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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°15, 18 avril 2011  >  L’entreprise Bertelsmann échoue dans sa tentative de ­s’emparer des administrations communales [Imprimer]

L’entreprise Bertelsmann échoue dans sa tentative de ­s’emparer des administrations communales

Le projet pilote «Würzburg integriert» n’a pas permis de faire des économies

par Thomas Schuler

Munich. A la mairie de Wurzbourg, on est peu loquace. Le porte-parole Georg Wagenbrenner confirme l’arrivée d’une lettre de rupture de contrat de l’ancien partenaire Arvato (filiale de Bertelsmann). Toutefois, il ne désire pas s’exprimer sur les raisons de ce geste. Il s’agit du projet «Würzburg integriert» qui devait permettre à la commune d’économiser plusieurs millions d’euros de frais de personnel administratif. Le maire Georg Rosenthal (SPD) informera la population plus tard, laisse-t-on entendre. Le message transmis est que cette question n’a que peu d’importance; nettement moins que celle que son prédécesseur Pia Beckmann (CSU) lui avait attribuée lors d’une réception, improvisée dans ce but il y a trois ans, affirmant haut et fort que Wurzbourg aurait ainsi, grâce à ce projet unique, l’administration la plus moderne de toute l’Allemagne.
Arvato dirigeait toutes les activités administratives grâce à une plate-forme Internet centrale qui permettait aux citoyens d’y avoir accès depuis leur domicile. Il s’agissait d’offrir tous les services à partir d’un seul point. Le bureau d’accueil du rez-de-chaussée est doté de 16 guichets qui assurent une partie des services de l’administration, par exemple les déclarations de domicile et les passeports, les immatriculations automobiles, les questions touchant au permis de conduire, l’inspection du travail, ainsi que toutes les formalités concernant les déménagements. Le but était une administration sans papier où 100 % des activités étaient effectuées par contact personnel, téléphonique ou en ligne. Telle était la théorie.
Selon le professeur Rainer Thome, Wurzbourg voulait ainsi appliquer les instructions de la directive européenne sur les services qui exige la coordination et la mise en réseau électronique. Thome est détenteur de la chaire d’informatique économique de l’Université de Wurzbourg. Il accompagnait le projet et déclara lors du lancement de l’expérience en 2008: «Enfin les citoyens seront libérés de cette division stupide des traitements administratifs. Toutes les données ne seront plus enregistrées, archivées et traitées qu’une fois. C’est une révolution.»
Mais l’euphorie de Thome ne subsista pas longtemps. A la suite du changement à la tête de la mairie en avril 2008, il se plaignit qu’on se désintéressait du projet. De ce fait, il se retira du projet à la fin de 2008, précisant qu’il serait prêt à un retour dans la mesure où l’affaire serait de nouveau prise au sérieux à la mairie. Mais il s’en tint à sa position. «Würzburg integriert» (intégré) devint «Würzburg blockiert» (bloqué) et «Würzburg frustriert» (frustré), selon quelques mauvaises langues. Le bureau d’accueil continue d’exister, mais la révolution doit attendre.
La lettre de rupture de contrat enterre officiellement ce projet de la commune et de l’entreprise Bertelsmann. Cette dernière espérait s’ouvrir un nouveau marché de plusieurs milliards d’euros en reprenant des administrations. La ville de Wurzbourg était un partenaire idéal du fait que, vu sa situation financière désastreuse, elle était à l’affût de toute promesse lui assurant une amélioration. La filiale de Bertelsmann Arvato, promit qu’en l’espace de 10 ans, grâce à une réduction du personnel, la ville économiserait environ 27 millions d’euros. Sur les 600 employés de l’administration, 75, arrivant à la retraite, ne devaient plus être remplacés. La ville devait toucher 10 millions sur les 27 millions économisés, le coût du projet se montant, lui, à 10 millions. Arvato estimait son bénéfice à près de 7 millions d’euros. Tel était le projet. En réalité, on n’économisa aucun emploi et la ville ne toucha pas d’argent. Le contrat sera caduc en 2011.
Chaque employé devait pouvoir traiter les différentes demandes de la population au moyen d’un logiciel unique. Mais, selon le journal local «Main-Post», le maire Rosenthal juge ce système trop compliqué et trop ambitieux. Maintenant, c’est la déception qui prévaut. Il y a quelques mois, on a appris que la mairie songeait à en finir prématurément et à rompre le contrat en 2011.
Suite à une analyse de la situation, Arvato a compris qu’il était absurde de continuer et, de ce fait, Arvato a résilié le contrat. Ce dernier échoira donc dans le courant de l’année. La collaboration avec Arvato en était d’ailleurs au point mort«depuis un certain temps», selon certains initiés de Wurzbourg. Ni le logiciel ni le matériel d’Arvato ne sont plus sollicités. Selon le bureau du maire, on serait tombé d’accord, l’année dernière, sur le fait que «la collaboration entre Arvato et la ville de Wurzbourg n’avait plus de sens».
