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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°21, 30 mai 2011  >  Armée suisse 2011, reflet d’une Suisse naïve? [Imprimer]

Armée suisse 2011, reflet d’une Suisse naïve?

Si l’on ne veut pas s’exposer au chantage, on doit pouvoir se défendre

par Franz Betschon, docteur ès sciences, ancien colonel d’état-major

thk. Dans le cadre de la votation de 2003 sur «Armée XXI», de nombreux experts militaires ont mis en garde contre la diminution de la capacité de la Suisse à se défendre. Le projet de réforme «Armée XXI» prévoyait une restructuration complète de l’Armée: Ce n’était plus la défense du territoire, donc l’accomplissement de la mission constitutionnelle de l’Armée, qui était au centre de la conception stratégique mais l’«interopérabilité» et les «engagements subsidiaires» dans le pays et à l’étranger. On n’a pas tenu compte des objections – fondées sur des faits – contre le projet de réforme, notamment le fait que la Suisse perdait sa capacité de défense et qu’elle mettait ainsi en jeu sa souveraineté. On a traité les opposants de nostalgiques de la guerre froide et de passéistes. Les réformateurs voulaient faire croire à la population que notre pays était entouré d’amis, qu’il n’y avait aucune menace à l’horizon et qu’on se rendrait compte suffisamment tôt des changements de situation. C’est ainsi qu’on s’est mis à démanteler l’Armée. Les partisans se frottaient les mains. Ils ne se souciaient pas le moins du monde de ce que l’Armée ne puisse plus accomplir sa mission constitutionnelle de défense du pays en protégeant la population et le territoire.
Le projet de réforme a été mis en œuvre sous le conseiller fédéral de l’époque, Samuel Schmid, et ses défauts sont apparus de plus en plus nettement. Quand il est entré en fonctions, le successeur de Schmid, le conseiller fédéral Ueli Maurer a trouvé une armée qui n’était plus guère opérationnelle. Depuis, il s’efforce d’en corriger les défauts. C’est dans ce contexte que s’est constitué le «groupement Giardino» qui se compose de citoyens suisses, essentiellement de membres actifs ou retraités de l’Armée.
Dans leur Livre noir que nous publions ci-dessous, ils analysent en détail l’état de l’Armée et les menaces auxquelles le pays est exposé. Ils demandent le retour à une armée qui remplisse sa mission constitutionnelle et soit donc en mesure de défendre les fronti­ères du pays. Un Etat incapable de se protéger s’expose au chantage et devient le jouet des grandes puissances. Ce n’est pas pour rien que la neutralité armée perpétuelle est un aspect central de l’identité suisse. Il faut tenir compte des analyses et évaluations du «groupement Giardino», sinon la naïveté prendra le dessus.

L’exploitation d’informations publiées récemment par le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) permet pour la première fois d’avoir une vue d’ensemble des capacités de l’Armée suisse 2011. Il s’agissait en particulier de voir comment les autorités politiques responsables ont tenu compte de l’opinion du peuple au sujet des articles 57 (Sécurité) et 58 (Armée) de la Constitution fédérale.
Deux expertises de droit public (présentées par les professeurs Schindler de l’Université de Zurich et Schweizer de l’Université de St-Gall) montrent notamment que l’ar­ticle 58, qui a encore été confirmé en votation populaire en 1999, a été bafoué par toutes les réformes de l’Armée qui ont eu lieu depuis, bien qu’on ait toujours fait croire le contraire aux citoyens.
L’Armée suisse 2011 ne dispose plus de troupes de combat opérationnelles. Une armée incapable de se battre est superflue! Après une instruction supplémentaire de plusieurs mois, on pourrait équiper et préparer au combat tout au plus deux brigades de combat. Sur le papier figurent bien quatre brigades mais selon le DDPS, leur opérabilité ne pourra jamais être atteinte faute d’équipements. Cela notamment parce que de grandes quantités de matériel ont été détruites illégalement. Mis à part des engagements subsidiaires de courte durée, aucune intervention de l’armée, aucun engagement lors de catastrophes majeures n’est possible à court terme car les organisations de mobilisation nécessaires ont été supprimées.
La sécurité intérieure de la Suisse se détériore de plus en plus et se trouve aujourd’hui déjà dans une situation qu’on n’a plus connue depuis longtemps (terrorisme, militants prêts à recourir à la violence, groupes d’immigrés, etc.). Cela est également valable pour la répartition des missions entre la Confédération et les cantons. Le risque de guerres conventionnelles en Europe s’intensifie également parallèlement à la guerre économique mondiale et aux énormes efforts de réarmement des pays non européens. Il s’agit là d’une situation initiale entièrement différente de celle qui régnait au moment de la conception d’Armée XXI en 2003. Les économies à la charge de l’Armée et, de plus, des moyens mal utilisés n’ont apporté aucun avantage financier au budget de la Confédération.
Depuis sa fondation en 1848, l’Armée suisse ne s’est encore jamais trouvée aussi éloignée de ses capacités d’intervention. Jamais encore une nation ne s’est désarmée aussi profondément et volontairement que la Suisse ces dernières années.
L’expérience Armée XXI a totalement échoué. Il sera intéressant de savoir si quelqu’un assumera la responsabilité politique de ce résultat désastreux, et si oui, avec quelles justifications. Le groupement Giardino ne fait pour l’instant que des constats et pas encore des suggestions pour un éventuel nouveau modèle militaire. Il s’y attellera dès que sa conception de départ sera généralement partagée.

