Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°12, 4 avril 2011  >  Le Président de la République d’Islande lutte pour la dignité et la justice [Imprimer]

Le Président de la République d’Islande lutte pour la dignité et la justice

A propos du référendum islandais du 9 avril

par Werner Wüthrich

«Le fait que le peuple soit le juge suprême de la validité des lois est au cœur de la Constitution islandaise.» (Ólafur Ragnar Grimsson, président de la République d’Islande)

Il y a une année déjà, le gouvernement islandais avait conclu avec la Grande-Bretagne et les Pays-Bas un accord concernant le remboursement avec l’argent des contribuables des dettes des banques privées suite à la crise financière. A l’époque déjà, le Président de la République Ólafur Ragnar Grimsson y avait mis son veto et imposé la tenue d’un référendum. En mars 2010, le peuple islandais s’était nettement opposé au projet par 93% de «non».
Dernièrement, le Président a de nouveau refusé de signer la loi controversée, qui a entre-temps été quelque peu amendée, si bien qu’un nouveau référendum va avoir lieu le 9 avril.

L’Islande est une île de l’Atlantique comptant 340 000 âmes. Elle possède de grandes pêcheries. Ses habitants pratiquent un peu l’agriculture et ont d’importants élevages d’ovins. Ils accueillent en outre de plus en plus de touristes qui apprécient les beaux paysages de l’île et ses sources d’eau chaude. Cela leur permet de vivre assez confortablement.
Voici quelques points d’histoire: Les Vikings venus de Norvège peuplèrent l’île il y a 1100 ans. L’Islande a longtemps appartenu au Danemark. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle fut occupée par les Américains qui y installèrent une base. En 1944, elle proclama son indépendance. Dans un passé récent, il y eut souvent des conflits de pêche («guerre de la morue») avec l’Allemagne, la Norvège et la Grande-Bretagne qui auraient voulu limiter les droits de pêche. L’Islande est membre de l’AELE mais pas de l’UE. Depuis 2000, elle a frappé par ses taux de croissance élevés, mais la raison n’en était pas le produit de la pêche: il se trouve que les trois grandes banques de l’île ont joué un jeu très risqué et transformé le pays, dans le contexte global, en une place financière. Elles ont attiré des capitaux de l’épargne étrangers avec des taux d’intérêt excessifs et ont effectué avec cet argent des investissements très risqués dans le monde entier, avec succès dans un premier temps. Les banquiers se posèrent en hommes «modernes» et «ouverts» et rompirent avec les traditions de leur banque et de leur profession.

Grandeur et décadence

Ces trois grands établissements firent ce que de nombreuses banques américaines et européennes faisaient également, mais contrairement à ces dernières, les banques islandaises ne purent pas s’appuyer sur un gouvernement fort et sur une puissante banque centrale qui les sauverait en cas de crise en leur injectant des milliards. Et ce qui devait arriver arriva. Ces trois établissements s’effondrèrent à la suite de la crise financière. Ce sont des fonds spéculatifs étrangers qui ont déclenché la catastrophe en attaquant massivement et à plusieurs reprises la monnaie islandaise. (cf. l’ouvrage d’Ásgeir Jónsson, chef économiste de la Kaupthing Bank, intitulé «Why Iceland?»)
Les directeurs de banque, qui sont les principaux responsables de la débâcle et qui ont empoché de juteux bonus dans les années fastes, ont dû abandonner leur poste. Certains ont quitté le pays. Une commission d’enquête parlementaire a rédigé un rapport de 2000 pages qui cite un petit groupe de quelque 30 banquiers et membres du gouvernement comme étant les principaux responsables de la catastrophe. Le peuple n’a pas réélu le gouvernement, lequel a été remplacé par une coalition composée de socialistes et de Verts.
La Suède, la Norvège et la Pologne ont promis leur aide. Le FMI a également promis un crédit de 2,1 milliards de dollars. En tout, le pays s’est vu promettre quelque 7 milliards d’euros et a dû s’engager à rembourser ses dettes sur une très longue durée. Le Premier ministre britannique Gordon Brown n’a pas arrangé les choses en prétendant que le pays était lié à des organisations terroristes, prétexte à «geler» les avoirs étrangers des banques islandaises. Cet «acte de piraterie» (selon les termes des Islandais) a suscité une vive indignation. Depuis circulent sur Internet des images représentant des enfants, des femmes, des pêcheurs, des paysans et des personnes âgées qui veulent montrer que les Islandais ne sont pas des terroristes.