Quelles sont donc les raisons de cet échec? Alors que la commune rend responsable la technique compliquée, le porte-parole d’Arvato, Gernot Wolf, évoque des difficultés issues de la «nouvelle évaluation entreprise en 2009» par la municipalité. Autrement dit, celle-ci avait perdu son intérêt pour le projet. Pia Beckmann l’avait placé au centre de sa campagne électorale et en avait vanté le succès. De ce fait, son adversaire avait manifesté une position de rejet. Ainsi, lors du changement à la mairie, aussi bien la candidate que le projet ont échoué. D’autant plus qu’Arvato devait assumer le risque financier, tandis que la ville pouvait décider de la suppression éventuelle d’un certain nombre d’emplois.
Un collaborateur d’Arvato qui souhaite garder l’anonymat estime que «c’était un petit projet informatique et qu’il est regrettable que la politique ait voulu en exagérer l’importance et l’ait utilisé à des fins électorales.» Pia Beckmann en fit un projet modèle pour tout le pays afin de l’utiliser pour sa réélection. Comme toutefois elle perdit les élections, le projet s’en ressentit. Aussi, chez Bertelsmann, s’estime-t-on victime de la politique. «Chez Arvato, on commence par faire le travail et on ne s’en vante qu’après. Dans le cas présent ce fut le contraire, d’où nos ennuis.»
Cet échec ne signifie cependant pas que Bertelsmann veuille se retirer et abandonner le domaine des «services gouvernementaux» [«Government Services»] en Allemagne. Selon Wolf, «Arvato estime toujours qu’il y a un marché potentiel dans les services publics, car à moyen terme ces derniers devront de plus en plus transférer certaines tâches à des prestataires de services privés.» En réalité, Pia Beckmann n’est pas la seule à avoir présenté le projet à la manière des publici­taires. La direction de Bertelsmann aussi parlait volontiers de «Würzburg integriert» lorsqu’il était question de croissance.
Ainsi Rolf Buch, président du conseil d’administration d’Arvato, voyait un grand potentiel de croissance dans le domaine des services pour les administrations : En Allemagne, les communes emploient dans leurs administrations environ 1,5 million de per­sonnes, ce qui donne, en estimant à 70 000 euros en moyenne les frais annuels par employé, une somme de 105 milliards d’euros. Selon Rolf Buch, Arvato a calculé qu’on pouvait en externaliser 20%, ce qui correspond à un marché potentiel de 20 milliards d’euros. Cela correspond environ au chiffre d’af­faires annuel total de l’entreprise Bertels­mann. A moyen terme, les marchés avec les com­munes devraient générer un chiffre d’affaires annuel d’un milliard d’euros.
Ce système de services gouvernementaux s’étend au plan international. Arvato dirige trois districts en Angleterre, ayant repris, selon ses dires, dans le seul district de East Riding, 516 des quelques 9000 collaborateurs administratifs. Ces collaborateurs prélèvent même les impôts. A Wurzbourg toutefois, Arvato n’apparaissait qu’en tant que prestataire de services et ne s’occupait ni de collaborateurs communaux ni de tâches importantes. En Andalousie, Arvato dirige un centre d’appels d’urgence et à Barcelone un bureau d’accueil. Selon Arvato, les projets ont du succès en Angleterre et en ­Espagne. En Angleterre, on accepte volontiers les externalisations de services publics. Mais en Allemagne c’est une autre affaire. Buch disait en 2008 déjà qu’on y acceptait beaucoup plus difficilement l’externalisation de collaborateurs administratifs.
Le projet de Wurzbourg devait ouvrir à Bertelsmann les portes de l’Allemagne. Selon le contrat, la ville de Wurzbourg était dans l’obligation d’apporter son aide et de coopérer dans la recherche d’autres clients. Selon Arvato, une trentaine de communes auraient manifesté leur intérêt en 2008, dont la ville de Gütersloh. Mais même dans cette ville, où se trouve le siège de Bertelsmann S.A., la commune a refusé l’offre d’Arvato. Jusqu’à présent Arvato dirige en Allemagne un bureau public en Rhénanie-du-Nord-Westphalie et procède à des recouvrements de dettes en Bade-Wurtemberg. On ne sait pas combien de communes sont encore en faveur des privatisations après l’échec de Wurzbourg. La direction d’Arvato veut s’entretenir avec les autres candidats, affirmant que l’échec n’est pas dû à Arvato, ni au système. Au lieu de pouvoir présenter un succès aux communes, on se trouve dans l’obligation d’expliquer pourquoi l’échec de «Würzburg integriert» ne sonne pas le glas de la concentration et de l’externalisation des services publics.    •
(Traduction Horizons et débats)