Pourquoi le groupement Giardino?

Dès ses premières publications, le groupement Giardino – association regroupant des défenseurs politiquement indépendants d’une Armée suisse forte – a toujours exigé trois choses:
•    Premièrement, une décision rapide en faveur d’un moratoire contre toute destruction d’équipements militaires jusqu’à ce que toutes les possibilités d’utilisation futures soient établies.
•    Deuxièmement, des réponses aux questions posées dans le manifeste.
•    Troisièmement, une inspection générale (due diligence) de l’Armée suisse, afin d’analyser ce qui reste de capacités de combat depuis la décision de transformer l’Armée du 18 mai 2003 et la manière dont les diverses décisions du peuple ont été appliquées.
Bien que le DDPS ait répondu superficiellement le 6 décembre 2010 à une partie des questions du groupement Giardino (1) les réponses obtenues restent incomplètes, pleines de contradictions et dans l’ensemble peu satisfaisantes. Les instances responsables ne pensent ni à un moratoire sur la destruction d’équipements militaires, ni à sa législation. Ils n’envisagent pas plus de mandater des experts suisses indépendants pour évaluer la situation de l’Armée tout entière. Par contre, on ne cesse de répéter que la transformation de l’Armée en une force de combat moderne est sur la bonne voie, que les troupes sont motivées et qu’elles exécutent entièrement les missions reçues. Certes, on concède qu’il y a encore quelques problèmes mais ils sont connus et on est en train de les éliminer.
En étudiant les faits avérés accessibles à tout le monde et les informations publiées par le DDPS, l’image complète de l’Armée suisse 2011 peut néanmoins être analysée. Il est fâcheux et regrettable qu’à l’étranger aussi on ait pris connaissance de cette analyse et qu’on s’en étonne. Ainsi, on se retrouve dans la même situation qu’en 1871, 1914 et 1939. Quand on a eu à trois reprises une chance aussi inouïe, on l’aura bien une quatrième fois. Voilà ce que pensent les poli­tiques, et comme toujours ils attribueront plus tard cette chance inouïe à leur action politique.

Rappel: la situation eurostratégique de la Suisse

La Suisse possède une des économies les plus performantes du monde. Son industrie est hautement développée et son système éducatif également. La finance et les services sont tout aussi efficaces que les systèmes sociaux.
Du point de vue géographique, le pays se trouve au cœur de l’Europe occidentale et à cheval sur la plus importante chaîne de montagnes européenne, les Alpes. Les positions clés sont l’aéroport de Kloten, le Gothard et le triangle industriel situé entre Bâle, Zoug et Winterthur. Le pays contrôle les plus importants axes nord-sud et l’axe est-ouest qui traverse le Plateau par les autoroutes et les tunnels ferroviaires. La Suisse peut être considérée comme le château d’eau de l’Europe, l’approvisionnement en électricité de l’Europe dépend fortement de la plaque tournante suisse et de ses capacités de stockage. Mais elle n’a pas d’autres matières premières.
La Suisse a créé elle-même cette importante situation stratégique à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Lors de conflits, il est important pour toutes les parties que, vu son importance stratégique, la Suisse ne soit pas dominée par l’un ou l’autre des belligérants. La Suisse politique devrait donc savoir que c’est son devoir, au regard du droit international, d’exercer son pouvoir souverainement et de ne pas le déléguer à d’autres. Cette manière de faire conduit à la neutralité militaire, qui est un acte de sagesse et n’a plus grand-chose à voir avec les motifs avancés en 1815 lors du Congrès de Vienne.
La sécurité de la Suisse est constituée, plus nettement que jusqu’ici, par les menaces conventionnelles venant de l’extérieur et la sécurité intérieure de caractère asymétrique.

