Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°45, 30 novembre 2009  >  Une alliance contre la mauvaise habitude de détourner les yeux face à la violence [Imprimer]

Une alliance contre la mauvaise habitude de détourner les yeux face à la violence

La campagne «violence – ouvrir les yeux – aider» du Conseil de prévention de la ville de Francfort

par Eva-Maria Föllmer-Müller

Les actes de violence brutale, commis en plein jour, dans les grandes villes aussi bien que dans les régions campagnardes, et ceci à fréquence accrue (cf. Horizons et débats, no 44 du 9/11/09) devraient nous alerter. Tout comme l’exemple d’un élève, âgé de neuf ans, qui, ayant brutalisé un copain, répondit aux remontrances de la maîtresse sans aucun respect: «Eh bien, j’attends donc la sortie de cours, vous n’aurez plus rien à me dire alors!» Les experts y consentent: l’espace public n’est pas un espace hors-la-loi. Il doit être protégé de nouveau et devenir un espace du droit. Il est intolérable qu’un citoyen, peu importe son âge, ne sorte de chez lui, traverse la rue ou prenne le métro qu’avec des sentiments d’angoisse. Mais comment priver le climat de violence omniprésente de son oxygène, comment rendre plus sûr notre entourage?
Une visiteuse du Comptoir du Livre de Francfort raconte être arrivée en train et, dès son arrivée, avoir été frappée d’un sentiment d’étonnement. Elle connaissait la ville de Francfort depuis longtemps, Francfort ayant toujours passé pour une des villes les plus criminelles d’Allemagne. Tout le monde y avait évité certains quartiers, particulièrement celui de la gare. Mais aujourd’hui, du coup, elle se sentait hôte de la ville, sûre et à son aise. Comment expliquer ce changement?

Il y a 13 ans, le 22 juillet 1996, à l’initiative de Petra Roth, maire de la ville de Francfort, du président de la police municipale d’alors et avec la participation du directeur du ministère public et des chefs de service responsables de la Sécurité, de la Formation et des Affaires sociales, fut fondé le Conseil de prévention de la ville de Francfort s. M. Son but général consiste à combattre à temps et de manière efficace les causes de la criminalité. Depuis lors il s’engage à analyser les champs de problèmes dans le domaine de la criminalité pour ensuite mettre en place, par ensemble avec toutes les forces sociales de la ville, des stratégies aptes à prévenir des actes délictueux. Au sein du Conseil de prévention, la ville de Francfort, le ministère public et la police municipale travaillent ensemble en coordonnant leurs tâches.
Ainsi, l’on a constaté après peu de temps déjà, que la mauvaise habitude de détourner les yeux face à une situation d’urgence et de conflits constitue un des facteurs majeurs favorisant la violence. Il s’agissait donc d’y remédier. Il s’est montré clairement qu’il s’agissait de promouvoir la compétence d’aide, ce qui veut dire la capacité de l’individu à fournir, dans les cas d’urgence, une aide efficace. Ce n’est que par là que le courage civique des citoyennes et citoyens, si nécessaire, augmentera. Ce n’est que par là qu’on pourra aboutir à un climat collectif qui encourage à être attentif aux actes de violence et à se solidariser avec les victimes, voilà sur quoi insiste le Conseil dans son Rapport annuel de 2004: «Il s’agit d’oser de nouveau regarder de près si l’on devient témoin des actes de violence, de faire preuve de courage civique, de porter secours aux victimes, et ceci sans s’exposer soi-même aux dangers.»
Le courage civique s’apprend. Or, entre-temps, de nombreux programmes furent créés où les citoyens apprennent par exemple, à travers des jeux de rôle, comment agir dans diverses situations de conflit. Voilà les bases opérationnelles, selon Frank Goldberg, membre du Conseil de prévention, susceptibles d’enlever à la criminalité son fondement: «transférer et développer les valeurs et normes ancrées dans notre civilisation ainsi que le sens de la communauté et celui de la responsabilité et du devoir.»
Convaincu qu’il fallait combattre la mauvaise habitude de détourner les yeux face à des actes de violence, le Conseil a développé la campagne «violence – ouvrir les yeux – aider» qui s’est bientôt soldée par un retentissement dans l’Allemagne tout entière. A travers cette campagne, les auteurs ont réussi un changement d’attitude puisque, entre-temps, les angoisses de devenir victime d’un acte de violence ont remarquablement baissé parmi la population allemande (cf. interview ci-dessous).
La campagne est accompagnée de diverses informations, de cours, actions publiques et projets, et a déjà trouvé de nombreux imitateurs dans d’autres villes européennes.
Dès le début de son activité, le Conseil de prévention a élaboré un réseau en vue d’une coordination efficace des responsables institutionnels et civils de la sécurité et de la prévention. Il comprend donc la prévention criminelle comme tâche qui incombe à la totalité de la société. La devise susceptible à garantir le succès est la suivante: Il faut intégrer dans les concepts le bon sens des citoyennes et citoyens sur place – les citoyens peuvent s’engager en faveur de «leur» quartier et leurs efforts sont soutenus par les institutions. C’est ainsi que se créent, à tous les niveaux, des alliances préventives durables.
Cette participation active des citoyennes et citoyens à la prévention criminelle ainsi que le travail centré sur les quartiers, à titre facultatif et bénévole, s’est ancrée au cours des années passées et a porté ses fruits. Voilà comment la ville de Francfort est devenue entre-temps, partout en Allemagne, un modèle en matière de prévention criminelle.

