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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°25, 23 juin 2008  >  Que reste-t-il de la démocratie? [Imprimer]

Que reste-t-il de la démocratie?

par Eberhard Hamer, professeur au Mittelstandsinstitut de Hanovre*

L’auteur vient d’une génération qui, à la fin de la dictature hitlérienne, avait salué avec enthousiasme l’idée de la démocratie, en tant que système de liberté et, de ce fait, s’y était engagé politiquement.
Il reste, aujourd’hui encore, convaincu que la démocratie réelle est la forme étatique la plus digne humainement parlant. Aucun autre système politique ne respecte autant l’individu, sa liberté, sa dignité et cherche à reporter la volonté des citoyens dans l’action gouvernementale. En démocratie, la souveraineté s’étend aux millions de citoyens. Ils ne cèdent le pouvoir de gouverner à des représentants, habilités à résoudre les problèmes politiques et de société, que temporairement et de manière révocable.

Avons-nous aujourd’hui encore une telle démocratie?

•    90% de la population s’opposent au fait que notre gouvernement soutient la guerre d'agression des Américains en Afghanistan, en Irak et peut-être bientôt en Iran. – Toutefois, il semble bien que cette volonté ne joue plus aucun rôle auprès des politiciens au gouvernement et des partis.
•    Plus de 70% de la population en Allemagne, et certainement aussi en Europe, refusent l'élargissement du pouvoir de la Commission politique de Bruxelles à l’aide d’un nouveau traité constitutionnel. – Malgré cela, le gouvernement allemand s’engage dans la perte de souveraineté, contre la volonté de la majorité de la population et sans s’occuper de l’avis des citoyens. Le politicien Kohl a estimé: «Où irions-nous si la population devait décider de ces questions si importantes?» Que vaut, dans ces conditions, le droit de codécision des citoyens?
•    Plus de 80% de la population refusent l'adhésion de la Turquie à l’UE, du fait que ce pays ne fait pas partie de l’Europe et que cela aurait des conséquences insupportables. Ce nonobstant, nos politiciens et nos partis s’efforcent, sous la pression des Etats-Unis, presque à l’unanimité d’imposer l’adhésion de la Turquie, envers et contre la volonté de leurs électeurs. – Peut-on estimer que ces politiciens sont encore les représentants de leurs électeurs?
On pourrait en rajouter en évoquant le renoncement au D-Mark, contre la volonté de 90% de la population, le traité d’Edimbourg où Kohl rendait l’Allemagne tributaire de la plupart des Etats européens pour «l’éternité», l’élargissement de l’OTAN vers l’Est, dirigée directement contre la Russie, et bien d’autres mesures politiques entreprises contre la volonté de la population.
On en tire la conclusion que les agissements des politiciens dominants en Allemagne et en Europe ne visent pas les intérêts des populations, mais bien ceux d’autres cercles. Il semble bien que la démocratie n’ait pas suffisamment de force pour imposer aux politiciens de défendre la volonté des corps électoraux.
On remarque à la forte baisse de participation aux élections combien les votant(e)s sont en désaccord avec cette situation. Mais l’élite politique n’est pas en reste en combines: s’il n’y a plus que 10% de la population qui se rend aux urnes, on peut estimer que 6% forment une majorité absolue et on peut continuer de gouverner. Il ne s’agit pas d’une majorité de la population et des votants, mais seulement de la majorité de celles et ceux qui se donnent la peine d’aller voter, même s’il ne s’agit que d’une minorité. Notre gouvernement de la «grande coalition» n’est, après tout, élu que par une minorité de notre population. Il ne représente pas la majorité du peuple.
Le gouvernement a conscience depuis belle lurette de ce déficit de légitimation démocratique. C’est pourquoi il se sert des vieux mécanismes de contrôle des dictatures, afin de tenir le corps électoral en laisse, soit: les contribuables en transparence, la surveillance des téléphones fixes ou portables, des numéros d’identification des citoyens qui devraient être implantés dans les individus, comme pour les animaux, ainsi que l’introduction du paragraphe 130 du code pénal, ressemblant fort à une inquisition, permettant à l’Etat de poursuivre et enfermer les dissidents – actuellement plus de 2500.
Ce n’est pas ainsi que nous envisagions la démocratie, il y a cinquante ans lorsque nous luttions pour l’imposer. Nous voulions être des citoyens libres, mais sommes de plus en plus devenus sujets. Il y a un retournement de situation, en matière d’autogestion et du principe de délégation de pouvoir, lorsque les politiciens, les partis et l’appareil gouvernemental dominants se détournent pareillement de la population, ne se sentant plus les représentants de la volonté du peuple, mais agissant à son encontre. Le pouvoir, dans ce système, n’est plus délégué de bas en haut, mais décidé centralement et dirigé de haut en bas, ordonné et contrôlé. Nous avons glissé insensiblement, au cours des dernières trente années, de la démocratie vers un pouvoir centralisé. Les orientations importantes ne sont plus décidées démocratiquement, mais contre la volonté du peuple. On ne tolère la démocratie plus que dans les aires inférieures et marginales.
On découvre brusquement, et cela de plus en plus, que nombre de politiciens et de partis ont une loyauté à double face. Le scandale de la firme Volkswagen a démontré que la direction d’une multinationale domine son environnement non seulement économiquement, mais aussi politiquement par la corruption, en soudoyant afin d’imposer sa volonté. Il fut un temps où un roi régnait à Hanovre, aujourd’hui c’est Volkswagen. Il en va de même dans les autres Länder du pays. Le royaume de Wurtemberg est dominé par Daimler-Benz, la Bavière par Siemens, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie par les multinationales du charbon et de l’acier. Selon une publication du syndic de faillite dans le cas Kirch, même un chancelier et ses ministres n’ont pas hésité à se laisser soudoyer année après année par une puissance financière étrangère. Selon une enquête du «Mittelstandsinstitut Hannover», la majorité des députés du Bundestag et tous les partis mangent aux râteliers des grandes organisations collectives des multinationales et des syndicats. Le parlement a empêché à une large majorité toutes les tentatives des citoyens et de leurs organisations de faire interdire la corruption des politiciens et des partis et de les traduire en justice. La corruption n’est punissable qu’au niveau des fonctionnaires subalternes, mais pas pour ceux qui donnent les orientations aux fonctionnaires et sont censés résoudre les grandes questions vitales de notre population.
Les causes

