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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°15, 29 avril 2013  >  Modestie, esprit pionnier, lien étroit avec la terre natale [Imprimer]

Modestie, esprit pionnier, lien étroit avec la terre natale

La vie mouvementée du pionnier suisse de l’aviation Oskar Bider

thk. La Monnaie fédérale «Swissmint» a émis en janvier de cette année une pièce de monnaie spéciale pour la commémoration du 100e anniversaire de la première traversée complète des Alpes en avion par le pionnier suisse de l’aviation Oskar Bider. C’est donc une bonne occasion de faire meilleure connaissance de cette personnalité qui contribua de manière importante à l’évolution de l’aviation suisse et qui s’engagea pour le développement d’une armée aérienne opérationnelle pendant la Première Guerre mondiale.
Presque personne qui décolle de l’aéroport de Zurich-Kloten en direction du sud ne se rend compte qu’il y a tout juste 100 ans que le premier avion – partant de Berne – a traversé l’imposante chaîne de montagne des Alpes pour atterrir en Italie du Nord. Cent ans sont une courte durée, pendant laquelle une évolution incroyable a eu lieu dans le domaine technique et l’on n’est guère conscient des débuts de ce développement. Aujourd’hui, nous commémorons cet acte héroïque de 1913.
Le 13 juillet 1913, à quatre heures du matin, le pionnier de l’aviation suisse Oskar Bider, âgé de 22 ans, démarra son entreprise périlleuse qui le rendit mondialement célèbre d’un jour à l’autre. Qui était cet Oskar Bider et qu’est-ce qui l’a motivé à planifier et réaliser cette entreprise risquée, dont la réussite a permis d’écrire un chapitre de l’histoire à succès de la Suisse.
Oskar Bider est né et a grandi à Langenbruck, un petit village idyllique au pied du Jura bâlois. Le père d’Oskar, Jakob Bider, était drapier à Langenbruck et est devenu assez aisé. Sa mère, Frieda Marie, était la fille d’Albert Glur, l’instituteur du village. Selon la chronique de Langenbruck, la mère d’Oskar était «une femme affectueuse, profondément ancrée dans la religion chrétienne». La croyance avait marqué aussi Oskar. Il était encore jeune, quand il perdit ses parents, sa mère en 1907, son père, qui avait quitté Langenbruck après la mort de sa femme, quatre ans plus tard. La mort prématurée des parents renforça les liens entre Oskar et sa jeune sœur Hélène.
Bien que personne de la famille n’appartenait au monde agricole, Oskar voulut absolument devenir paysan et fréquenta à cette fin à partir de 1910 l’école d’agriculture de Rütti, près de Berne. Un métier qui avait en Suisse depuis longtemps une excellente réputation parce qu’il offrait la base vitale pour tous les autres métiers. C’est avant tout la population rurale qui contribua essentiellement au développement du système d’Etat démocratique moderne et qui, comme Oskar Bider, était ouverte au progrès technique et social.
Comme tout Suisse en âge de porter les armes, il effectua l’école de recrues et ceci dans les troupes de cavalerie à Zurich.
Après la mort de son père, Oskar quitte la Suisse et émigre temporairement en Argentine. Là, il trouve un emploi dans le ranch d’une famille suisse connue. La vie là-bas semble lui plaire, car dans ses lettres, il décrit avec enthousiasme à sa sœur Leni l’étendue du pays, qu’on peut traverser à cheval. Pourtant, même loin de sa patrie, il n’oublie pas ses racines familiales. Il est en correspondance avec le reste de la famille et il mentionne à plusieurs reprises sa mère défunte et le fondement profond de sa foi, qui a trouvé chez lui un grand écho.

De son amour pour la terre à ses envolées aériennes

Bien qu’il estime profondément le travail agricole, le souhait grandit en lui d’abandonner sa vie de paysan lié à la terre pour s’élancer dans les airs. Par hasard, il prend connaissance en Argentine du destin du pionnier péruvien de l’aviation, Leo Chaves, qui s’écrasa près de Domodossola et se tua en essayant de traverser les Alpes. Ce destin touche profondément Oskar Bider et fait naître en lui le souhait de se tourner vers l’aviation. Dans une lettre à sa sœur, il lui fit part en août 1911 «qu’il avait l’intention de faire l’école d’aviation».
Ainsi, son avenir était déterminé. Il revint en Suisse et commença, après avoir travaillé quelques mois dans une ferme à Münster­lingen en Thurgovie, en novembre 1912 l’école d’aviation «Blériot» de Pau, dans le sud de la France. Là, ce modeste paysan suisse du Jura bâlois s’avéra être un talent de l’aviation. Déjà un mois plus tard, il était en possession du brevet de pilote suisse et acquit quelques semaines plus tard le brevet français. Dans les lettres à sa famille, il se nomma dès lors «aviateur». Fin décembre 1912, il commanda déjà son propre «appareil», un Blériot XI. Louis Blériot, le directeur de l’école de pilotage de Pau, était simultanément un talentueux constructeur d’avions et pilote. De lui, Oskar Bider acheta son premier «appareil», un monoplan de 7 cylindres en étoile rotatif et de 70 CV, qui pouvait atteindre une vitesse de 110?km/h. Il peignit lui-même sur cet «oiseau» la crosse épiscopale de Bâle-Campagne et le nom «Langenbruck» sur le gouvernail de direction.

