«Se référer au droit international est un devoir politique et moral»Entretien avec Willy Wimmer (CDU), ancien secrétaire d’Etat au ministère allemand de la Défense, actuellement député au BundestagHorizons et débats: Monsieur Wimmer, lors de la prochaine législature vous quitterez le Bundestag où vous avez siégé pendant plus de trente ans. Une bonne occasion de faire un bilan. Quel a été pour vous, dans le domaine de la politique étrangère, l’événement le plus heureux, et quel a été le plus préoccupant? Willy Wimmer: Le plus heureux a été pour moi la réunification de l’Allemagne. Et le plus préoccupant – et qui continue à me préoccuper – la guerre contre la Yougoslavie, en violation du droit international, qui pratiquement a marqué le début d’une évolution, où ces éléments ont constamment refait surface. Voilà le spectre que couvre mon analyse de ces dernières décennies. Le droit international est-il le premier critère permettant de juger d’une politique étrangère? Mettre l’accent sur le droit international n’est pas une idée farfelue. Nous autres Européens devrions bien comprendre que le droit international tel qu’il est et qui doit évoluer dans notre sens a été établi suite à des processus regrettables que nous avons connus ici même. Si nous ne voulons pas connaître à nouveau ces regrettables processus, alors il nous faut être accessibles au droit international, et nous efforcer de les maîtriser par des moyens juridiques et diplomatiques, une voie que nous pouvons emprunter aussi bien en Europe que dans d’autres parties du monde. Quelles autres raisons peuvent expliquer l’oubli, par certains gouvernements européens, des leçons de l’Histoire dont vous parlez? Peut-être la situation de l’Europe à la fin du siècle dernier. D’un côté la montée de l’hégémonie américaine ou anglo-saxonne – car il ne faut pas oublier la Grande-Bretagne – et d’un autre l’incapacité des Etats européens à travailler et agir de manière cohérente dans des secteurs-clés. Ce que nous avons vu en matière de politique économique, nous l’avons vu aussi en matière de politique étrangère, c’est-à-dire un comportement hégémonique qui est monté en puissance dans les années 90 et qui a pris l’Europe à rebrousse-poil. Et quels rapports voyez-vous entre une politique étrangère hégémonique, comme vous la décrivez, et la recherche d’une position économique dominante? A mon avis, il est évident au moins depuis les agissements dévastateurs de Jeffrey Sachs en Russie entre 1991 et 19942 que des analyses économiques permettaient d’atteindre des buts politiques et cette évolution s’est poursuivie et imposée dans d’autres pays européens à la même époque. Ce qui parle aussi en ce sens c’est par exemple que les premiers décrets pris par les forces d’occupation en Afghanistan ou en Irak visaient à une privatisation, une dérégulation et une libéralisation maximales. Oui, tout l’agenda le confirme, depuis la transformation de l’Etat jusqu’à l’ordre économique. On essaie de suivre une idée fixe, sans le moindre égard pour les données locales et c’est précisément l’exemple afghan qui le confirme: une société qui perdure depuis 500 ans ne peut être mise sens dessus-dessous. Il me faut prendre en compte les données locales. Cette politique a fait perdre à l’ensemble du bloc occidental au cours des deux dernières décennies beaucoup de son prestige dans le monde. L’Europe et l’Allemagne ont joui d’une grande considération. Mais prenons le dernier ouvrage de Kishore Mahbubani, «Le défi asiatique»: il y est beaucoup question de l’ascension du continent asiatique et du déclin du prestige européen. Peut-on contrer cette perte de considération? A mon avis nous devrions créer une situation analogue à celle que les Chinois tentent d’établir en Afrique: une situation à somme gagnante, c’est-à-dire que les deux partenaires y gagnent. Et que les interventions européennes ou allemandes ne soient pas perçues comme: Je veux être le maître. Dans son dernier «Discours sur l’état de la Nation», le Président russe Medvediev a parlé de la nécessité d’un nouvel ordre mondial multipolaire, du respect du droit international etc. Ces déclarations sont-elles prises au sérieux chez nous, et y donnerons-nous suite? J’ai effectué plusieurs visites à l’étranger en compagnie de Helmut Kohl après son départ de la chancellerie; je ne me rappelle pas qu’il ait omis une seule fois de plaider pour la multipolarité. Et comment définiriez-vous notre attitude de fond envers la Russie? Les Russes seront toujours là longtemps après que l’OTAN appartiendra au passé. Et à mon avis il n’est pas nécessaire de sacrifier aucune de nos valeurs à quelque table que ce soit