La sécurité extérieure

Partout dans le monde et depuis toujours, l’art militaire a consisté – dans la phase de planification (dans laquelle nous nous trouvons actuellement) – à prendre pour base de réflexion ses ennemis les plus dangereux et dans la phase d’engagement ses ennemis les plus probables. C’est ainsi qu’on forme aujourd’hui encore les jeunes officiers. Aussi s’étonne-t-on de lire dans la liste des réponses du DDPS du 6 décembre 2010 qu’il ne prend plus en compte ses ennemis les plus dangereux pour évaluer la situation actuelle
(1, p. 16).
C’est un défaut récurrent autant dans les documents du DDPS que dans ceux d’autres groupes de ne pas analyser de manière assez approfondie les principales menaces actuelles. Deux faits, que tout le monde peut lire dans la presse quotidienne, sont avérés:
1.    Dans le monde (excepté en Europe) a lieu actuellement la plus importante course aux armements de tous les temps. Dans l’histoire de l’humanité de tels potentiels ont toujours explosé tôt ou tard. Seule l’Europe désarme. Il reste uniquement le potentiel de chantage des armes nucléaires fran­çaises et britanniques. Ce comportement de l’Europe a été toléré par les Etats-Unis, la grande puissance alliée, bien qu’ils détiennent depuis toujours le commandement suprême de l’OTAN. Les Etats-Unis et l’Asie devront, en tant qu’adversaires, songer tôt ou tard, pour des raisons de logique stratégique, à mieux étendre leur influence sur le territoire européen avec ses précieuses industries. Aussi les anciens potentiels militaires européens auraient-ils constitué un obstacle. Pour le moment, les Etats-Unis considèrent encore cela comme un jeu gagné d’avance, comme au temps de la guerre froide. Mais on se demande comment ce sera possible avec une OTAN européenne pratiquement inexistante et les quelque 60 000 soldats américains stationnés en Europe. Ce n’est pas sans raisons que beaucoup d’analyses de la situation actuelle de notre pays partent de l’idée que nos voisins membres de l’OTAN ne disposent plus de capacités d’attaque. Mais en même temps, elles sous-estiment le bien plus important développement militaire de l’Asie (2 et 3) qui pourrait, avec une probabilité croissante, apparaître un jour sur le théâtre des opérations européen. La même chose est valable pour des événements situés en dehors de la «zone centrale» européenne (Maghreb, Moyen-Orient, etc.)
Il y a une dizaine d’années, une nouvelle alliance miliaire a été créée en Asie: l’Organisation de coopération de ­Shanghai (OCS). Au même moment, les Etats-Unis et l’OTAN étaient encore occupés à mener leurs guerres au Moyen-Orient où il est très probable qu’ils vont échouer. L’OCS englobe déjà un quart de la population mondiale ainsi que les plus importants pays de l’Eurasie orientale (4, p. 225). On y organise des manœuvres communes sans qu’on en parle beaucoup. La collaboration dans le domaine de la technologie militaire a atteint un niveau mondial. Les forces armées chinoises ont par exemple déjà des capacités de portée dépassant largement les distances régionales, et pour la Russie, cela va sans dire.
2.    Actuellement on assiste également à une guerre économique féroce au niveau global et dans tous les domaines. Les guerres économiques ne se distinguent en rien des guerres militaires: on y détruit de grandes quantités de biens réels, les hommes sont lésés (pertes d’emploi, chômage) et la marge de manœuvre de l’ennemi est réduite. Dans les 27 pays qui forment actuellement l’UE, 20% des jeunes de moins de 24 ans sont sans travail! La hausse des prix des denrées alimentaires a entraîné des troubles sociaux et des mouvements migratoires.
Les plus importantes monnaies mon­diales occidentales (dollar et euro) sont gravement atteintes. Les systèmes sociaux sont en danger et lors de leur assainissement chacun cherchera son profit personnel. En 2008 déjà, dans un commentaire destiné aux investisseurs (5), la banque privée Wegelin & Co parlait, au sujet de la situation en Suisse, de «lutte pour sauvegarder les acquis». Dès lors, de plus en plus de politiques européens haut placés s’efforcent de présenter la Suisse comme un pays ayant acquis sa prospérité aux dépens de ses voisins. Ils laissent entendre qu’il serait moralement justifié de reprendre ce que la Suisse s’est approprié de façon inéquitable, ce qui reviendrait à justifier la raison du plus fort.
Si en même temps certains milieux spéculent contre l’euro et poussent ainsi celui-ci à sa perte et le franc suisse vers une réévaluation, il s’agit aussi d’une guerre économique. Et si le président luxembourgeois de l’eurogroupe parle de la Suisse comme d’une «tache blanche» sur la carte européenne qui devrait être supprimée et qu’il se montre étonné et offensé quand on lui signale qu’il y a 70 ans, quelqu’un d’autre avait déjà utilisé la même expression dans sa rhétorique de guerre, il y a là des signes qu’on ne saurait ignorer.
Bien que le Conseil fédéral, une fois de plus, n’ait pas réalisé ce qui se passait dans une situation de crise et qu’il s’exprime de manière confuse, cette affaire doit aussi apparaître sur la liste des dangers des stratèges. La «lutte pour sauvegarder les acquis»