Le premier vol au-dessus des Pyrénées

Son premier grand acte héroïque fut le vol au-dessus des Pyrénées. De Pau, il voulut être le premier à atteindre Madrid en franchissant la chaîne de montagne entre la France et l’Espagne. A l’époque, une performance grandiose, qu’on peut peut-être comparer avec la première mission spatiale habitée.
Oskar Bider se prépara minutieusement au vol et effectua le trajet d’abord en train, pour se graver dans la mémoire les points d’orientation et la topographie, qui avaient des effets sur la thermique. Très tôt le matin du 24 janvier 1913, il partit et atteignit Madrid cinq heures et demie plus tard, après une petite escale. Ce succès le transforma pour ainsi dire d’un jour à l’autre en un héros international, ce qu’il n’avait pas cherché, car il voulait avant tout servir sa Suisse bien-aimée.
Lorsque quelques semaines plus tard, il traversa en avion la frontière suisse, il fut accueilli dans sa patrie avec grande joie et enthousiasme. Oskar Bider décolla en mars 1913 pour le premier vol postal de Bâle à Liestal. Ainsi, il peut être désigné comme le fondateur de la poste aérienne suisse.
Pour de nombreux passagers enthousiastes, il offrit des circuits en avion, dont le produit alla à la «création d’une aviation militaire suisse».

Le premier vol au-dessus des Alpes

Le plus grand succès qu’Oskar Bider put fêter, fut sans doute son vol au-dessus des Alpes, de Berne à Milan. Une performance grandiose, qu’on peut à peine mesurer au niveau de l’état de la technique d’aujourd’hui. De manière ciblée, il rassembla auparavant des expériences sur des trajets de grandes envolées et de longue durée pour pouvoir planifier correctement la consommation d’huile et de carburant. Il dut faire face à différents défis: comment varient les pressions de l’huile et de la benzine, quand la pression de l’air diminue? Dans quelle mesure cela limite-t-il les performances de son moteur de 70 CV – très faible comparé à aujourd’hui. Avec quelles turbulences d’air, sa machine sera-t-elle confrontée à 3000–4000 mètres d’altitude et comment réagira l’avion?
Bider se prépara minutieusement pour affronter toutes les éventualités possibles dans les hauteurs aériennes. Il entreprit aussi un vol d’essai au-dessus du Wildstrubel jusqu’à Sion, qu’il accomplit avec succès, avant d’entamer sa traversée des Alpes, via la Jungfrau. Un très grand défi consistait à donner au moteur le nombre de tours suffisant pour atteindre une hauteur suffisante pour le vol, malgré le peu d’oxygène en altitude. Oskar Bider essaya de réduire le poids. Pour cette raison, il ne fit pas le plein de son avion et planifia une escale à Domodossola, pour reprendre de l’essence. Ainsi, malgré la performance réduite de son moteur due à l’altitude, il espérait pouvoir réussir la traversée. Il ne se serait pas appelé Oskar Bider, s’il n’avait pas réussi cette entreprise. Comme prévu, il accomplit son vol. Au moyen de plusieurs boucles qu’il fit devant le col de la Jungfrau, il dirigea son avion vers le haut et traversa les Alpes entre la Jungfrau et le Mönch à une hauteur de 3600 mètres. Après une courte escale à Domodossola pour prendre de l’essence, il arriva à Milan en tout et pour tout quatre heures et demie plus tard. Avec ce succès, ce modeste paysan de Langenbruck confirma une nouvelle fois son savoir-faire, ce qui lui fit recevoir beaucoup d’approbation. Même le Conseil fédéral lui décerna un chronomètre en or pour sa performance de pionnier. Malgré tous ses succès aériens, qui certainement représentaient quelque chose d’exceptionnel, Oskar Bider ne perdit ni ses liens avec la terre ni ses liens avec son pays et son entourage. Il resta malgré tous les succès le modeste Suisse de Langenbruck.
Le vol direct Paris–Berne, qui dura quatre heures vingt, fut un autre record.

