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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°7, 22 février 2010  >  NON à l’instrumentalisation de l’être humain à des fins de recherche [Imprimer]

NON à l’instrumentalisation de l’être humain à des fins de recherche

Mettre en balance la dignité de l’homme et la liberté de la recherche, c’est trahir la Constitution

par Erika Vögeli et Moritz Nestor

Lors de la procédure de consultation concernant les projets d’article constitutionnel et de loi relatifs à la recherche sur l’être humain, certains ont appuyé leur opposition sur des arguments solides.
La Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), notamment, a publié en 2006 sa prise de position sur ce projet – qui revient à légaliser les expériences sur l’être humain – sous le titre Recherche sur l’être humain. La protection de la dignité humaine face à la liberté de la recherche. (Collection FEPS, Focus 6)1. Ce texte remarquable a été approuvé par le Conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse le 4 avril 2006. Il trouve un écho, entre autres, dans le Basler Appel gegen Gentechnologie et dans la prise de position des Verts qui écrivaient le 30 mai 2006:
«La loi et l’article constitutionnel qui l’accompagne ont avant tout pour but de protéger les individus concernés. Or en plus d’une réglementation très contradictoire, le projet contribue plutôt à saper cette protection et à porter atteinte à des droits fondamentaux garantis par la Constitution. Aussi bien l’article constitutionnel que le projet de loi servent surtout les intérêts de la re­cherche. La dignité de l’homme et les droits de la personnalité sont subordonnés à la liberté de la science.»

La dignité humaine ne doit jamais être négociée

C’est justement cette mise sur le même plan de la dignité humaine et de la liberté de la recherche que la FEPS examine. Elle note que le projet est contraire à un principe fondamental de la Constitution et abolit le sens humanitaire de l’Etat: la dignité humaine ne saurait être négociable, elle ne peut pas être mise en balance avec d’«autres valeurs», c’est-à-dire que la liberté de la recherche et la dignité humaine n’ont pas une valeur équivalente et ne doivent jamais être mises en balance au cas par cas. La FEPS parle ainsi de modifications apportées dans le domaine de la protection de la dignité humaine et de la personnalité et «s’oppose à toute tendance visant à remettre en question ou à relativiser le contenu fondamentalement intangible de la dignité humaine et s’engage en faveur d’une approche hiérarchisée, assignant à la protection de la dignité humaine une fonction d’orientation supérieure et incontestée» (p. 3).
Contrairement à l’utilitarisme d’un Peter Singer, il faut toujours, comme l’affirme la FEPS, subordonner la liberté de la recherche à la dignité humaine.
Comme l’écrit le constitutionnaliste R. Rhinow, la dignité humaine est «point de départ fondamental et guide dans la concrétisation de tous les droits fondamentaux». (p. 11) En effet, comprenons bien que le sens et le but de l’Etat démocratique – la FEPS a le grand mérite de le dire clairement – est la «concrétisation de la dignité humaine». (p. 11)
Si l’Etat abandonne ce but existentiel, il devient inévitablement une source d’injustice. Les formulations du projet de loi ne constituent pas un garde-fou mais ouvrent la voie à une relativisation de la dignité de l’homme et de la protection de la personnalité.
En effet, qu’on ne s’y trompe pas: On trouvera sans difficulté des «raisons» permettant de considérer un intérêt de la recherche comme tellement important qu’on utilisera un enfant autiste comme cobaye. Si le projet d’article constitutionnel est accepté, on ne fera plus que mettre en balance la dignité de l’enfant et l’intérêt de la recherche. La li­mite n’est-elle pas vite franchie entre la relativisation de la dignité de l’homme et l’instrumentalisation de l’être humain au nom de «l’intérêt de la collectivité» pour lequel la psychiatrie biologique, l’industrie pharmaceutique, le génie génétique et les forces qui les soutiennent le rabaissent légalement (mais contre tout principe de justice) au rang de cobaye?