L’évolution de la sécurité extérieure de la Suisse

Des sujets comme la «guerre informatique» ou «cyberguerre» ne sont pas exclusivement l’affaire de l’Armée. Ces notions existent depuis 1993. Si l’on parlait déjà dans la «Neue Zürcher Zeitung» du 9 juillet 2007 de la création d’une troupe de 600 hommes jusqu’en 2012 pour combattre les attaques informatiques, cela montre le haut degré d’incertitude quant aux véritables priorités de notre défense militaire et détourne l’intérêt des véritables missions de l’Armée. En Suisse c’est la Centrale d’enregistrement et d’analyse pour la sûreté de l’information (MELANI, www.melani.admin.ch) qui s’occupe des infrastructures informa­tiques critiques. Les systèmes informatiques de l’administration fédérale et du DDPS ont déjà été victimes de cyberattaques il y a plusieurs années.
C’est également valable pour la défense antimissiles (appelée aussi «bouclier anti-missiles», c’est-à-dire la défense contre les missiles balistiques). Ce sujet est à distinguer de la défense contre les missiles sol-air au moyen de missiles antimissiles (système de défense antiaérienne Rapier, etc.).
Malgré les centaines de milliards investis dans des projets de développement, le problème n’est toujours pas résolu au bout de près de 30 ans de travaux de recherches (4, p. 23). Le rapport entre les efforts et le résultat est visiblement disproportionné. La Suisse ferait bien de ne pas s’en mêler.
Quelles étaient les bases juridiques européennes permettant, en 1999, aux pays membres de l’UE de prendre des sanctions provoquant de grands dommages écono­miques contre la petite Autriche uniquement parce que quelques grandes puissances au sein de l’UE ne voulaient pas accepter les choix démocratiques effectués lors des élections législatives. Le gouvernement du chancelier fédéral Schüssel fut marginalisé au sein de l’Europe tout entière. Seule la Suisse l’a reçu avec sa ministre des Affaires étrangères, Madame Ferrero-Waldner, avec le respect qui leur étaient dû.
Qui se rappelle que dans une situation de crise, le président français Mitterrand s’est énervé et a directement menacé le mi­nistre des Affaires étrangères allemand ­Genscher d’entrer en guerre afin de le faire plier? ­Jacques Attali évoque (6) un entretien entre Mitterrand et Genscher: «Si l’unification de l’Allemagne se réalise avant l’unification européenne […] cela se terminera par une guerre.» Lorsque des politiques et des ­hommes d’Etat expérimentés font de telles déclarations, ce n’est pas arbitraire, cela ­trahit certaines réflexions cachées. Cela devrait aussi être valable pour l’ancien ministre des Finances allemand qui proposait de lancer la cavalerie contre la Suisse. La France et d’autres pays ont toujours besoin de l’appui de la grande UE et d’une monnaie commune pour ne pas ­sombrer économiquement.
La sécurité de la Suisse est donc constituée de possibles menaces extérieures conventionnelles et de menaces intérieures. En tout cas, depuis l’affaire des «fonds en déshérence», la Suisse officielle sait ce que signifie la guerre de l’information, mais elle n’en a visiblement pas tiré les leçons.
Il est peu probable, mais pas exclu, qu’au cours des 5 ou 6 prochaines années, l’escalade de la guerre économique, accompagnée de la lutte pour les ressources mondiales, aboutisse à des activités militaires sur le continent européen désarmé et qu’on tente de forcer la Suisse à renoncer à son indépendance et à payer des contributions. C’est la plus dangereuse et la plus réelle des activités hostiles à l’encontre de notre pays avec laquelle les planificateurs de l’Armée doivent compter.
Ceci serait alors la répétition de ce qui s’est passé en 1871, en 1914 et en 1939 dont nous avons parlé plus haut. Il est probable que ce serait une guerre classique, car pour l’instant tous les acteurs se réarment de manière conventionnelle. La Suisse n’aurait aucune chance d’augmenter à temps le niveau de son potentiel militaire pour qu’il corresponde aux exigences constitutionnelles de défense. Puisque les autres pays européens ont aussi désarmé, une même guerre se déroulera sur le sol européen entre puissances extra-européennes, mais en faisant payer les Européens et en particulier la Suisse.
Rappelons-nous 1799 (10): «Le chaos régnait en Suisse. Aucune trace de fierté à propos de la démocratie et de la liberté. Des armées étrangères se battaient sur le territoire des Suisses qui observaient de manière hébétée les événements […] et elles dévorèrent la moitié du pays.»