pour établir des relations raisonnables avec la Fédération de Russie. C’est ce que j’ai exposé il y a quelques semaines lors d’une discussion au Parlement polonais à Varsovie où nos relations avec les Russes ont joué un rôle: nous autres en Rhénanie-Nord-Westphalie sommes bien placés pour savoir que les Russes respectent scrupuleusement les termes de leurs contrats, même en période de tension comme au temps de la Guerre froide. Les relations économiques entre la Ruhr et l’Union soviétique et plus tard la Fédération de Russie ont toujours témoigné de l’extrême scrupule des Russes à ce sujet. Il me faut prendre cela en compte et j’aimerais aussi que Berlin en fasse autant. Nous avons fait de bonnes expériences avec les Russes, meilleures qu’avec d’autres en tout cas. Mais qu’est-ce qui se cache derrière les problèmes de livraison de gaz russe? Si l’Ukraine se comportait de façon plus claire, on pourrait fondamentalement faire un peu plus confiance à Kiev. Mais l’attitude du Président Iouchtchenko à Tbilissi après la guerre qu’a menée le Président Sakaachvili pour l’ouverture des JO a clairement montré que, dans le couloir qui va des Etats baltes à l’Ukraine on tente de faire de la propagande pour certaines choses qui ne sont pas dans notre intérêt, voire de les mettre en œuvre. Et tant que le Président ukrainien ne lèvera pas cette ambiguïté sur sa propre personne, l’Ukraine ne sera pas vraiment crédible, y compris en ce qui concerne l’énergie. Vous avez dit que l’Allemagne ne pouvait être au service d’un maître unique. Qu’entendez-vous par là? Nous avons des voisins. Je pense que notre politique doit être partout la même. Les relations que nous avons avec les Pays-Bas, la Belgique ou la France qui sont à nos frontières, ne doivent pas être différentes des autres. Donc je ne reconnais pas à la Pologne le droit de nous dicter ce que doivent être nos relations avec la Russie. C’est uniquement notre affaire, et il va de soi que les analyses de la Pologne entrent aussi en ligne de compte. … égalitaires … … Des relations à somme gagnante, et donc je comprends «être au service» comme «au service de cette certitude». L’obéissance aveugle n’est un critère ni en politique intérieure ni dans les relations bilatérales. La crise financière et économique que traverse le monde en ce moment montre que nous nous trouvons à la croisée des chemins. Comment allons-nous évoluer, et qu’est-ce qui devrait être absolument pris en considération? Dès le début de la crise nous avons pu constater que brusquement tous les conflits avaient été mis de côté et que les principales puissances avaient travaillé en étroite collaboration, une collaboration qui incluait l’Inde, la République populaire de Chine et bien d’autres encore. Et ça a marché. Pour la première fois on a cherché à maîtriser au niveau global un processus enclenché par les USA et la Grande-Bretagne. On a pu travailler ensemble, donc en cas d’urgence on le peut. Pour moi le cœur du problème c’est: cela restera-t-il permis sur le long terme? Pouvez-vous en conclusion de cet entretien nous parler un peu de nos relations futures avec les USA? Je pense que nous devons amener les Américains à reconnaître le Tribunal pénal international, et cela sans aucune restriction. Car les impasses dont nous discutons relèvent en dernière instance de notre propre conception du monde. Et si nous n’y parvenons pas, nous pouvons débattre autant que nous voulons des problèmes que nous posent nos relations avec les Etats-Unis, nous ne les résoudrons pas. Donc: les criminels de guerre doivent être jugés … Oui, les criminels de guerre doivent être jugés. Nous avons pu suivre la politique désastreuse des Etats-Unis sous le Président Bush. Je ne ferai pas de comparaisons, bien qu’elles ne manquent pas. Mais ce qui s’est produit nous le montre: quand on ne se plie pas aux règles du droit international, on mène une politique bien dangereuse. Et pour moi cela se résume en dernière instance à accepter que les criminels de guerre soient jugés. Quand Bush aura terminé son mandat on devrait pouvoir l’envoyer incessamment à La Haye. Monsieur Wimmer, nous vous remercions de nous avoir accordé cet entretien. • (Traduit par Michèle Mialane, www.tlaxcala.es) 1 Peu de jours après le début de la guerre en Géorgie le Président français Nicolas Sarkozy, alors Président du Conseil européen, a contribué par sa médiation à un armistice entre l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie et la Russie d’une part et la Géorgie de l’autre sur la base d’un plan en six points dont l’essentiel était l’arrêt de la violence et que toutes les parties ont signé à la mi-août 2008. |