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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°33, 4 novembre 2013  >  Un regard plein d’amour sur les hommes, la nature et la splendeur des paysages de la Suisse [Imprimer]

                                                              "Auf dem Sitzberg, 1973", (photo tireé du catalogue)

Un regard plein d’amour sur les hommes, la nature et la splendeur des paysages de la Suisse

Au sujet de la vie et de l’œuvre du peintre suisse Richard Wannenmacher lors de l’exposition commémorative à la Galerie Tannzapfenland TG

par Urs Knoblauch, journaliste culturel, Fruthwilen TG

C’est un grand plaisir de contempler l’exposition permanente de la superbe galerie Tannzapfenland à Eschlikon, dans le canton de Thurgovie. Elle mérite d’être vue. Le visiteur se sent accueilli dans l’atmosphère hospitalière qui y règne. C’est en ce lieu que Richard Wannenmacher (1923–1995) a travaillé jusqu’à sa mort. Au cours de cette année, il aurait atteint l’âge de 90 ans. Dans la galerie, son œuvre posthume est toujours présente sous la responsabilité de sa femme, de son fils Martin Wannenmacher et de la famille. Mme Wannenmacher a elle aussi un talent artistique. Elle fabriquait de simples jouets à l’attention de ses trois enfants, des objets d’artisanat d’art destinés à la vente de charité du bazar annuel. Elle réalisait également des sculptures en stylisant des figures humaines prises dans des situations caractéristiques du quotidien.
Les œuvres de Richard Wannenmacher se trouvent dans un bon nombre d’expositions d’art et dans les appartements de nombreux amateurs. Dans ses œuvres s’exprime un profond attachement à la nature et son amour du paysage. Dans ses tableaux de paysages variés et de fragments de paysages, le peintre réussit toujours à mener le spectateur vers la profondeur et l’immensité de l’espace des motifs ruraux et naturels. Avec un réalisme à la fois précis et libre, il fixe les végétations, la lumière et les couleurs ambiantes saisonnières. On comprend que c’est un peintre qui, dès son enfance, a appris à aimer la beauté de la nature et des paysages ruraux.

Visite chez la famille Wannenmacher

Avec café et gâteau, nous sommes confortablement assis autour d’une table chez nos hôtes Mme Wannenmacher, son fils Martin et sa femme. Madame Wannenmacher nous raconte que depuis son enfance, son mari a toujours beaucoup dessiné. «Enfant, mon mari était souvent malade. Il a dû aller faire une cure au cours de laquelle il devait souvent resté allongé. Là, il dessinait à tout moment. Le médecin et son voisin de chambre, un graphiste, avaient découvert son talent et l’ont soutenu. Il reproduisait à partir d’images. Cela est devenu important et salutaire pour lui. Il a toujours été ainsi. Plus tard, quand nous partions en voyage, il commençait, déjà à la gare ou à l’aéroport, à dessiner ce qu’il voyait et ce qui l’intéressait. Cela était devenu sa passion.»
C’étaient des études autodidactes et l’amitié nouée avec l’artiste peintre Hermann Peter est venue enrichir ses propres capacités créatrices.

«Parcourir notre pays pour en percevoir la réalité profonde et épurée»

Dans les salles de la galerie remplie de tableaux et dans le livre d’art intitulé «Quer­schnitt durch meine Malerei» (1996), rédigé et commenté par le peintre lui-même, se manifestent son parcours et son œuvre. Dans la préface de cet ouvrage nous lisons: «Inhérent au travail de R. Wannenmacher, le charme de ses peintures ne relève pas vraiment de l’esthétique évidente des paysages peints, mais de la manière dont il apprécie une beauté particulière dans ses détails «insignifiants» de parcelles de paysages et de villages. De ce fait, ses peintures semblent être d’autant plus honnêtes et convaincantes. Ce qui nous surprend dans toutes ses peintures, c’est la précision de son travail, chaque coup de pinceau semble être posé selon la nécessité naturelle. La mesure entre simplification et exactitude est toujours juste. Les paysages, les maisons, les villages sont à la fois précis et transposés dans une réalité profonde. Les peintures de Wannenmacher pourraient réellement nous inspirer à parcourir notre pays pour en percevoir la réalité profonde et épurée.»
Ses talents d’artisan d’art et de créateur se manifestent aussi dans ses «images en ciment coloré», qu’il a pu exposer dans les années 70 au «Helmhaus» à Zurich. Ces œuvres constituent un point fort de l’exposition actuelle. Un court-métrage documentaire très instructif produit par son fils Martin Wannenmacher montre l’artiste au travail.