La sécurité intérieure de la Suisse

A ce sujet, il faut avant tout faire remarquer que lors de la conception d’Armée XXI, le «11-Septembre» n’a laissé aucune trace. La sécurité intérieure de presque tous les pays européens est actuellement menacée par une augmentation de la violence islamiste et de la criminalité organisée. Les troubles sociaux qui s’étendent depuis janvier 2011 dans les pays du pourtour méditerranéen (Tunisie, Egypte, Albanie, etc.) n’annoncent rien de bon pour nous non plus. La pression des migrants issus de cultures extra-euro­péennes augmente. L’histoire de l’homme a toujours été aussi une histoire des mouvements migratoires. La disposition à la violence de certains groupes, pas seulement d’immigrés, augmente de plus en plus. Dernièrement, un grand quotidien suisse a évalué le milieu des extré­mistes de gauche en Suisse à 2000 personnes, dont 1000 sont prêtes à commettre des actes de violence. En 2009, les autorités ont pu imputer 127 actions violentes à des représentants de l’extrême gauche et seulement 32 à des représentants de l’extrême droite, qui est tout aussi importante. «La liste des actes de violence commis par l’extrême gauche est longue. Ces derniers temps, ce sont avant tout les éco-anarchistes qui se sont manifestés. Ils n’hésitent souvent pas à mettre en danger des personnes non concernées. On sous-estime souvent le militantisme de ces groupes autonomes.» Il semble qu’il existe un réseau qui fait des exercices de mobilisation et les destine, plutôt arbitrairement, à certains événements grand public (manifestations sportives, assemblées politiques à l’Albisgüetli, etc.). Son but est d’ébranler les structures démocratiques. Ces militants tentent de déstabiliser, par des moyens asymétriques, les organes de sécurité (police, armée). Grâce à une grande mobilité et à un manque total de scrupules, ils empêchent les forces de l’ordre d’agir. Ils jouent au chat et à la souris avec nos forces de l’ordre. Nous avons des raisons de croire que les temps paisibles qui ont prévalu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale touchent à leur fin.
La sécurité intérieure de la Suisse est donc déjà menacée aujourd’hui (8 et 9) et la question se pose de savoir dans quelle mesure notre Armée est capable de prendre ses responsabilités selon les articles 52, 57, 173 et 185 de la Constitution fédérale et de la Loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI 97) ou s’il ne serait pas absolument nécessaire d’entreprendre des révisions constitutionnelles et/ou législatives dans le domaine de la sécurité. Il est inadmissible que nos soldats de tous grades soient forcés d’accomplir leur devoir dans cette zone invraisemblable où s’opposent les illusions politiques et la réalité.
Le potentiel de désordres est déjà considérable dans de nombreux pays voisins. Dans diverses villes européennes, il existe déjà des zones qu’on déconseille aux touristes parce qu’elles ne peuvent plus être contrôlées par les forces de sécurité civiles. Cela pourrait inciter les gouvernements de ces pays à exporter leurs troubles sociaux en Suisse.

