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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°21, 21 mai 2012  >  La Suisse a besoin d’une économie productive [Imprimer]

La Suisse a besoin d’une économie productive

Régions de montagne et régions marginales comme chance

Interview de Toni Niederberger, député cantonal et entrepreneur

thk. Au plus tard depuis la crise financière et économique, une réflexion approfondie et une réorientation sont nécessaires aussi chez nous en Suisse. Les 60 milliards de francs de fonds de soutien pour l’UBS ont montré que nous encourons un grand risque en tant que pays prestataire de services avec un grand secteur bancaire, et nous mettons ainsi en jeu notre stabilité et notre liberté. Outre la branche de prestations de services, nous avons besoin d’une économie productive qui avec de bons produits, comme la Suisse l’a toujours développé dans le passé, peut subsister sur le marché. La Suisse avait au niveau technologique jusqu’à présent du succès et devrait absolument continuer à étendre ce domaine. Selon des spécialistes, la Suisse a ici encore beaucoup de potentiel, qui est trop peu utilisé. Dans l’interview ci-dessous, Toni Niederberger, parlementaire cantonal et entrepreneur, qui montre dans le domaine de la haute technologie de grands succès et développe de nouveaux modèles pour une économie prospère, présente ci-dessous sa vue des choses.

Horizons et débats: Que peut-on faire afin que notre pays ne soit pas uniquement prestataire de services à l’avenir mais qu’il développe et fabrique plus qu’aujourd’hui des produits?

Niederberger: En principe, notre pays a besoin de nouveaux produits. Pour pouvoir conserver et créer des emplois pour tous dans notre pays, nous devons produire et ­exporter. La Suisse est connue en tant que pays exportateur, et nous devons faire attention à ne pas perdre notre position. Afin de pouvoir renforcer de nouveau celle-ci, nous devons innover dans de nouveaux produits. Nous devons développer des produits issus de la branche de haute technologie, car nous pouvons exporter seulement ceux-ci. Les pays en développement ou les pays déjà industrialisés peuvent eux-mêmes fabriquer des produits simples. Nous devons fabriquer des produits hautement technicisés spéciaux. La Suisse a déjà un nom dans ce domaine dans de nombreux pays.
Dans les domaines de la recherche et du développement, nous sommes aujourd’hui déjà très bons. Nous dépensons par habitant beaucoup d’argent en comparaison avec d’autres pays, c’est bien, mais les connaissances de la recherche n’ont pas encore conduit à créer des emplois. Nous devons fonder des entreprises et pour cela on a besoin aussi bien d’entrepreneurs que d’investisseurs soutenant les entreprises avec des montants correspondants. Là, une réorientation est nécessaire, car beaucoup d’investisseurs placent leur argent à l’étranger. On a besoin de gens qui ont de l’argent, qui aiment leur propre pays et veulent investir dans celui-ci.

On a donc besoin de gens dotés d’une conscience nationale saine?

Tout à fait. Les banques ne mettent plus l’argent à disposition pour des «startups». Pour elles, ce sont des capitaux à risque. Mais en fait les nouvelles entreprises offrent aussi une chance. J’en appelle aux fortunés de notre pays afin qu’ils investissent dans de tels projets ou dans des fondations d’entreprises. Ainsi, l’on crée quelque chose de significatif qui va au-delà d’une vie humaine, la préservation des valeurs. En aidant à construire une entreprise et développer un produit, on dresse en tant que pionnier un monument en son propre honneur. Si, à partir de là, une entreprise moyenne ou grande se développe, alors tous seront reconnaissants, peut-être même au-delà des 100 années à venir.

Vous avez mentionné que les résultats de la recherche coulent trop peu dans de nouveaux ou d’anciens produits et qu’en conséquence, nos succès de production sont trop restreints. Vous-mêmes avez fondé des entreprises. Quelle pensée vous y a guidé?

J’ai travaillé 10 ans à Zurich, j’ai fait toujours le va-et-vient et j’ai alors réfléchi à créer quelque chose dans ma région. J’ai d’abord fondé une entreprise individuelle et développé mes propres produits. D’abord, j’ai fourni des prestations de service à des tierces personnes et parallèlement à cela, développé un propre produit. Il faut en avoir un, car sinon on dépend trop de la conjoncture. Huit ans après, c’est devenu une société anonyme, dans laquelle nous avons développé un propre robot. J’ai vu là une chance pour le monde entier. Pour moi, il n’existe qu’un marché international. L’UE, l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), l’ANASE (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) etc. n’existent pas, il y a seulement un marché. Notre industrie horlogère ou notre «Victorinox» poursuivent exactement cette voie en écoulant avec succès dans le monde entier des produits suisses. J’ai senti cette chance aussi pour notre robot et donc formé une nouvelle entreprise où l’on développe et fabrique toute la technologie robotique. Je suis convaincu que nous devons continuer ainsi. Je ne dis pas cela pour me mettre au premier plan, mais c’est tout simplement nécessaire et ceci particulièrement dans les régions marginales et les territoires faiblement structurés s’étendant jusqu’aux régions de montagne. Quand on fabrique un produit hautement technicisé, le lieu ne joue alors qu’un rôle subalterne. Grâce à la télécommunication moderne, je peux être en relation avec tout endroit dans le monde. Un plus large éventail de produits hautement technicisés possède de nombreux avantages, parce qu’ils ne pèsent souvent pas lourd, qu’ils sont géométriquement petits et se laissent facilement transporter. Il n’est pas nécessaire d’implanter une telle entreprise près de l’aéroport.

