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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°15, 20 avril 2009  >  Tradition des préjugés antiserbes [Imprimer]

Tradition des préjugés antiserbes

par Jörg Becker

«Les Serbes, que le reste de l’Europe avait peut-être considérés comme pauvres, le réjouissent par leur riche poésie.»
(Jacob Grimm, 1849)
«Sinon je pratique assidûment le serbe, les chansons rassemblées par Vuk Stef. Karadžik.»
(Friedrich Engels, 1863)

L’époque est révolue où une profonde amitié liait Johann Wolfgang von Goethe (1749–1832), Jacob Grimm (1785–1863) au grand philologue serbe qui a réformé la langue et rassemblé des chansons populaires, Vuk Stephanovic Karadžik (1787–1864). Depuis de nombreuses générations, les préjugés antiserbes prédominent en Allemagne et, à un moindre degré, en Autriche.
Au début du XXe siècle, et en particulier pendant la Première Guerre mondiale, les magazines allemands se mirent à publier des caricatures racistes sur les Serbes. Ceux-ci apparaissaient sous-développés, non civilisés, sales et violents. Les deux dessins reproduits ci-contre, tirés de l’hebdomadaire satirique Simplicissimus et datant de 1909 font partie d’un ensemble de 12 caricatures sur le sujet «Us et coutumes serbes». Sur la page précédente figurent 6 autres dessins intitulés «A propos du Monténégro». L’auteur de ces 18 dessins est Thomas Theodor Heine (1867–1948), un des fondateurs du Simplicissimus. Ce magazine réunissait les écrivains et artistes les plus importants de l’époque et était considéré comme le porte-parole le plus marquant des opposants au militarisme, à l’hypocrisie bourgeoise et à l’Etat prussien, wilhelminien. Mais il manifestait aussi le pire nationalisme allemand, comme le montrent ces caricatures antiserbes de Heine.
Et comme les Serbes sont ce qu’ils sont, leur perception contient souvent des demi-vérités. Lorsque Egon Erwin Kisch (1885–1948), qui devint plus tard – à juste titre –mondialement célèbre pour ses reportages sociaux, écrivit en 1930 un article sur ses expériences de soldat autrichien lors de la guerre contre la Serbie à l’été 1914, il évoqua de manière très réaliste de nombreux événements mais il «oublia» les nombreux massacres commis par l’armée austro-hongroise sur la population serbe dans les villages situés le long de la Drina bien qu’il soit prouvé qu’il avait séjourné dans ces villages.
En outre, un article bref mais très critique de Paul Zöllner, publié dans la Kurt Tucholskys Weltbühne du 4 septembre 1924, montre combien virulent était le dénigrement de la Serbie. On y lit ceci: «Après qu’en 1914 le public allemand eut été imprégné à satiété de mépris et de répugnance à l’égard des Serbes par des écrivaillons zélés de manière à ce que la guerre crapuleuse de l’Autriche puisse être considérée avec enthousiasme comme une affaire allemande, cette opinion imposée persista en Allemagne. Le Serbe était un salaud et ceux qui en doutaient étaient encore de plus grands salauds. […] Mais ceux qui vont aujourd’hui à Belgrade découvrent à leur grande stupéfaction ou satisfaction qu’ils pénètrent dans une ville prospère, propre et en plein essor. […] Ils songent aux dérapages ridicules de Sombart qui, manifestant une ignorance grotesque et un zèle servile, traitait les Serbes de marchands de pièges à rats; ils songent aux réactionnaires imbéciles de l’empire austro-hongrois qui se croient si supérieurs. […] Et si quelques dizaines de professeurs allemands apprenaient à connaître les peuples étrangers, par exemple les Serbes, avant de débiter à longueur de journée à nos enfants des idioties sur ces peuples?»
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis purent facilement renouer avec ces perceptions sélectives et ces préjugés. Quand le Troisième Reich commença sa guerre d’agression contre la Yougoslavie, en 1941, l’illustré de propagande Signal parla d’une «libération» de la Croatie par l’Allemagne et donna libre cours à sa haine de la Serbie. Pour Signal, les Serbes n’étaient que des «comploteurs», des «bandits», des «terro­ristes». Le «caractère populaire serbe» était fait d’«un mélange d’entêtement, […] de népotisme et de corruption». 82 ans après les caricatures antiserbes du Simplicissimus de 1909, Marion Dönhoff – considérée généralement comme une journaliste «libérale», comme la grande dame du journalisme allemand d’après 1945 – attribuait aux peuples de Yougoslavie une agressivité innée. En 1991, elle écrivait dans Die Zeit:
«Même les soviétiques, que l’on décrit souvent comme primitifs, serviles et dépourvu du sens des règles démocratiques, semblent réussir à s’adapter à de nouvelles structures fédérales qui laissent suffisamment de place à l’autonomie. Pourquoi les peuples de Yougoslavie, prétendument si occidentaux, n’y arriveraient-ils pas? Mais s’ils veulent absolument manifester leur haine serbo-croate, on devrait les laisser faire.»
C’est donc simple: les Yougoslaves sont agressifs par nature et ce serait bien qu’ils s’entretuent.
Wolfgang Petritsch ne s’exprime pas autrement. On aurait pu s’attendre à des propos polis et diplomates de la part d’un politique important du SPÖ, diplomate, ambassadeur d’Autriche à Belgrade de 1997 à 1999, chef de la délégation de l’UE aux négociations de Rambouillet en février 1999 et lauréat du Prix européen des droits de l’homme (!) en 2007. Pourtant, dans une interview accordée au Spiegel le 8 février 1999, il laissa tomber le masque diplomatique et parla ainsi du caractère contraignant de la Conférence de Rambouillet qui venait de commencer:
«Nous n’allons plus jouer longtemps au poker. Nous faisons passer à la hussarde 80 % de nos idées. Deux choses sont absolument interdites aux parties au conflit: les contacts avec la presse et un départ prématuré. Ils sont tous emprisonnés dans un conclave. A la fin, le torchon va brûler et le résultat final sera sans doute un diktat. Les Serbes vont grogner, mais une chose est sûre: avant la fin avril, le conflit du Kosovo sera formellement résolu ou alors l’OTAN recourra aux bombardements.»
C’est donc simple: Laissons les Serbes grogner. C’est nous et personne d’autre qui décidons de bombarder.
Les médias sont à la fois un miroir et un acteur de la société. Il convient donc de rappeler ici l’assassinat de milliers de civils serbes en Croatie pendant la dernière guerre entre 1941 et 1945. Les diverses évaluations du nombre de Serbes tués par l’Oustacha – qui opérait sous la protection allemande – varient considérablement. Richard Albrecht, spécialiste des génocides, l’estime à 600 000 et, pour l’historien serbe et biographe de Tito Vladimir Dedijer, 800 000 Serbes orthodoxes ont été tués. Les nombres de Serbes tués dans le camp de concentration croate de Jasenovac varient aussi fortement: ils oscillent entre 30 000 et 52 000. Les deux impitoyables bombardements inopinés de Belgrade des 6 et 7 avril 1941, contraires à bien des égards au droit international, ont fait entre 1500 et 30 000 victimes civiles et, après la capitulation serbe du 17 avril 1941, 350 000 soldats serbes ont été internés dans des camps de prisonniers de guerre.
Il faut connaître un tant soit peu ce lien plus que funeste entre les caricatures antiserbes et les souffrances réelles des Serbes pendant la Seconde Guerre mondiale pour comprendre pourquoi les agences de communication américaines ont pu, beaucoup plus tard, au cours des guerres dans les Balkans entre 1991 et 2002, manipuler avec autant de succès la presse mondiale. Et en tant que chercheur allemand, on se doit de rapporter des faits historiques afin de permettre une argumentation objective et dépourvue de toute arrogance.
Le massacre de milliers de Bosniaques à Srebrenica à l’été 1995 ne saurait être oublié ou minimisé et surtout pas dans la perspective subjective des victimes. On ne peut pas éluder la souffrance de la mère dont le fils a été assassiné. En même temps, on ne doit pas considérer le massacre de Srebrenica – comme nous le faisons ici – uniquement dans le cadre d’un calvaire serbe. On ne doit pas non plus oublier que de nombreux aspects de ce massacre font encore l’objet de vives controverses ni prendre cette tuerie pour une instrumentalisation politique (quel qu’en soient les responsables).
«La Serbie doit mourir.» Cette citation de Karl Kraus (1874 – 1936) est tirée de sa tragédie en 5 actes intitulée «Les derniers jours de l’humanité» (1915 – 1922), pièce où l’auteur traite de l’inhumanité et de l’absurdité de la Première Guerre mondiale. On y trouve le dialogue suivant: «Un Viennois: «La cause […] est juste, il n’y a pas à tortiller. C’est pourquoi je dis: La Serbie doit mourir! Voix dans la foule: Bravo! C’est vrai, la Serbie doit mourir, qu’on le veuille ou non. […] L’intellectuel: Qui aurait pu prévoir que les temps changeraient ainsi et nous avec?»
Qui aurait pu prévoir que les temps changeraient au point que l’Allemagne participerait de nouveau, à partir du 24 mars 1999, à une guerre illégale contre la Yougoslavie, plus précisément contre la Serbie, une guerre déguisée cette fois sommairement en «intervention humanitaire»?    •