Les forces de combat au 1er janvier 2011

Le DDPS écrit: «La disponibilité de base ne correspond pas à la disponibilité opérationnelle. L’armée dans son ensemble est dans un état de disponibilité de base.» (1, p. 15) Et plus loin: «Les missions principales au sens d’Armée 61 ou d’Armée 95 n’existent plus depuis le développement 08/11. Chaque formation a un élément de module où figure l’ensemble des missions. A partir du 1er janvier 2011, toutes les formations seront instruites selon ces modules. (1, p. 15)
Après la disparition de l’organisation de mobilisation, les formations ne sont plus capables de passer de la disponibilité de base à la disponibilité opérationnelle. Leur instruction est tellement réduite que même après plusieurs mois elles ne sont pas en mesure de soutenir une guerre.
Lors de la conception d’Armée XXI, la priorité de la mission de défense a été relativisée, si bien qu’il n’existe plus de concepts de défense pour l’ensemble de l’armée. (1, p. 16) Le DDPS devrait ajouter qu’il n’y a plus de concept de sécurité intérieure qui aurait pu remplacer le concept de défense globale. (9)
Toutes ces considérations concernent seulement les deux formations de combat. L’équipement des autres formations n’est pas prévu. La destruction des matériels entre 1995 et 2011 a été faite illégalement mais le Parlement était tout à fait au courant. Le groupement Giardino estime que le rachat de ces matériels coûterait des milliards. Les réserves de guerre n’existent pratiquement plus. Le DDPS explique cela très longuement sur 93 pages (3) sans signaler que ces points faibles fonctionnaient plus ou moins bien autrefois et que le matériel était moderne et suffisant. C’est pourquoi le DDPS redoute comme la peste la comparaison avec les armées d’autrefois. Il y a des raisons qui n’en sont pas. Rarement une nation autrefois fière s’est désarmée volontairement et de façon aussi durable. Quant aux régions territoriales, les experts disent qu’elles peuvent jusqu’à nouvel avis tout au plus répondre aux exigences modestes des autorités civiles.
Mais on a de sérieux doutes quant à l’endurance lors de la surveillance d’ouvrages civils.
L’Armée ne peut plus assurer la protection d’ouvrages civils de zones clés ou d’axes stratégiques. Une puissance non-européenne pourrait avoir l’idée de se charger de cette protection. L’Armée dans son ensemble n’est plus capable de prendre en main ses missions de défense, quelles qu’elles soient.
Si l’Armée résume sa mission à l’aide des termes «se battre, secourir, aider», que le Chef de l’armée ne parle que de missions subsidiaires et que la mission constitutionnelle de défense du territoire a été «relativisée» de façon arbitraire par le DDPS, c’est là que se dissimule la cause de la crise de l’armée qui est à vrai dire une crise de l’Etat.

La constitutionnalité d’Armée XXI

Après tout ce qui a déjà été constaté plus haut, le groupement Giardino s’étonnerait si l’état actuel de l’Armée correspondait encore à la Constitution.
Plusieurs expertises montrent que la Constitution fédérale est violée sur tous les points, en connaissance de cause et avec l’appui des politiques.
La première exigence de la Constitution – «La Suisse a une armée» – ne peut plus être affirmée qu’avec beaucoup d’imagination. Une armée qui n’est pas disponible et n’est plus en mesure de combattre n’est pas une armée.
Le principe de milice est massivement violé depuis le début d’Armée XXI. Il faut à ce sujet se reporter à la source no 7 qui évoque deux expertises de professeurs de droit public. La première avait été demandée en 1999 par le Conseiller fédéral Ogi au professeur Schindler de l’Université de Zürich, la deuxième l’a été le 5 juin 2010 par le Conseiller fédéral Maurer au professeur Schweizer de l’Université de St-Gall.
A la lumière de ces deux expertises, il apparaît clairement:
1.    que l’engagement de troupes pour organiser des manifestations sportives privées n’est pas conforme au droit international et donc contestable;
2.    qu’une armée de métier est en principe interdite;
3.    que le commandement de l’Armée doit être constitué majoritairement de sous-officiers et d’officiers de milice;
4.    que des missions de contrôle policier par l’armée sont juridiquement contestables.
La mission constitutionnelle de défense du pays ne peut pas être interprétée de façon différente, mais Armée XXI ne la respecte pas du tout.
Il est inadmissible qu’un Etat souverain puisse renoncer à son monopole du pouvoir.
Le citoyen vigilant qui croit encore aux institutions de l’Etat ne comprend pas la nonchalance avec laquelle le Conseiller fédéral Schmid et les Commissions de la politique de sécurité nient l’avertissement de l’expertise de Schindler.
Par la suite, ils rejetteront la responsabilité sur les citoyens qui ont approuvé le projet Armée XXI en acceptant, le 18 mai 2003, la modification de la Loi fédérale sur l’armée, certainement en croyant qu’elle était conforme à la Constitution et que les justifications n’étaient pas mensongères. Mais même le rapport Schweizer n’a entraîné aucune mesure correctrice.

