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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2014  >  N° 5, 3 mars 2014  >  Le détournement d’un avion révèle une grave faille sécuritaire [Imprimer]

Le détournement d’un avion révèle une grave faille sécuritaire

Il faut donc une réaction immédiate de la part du domaine politique

par Thomas Kaiser

On a de la peine à y croire, mais c’est réel: en cas d’une violation de l’espace aérien au-dessus du territoire national suisse, nos Forces aériennes ne sont pas en état de défendre l’espace aérien suisse entre 17 heures et 8 heures du matin et pendant les week-ends (cf. encadré). C’est pourquoi aucun F/A-18 n’a décollé le 17 février tôt le matin pour remplir sa mission de police aérienne, consistant à escorter un avion civil détourné vers l’aéroport de Genève. La cause pour ce fiasco dans le domaine de la sécurité politique n’est pas à chercher au sein de l’armée, ou plus précisément des Forces aériennes, car c’est le résultat des réductions continuelles du budget militaire depuis de longues années, ayant pour conséquence la réduction systématique de la force de frappe militaire. Lors de la séance de la «Commission de la politique de sécurité» du Conseil national, le conseiller fédéral Ueli Maurer a déclaré au lendemain de cet incident, que c’était tout simplement suite au manque d’argent que l’armée était incapable de maintenir un fonctionnement de 24 heures sur 24. Pour garantir un tel engagement des Forces armées, il faudrait 100 postes supplémentaires. Selon Ueli Maurer, il faudrait «des pilotes, du personnel au sol, des techniciens, des mécaniciens et des spécialistes pour la surveillance des activités aériennes». Cela correspondrait à une charge financière supplémentaire de 30 millions de francs par année. De l’argent que «l’armée n’a tout simplement pas», dixit Ueli Maurer.
Pour la protection de l’espace aérien,

les 22 Gripen sont indispensables

A la question concernant les responsabilités pour ce désastre, le conseiller national Jakob Büchler répond: «C’est le Parlement qui en est responsable, il a réduit les moyens octroyés à l’armée. Si l’on augmentait le
budget à 5 milliards, nous pourrions de nouveau garantir ce service sans problème. Mettre en cause les forces aériennes, c’est un peu simple. Nous ne pouvons pas voler, parce que les conditions préalables ne sont pas remplies.» Et il y a encore autre chose. Ce ne sont que les F/A-18 qui pourraient assumer ce service, car les Tiger, qui ont plus de 30 ans, ne sont pas capables
de décoller la nuit et par mauvais temps. Suite au remplacement partiel de la flotte du Tiger par 22 avions de combats Gripen, on aurait au moins de nouveau rempli les conditions préalables techniques pour protéger notre espace aérien également pendant la nuit.

Il est nécessaire de former davantage de pilotes

Le «Département de la défense, de la protection de la population et des sports» (DDPS) a immédiatement réagi et a proposé de créer les cent postes nécessaires pour réinstaller ce service important. Mais pour y arriver, il faudra attendre 2018 ou même 2020. Car outre le personnel au sol, il faut avant tout des pilotes très bien formés et expérimentés, qui sont à la hauteur de ce service exigeant. Actuellement, la Suisse ne dispose pas de ces spécialistes en nombre suffisant. Ils devront travailler dans un régime à trois équipes sur les aéroports et cela demande une grande réserve. Il faut également une surveillance des activités aériennes accrue qui puisse coordonner les avions de combat dans l’espace aérien suisse, et il faut avant tout suffisamment d’avions remplissant les conditions techniques pour pouvoir assumer les missions de police aérienne nécessaires.

Le mandat constitutionnel n’est plus rempli

Le démontage de notre faculté de défense a débuté au plus tard lors de la mise en œuvre d’Armée XXI. Avant la votation de 2003, Samuel Schmid, le conseiller fédéral d’alors et responsable du DDPS, a déclaré d’un ton profondément convaincu qu’une nouvelle crise s’annoncerait 5 à 10 ans à l’avance et que l’on aurait assez de temps pour renforcer l’armée. Il parlait d’une phase dite «de montée en puissance» que l’armée aurait à accomplir le cas échéant. C’est avec de telles histoires à dormir debout que les citoyens suisses ont été dupés. Aujourd’hui nous sommes confrontés au résultat – et ce n’est pas du tout rassurant. Sous ces conditions, le mandat constitutionnel, de garantir à la population une protection intégrale, ne peut donc pas être réalisé.

Les Forces aériennes avaient déjà été négligées avant la Première Guerre mondiale

