision allemande Todenhöfer documente cet évènement cruel avec des photos: «Dans cette émission j’ai montré les photos afin de montrer le vrai visage de la guerre. […] Le ‹dommage collatéral› est la vraie face de la guerre. Entretemps, le colonel Klein est passé au rang de général de brigade. Quel incroyable affront envers les victimes, les valeurs essentielles de notre pays et de l’armée allemande. […] Jusqu’à présent, aucun ministre n’a rendu visite aux familles des victimes de Kunduz. Aucun ministre ne s’est excusé auprès des proches des victimes. Quelle honte!» (p. 87) Todenhöfer ne s’arrête pas là. Il se croit responsable de contribuer à la réparation. Il fait construire des orphelinats à Kaboul. En 2012, «13 filles et 17 garçons» peuvent emménager dans le deuxième qui s’appelle «Maison de l’espoir». Ce sont des enfants «qui ont perdu leurs pères et leurs frères lors du raid aérien de Kunduz ordonné par le colonel Klein.» (p. 98) Pendant l’inauguration Todenhöfer raconte aux enfants que «beaucoup de gens en Allemagne sont tristes à cause du raid de Kunduz.» «Je m’excuse au nom de ces gens. […] Ensuite, je leur dis ce que j’attends d’eux: application et politesse envers les autres. Je les prie d’aider à construire un meilleur monde.» (p. 106)
Afin d’arranger des pourparlers de paix entre les partis belligérants, Todenhöfer a parlé au président Karsai et il est allé voir différents chefs des Talibans. (p. 76–82) Cette attitude orientée vers l’avenir est un bienfait moral pour le lecteur et l’encourage à ne pas s’arrêter à la description de la misère, mais à passer à l’acte afin d’améliorer la situation.
Les récits détaillés des voyages de Todenhöfer dans les régions de guerre en Libye, en Syrie, en Egypte et en Iran donnent des aperçus importants des relations politiques et de la vie quotidienne. Todenhöfer décrit également ses tentatives de servir de médiateur entre les Etats-Unis et l’Iran. Ses entretiens avec le président syrien Assad pour une solution de paix possible, sont également présentés dans ce livre.
Bien que Todenhöfer présente les faits des régions en guerre sans fard et bien que ses récits de voyage décrivent entre autres la détresse de la population civile en Syrie et en Libye ravagées par la guerre, «Du sollst nicht töten» est un livre encourageant. Le refus de la guerre et de la violence, la conviction qu’il faut résoudre les conflits à la table des négociations encourage le lecteur et lui donne l’espoir qu’un monde pacifique est possible et que chacun peut y contribuer. Ceci correspond à la perspective optimiste qui clôture le livre: «Nous avons vaincu l’esclavage, l’exécution par le feu pour sorcellerie, le colonialisme, le racisme et l’apartheid. Si nous arrivons à bannir la guerre, l’humanité avancera d’un grand pas.»    •
JürgenTodenhöfer. Du sollst nicht töten. Mein Traum vom Frieden. München 2015
ISBN 978-3442-74866-2

«Diabolisation
de l’adversaire»
«La préparation d’une guerre va souvent de pair avec la diabolisation et la criminalisation de l’adversaire. […] Souvent on travaille de manière systématique pendant des années afin de diaboliser l’adversaire. Ceci avant tout lorsque «le crime capital» de l’ennemi consiste dans le fait qu’il ne se soumette pas aux objectifs stratégiques des Etats-Unis. […] Des groupes ethniques et des cultures entières en sont victimes. Jadis les juifs, à présent les musulmans. Bien qu’aucun pays musulman n’ait attaqué l’occident depuis 200 ans […].» (Du
sollst nicht töten, p. 114)