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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°40, 6 octobre 2008  >  Occident et Orient – coexister dans l’égalité, la dignité et le respect [Imprimer]

Occident et Orient – coexister dans l’égalité, la dignité et le respect

 

Réflexions à l’occasion d’un impressionnant voyage culturel en Iran

par Urs Knoblauch, Suisse

L’actuelle République islamique d’Iran est un Etat pluriethnique impressionnant avec une longue tradition de cohabitation dans la tolérance et le respect mutuel.
Un voyage culturel dans ce magnifique pays oriental est une expérience extraordinaire. Les beautés de cette culture unique et de la nature, les villes-jardins merveilleuses, les bazars et les mosquées, l’héritage culturel mondial de Persépolis et la vie au bord du golfe Persique nous laissent des impressions profondes. Les rencontres avec les gens sont particulièrement chaleureuses, on entre très vite en contact. L’hospitalité est impressionnante.
Des préjugés, des jugements caractéris­tiques émanant de l’Occident, un manque de connaissance ou les effets d’images de propagande négatives répandues de manière ciblée sur l’Iran et les pays arabes dé­forment vite le regard sur les hommes et leur vie en commun. Un regard respectueux sur le monde oriental et la diversité des musulmans permet une discussion politique objective et une contribution à la paix et à l’entente des peuples.
C’est dans ce sens qu’Albert A. Stahel, politologue à l’université de Zurich et initiateur de ce voyage culturel, tient particulièrement à ce que ses étudiants se procurent des connaissances objectives sur les cultures et les pays étrangers et qu’ils les découvrent et parcourent sans préjugés.
Par la suite quelques réflexions fondamentales seront exposées permettant d’entrer en détail dans d’autres articles.

Le berceau culturel de la civilisation humaine se situe en Orient. L’empire Persan en faisait partie. Des découvertes fondamen­tales de nos sciences proviennent de cette région. De nombreux savants de Grèce et de Perse y ont contribué surtout dans le domaine des sciences naturelles notamment le géo­graphe Edrisi, le philosophe Averroès et Avicenne (980–1037), fin lettré et l’un des plus grand savants de son époque. Ce dernier a laissé plus de 100 œuvres, dont un manuel de médecine qui, traduit en latin, a servi pendant des siècles aux médecins de l’Occident comme base de leur science. Des chercheurs remarquables, des enseignants, des traducteurs et des écrivains exerçaient aux Hautes Ecoles islamiques. Ils étaient de loin supérieurs à leurs contemporains du monde occidental. Le recueil de poésies sensuel et lyrique «Divan» de Hafiz (env. 1320–1389), toujours admiré en Iran jusqu’aujourd’hui, a servi d’exemple pour l’œuvre de Goethe «Le Divan occidental et oriental».
Non pas l’affrontement des cultures, mais un refus de l’affrontement («Kampfabsage», c’est le titre d’un livre d’Ilija Trojanov et Ranijt Hoskoté), un dialogue respectueux des cultures, une coexistence honnête et un rapprochement dans l’autonomie et l’égalité permettront de résoudre les tâches futures de l’humanité.

Un accès respectueux aux cultures étrangères

Si l’on commence à approfondir les connaissances en histoire et en littérature du Royaume de Perse jusqu’à la République islamique d’Iran (depuis 1979), on comprend qu’on peut y découvrir une haute culture de la civilisation humaine. L’archéologue et chercheur iranien sur l’Islam, Mahmoud Rashad, qui enseigne à Francfort, donne dans l’introduction de son excellent guide touristique et culturel intitulé «Iran – Geschichte, Kultur und lebendige Traditionen – antike Stätten und islamische Kunst in Persien» (L’Iran – histoire, culture et traditions vivantes – des sites antiques et l’art islamique en Perse) un aperçu de l’histoire culturelle de l’Iran: «La Perse, située entre l’Asie centrale et l’Arabie, l’Inde et la Mésopotamie, a toujours eu pour l’Occident une aura d’exotisme, de splendeur monarchique, de richesse culturelle et de beauté. Depuis l’antiquité, les voyageurs ont été attirés par ce pays; nous connaissons leurs observations et leurs expériences à travers plus de 700 récits et descriptions. Le premier fut Hérodote (env. 400 av. J.-C.) qui fit des voyages comme historien dans tous les pays connus par les Grecs et qui les décrivit; le plus connu fut certainement Marco Polo (1254–1324) qui, avec son père Niccolo entreprit depuis Venise des expéditions commerciales en Chine et qui traversa la Perse, occupée à l’époque par les Mongols.»
Seuls les faits et acquis historiques conduisent à une approche respectueuse d’une culture étrangère. Mahmoud Rashad poursuit: «Au XVIe et XVIIe siècles, les connaissances hautement spécialisées des Perses en sciences, arts et artisanat ainsi que l’apogée du commerce et la richesses du royaume des Séfévides attirèrent des commerçants, des diplomates, des artistes et des scientifiques européens. Tout aussi fascinés par la culture persane furent tous les conquérants du pays, depuis Alexandre le Grand jusqu’aux Arabes musulmans, aux Mongols et aux Turcs. Au lieu d’imposer leur manière de vivre au peuple soumis, ils adaptèrent en grande partie le savoir et la culture du peuple persan qui, de son côté, résista toujours aux tentatives d’influence et garda son visage et ses biens culturels, conscient de leur valeur.» Comment – à part la culture de l’Islam avec ses mosquées grandioses – se sont développés la culture de tous les jours, l’artisanat artis­tique admirable, le ravitaillement de la population et toutes les connaissances, cela peut être compris à travers la longue tradition de la vie nomade.