Depuis deux décennies, la politique met en danger la sécurité de notre pays et sacrifie la liberté et la sécurité des citoyens pour l’illusion d’une paix perpétuelle. Cette année, les forces aériennes suisses fêtent le centenaire de leur existence. Celui qui se souvient des débuts des Forces aériennes suisses, reconnaît certainement les similitudes entre la politique d’alors et celle d’aujourd’hui. Bien que les années précédant la Première Guerre mondiale étaient caractérisées par une course à l’armement des grandes puissances, la plupart des gens croyaient qu’il n’y aurait pas de guerre. On jouissait de la vie, on allait en villégiature et l’on fut totalement surpris par le déclenchement de la guerre. La Suisse avait également délaissé la modernisation de son armée et ne possédait, à l’encontre de tous les pays voisins, pas de Forces aériennes opérationnelles. Après le début de la Première Guerre mondiale, Oskar Bider, pionnier suisse de l’aviation et premier pilote à survoler les Alpes, participa activement au développement des forces aériennes suisses. (cf. Horizons et débats no 15 du 29/4/13) A l’époque, les responsables politiques ne voulaient pas non plus dépenser d’argent pour des avions – ainsi les premiers avions militaires appartenaient aux pilotes respectifs. Ils amenaient leurs avions pour servir dans l’armée et garantissaient ainsi une défense aérienne minimale. Ce n’est qu’au cours de la guerre que l’on développa les Forces aériennes. Les arguments contre une armée de l’air étaient jadis presque les mêmes qu’aujourd’hui.

Plus de la moitié des avions de combats ne peuvent pas voler la nuit

A la fin de la guerre froide, les forces aériennes suisses possédaient 300 avions. Aujourd’hui, ce sont environ 80, dont plus de 50 ne sont pas opérationnels par mauvais temps et de nuit. L’incident récent de Genève a démontré à quelle vitesse une situation menaçante, ne pouvant être maîtrisée par une armée mal préparée, peut survenir. Combien de fois n’a-t-on pas discuté de l’énorme catastrophe que représenterait une attaque contre une centrale nucléaire. C’est absolument irresponsable! – ou voulons-nous peut-être expliquer aux fanatiques qui planifieraient un tel acte, de ne pas le faire la nuit, car ce serait déloyal envers la Suisse, puisqu’elle ne peut pas se défendre? Et de les prier de patienter encore quelques cinq années? Vivons-nous réellement en Absurdistan?

La population suisse veut une bonne défense du pays

Quelle que soit la façon de considérer ce problème, la Suisse a sacrifié pendant deux décennies sa capacité d’action suite à sa crédulité et à un certain agenda politique du GSsA (Groupe Suisse sans armée), qui a pour conséquence qu’un fait banal comme un détournement d’avion devienne une catastrophe nationale. Pendant des années, nous avons réduit notre faculté de défense et devons soudainement constater, que nous ne sommes capables de protéger notre espace aérien qu’avec l’aide de puissances étrangères. En tant que citoyen, on se demande pourquoi nos forces aériennes n’ont pas davantage de sens de l’honneur et pourquoi on laisse la population dans l’incertitude en ce qui concerne la sécurité du pays.
Voulons-nous vraiment continuer à nous bercer d’illusions, pour nous retrouver finalement face à un fiasco, étant le résultat d’une arrogance politique, d’une incapacité militaire et d’un internationalisme insensé?
Non, la population suisse ne le veut en aucun cas. Le «oui» convaincu (73%) qu’elle a exprimé en septembre 2013 pour le maintien de l’armée de milice est un engagement clair en faveur de la capacité de défense
de la Suisse. Le Conseil fédéral est tenu de prendre en compte ce résultat et de réarmer et rééquiper notre armée en conséquence.     •

thk. Dans la nuit du dimanche 16 février au lundi, un avion civil éthiopien en direction de Rome a été détourné et dévié sur Genève. L’avion y a atterri lundi, tôt le matin. Le copilote qui était le ravisseur de l’avion s’est livré aux autorités sur place. Ainsi, ce détournement s’est terminé sans effusion de sang. Dès que les autorités italiennes ont réalisé que le vol de l’«Ethiopian Airlines» avait été détourné et que la machine n’atterrirait pas comme prévu à Rome, l’Armée de l’air italienne a envoyé deux «Eurofighter» dans le ciel nocturne pour accompagner cet avion. Aussitôt que la machine éthiopienne avait atteint la frontière française, des avions de chasse français ont repris cette mission de police aérienne et ont escorté l’avion détourné. Lundi matin, vers six heures, la machine s’est posée sur le tarmac de l’aéroport de Genève, accompagnée des avions de combats français jusqu’à l’atterrissage. Cette situation possède, en plus de son caractère exceptionnel, également un caractère explosif du point de vue politique car de graves lacunes dans le concept de défense de l’espace aérien suisse sont apparues. Pourquoi l’avion détourné était-il accompagné par des avions français dans l’espace aérien suisse? Pourquoi nos forces aériennes n’ont pas été engagées? Quelles sont les raisons de cette procédure?
Selon le conseiller national Jakob Büchler, parlementaire spécialisé des questions sécuritaires, le fait que les machines françaises soient intervenues «est lié aux traités internationaux que la Suisse a conclus avec ses pays voisins, que sont l’Italie, l’Allemagne et la France». En vertu de ces accords, les Forces aériennes suisses peuvent également poursuivre un avion détourné dans l’espace aérien étranger jusqu’au moment où le pays concerné assume lui-même cette tâche. Mais, tout recours aux armes est formellement interdit.
Cette situation démontre un aspect sécuritaire au sein de notre pays que nos responsables politiques semblent ignorer, bien que connu depuis longtemps. Est-ce vrai, comme de nombreux critiques de l’actuelle armée suisse déplorent, que nos troupes en général et nos Forces aériennes en particulier ne sont pas en mesure d’assurer ni la protection nécessaire de notre pays, ni celle des personnes qui y vivent?