Ses tableaux présentent aussi les changements dans l’espace rural

Ses tableaux révèlent également les grands changements au sein de l’agriculture. Une grande partie de la surface est devenue terrain constructible, entraînant non seulement la perte de terres agricoles mais aussi un regroupement familial ou la création de nouvelles exploitations dans les communes. De nombreuses peintures de Richard Wannenmacher témoignent encore «de la situation d’autrefois». Hanny Wannenmacher relate le fait récent «de ne pas avoir reconnu les lieux, en distribuant les invitations pour l’exposition, tant les différentes parties du village d’Eschlikon avaient changé». Autrefois, l’agriculture était primordiale. C’est uniquement grâce à elle que les magnifiques paysages, qui existent toujours dans notre pays, sont soignés et choyés avec tant d’attention. Ce travail est souvent mésestimé. Les tableaux invitent ainsi à la réflexion. Chaque jour, des exploitations agricoles riches en tradition et savoir-faire sont abandonnées dans notre pays. Les conditions de travail dans ce métier, à la fois beau et exigeant, sont devenues si difficiles qu’en plusieurs lieux, il reste peu d’avenir pour l’existence d’une famille. Par conséquent, la sécurité alimentaire en Suisse, dans les pays européens mais aussi au plan mondial est de plus en plus précaire. Suite aux conséquences des guerres aberrantes et du chômage des jeunes dans un grand nombre de pays, la paix sociale est en danger. Il est nécessaire de trouver des solutions – les jeunes ont droit à une formation et un travail sensés pour renforcer la sécurité alimentaire et l’agriculture et permettre aux jeunes familles de prendre des initiatives en toute indépendance. Il est réjouissant de constater la bonne fréquentation des écoles d’agriculture suisses par des jeunes faisant preuve d’initiative. Un contre-mouvement se développe. Le fameux Rapport mondial sur l’agriculture de 2008 propose de nombreuses voies devant être prises au sérieux: «Les petites structures rurales sont les meilleurs garants de la sécurité alimentaire locale et de la souveraineté alimentaire régionale et nationale.»

Malgré les temps difficiles, son goût pour la vie, son attachement aux valeurs et son engagement lui ont permis de créer de grandes œuvres

Richard Wannenmacher est né et a grandi à Wettingen. Le père par son travail dur et laborieux de paysan et d’ouvrier a pu se construire une petite maison avec une étable et une grange au pied de la chaîne des «Lägern» dans le canton d’Argovie. Il y a passé ses quinze premières années. Dans le catalogue, nous retrouvons le passage suivant: «Mes parents avaient une petite exploitation agricole avec une vache, un cochon, des chèvres et des lapins. Mon père a grandi comme enfant placé chez une famille de paysans, il a toujours voulu devenir paysan. En 1938, mes parents ont échangé leur petite exploitation de deux arpents contre une ferme près de Kirchberg. Là, dans le Toggenburg, j’ai commencé à peindre.» Lors de la passionnante conversation avec Madame Wannen­macher, le fils Martin et sa femme, beaucoup de détails de sa vie, de sa carrière d’artiste et de ses tableaux commencent à revivre. On perçoit son mode de vie profondément chrétien, son amour pour notre pays et sa compassion pour les joies et les souffrances de ce monde. Madame Wannenmacher décrit: «Lorsque la guerre éclata en 1939, les parents venaient d’acheter une petite exploitation agricole et Richard venait juste de terminer sa scolarité. Le père devait faire son service militaire et Richard devait gérer la ferme avec ses frères, ses sœurs et sa mère. Il aurait voulu faire un apprentissage de jardinier, ce qui fut impossible en raison de la guerre. Lui-même a dû participer au service militaire jusqu’en 1947 tout en travaillant au tant que faire se peut dans l’exploitation de ses parents. Tout cela était une catastrophe.» De telles descriptions sont un grand bienfait pour le développement de la personnalité des jeunes gens lorsqu’ils sont prêts à écouter les récits de leurs parents et grands-parents et qu’ils s’intéressent à leur vécu.