Les tribus nomades et la population campagnarde comme détenteurs des bases de vie et de la culture

Lors du voyage en voiture à travers les plaines étendues du désert aride, les haut plateaux et les paysages montagnards, les oasis de Téhéran dans le nord et celles de Kachan, Natanz, Esfahan, Chiraz, Pasargades, Persépolis et Bandar Abbas sur la côte du golfe Persique dans le sud, nous nous rendons compte de l’importance des régions campagnardes et de la merveilleuse culture des peuples nomades. Des troupeaux de chèvres et de moutons parcourent le pays, ce qui constitue une base de vie et permet le développement culturel de ce pays. Là, la grande tradition de la route de la soie et des épices, et les voies du commerce depuis la Chine jusqu’en Europe continuent à vivre. On peut voir des ruines et beaucoup de caravansérails toujours en fonction, des oasis et des aqueducs. Aujourd’hui, les nomades sont restreints dans leurs déplacements à cause de la situation politique et des guerres. Autrefois, ils traversaient les frontières sans grands problèmes.
L’importance de la tradition nomade pour la vie, la nourriture et la culture dans l’Iran d’aujourd’hui est aussi soulignée par Mahmoud Rashad: «En Iran existent encore de nos jours plus de 500 petites tribus nomades autonomes et presque 100 grandes communautés tribales. On distingue entre le nomadisme de plaine et celui de montagne, les mouvements de déplacements se font au rythme de demi-années, les quartiers d’été se trouvent dans les hautes montagnes, ceux d’hiver dans les régions de pâturages des plaines.»
Les caravanes se déplacent d’un point d’eau à l’autre et, suivant les terrains, leurs participants se reposent tous les 15 à 30 kilomètres dans des caravansérails bien équipés. Là, il y a pour les nomades et leurs chameaux tout ce qu’il faut pour continuer le voyage. C’est aussi l’endroit de l’échange culturel, de la vente et du troc de tapis, de produits artisanaux, d’épices, de pierres précieuses et de nourriture. On s’y retrouve pour échanger des informations et des connaissances dans tous les domaines et l’on se raconte aussi des contes des Mille et une Nuits. Cette tradition des nomades comprend un très haut niveau du savoir nécessaire à la maîtrise de vie raisonnable et naturelle. Cela vaut la peine, pour le présent et pour l’avenir de se consacrer de plus près à cette haute culture des nomades.
Heureusement, beaucoup d’études sur l’Orient et l’Islam ont paru, par exemple celle de Marina Kunke, qui a étudié, grâce à un ancien document retrouvé, l’histoire des Tribus de nomades en Perse aux XVIIIe et XIXe siècles («Nomadenstämme in Persien im 18. und 19. Jahrhundert», 1991). Rien que les magnifiques systèmes d’irrigation des Qanâts, qui conduisent depuis des millénaires l’eau en souterrain depuis les sources des montagnes vers le désert aride et vers les villes, sont un exploit incroyable et très actuel. L’irrigation des grandes régions agricoles et le ravitaillement en nourriture n’auraient pas été possibles autrement. Dans son dernier ouvrage intitulé «Die Länder des Islam – Geschichte, Traditionen und Einbruch der Moderne» (Les pays de l’Islam – histoire, traditions et irruption de la modernité) Arnold Hottinger, orientaliste suisse connu, décrit comment les formes de vie et la culture sont issues des données géographiques: «Des déserts intérieurs occupent les plus grandes parties du haut plateau persan, surtout dans l’Est d’où ils s’étendent jusqu’au Béloutchistan et au Pakistan, jusqu’à ce que l’Indus avec ses plaines arables les limite. […] Le mode de vie nomade, dû au climat, signifie que les tribus du désert et les clans parcourent un cycle annuel qui les mène dans un cercle plus ou moins régulier, Da’ira en arabe, des camps d’été aux camps d’hiver pour finalement revenir au point de départ annuel. Chaque groupe cherche à conserver son droit à son cycle traditionnel.» Dans les sociétés nomades, ce sont les hommes les plus âgés qui prennent la direction, les décisions et qui interviennent en cas de discordes. Mahmoud Rashad décrit l’importance des femmes nomades: «Malgré tout, les femmes, bien que responsables des besoins de la famille et de la fabrication de différents produits artisanaux, sont tenues en haute estime et elles sont très autonomes. Elles vendent elles-mêmes leurs produits au marché, des tapis, des kélims, des produits tissés, des articles de maroquinerie et des bijoux en argent. Tous ces articles, surtout les tapis et les kélims, sont fabriqués par les femmes pendant les mois d’hiver.» La plupart des biens sont vendus ou échangés à l’intérieur des tribus et des associations, les biens de tous les jours, la nourriture, l’artisanat d’art et les habits sont aussi vendus dans les bazars.