«C’est d’une racine saine que sort un bois sain»

Outre la possibilité de produire de bons produits dans notre pays, de telles firmes sont aussi à l’origine de nouveaux emplois. Comment cela s’est-il passé dans votre entreprise?

La première entreprise, celle qui est responsable du développement, occupe environ 10 personnes. La deuxième, celle qui fabrique le robot, a 13 employés. La troisième possède tous les droits, les marques (label), les droits au nom, le logo ainsi que les droits de l’inventeur et la protection du savoir-faire, elle entretient et gère toute cette propriété intellectuelle.
A propos de l’environnement des produits dits hautement technicisés, il faut encore ajouter que l’on voit ici encore le rapport entre une nature intacte et une population saine. C’est la condition pour le développement de tels produits sensés et utiles. Ceux-ci peuvent être conçus en toute tranquillité, sans déviation et sans saleté, et l’on peut se laisser inspirer par la nature.

Vous avez souligné le fait qu’on devrait autant que possible réfléchir, chercher, développer et produire de manière décentralisée et dans une nature saine. On avance souvent l’argument que c’est meilleur marché dans les agglomérations.

Non, cela n’est pas vrai. On ne peut pas guider l’innovation. Un compositeur ne s’assoit pas non plus sur une décharge pour composer, mais il se laisse aussi inspirer par la belle nature. Si l’on fait cela dans des lieux différents, il y a une grande chance qu’à plusieurs endroits naisse quelque chose de sensé. C’est la diversité culturelle qui engendre des résultats positifs, et non pas l’uniformité et la concentration. Les habitants de nos régions de montagne sont des gens sains, créatifs, hautement motivés et capables. Ils ont une bonne formation et tous un métier, et disposent de la ténacité et de l’endurance nécessaire pour aller jusqu’au diplôme d’ingénieur ou même pour atteindre celui d’une école supérieure spécialisée. C’ est d’une racine saine que sort un bois sain. Je remarque aujourd’hui déjà des différences marquées. Il existe une grande différence entre un apprenti venant de la ville ou d’une vallée de montagne.
C’est pourquoi, nous devons nous soucier de nos vallées, afin qu’une relève saine soit assurée. Les garçons venant des vallées de montagne sont davantage persévérants, montrent plus de respect et sont particulièrement bons dans les sciences naturelles comme la physique et les mathématiques.
Les gens doués devraient prendre davantage la voie académique en étudiant aux deux universités techniques (EPFL / EPFZ) et travailler dans le domaine du développement et de la recherche. Mais l’autre chemin est tout aussi important, c’est-à-dire apprendre d’abord un métier et suivre soit parallèlement, soit ultérieurement après l’apprentissage un certificat de maturité professionnelle et accomplir une formation d’ingénieur à l’école supérieure spécialisée. C’est une voie très prometteuse que je peux recommander par ma propre expérience. Je dois le succès de mon entreprise à de tels collaborateurs. Ceux-ci sont des gens munis d’une expérience pratique. Nous devons développer des produits issus de la haute technologie et ceci est exigeant et complexe. On ne peut plus le pratiquer comme il y a 40 ou 50 ans, car l’état de la technique revêt aujourd’hui une grande complexité. (La raison en est des technologies différentes et imbriquées les unes dans les autres.) Les personnes dotées d’un sens pratique sont souvent plus capables de résoudre les problèmes difficiles que les académiciens.

«Les gens sains et ayant de l’initiative viennent très souvent des régions de montagnes»

Dans quels domaines la Suisse a-t-elle des chances d’accélérer le développement?

Dans le domaine de la microtechnique, de la technique médicale et biologique, de la construction de machines, de l’automation et de la robotique. Dans le domaine pharmaceutique et nanotechnique et dans les logiciels (propre code source) de la quatrième génération, nous devrions vraiment profiter de nos chances. Quand je vois combien de projets on finance dans le domaine de la CTI (communication, technique et innovation) dans la recherche et le développement, et si à la fin les résultats ne sont pas transformés en nouveaux produits et places de travail, alors l’argent des contribuables est mal investi. On devrait absolument améliorer ce degré d’efficacité afin que naissent des entreprises avec de nouveaux produits. Les communes dans les régions de montagne pourraient offrir à de telles entreprises une exonération d’impôts de plusieurs années, afin qu’elles s’installent sur place. Ce serait intéressant dans de telles régions, où le «petit monde» est encore à peu près en ordre, et où il existe encore un grand potentiel créatif, de lier cette nature avec les perspectives d’avenir de la haute technologie.