Le débat sur la stratégie

«Je suppose que la plupart des stratèges n’interviennent qu’après coup, qu’on appelle après coup stratégie la somme des bonnes décisions moins les mauvaises décisions plus les aléas.» (Lothar Späth, ancien ministre-président du Bade-Wurtemberg puis P.-D.G. de Jenoptik A.G., Jena).
La discussion stratégique actuelle se caractérise d’une part par l’emploi de notions ­fausses et par leur mauvaise utilisation dans les raisonnements. C’est valable aussi bien pour le Rapport Sipol B 2010 du Conseil fédéral que pour de nombreuses présentations contradictoires.
Le 24 juin 2010, un «Rapport du Conseil fédéral à l’Assemble fédérale sur la poli­tique de sécurité» a été approuvé. Premièrement, l’idée que le Commandant de l’Armée veut aussi se charger de la stratégie est fausse (CT, p. 14) et deuxièmement, il faut également chercher à savoir d’où vient ce désir subit. Le commandement stratégique ne peut être assumé que par celui qui détient ­toutes les ressources stratégiques et surtout les fi­nances. En outre, il faudrait se mettre d’accord sur la structure d’un processus stratégique général avant de commencer à formuler des arguments stratégiques qui, très vite, seront enrichis par un va-et-vient entre des notions appartenant aux domaines straté­gique, opérationnel ou tactique.

La question de la responsabilité

Il est clair qu’en cas de catastrophe personne n’assumera la responsabilité car d’autres débats seront menés. Le destin de la Suisse sera simplement attribué à l’Histoire. Le démantèlement de l’Armée n’a même pas permis d’économiser des sommes qui auraient pu être consacrées à d’autres missions éta­tiques. Le citoyen estime que l’armée n’appartient pas au DDPS, que celui-ci ne fait que l’administrer. Elle n’appartient pas non plus aux politiques. Ceux-ci ne font que nommer, conformément au Code des obligations, ses «commissions de gestion» (Commissions de la politique de sécurité), son «Conseil d’administration» (Parlement) et son «Président» (le chef du DDPS). L’Armée appartient aux citoyens mais ceux-ci n’ont aucun moyen de demander un «contrôle spécial» (art. 697 du Code des obligations) ou quelque chose de semblable car la Suisse n’a pas de Cour constitutionnelle. Par le biais d’une initiative, procédure longue et onéreuse, ils peuvent exercer une certaine influence si le cartel politique du silence, comme dans le cas d’Armée XXI, ne s’en charge pas.
Ce cartel politique du silence et de l’indifférence est un phénomène unique en suisse: il représente presque le seul cas d’accord en matière d’Armée et de sécurité depuis la désastreuse décision sur Armée XXI.
Pour les collaborateurs du DDPS, on pourrait envisager une action en responsabilité. Ils sont parfois traités sévèrement lorsqu’il s’agit de faire un exemple (affaires Jeanmaire, Nyfenegger, etc.). Les politiques pourraient décider d’instituer une commission d’enquête mais ce ne sera pas le cas car qui enquête volontiers contre soi-même? D’ailleurs l’immunité parlementaire protège les politiques.
L’argument selon lequel «on ne savait pas» ne peut être invoqué par aucun parlementaire. L’intérêt pour les besoins du pays et donc pour sa défense, des réflexions sur les me­naces qui pèsent sur sa sécurité et la comparaison des différentes informations qui nous parviennent auraient dû depuis longtemps déjà alerter les politiques.

Questions ouvertes

Même là où les difficultés budgétaires ou des questions doctrinales constituent un obstacle aux capacités de l’Armée à soutenir une guerre, des questions se posent:
•    Comment évaluer l’efficacité des Ser­vices de renseignements dans leur ensemble et en les comparant avec ceux des autres pays?
•    Jusqu’à quel point les descriptions de ­postes et les cahiers des charges des cadres de l’Armée et de l’administration correspondent-ils aux nécessités d’une armée moderne conforme à la Constitution fédérale et dans quelle mesure servent-ils de base lors des promotions?
•    Existe-t-il une volonté politique de rendre l’Armée planifiable grâce à un projet de financement à long terme?
•    Pourrait-on imaginer que, dans l’esprit d’une «nouvelle honnêteté» (Conseiller fédéral Maurer, 8/10/10), l’on puisse amener les collaborateurs du DDPS à défendre publiquement les opinions qu’ils expriment en privé?    •



