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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°48, 5 décembre 2011  >  La Russie et l’Europe: de l’amitié et des intérêts communs [Imprimer]

La Russie et l’Europe: de l’amitié et des intérêts communs

La démission du chef de gouvernement italien, Silvio Berlusconi, a fait sensation en Russie. Le Premier ministre italien, qui était en charge depuis de nombreuses années, passe pour un proche ami du Premier ministre Vladimir Poutine.

Nombreux furent ceux qui estimèrent que les relations entre la Russie et l’Italie subiraient un changement. Le technocrate Mario Monti passe pour un adversaire de Berlusconi. Il y a quelques années on avait pronostiqué la même chose à propos de l’Allemagne. La démission de Gerhard Schröder avait mit un terme aux relations cordiales entre les deux pays. Angela Merkel se présente également très différente de son prédécesseur. Dans ce contexte, on peut aussi mentionner la fin de l’ère de Jacques Chirac. On savait que Chirac entretenait de solides relations avec la Russie (y compris sur le plan personnel). Lors de l’entrée de Nicolas Sarkozy au Palais de l’Elysée, Moscou s’est trouvée confrontée à une autre personnalité.
Il est incontestable qu’en politique les personnalités jouent un grand rôle. Des sentiments de sympathie personnels peuvent être bénéfiques. Toutefois, lorsqu’on y regarde de plus près, on constate que les relations entre Etats reposent sur de dures réalités économiques et sur des considérations politiques traditionnelles. Observons trois pays qui servent de soutien à la politique russe en Europe – l’Allemagne, la France et l’Italie.
Le fondement des relations entre l’Allemagne et la Russie repose depuis de longues années sur le grand intérêt de l’économie allemande pour les marchés orientaux (notamment les russes). Même deux guerres mondiales n’y ont rien changé. Le «Ost-Ausschuss der Deutschen Wirtschaft», mis en place en 1952 pour favoriser l’expansion des entreprises allemandes à l’Est, fut créée trois ans avant la reprise des relations diplomatiques officielles entre l’Union soviétique et l’Allemagne de l’Ouest. Il est vrai que l’expansion économique vers l’Est fut la seule forme possible d’expansion accordée à l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Les entrepreneurs allemands, soutenus par le gouvernement, ont tiré grand profit de cette possibilité. Dans les années 60, l’Allemagne de l’Ouest devint un partenaire stratégique de Moscou. Ces deux pays sont étroitement liés depuis le début de la fourniture du gaz de Sibérie.
Cela ne resta pas sans conséquences politiques. A l’époque la plus cruciale de la guerre froide, alors que le président des Etats-Unis d’alors, Ronald Reagan, menait une croisade contre l’«empire du mal», l’Allemagne de l’Ouest s’efforçait de convaincre son allié de l’importance d’une coopération dans le domaine de l’énergie. La situation géopolitique de l’Europe dépend encore aujourd’hui des oléoducs qui furent construits sous la direction de Leonid Brechnev. Il n’est pas étonnant que l’Allemagne reste le partenaire européen le plus important de la Russie, cela quels que furent les chanceliers (Kohl, Schröder et Merkel). Certes, il y eut des différences selon les époques, mais l’intérêt des grandes entreprises, qui exercent une grande influence politique en Allemagne, resta stable.
La situation avec la France apparaît différemment. Les relations entre les deux pays sont dominées par la politique. Les dirigeants français ont toujours cru à la grandeur de leur pays et se sont toujours représenté une construction de l’Europe géopolitiquement et stratégiquement stable avec Paris au centre. Ce modèle contient un élément atlantiste. Toutefois, du fait que la France tenait à garder un statut particulier dans ses relations avec les Etats-Unis, il fallait compenser par d’intenses relations avec la Russie. Ce fut ainsi du temps de l’Union soviétique et cela n’a pas changé jusqu’aujourd’hui. Lorsque Nicolas Sarkozy, fortement orienté vers l’économie, prit le pouvoir en devenant président du pays, l’aspect économique se mit en parallèle avec la composante géopolitique. Paris tente maintenant de rattraper l’Allemagne dans ce domaine. Le fait marquant en est le récent contrat franco-russe «Mistral». La vente de navires de transport d’hélicoptères français a bien entendu un caractère commercial, mais c’est aussi un résultat politique.
L’Italie apparaît comme une variante frivole de l’Allemagne. L’Italie fut toujours un marché important pour le gaz russe. L’économie italienne a toujours eu l’œil sur le potentiel de croissance de l’Union soviétique et plus tard de la Russie. Cela indépendamment de qui dirigeait le pays. Même pendant la courte période, où Berlusconi fut remplacé par Romano Prodi.
Tout cela ne veut pas dire que rien ne changera dans la situation en Europe. Il y a des changements sur le marché de l’énergie, lequel reste pour la Russie le lien le plus étroit avec l’Europe. C’est pourquoi surgissent des difficultés chez Gasprom, la multinationale énergétique russe, cela malgré de bons contacts, y compris avec les partenaires les plus fiables.
L’Europe doit affronter de sérieux changements. Le modèle d’intégration, qui débuta au milieu du XXe siècle, atteint ses limites et devra subir des modifications. Il est évident que certains pays ont tendance à renoncer à l’appui de l’UE dans leurs relations avec le reste du monde et veulent pouvoir établir des relations indépendantes avec les Etats les plus importants. La Russie est l’un de ces Etats. Peu importe qui gouverne les pays européens, les politiciens les plus importants seront toujours intéressés par une étroite coopération. La crise européenne aidant, il faut chercher de nouveaux marchés, de nouvelles sources de revenus et de nouveaux soutiens politiques pour le cas où les conflits au sein de l’UE prendraient des dimensions inquiétantes.
Poutine n’aura guère l’heur de retrouver des amis comme Silvio Berlusconi ou Gerhard Schröder. C’est lord Palmerston qui a dit qu’il n’y a pas d’amis éternels, mais uniquement des intérêts éternels. Les intérêts de la Russie et ceux des pays européens sont si étroitement liés que les relations continueront même sans amitiés profondes.    •

Source: RIA Novosti du 17/11/11

(Traduction Horizons et débats)