Revenons sur le point d’une meilleure implication des régions de montagne dans de tels projets et développements. Pouvez-vous être un peu plus concret?

Regardons le Jura, en pays vaudois, dans la vallée du Joux dite Watch-Valley. Ici, nous sommes dans une région complètement isolée, très éloignée du prochain aéroport. C’est impressionnant de voir quels produits exceptionnels, utilisés dans le monde entier, du stimulateur cardiaque à l’instrument de mesure et aux nombreuses marques de montres de haute qualité, y ont vu le jour. Cela se passe loin des grandes villes, justement dans une région paysanne avec une grande diversité culturelle en langue française. Je suis convaincu que nous devrions entamer ce chemin dans les territoires alpins et préalpins.
Si nous considérons le développement de l’horlogerie dans le Jura, alors on voit le résultat de la diversité culturelle. Hayek était le bon exemple et il l’a montré: mélanger la culture française, la culture italienne et la culture suisse allemande dans un bureau d’études sur le développement (engineering), afin que des produits particulièrement bons en sortent. On peut bien s’imaginer cette diversité dans certaines régions, dans chaque vallée, il existe une propre mentalité et en quelque sorte aussi une propre culture, qu’on n’a même pas besoin de mélanger à celle de la Suisse romande ou du Tessin. Nous devons mener notre innovation à un haut niveau, et plus on s’élève dans le niveau, plus ce sera difficile de le dépasser encore. C’est pourquoi nos jeunes doivent être très bien formés. Pour qu’on réussisse, il faut des gens sains et ayant de l’initiative, et ceux-ci viennent, comme déjà dit, très souvent des régions de montagne.

«On a besoin de personnes innovatrices qui osent et créent quelque chose de sensé»

Existe-t-il des modèles montrant comment on peut intégrer la population paysanne dans de tels projets? Disons un mélange entre l’agriculture d’un côté et la production hautement technicisée de l’autre?

Nous sommes tous d’avis qu’une agriculture saine et bien entretenue est importante. Nous devons nous efforcer que cela reste ainsi. Pour cela, la population a besoin d’urgence d’un soutien financier. Un paysan pourrait en hiver avoir un revenu supplémentaire en montant des pièces à la maison après et avant le travail à l’étable. On pourrait aussi implanter une petite entreprise dans un village, afin que la population y trouve du travail. Toutes les régions ne sont pas encore desservies dans le domaine du tourisme avec des téléphériques et des téléskis, générateurs d’emplois pour la population locale. Là aussi il faut être innovateur afin que l’on puisse implanter dans ces régions des entreprises, qui fabriqueraient les produits correspondants. Ce n’est pas l’argent qui est sur la route et que l’on n’a qu’à ramasser. Non, ce sont les problèmes qui sont sur la route et en résolvant ceux-ci, par exemple avec la fabrication d’un produit, ce qui règlerait un des problèmes, on pourrait gagner de l’argent. Ainsi, une firme naîtrait dans une niche du marché. Mais là aussi on a besoin de personnes innovatrices qui tentent et créent quelque chose de sensé. J’en appelle à tous les ingénieurs en formation à l’EPF de Zurich, Lausanne ou dans nos écoles supérieures spécialisées pour qu’ils s’engagent, qu’ils deviennent entrepreneurs et qu’ils mettent quelque chose sur pied. J’en appelle aussi aux gens fortunés afin qu’ils soutiennent de telles initiatives, afin que d’une petite plante jaillisse un grand arbre. Les gens qui aiment le pays devraient faire cela automatiquement, et j’espère qu’il y en a beaucoup qui aiment notre pays.

Avez-vous vous-même un projet dans une région de montagne?

A Gurtnellen, je projette de faire monter un nouveau produit. C’est un appareil micromécanique muni de nombreuses fonctions. On peut par exemple assembler cet appareil sur une table avec les pièces individuelles préalablement fabriquées. En principe, on pourrait faire cela à la maison dans le salon, et cela avec un produit hautement technicisé. Un exemple pour le futur. Les pièces individuelles seront produites dans mon entreprise et l’assemblage de ces pièces sera décentralisé. On n’a pas besoin de grandes fabriques et de cheminées fumantes. On ne pollue pas la nature. Il est inadmissible que nous délocalisions cette belle tâche en Asie, il faut la conserver ici chez nous en Suisse. Ce n’est pas trop tard, comme certains pessimistes veulent nous le faire croire. Il y a 30 ou 40 ans, nous soutenions encore les pays asiatiques, et aujourd’hui ils nous font concurrence. Nous devons y faire face et utiliser notre potentiel. Nous devons profiter de notre chance. A l’avenir, on demandera des fabricants et non pas des administrateurs.

Merci beaucoup pour cette interview.    •