Documents complémentaires:
(1)    Réponses du DDPS aux questions du «groupement Giardino» du 6/12/10
(cf. www.gruppe-giardino.ch)
(2)    Rapport du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale sur la politique de sécurité de la Suisse, 23/6/10
(3)    Rapport sur l’Armée 2010, 1/10/10
(4)    Franz Betschon, Das eurasische Schachturnier – Hintergründe und Prognosen, R.C. Fischer Verlag, 2009, ISBN 978-3-8301-1234-1
(5)    Konrad Hummler, Der Kampf ums Eingemachte, Anlagekommentar Nr. 255, Bank Wegelin & Co., St. Gallen, 17/3/08
(6)    Jacques Attali, «C’était François Mitterrand», Fayard 2005, ISBN-10: 2213627401
(7)    K Kdt aD S. Küchler, Miliz und Verteidigung – verfassungsrechtlich beurteilt, Wertung zweier Rechtsgutachten, Pro Militia, 22/11/10
(8)    Udo Ulfkotte, Vorsicht Bürgerkrieg – was lange gärt, wird endlich Wut, Kopp Verlag, 2009,
ISBN 978-3-938516-94-2
(9)     Div aD Hubert Hilbi, Die innere Sicherheit, ASMZ 10/10, p. 8
(10)    Gaudenz Looser, Suworows Weg durch die Sch weiz, Baeschlin, Glarus 1999, ISBN 3-85546-101-5
(11)    Entretiens avec des commandants et des hauts responsables politiques
Source: www.gruppe-giardino.ch
(Traduction Horizons et débats)

Constitution fédérale

de la Confédération suisse du 18 avril 1999

Art. 52 Ordre constitutionnel
1    La Confédération protège l’ordre constitutionnel des cantons.
2    Elle intervient lorsque l’ordre est troublé ou menacé dans un canton et que celui-ci n’est pas en mesure de le préserver, seul ou avec l’aide d’autres cantons.
Art. 57 Sécurité
1    La Confédération et les cantons pourvoient à la sécurité du pays et à la protection de la population dans les limites de leurs compétences respectives.
2    Ils coordonnent leurs efforts en matière de sécurité intérieure.
Art. 58 Armée
1    La Suisse a une armée. Celle-ci est organisée essentiellement selon le principe de l’armée de milice.
2    L’armée contribue à prévenir la guerre et à maintenir la paix; elle assure la défense du pays et de sa population. Elle apporte son soutien aux autorités civiles lorsqu’elles doivent faire face à une grave menace pesant sur la sécurité intérieure ou à d’autres situations d’exception. La loi peut prévoir d’autres tâches.
3    La mise sur pied de l’armée relève de la compétence de la Confédération.1
Art. 173 Autres tâches et compétences
1    L’Assemblée fédérale a en outre les tâches et les compétences suivantes:
a.    elle prend les mesures nécessaires pour préserver la sécurité extérieure, l’indépendance et la neutralité de la Suisse;
b.    lle prend les mesures nécessaires pour préserver la sécurité intérieure;
c.    elle peut édicter, lorsque des circonstances extraordinaires l’exigent et pour remplir les tâches mentionnées aux lettres a et b, des ordonnances ou des arrêtés fédéraux ­simples;
d.    elle ordonne le service actif et, à cet effet, met sur pied l’armée ou une partie de l’armée;
e.    elle prend des mesures afin d’assurer l’application du droit fédéral. […]
Art. 185 Sécurité extérieure et sécurité intérieure
1    Le Conseil fédéral prend des mesures pour préserver la sécurité extérieure, l’indépendance et la neutralité de la Suisse.
2    Il prend des mesures pour préserver la sécurité intérieure.
3    Il peut s’appuyer directement sur le présent article pour édicter des ordonnances et prendre des décisions, en vue de parer à des troubles existants ou imminents menaçant gravement l’ordre public, la sécurité extérieure ou la sécurité intérieure. Ces ordonnances doivent être limitées dans le temps.
4    Dans les cas d’urgence, il peut lever des troupes. S’il met sur pied plus de 4000 militaires pour le service actif ou que cet engagement doive durer plus de trois semaines, l’Assemblée fédérale doit être convoquée sans délai.