(Traduction Horizons et débats)

Comment les mensonges d’agences de relations publiques ont entraîné l’Occident dans la guerre contre la Serbie

Les agences de relations publiques qui ont oeuvré dans les guerres des Balkans sont pour la plupart des spécialistes en communication puissants et (du moins aux Etats-Unis) renommés et dignes de confiance. Elles passent pour être des sources crédibles surtout quand on considère le profil de leurs employés. Ils remplissent tous les conditions nécessaires pour être des independent messengers comme l’exige la public diplomacy (Peterson, 2002).
C’est ainsi que lors des guerres des Balkans, les gouvernements bellicistes ont été en mesure de transformer leur propagande en messages crédibles à travers les filtres des agences de relations publiques et de leurs nombreux canaux de communication. Il en est résulté une homogénéisation de l’opinion publique aux Etats-Unis (et dans les pays occidentaux en général): le gouvernement américain, Amnesty International, Human Rights Watch, Freedom House, l’United States Institute of Peace, la Soros Foundation, des intellectuels libéraux et de nombreux conservateurs, l’ONU, des journalistes, mais aussi les gouvernements de Zagreb et de Sarajevo, les dirigeants des Albanais du Kosovo, l’UÇK ont tous eu, à quelques nuances près, la même interprétation de ces guerres.
Résumons de manière quelque peu schématique: Les Serbes ont succombé au fanatisme nationaliste et ont voulu établir une Grande Serbie. Slobodan Milosevic, communiste incorrigible, s’est imposé à eux comme chef et a attaqué avec l’armée populaire yougoslave les républiques non-serbes. Il a laissé l’armée populaire yougoslave commettre des viols collectifs, des épurations ethniques et des génocides. Les autres ex-Yougoslaves – Slovènes, Croates, Macédoniens – étaient des peuples pacifiques et démocratiques (les Monténégrins avaient une image ambivalente: du moment qu’ils étaient solidaires de Belgrade, ils passaient eux aussi pour agressifs, mais quand ils ont rompu avec Belgrade, ils se sont transformés en un peuple pacifique).
Telle est l’image répandue par les agences de relations publiques. Elle est identique à la propagande des belligérants ex-yougoslaves non-serbes.

Source: Jörg Becker / Mira Beham, Operation Balkan: Werbung für Krieg und Tod, ISBN 3-8329-1900-7, p. 35.
(Traduction Horizons et débats)