Il ne faut jamais considérer l’homme comme un moyen

Il existe des «éthiciens» qui, moyennant finances et une place au Forum économique mondial, élaborent les théories appropriées. Depuis des années, Peter Singer montre la voie: L’enfant handicapé souffre-t-il? demande-t-il et il le voue à la mort. Sur le ton glacial des sbires nazis, il affirme que si la mort d’un enfant handicapé rend possible la vie d’un enfant en bonne santé, il faut le tuer. Pour Singer, il s’agit là simplement d’une «pondération des intérêts», la seule «éthique» qui reste à l’homme de la globalisation. Et on trouvera bien, peut-être dans des «commissions d’éthique», d’autres spécialistes qui pratiqueront cette «pondération des intérêts» au service de l’économie.
Mais la philosophie de Singer n’est pas une éthique car elle mène à la «destruction des vies sans valeur» dans un siècle utilitariste. Singer nie la dignité de l’homme. Celui qui propose de tuer sa mère, nous ne lui répondons pas avec des arguments mais avec des gifles, écrivait très justement Aristote et c’est ce que les Allemands ont fait à Singer.
Exit et Dignitas montrent depuis longtemps comment on peut transformer l’assassinat en mort «choisie»: l’«éthicien» Klaus Peter Rippe n’a pas hésité à rédiger un rapport d’expertise pour Exit dans lequel il affirme que les malades psychiques sont capables de «choisir» la mort. Comme c’est commode pour les assurances que ceux qui coûtent cher allègent leurs bilans en choisissant une mort prématurée! Qui se souvient encore de ce que Binding et Hoche, en 1920, bien avant les chambres à gaz d’Hitler, et dans le même style que Rippe, écrivaient comme imbécillités? Dans leur terrible ouvrage La liberté de destruction des vies indignes d’être vécues, ils évoquent de «nombreux cas de capacité de consentement chez les malades mentaux».
Les expériences sur des êtres humains et l’euthanasie sous le Troisième Reich ont cruellement montré à l’humanité ce qui se passe lorsqu’on met sur le même plan la liberté de la recherche et la dignité humaine, on aboutit au meurtre. Les procès de Nuremberg ont établi sub specie aeternitatis que plus jamais et nulle part l’homme ne devait devenir l’instrument de «chercheurs» (ou de l’«économie», selon la formulation cynique de Felix Gutzwiler lors du débat des Chambres). Sinon selon quels critères allons-nous juger les crimes de chercheurs qui n’en font qu’à leur tête? L’homme n’a pas un prix mais une dignité. Il ne doit jamais être utilisé comme un moyen.
Cela n’a rien à voir avec de l’hostilité à l’égard de la recherche. La recherche authentique est au service de l’homme et elle trouve toujours le moyen de respecter sa dignité.
Un débat de fond, comme le réclame la FEPS, est absolument nécessaire.

La dignité de l’homme est un «principe constitutionnel suprême»