Le rôle d’une société civile active est décisif

A Francfort, on a constaté très tôt que la prévention criminelle capable de combattre les causes de la criminalité à temps et dans tous ses aspects doit être mise en place au sein des quartiers, sur place. C’est pourquoi à Francfort, le premier Conseil de prévention régional fut fondé en 1997 déjà, à Sossenheim. Dans les conseils régionaux, la police ainsi que les associations privées, les écoles, les églises, les comités d’initiative de quartier, les associations artisanales et les services sociaux collaborent de concert et sur pied d’égalité, car l’amélioration de la sécurité et, par conséquent, le maintien de la cohérence sociale ne se font que par la collaboration efficace de tous les acteurs sociaux, l’engagement de chacun qui y participe est la clé de tout succès.

Le réseau des villes européennes fonctionne comme système de dépistage précoce

C’est en 2001 que la ville de Dusseldorf, par ensemble avec la Fondation «Deutsches Forum für Kriminalprävention» et de concert avec le Conseil de prévention de la ville de Francfort, et avec d’autres villes partenaires, fondèrent un réseau dépassant les frontières d’Allemagne, «Städtenetzwerk für mehr Toleranz und Gewaltlosigkeit» (Réseau des Villes pour davantage de Tolérance et de Non-Violence). Ainsi se créa, par l’échange continuel sur les tendances criminelles et leurs centres d’action, une sorte de système de dépistage précoce dont le but est «d’endiguer la criminalité par des mesures préventives, de réduire les dégâts causés par la criminalité et de renforcer le sentiment de sécurité parmi la population» (cf. «Europäisches Städtenetzwerk für mehr Toleranz und Gewaltlosigkeit»,

www.gewalt-sehen-helfen.de)     •

A une station de bus Madame A. observe trois jeunes hommes bousculant une vieille femme. Subitement un des jeunes essaie d’arracher le sac à main de la vieille dame. Madame A. s’adresse à haute voix aux personnes présentes: «Aidez! La femme a besoin d’aide! Vous avec la veste jaune, avisez la police!» Tout de suite la situation change: Les passants réagissent à la demande de secours, se réunissent et chassent les malfaiteurs.

Extrait tiré de:
«engagieren – vernetzen – vorbeugen». Kriminalprävention
in Frankfurt am Main;
édité par le Conseil de prévention de la ville de Francfort-sur-le-Main

«La campagne se distingue clairement des concepts de sécurité connus jusqu’ici: Elle ne s’adresse pas en premier lieu aux victimes et aux malfaiteurs mais a tous les citoyens et citoyennes. Ce sont eux qui peuvent en tout temps être les témoins et observateurs d’une situation de violence. Chaque citoyen doit se rendre compte qu’une protection efficace contre la criminalité n’est possible qu’avec son propre engagement.»

Source: «engagieren – vernetzen –
vorbeugen». Kriminalprävention
in Frankfurt am Main; édité par
le Conseil de prévention de la ville de Francfort-sur-le-Main

Une prévention de la violence qui a du succès

Horizons et débats: Qu’est-ce qui a permis de couronner de succès le travail du Conseil de prévention de la violence à Francfort?

Frank Goldberg: D’abord, dans le Conseil de prévention, les plus importants représentants de la municipalité, la police et la justice, sont présents. De ce fait, des décisions importantes peuvent y être prises et réalisées rapidement. Ensuite, le Conseil collabore avec un cercle de travail professionnel et un réseau volontaire de conseillers de prévention dans les quartiers, parce que les problèmes de criminalité doivent être résolus d’abord dans les quartiers. Enfin, les problèmes structurels sont étudiés dans les cercles de travail professionnel et des stratégies générales sont développées dans le conseil de prévention. Le tout fonctionne rapidement et sans frictions.

D’après vous, qu’est-ce qu’on doit prendre prioritairement en considération, en matière de prévention de la criminalité dans les communes?

Il est important d’intégrer les compé­tences des citoyennes et des citoyens. Ils ont une bonne connaissance des causes de la criminalité locale et sont prêts à s’investir et à participer à la solution des problèmes. La prévention de criminalité a besoin de la participation de la société entière.

Que peuvent faire les citoyens afin de faire reculer la criminalité?

En premier lieu il est important de faire de la publicité pour une communauté de grande ville solidaire. Nous devons recréer une conscience urbaine, dans laquelle il est naturel d’aider et de prendre soin d’autrui.
Les citoyens peuvent prendre part dans nos conseils de prévention locaux et aider sur place à améliorer les conditions sociales qui sont à l’origine de la criminalité. Le citoyen doit ouvrir les yeux dans des situations chargées de violence et oser aider une victime sans se mettre en danger. Le courage civique déconcerte les malfaiteurs, aide les victimes et réduit la criminalité.

Quelles sont vos expériences les plus importantes dans votre travail dans le conseil de prévention?

Il est important de ne pas se perdre dans des projets isolés, mais d’implanter des projets dans toute la population. Un changement de comportement comme dans la prévention scolaire contre la violence n’est possible qu’avec persistance et ténacité. A Francfort la peur de la criminalité s’est réduite de 57% de la population en 1995 à 14% en 2008. Cela démontre que la prévention permanente a un succès sur la durée.

Quels pays européens ont repris votre concept et quelles sont vos expéri­ences?

Avec des collègues d’autres villes européennes nous échangeons en continu nos informations et nos expériences. Nous avons aussi souvent des visites de pays non européens. Récemment nous avons eu une visite d’Afrique du Sud, qui s’est renseignée sur notre prévention de la violence à l’occasion des championnats du monde de football. Notre campagne «violence – ouvrir les yeux – aider» éveille un intérêt particulier pour la promotion du courage civique et pour la discussion sur les moyens de propager ces idées dans la population.