Du cavalier au pilote en chef des nouvelles Forces aériennes suisses

Avec le début de la Première Guerre mondiale, Oskar Bider reçut une nouvelle tâche. Bien que formé en tant que cavalier, on l’appela au début de la Première Guerre mondiale dans les Forces aériennes suisses. Les dirigeants de l’armée et de la politique avaient négligé, en vue de la situation qui s’aggravait en Europe, d’entreprendre toutes les préparations militaires nécessaires. Non seulement l’armée ne possédait pas d’avions, mais il n’existait aucun plan pour créer des Forces aériennes. Dès lors, Oskar Bider participa considérablement à leur développement et devint rapidement responsable de la formation des nouveaux pilotes, en tant que lieutenant et pilote en chef nouvellement promu. Son avion privé, qu’il mit à disposition des Forces aériennes, fut repris par l’armée. D’autres pilotes et possesseurs d’avions firent partie des Forces aériennes et remirent leurs machines à l’Etat suisse qui les dédommagea. Oskar Bider, l’artiste de l’air, fut un stimulateur important pour le développement rapide de forces aériennes opérationnelles. Les responsables politiques pour les questions militaires ne reconnurent l’importance des Forces aériennes percutantes qu’au moment où leur utilisation pendant la Première Guerre mondiale s’avéra de plus en plus utile. L’importance de Forces aériennes bien équipées et formées pour notre armée et notre défense nationale de l’époque peut être comparée, malgré tous les changements et les évolutions dans le domaine militaire, à la situation actuelle. On souhaiterait à certains de nos politiciens qu’ils tirent les bonnes conclusions des expériences historiques.
La fin de la guerre mit tous les aviateurs devant un nouveau défi professionnel. Oskar Bider voulut fonder une société d’aviation avec ses camarades militaires. Un jour avant d’aller chercher en Italie un hydravion pour cette société, il s’écrasa lors d’un vol acrobatique. Il se mit en vrille et ne put plus se libérer de ce processus dangereux durant lequel une surface portante reçut du courant d’air de derrière et l’autre de devant parce que l’aileron n’était plus dirigeable.
La mort prématurée d’Oskar Bider (à l’âge d’à peine 28 ans) fut un grand choc pour toute la Suisse. Sa sœur, Leni, était particulièrement désespérée, et elle ne se remit pas de la mort de son frère et décéda deux jours plus tard.
Même si Oskar Bider perdit sa vie beaucoup trop tôt, il est devenu, grâce à son courage, ses aptitudes, ses qualités humaines, qui étaient fondées avant tout dans la tradition suisse et dans une conviction chrétienne profonde, un pionnier inoubliable dans l’histoire de l’aviation suisse. C’est à juste titre qu’on lui rend honneur, à lui et à ses exploits, sur une pièce de monnaie commémorative suisse.
Dans une lettre à sa «tante Glur» de Liestal, Oskar Bider écrivit le 31 octobre 1918:

«Je peux te dire que sans cette foi, je n’aurais pas pu voler. Lorsqu’en 1913, je réalisai mes grands vols, j’ai prié comme les anciens Confédérés. J’ai souvent eu des nuits blanches. Lorsque je suis allé à Milan pour reconnaître la piste d’atterrissage, je suis aussi allé dans la cathédrale et j’ai prié pour réussir le vol.»    •

Dans une lettre à son oncle, le pionnier de l’aviation décrit pourquoi il a réalisé le vol: «Pourquoi ai-je osé le vol au-dessus des Pyrénées? Pour la Suisse. Il n’y a que moi qui sais combien cela m’a coûté. Mais avec mon nouveau métier, j’espère pouvoir rendre de bons services à la Suisse.»

Dans la lettre à oncle Glur du 9 février 1913 de Madrid

«Ce qui fascinait dans la personnalité de Bider, c’était son naturel engageant et sa modestie. Les vagues d’enthousiasme dont était assaillit l’idole du peuple, ne pouvaient pas ébranler sa sobriété. Le fait qu’il soit resté le paysan simple et fidèle, était la raison secrète pour laquelle le peuple le vénérait, l’aimait et lui faisait confiance […]. Il reconnaissait sans réserve les mérites de son mécanicien Saniez.»

Citation du conducteur de ballon dirigeable Eugen Dietschi, qui avait connu Bider, dans le «Nationalzeitung» du 6 juillet 1969