de cette perte de démocratie et de la domination centralisatrice grandissante

Les causes de cette perte de démocratie au profit de la centralisation ne sont pas à chercher seulement dans la corruption politique; il s’agit bien d’une transformation structurelle apparue dans les trente dernières années, et cela pour la première fois dans l’histoire de l’humanité. Auparavant, la politique tenait le haut du pavé dans le pouvoir étatique et devait, de ce fait, diriger tous les autres domaines. Ce fut vrai tant pour les princes que pour les dictateurs que même pour les gouvernements démocratiques. – Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Entre-temps, le capital financier et les multinationales ont conquis, sous le prétexte de la mondialisation, «une liberté sise au-dessus de toutes les législations nationales», étant en mesure de menacer tous les gouvernements et tous les pays de se déplacer dans d’autres pays (refuges fiscaux, pays à bas salaires) si les forces politiques ne cèdent à leurs volontés. Ainsi, le pouvoir étatique s’est renversé. Ce n’est plus le pouvoir politique qui dirige l’économie, mais cette dernière, au travers de ses grands ensembles, qui dicte sa volonté. La corruption qui en découle n’est qu’une conséquence de cette transformation du pouvoir.
Ce n’est d’ailleurs pas qu’un problème national, mais bien international. Les Etats-Unis eux-mêmes ne sont plus, et depuis longtemps, une démocratie, étant financés, dominés, dirigés et manipulés politiquement par les deux grands groupes de la haute finance. L’administration américaine doit mener des guerres là où ces groupes veulent tirer du pétrole ou d’autres matières premières (Kosovo) ou quand elles ont besoin de marchés pour leur industrie d’armement. On ne peut se lancer dans la politique aux Etats-Unis que dans la mesure où on obtient le soutien de l’un des deux grands groupes financiers.
Dans ce pays on a affaire à une ploutocratie et non plus à une démocratie. Ce système de pouvoir du capital est imposé au monde entier au travers d’organisations internationales créées par les USA, telles que la Banque mondiale, l’OMC, le Fonds monétaire international. L’Union européenne, elle aussi, n’est pas née de la volonté des peuples, mais sous la pression de la haute finance américaine, afin de pouvoir diriger l’Europe de façon unifiée et ne pas avoir à faire à 27 gouvernements indépendants qui, en plus, s’en tiennent à leur souveraineté.
Le pouvoir du capital est toujours centraliste et, de ce fait, ne peut supporter la démocratie. Profitant de la mondialisation, la haute finance et les multinationales ont affaibli les démocraties dans le monde entier afin de renforcer leur influence et prendre leurs décisions contre la volonté des populations. C’est ainsi que chez nous, la démocratie a glissé irrésistiblement vers la ploutocratie, c’est-à-dire le pouvoir du capital international et des multinationales sur les gouvernements, les partis, l’Etat et par conséquent les peuples.
Nous n’avons pris conscience de cette perte de démocratie beaucoup trop tard. Il n’est plus possible de faire entendre les voix critiques, le capital international dominant aussi nos médias en leur imposant ce qu’ils ont à publier. On comprend donc que la perte de démocratie n’est pas due au hasard, mais est le fruit d’une volonté ciblée.
Néanmoins, il y a un espoir. La haute finance internationale a eu besoin de toujours plus de liquidités pour construire son pouvoir global, sommes tirées de la banque centrale américaine (Federal Reserve Bank). Entre-temps, ces montants ont pris de telles proportions qu’ils ne semblent plus maîtrisables. Au cours des trente années écoulées, la haute finance a multiplié par quarante le volume de fonds du monde occidental, alors que la production de biens n’a été multipliée que par quatre. Nous vivons donc dans une gigantesque bulle financière sans couverture qu’il devient de plus en plus difficile de maîtriser et qui risque d’éclater un jour ou l’autre. Dans ce cas, le pouvoir de la ploutocratie sera discrédité au moins pour un certain temps, les populations se sentiront trompées et refuseront la domination des anciens fourbes. C’est alors qu’il devrait être possible d’imposer un changement pour retourner à l’autodétermination.
Il semblerait que cette phase ait déjà commencé.    •

*    Eberhard Hamer est le cofondateur et, depuis 3 décennies, le président du Mittelstandsinstitut (institut des classes moyennes) Niedersachsen de Hanovre. Dans des livres, des articles et des conférences données dans le monde entier, ses collaborateurs et lui ont défendu la cause des petites et moyennes entreprises (PME) axées sur l’intérêt général à la fois contre les excès de bureaucratie d’un appareil étatique envahissant et contre un capitalisme qui conduit à la suprématie des grands groupes. Hamer a non seulement prouvé que l’économie profitait grandement lorsque les PME pouvaient épanouir leur potentiel entrepreneurial mais encore que les valeurs humaines y étaient mieux respectées que dans l’important appareil étatique et dans les grands groupes industriels.