Cette nécessité est déjà apparue lors d’une manifestation organisée en vue de la prochaine votation par le groupe régional des Juristes démocrates de Bâle et réunissant des représentants de l’Office fédéral de la santé publique et de l’Académie suisse des sciences médicales en tant que partisans du projet et la présidente du Basler Appell gegen Gentechnologie qui s’oppose aux recherches biomédicales – rendues possibles par ledit projet – sur des enfants incapables de discernement, des embryons, des handicapés mentaux, des comateux, des personnes souffrant de démence ou de maladies psychiques graves.
Les différentes objections du public aux recherches sur des enfants handicapés (sans bénéfice direct pour les sujets impliqués) ont amené les défenseurs de l’article à s’aventurer sur le terrain glissant que ledit article devrait justement permettre d’éviter: selon eux, en cas de conflit d’ordre moral, il existe des commissions d’éthique, instances indépendantes qui devraient décider de l’acceptabilité de tel ou tel projet de recherche. Ce n’est pas aux chercheurs à prendre de telles décisions.
Et nous sommes ramenés à la «pondération des intérêts» qu’une véritable protection de la dignité humaine ne devrait pas per­mettre. Elle met sur le même plan la dignité de l’homme et la liberté de la recherche, deux «valeurs parmi d’autres». Une décision consensuelle devrait établir quelle «valeur» aura, dans tel ou tel cas précis, plus de poids, la dignité humaine ou la liberté de la recherche. Il s’agit là d’une rupture par rapport à la Constitution ainsi qu’aux deux textes ratifiés par la Suisse, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Selon ces textes, la dignité humaine est un principe suprême «inaliénable» car elle est «inhérente à tous les membres de la famille humaine».
«C’est ainsi que R. Rhinow, spécialiste du droit public et constitutionnel, attribue à la dignité humaine le rang de «principe constitutionnel suprême» et de «droit fondamental supplétif» pour la Constitution fédérale. Il met l’accent sur le fait que «dans le contexte du droit constitutionnel, la dignité humaine doit être comprise comme inhérente à l’être humain, comme une dignité dont chacun doit jouir pareillement et en permanence dans le sens du respect, de l’estime et de la considération de l’individualité et de l’unicité de tout être humain». L’essentiel étant «que la dignité humaine apparaisse d’une part comme primaire en tant que valeur et droit fondamental: elle est à la fois point de départ fondamental et guide dans la concrétisation de tous les droits fondamentaux. D’autre part, elle est aussi subsidiaire dans la mesure où elle assume sa fonction de conférer directement des prétentions là où le domaine d’application d’autres droits fondamentaux se révèle insuffisant. En ce sens, la garantie de la dignité humaine peut (aussi!) être qualifiée de droit fondamental supplétif.» Rhinow souligne encore que la clause de la dignité humaine représente «le principe constitutionnel suprême de l’Etat», ce qui revient à dire que «tout ‹l’édifice étatique› sert en fin de compte à la concrétisation de la dignité humaine.» (Rhinow, R.: Die Bundesverfassung 2000. Eine Einführung, Basel, 2000, pp. 32 sqq.; et Grundzüge des Schweizerischen Verfassungsrecht, Basel, 2003, pp. 29 sqq. Cité d’après FEPS, Recherche sur l’être humain, p. 11.)
Et le constitutionnaliste J. P. Müller pré­cise cette idée: «La dignité humaine signifie ce noyau normatif que toute personne, dans un Etat constitutionnel, peut exiger inconditionnellement en termes de respect et de protection au nom de son existence de la part de la communauté de droit. Il s’agit de la contrepartie la plus élémentaire sur le plan des droits humains à toute arrogance du pouvoir. En ce sens, la reconnaissance du droit de toute créature humaine à une même dignité est un élément constitutif de la notion de droit dans une communauté démocratique […]. On constate que la protection de la dignité humaine est au cœur des autres droits fondamentaux et constitue une référence pour leur interprétation. […] Outre cette fonction d’aide à l’interprétation d’autres droits fondamentaux, et outre sa propre teneur juridique subjective, la dignité humaine revêt également un caractère programmatique qui déploie ses effets dans tous les domaines de la législation.» (Müller, J. P.: Grundrechte in der Schweiz. Im Rahmen der Bundesverfassung von 1999, der UNO-Pakte und der EMRK, 3. Aufl., Bern, 1999, pp. 1 sqq. Cité d’après FEPS, Recherche sur l’être humain, p. 11.)    •

1    Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS): Recherche sur l’être humain. La protection de la dignité humaine face à la liberté de la recherche. Collection FEPS Focus 6. Ce texte a été approuvé par le Conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse le 4 avril 2006.

Pour une recherche éthiquement irréprochable

hd. Les chercheurs, en particulier ceux des grands laboratoires pharmaceu­tiques, prétendent avoir besoin d’une protection de leur liberté afin de rester compétitifs dans les domaines en expansion du génie génétique et de la biotechnologie. C’est qu’ils veulent tirer le plus grand profit de la prochaine bulle mondiale. A un moment ou à un autre, ils avanceront l’argument du maintien de l’emploi.
Pourtant ils devraient tous avoir tiré une leçon de l’histoire suisse récente: il est absurde de vouloir, au nom de la «compétitivité globale», s’avancer sur un terrain moralement condamnable. Au plan de la recherche, dans le combat sans merci pour obtenir des parts de marché, cela risque de se retourner contre nous. Les méthodes chinoises et américaines, qui font fi de la dignité de l’homme, peuvent augmenter les profits de certaines sociétés mais elles dé­truisent la confiance et aujourd’hui déjà, on se méfie beaucoup des produits de différents grands groupes.
Une stratégie plus acceptable et plus durable consisterait à miser sur une recherche et développement et des produits éthiquement irréprochables. Dans ce domaine, la Suisse possède suffisamment d’expérience et d’idées. Cela lui procurerait un avantage concurrentiel plus durable qu’une stratégie qui cherche à tirer profit de sa marge de manœuvre dans la lutte concurrentielle globale avec des méthodes éthiquement discutables. Dans les entreprises, seuls les emplois répondant aux prin­cipes éthiques, notamment à la protection de la vie et de la dignité de l’homme satisfont aux objectifs du travail humain et au désir d’en tirer de la satisfaction.