L’importance de l’entraide, des coopératives et de l’«économie monétaire WIR»

Lors de la crise économique internationale des années 20 et 30 et à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, beaucoup d’organisations d’entraide et de précieuses coopératives ont vu le jour. La coopérative du Cercle économique WIR est un exemple ayant rencontré un vif succès avec son argent WIR. Elle fut fondée en 1934 en Suisse selon un modèle danois. Sur le plan mondial, ces formes alternatives et sociales du marché connaissent un essor, notamment auprès de la jeune génération. Celle-ci refuse résolument la domination du pouvoir financier antisocial actuel. La monnaie WIR a des points communs avec la théorie de l’argent «libre» de Silvio Gesell. La famille Wannenmacher demeure reconnaissante encore aujourd’hui de cette forme sociale des finances. L’argent circule en tant que bon d’achat et moyen d’échange honnête au lieu d’être stocké ou de ruiner l’économie par des spéculations en bourse. La «Banque WIR» est jusqu’à nos jours une banque très efficace pour les PME avec des succursales dans toutes les régions linguistiques de la Suisse. Madame Wannenmacher et le fils Martin racontent: «C’est une bénédiction pour beaucoup de personnes. Grâce à la ‹Banque WIR›, notre père a pu construire cette maison. Il en a dessiné lui-même les plans et il a aussi participé à la construction. Il a obtenu des conditions très favorables de la ‹Banque WIR› et nous avons pu amortir les hypothèques. La chose principale dans le système WIR, c’est qu’il ne faut pas stocker l’argent. On le gagne avec plaisir et on le dépense avec plaisir. Il ne rapporte pas d’intérêts. L’argent WIR doit rester en circulation. Cela nous a beaucoup facilité la vie. Nous avons vendu beaucoup de tableaux parce que nous acceptions de l’argent WIR et nous le faisons aujourd’hui encore avec plaisir.» Puis, nous parlons aussi du système coopératif qui est une forme de vie digne qu’il est indispensable de faire connaître à la jeunesse actuelle. Pourquoi nos médias, de plus en plus alignés, n’en parlent-ils presque jamais, alors que cela serait leur devoir? Voilà une tâche tout à fait actuelle pour notre société: reconquérir la souveraineté financière au profit des démocraties et des populations.
Dans ce contexte, il est intéressant d’apprendre qu’en 1940, a été fondé le «groupe d’artistes de Thurgovie» et de nombreuses autres associations. Richard Wannen­macher en était aussi membre. La raison d’être de ce groupe d’artistes était l’entraide et la vulgarisation des tableaux à prix raisonnables. Il était en contact avec d’autres peintres, notamment Adolf Dietrich et Carl Roesch. On devait avoir un «parrain» pour être accueilli dans cette association. Les membres se sont fortement engagés en faveur de l’élaboration du Musée d’art du canton de Thurgovie au sein de la Chartreuse d’Ittingen. Malheureusement, les associations d’art sont actuellement de plus en plus centralisées, «professionnalisées» et commercialisées. Ainsi elles demeurent toujours plus éloignées de leur véritable mission et du grand public.

Rester fidèle à soi-même – un art éthique et compréhensible créant des liens

Il y a un fait particulièrement remarquable dans l’œuvre de Richard Wannenmacher, c’est sa constante fidélité à son éthique, au langage visuel, figuratif et réaliste. Il était attaché aux hommes et à l’environnement et il voulait être compris. Le réalisme dans toutes ses formes est une forme d’expression généralement compréhensible et démocratique, contrairement à l’art abstrait. Les peintres figuratifs souhaitaient que les gens comprennent leurs peintures. Pour cette raison, l’art abstrait n’a jamais représenté une option pour Richard Wannenmacher. Après la guerre, certains milieux aux Etats-Unis ont fortement propagé et encouragé l’art abstrait (et aussi la musique et la poésie atonales) en Europe, en prétendant qu’il s’agissait de la «grande liberté» et d’une caractéristique de «l’homme moderne». Un grand nombre d’artistes refusant de se soumettre à ce dictat ont subi des difficultés économiques et n’ont presque plus été exposés. La plupart d’eux ne se sont jamais rendus compte que cette modernité visait aussi à dissoudre les valeurs européennes et humanistes. Ainsi, la jeune génération, peut également apprendre par le domaine de l’art, à tirer les leçons des erreurs de l’histoire et contribuer à un vivre-ensemble pacifique, sur un pied d’égalité, orienté vers le bien commun. L’œuvre et l’éthique de Richard Wannen­macher peuvent servir de modèle.    •

L’exposition permanente peut être visitée sur rendez-vous préalable au tél. +41 71 971 19 15 ou +41 71 971 35 30 ou en allant sur le site
www.rwannenmacher.ch. On peut y acquérir des tableaux ainsi que le catalogue de l’exposition.