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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°29/30, 28 juillet 2010  >  La baisse des droits de douane sur les farines étrangères décidée par la conseillère fédérale Leuthard est contre-productive [Imprimer]

La baisse des droits de douane sur les farines étrangères décidée par la conseillère fédérale Leuthard est contre-productive

thk. Alors que le PDC, parti de la conseillère fédérale Leuthard a, dans sa Politique agricole 2020 en 10 points, tourné le dos au libre-échange agricole et par là même à la politique de la conseillère fédérale (cf. Horizons et débats no 22 du 7 juin), cette dernière semble ne pas encore avoir perçu les signes du temps. La spéculation mondiale effrénée dans la fi­nance et l’économie a causé ces dernières décennies des dommages considérables et réduit à néant des billions de dollars de richesses nationales. Il est donc incompréhensible que la conseillère fédérale continue de tenir au néolibéralisme.
L’Association suisse pour un secteur agro-alimentaire fort (ASSAF-SUISSE), présentée la semaine dernière dans Horizons et débats, formule dans son argumentaire de solides objections à un libre-échange agricole. En marge du débat sur les produits bon marché importés ou la suppression des droits de douane, la question de la sécurité alimentaire, qu’Hermann Dür a exposée de manière exhaustive et claire dans un article d’Horizons et débats no 25 du 28 juin, revêt une importance considérable. Elle n’est pas importante seulement dans des circonstances extraordinaires comme une guerre mais également dans des situations instables comme une pénurie d’énergie, des catastrophes naturelles, des troubles dans le pays producteur, de la piraterie, un chantage exercé par des pays voisins ou des pandémies imprévisibles. Ces situations peuvent causer à un pays dépendant des importations des problèmes d’approvisionnement alimentaire. C’est pourquoi tous les Etats feraient bien de produire eux-mêmes la plus grande partie possible de leurs produits alimentaires.
De la fin du XIXe siècle à la Première Guerre mondiale, on a assisté à une première phase de libre-échange mondial. Des pays étaient également dépendants de la production alimentaire d’autres pays. Comme maintenant, on arguait que tout le monde en profiterait. A tort. Des problèmes d’approvisionnement mirent brusquement fin à ce mythe et furent une des causes détermi­nantes, en Suisse, de la grève générale de 1918.
Il semble donc d’autant plus absurde que la conseillère fédérale Leuthard décide, en catimini, justement pendant le Mondial du football et sans consulter les secteurs concernés, de réduire les droits de douane sur les importations de farines et de frapper durement la production de farines indigènes. Ce faisant, elle met en péril l’approvisionnement en farines et en pain qui reposait jusqu’ici sur une base solide.
La loi sur l’importation de blé tendre prévoit que la Suisse n’importera pas plus de 70 000 tonnes de blé par année, c’est-à-dire 15% de la consommation totale. Jusqu’ici, cette céréale était transformée en farine dans le pays et les minoteries pouvaient voir si sa qualité correspondait aux exigences des consommateurs. A la suite de la réduction d’environ 25% des droits de douane sur les farines, il n’est plus guère rentable de faire moudre le blé en Suisse parce que les farines étrangères sont meilleur marché. Ainsi on pourrait, à l’avenir, importer de plus en plus de farines. Les experts pensent que cela pourrait entraîner un recul massif des cultures céréalières en Suisse ou leur remplacement total par une exploitation des terres plus rentable. La sécurité alimentaire va diminuer sérieusement à moins que nous autres citoyens refusions d’acheter des pains confectionnés avec ces farines étrangères.
Nous avons actuellement en Suisse les exigences écologiques les plus strictes du monde en matière de blé standard. Celui-ci doit répondre aux «prestations écologiques re­quises» (PER). Aucun blé standard étranger ne remplit ces conditions, qui sont fondamentales chez nous. En Asie et en Afrique sévit actuellement une pandémie de champignon Ug 99 (cf. encadré) et cette année, la punaise du blé a de nouveau fait son apparition non loin de la Suisse. Dans de nombreux pays, on cultive des variétés de céréales transgé­niques. Qui va pouvoir finalement contrôler ce qui entre dans notre pays? Ces mesures vont mettre sérieusement en danger la sécurité alimentaire, l’environnement et sans doute également la santé.
Le taux d’autosuffisance net de la Suisse est encore de 54% et la décision de Leuthard va encore le réduire. Walter Willener, président de l’ASSAF, dans l’interview qu’il a accordée à Horizons et débats (no 28 du 19 juillet), a indiqué qu’en matière d’importations alimentaires, la Suisse avait le taux le plus élevé du monde par habitant et qu’il fallait y remédier de toute urgence. Or c’est tout à fait pos­sible: en effet, nous avons le taux de dépenses alimentaires par habitant le plus bas de toute l’Europe (7%). Une légère augmentation des dépenses permettrait une extension des cul­tures et rendrait notre agriculture plus rentable.
Avec sa décision, Doris Leuthard a montré une fois de plus qu’elle s’intéresse davantage aux Chicago boys qu’à la sécurité et à la souveraineté alimentaires de notre pays. Elle doit revenir en arrière au profit de notre production céréalière, de nos minoteries et des citoyens qui ont besoin, comme tous les habitants de la planète, d’une nourriture bonne et saine.    •

Le champignon Ug 99

thk. Une maladie qui affecte le blé et que l’on croyait disparue a refait surface et s’est attaquée à d’énormes récoltes. Il s’agit d’un champignon appelé également rouille du blé ou rouille noire qui avait déjà fait des ravages au début des années 1950 aux Etats-Unis et au début des années 1970 en Australie. En 1999, il est réapparu en Ouganda (Ug 99) et se propage maintenant comme une traînée de poudre dans le monde entier. Il est transporté avant tout par le vent mais également par les vêtements. Selon des estimations de la FAO, 29 Etats luttent déjà contre ce champignon qui me­nace actuellement 37% de la production mondiale. Environ 90% des variétés commerciales de blé sont vulnérables.
Selon David Hodson, spécialiste des maladies auprès de la FAO, la caractéristique insidieuse de l’Ug 99, dont les causes de la réapparition ne sont pas élucidées, est qu’il mute constamment, à l’instar du virus de la grippe.

Pénurie et spéculation

thk. Les experts mettent en garde contre de mauvaises récoltes importantes. La grave sécheresse des dernières se­maines en Amérique du Nord et en Europe va entraîner une pénurie de céréales et faire monter le prix du blé et des autres céréales, comme ce fut déjà le cas en 2008. Il faut supposer que les spéculateurs vont essayer de s’enrichir aux dépens de personnes souffrant de la faim.
Ce scénario rappelle le documen­taire «Le Blé de Septembre» qui traite également de la spéculation sur les produits alimentaires. La nouvelle selon laquelle une grande partie de la récolte russe de blé en ex-URSS avait été détruite par les intempéries a été accueillie avec plaisir par la Bourse et a fait monter en flèche le cours du blé. Il est temps de réguler plus sévèrement les marchés.