Voies vers un œcuménisme des cultures

L’estime mutuelle des cultures, des religions, des mœurs et des coutumes est la base de l’organisation en commun des tâches à venir. La politique, l’école et les parents ont la belle tâche ambitieuse d’encourager l’entente mutuelle, la formation interculturelle et l’amitié. Il est d’une grande valeur que les enfants et adolescents d’aujourd’hui soient introduits pendant les cours d’éthique et de religion non seulement dans leur religion mais aussi dans les religions étrangères, comme par exemple l’Islam. Paru récemment, l’excellent «Coran pour enfants», traduit et expliqué (en allemand) par Lamya Kaddor et Rabeya Müller montre beaucoup de points communs avec la religion chrétienne, il explique que l’enseignement et les contes du Coran sont bien compréhensibles pour tout le monde. Avec l’ordre thématique des versets, la traduction claire et compréhensible ainsi que les explications courtes, il offre une clé extraordinaire pour faire connaissance avec le livre saint des musulmans. La liberté religieuse est une partie importante de la Déclaration universelle des droits de l’homme, acquise il y a 60 ans.

L’Iran d’aujourd’hui

L’Iran a été affaibli par la guerre avec l’Irak, beaucoup d’hommes et de familles ont perdu la vie. Les guerres contraires au droit international contre les pays voisins, l’Irak et l’Afghanistan, et les menaces de guerre répétées contre leur pays pèsent lourd sur les habitants de l’Iran. Le pays accueille presque un million de réfugiés des régions voisines en guerre. L’Iran avec ses 75 millions d’habitants fait un effort considérable, la population ne souffre pas de faim, un niveau d’instruction très élevé (le taux de femmes dans les universités est de plus de 60%) et une espérance de vie de plus de 70 ans distinguent ce pays.
Une attitude modeste de l’Occident est de mise, car aussi dans nos régions, les situations de vie dans beaucoup de domaines ne se sont améliorées que très lentement, beaucoup de choses restent dans un état imparfait, surtout en ce qui concerne les droits de l’homme. La modernité, la mondialisation, les modes de vie américanisés, la surconsommation et les conceptions de vie qu’on tente d’imposer aux pays orientaux sont-ils vraiment si enviables? On peut en douter. Dans beaucoup de domaines, il faudrait un retour au naturel, aux choses vraiment importantes, au travail bon et honnête, aux valeurs universelles, valables pour tous les hommes, il faudrait trouver les voies de la paix pour un avenir en commun de l’Orient et de l’Occident. La guerre dont les USA et Israël menacent l’Iran doit être empêchée de toutes nos forces. Un rapprochement dans l’autonomie et le respect, en se réjouissant de la diversité humaine et culturelle, un œcuménisme des cultures et des religions mondiales, une «éthique mondiale» dans le sens de Hans Küng, permettront l’estime et le respect mutuels et une coexistence en paix. Le grand poète persan Saadi l’a déjà exprimé au XIIIe siècle dans son poème «Verbundenheit» (L’attachement):

Etroitement unis, les hommes sont tissés
De la même étoffe de Création qui les élève.
La vie apporte-t-elle à l’un d’eux la douleur?
Les autres l’aident à porter sa souffrance.
Ô toi qui ne connais pas de compassion
Pour tes semblables,
Tu es indigne de ta qualité d’être humain!

1    Poème issu du recueil de poèmes «GOL-O-BOLBOL – Rosen und die Nachtigall (Des roses et le rossignol)», poèmes perses choisis de 12 siècles, traduit par Purandocht Pirayech, Téhéran 2004, ISBN 964-306-019-5