Nouveau cap politique et «restructuration» des banques

L’Islande est membre de l’AELE depuis des décennies et a toujours fait preuve d’indépendance en matière d’intégration européenne. L’actuel gouvernement socialo-Verts a opéré un changement de cap radical. Il s’est fixé pour objectif d’adhérer à l’UE d’ici deux ans et d’adopter l’euro aussi rapidement que possible.
Les trois banques islandaises qui se sont effondrées pendant la crise ont été restructurées, comme on dit dans le jargon spécialisé. En réalité, on n’a pas assisté à un effondrement proprement dit. Les guichets sont restés ouverts et les distributeurs automatiques de billets ont continué de fonctionner. L’ancienne Banque Haupthing, qui avait une filiale à Genève, s’appelle aujourd’hui Arion et appartient à ses créanciers surtout étrangers, essentiellement des banques. L’ancienne Glitinir s’appelle aujourd’hui Islandsbanki et est également en la possession de créanciers, étrangers avant tout.
En revanche, la Landsbanki et sa filiale en ligne Icesave ont été nationalisées. Aussi l’Etat, c’est-à-dire les contribuables, répond-il de leurs dettes. C’est là qu’est le problème aujourd’hui. Au cours de ces dernières années, Icesave avait attiré quelque 340 000 épargnants étrangers – avant tout des Britanniques et des Néerlandais – avec des taux d’intérêts à deux chiffres (placements «high yield»). Les banquiers investirent imprudemment une bonne partie de cet argent dans des placements douteux de la finance globale et essuyèrent, comme d’autres banques, des pertes importantes. Aujourd’hui, ces dettes représentent environ 40% du produit national. Il s’agit maintenant de s’acquitter de cette montagne de dettes. Les épargnants hollandais et britanniques n’étaient pas disposés à attendre des années. Leurs gouvernements leur ont garanti leurs «économies» selon le droit de leur pays. Ils ont accordé au gouvernement islandais un crédit de quelque 4 milliards d’euros pour satisfaire aux demandes des épargnants ou spéculateurs britanniques ou néerlandais. Mais maintenant les deux gouvernements exigent que l’Islande paie des intérêts et remboursent ces crédits par tranches. Cela représenterait pour chaque Islandais – sans les intérêts – l’équivalent de 15 000 francs suisses.
Le 30 décembre 2009, le Parlement islandais a adopté une loi qui règle les modalités de remboursement. Les intérêts devaient être de 5,5% et le remboursement devait s’étendre jusqu’en 2024. Le montant des tranches dépendrait de l’évolution économique du pays. Cependant cette loi n’est jamais entrée en vigueur.

Opposition de la société civile

L’association In Defence a organisé des manifestations de natures très diverses. En janvier 2010, elle a allumé autour du domicile du Président des feux de Bengale visibles de loin qui marquaient leur opposition à la politique du Parlement: La population doit-elle être rendue collectivement responsable des dettes privées des banques alors qu’elle n’y est pour rien?
L’opposition était également dirigée contre la personne du Premier ministre britannique Gordon Brown qui avait placé l’Islande sur la liste des pays terroristes afin de pouvoir saisir les avoirs des filiales britanniques de la Landsbanki, maintenant nationalisée.
Le mouvement In Defence a récolté en quelques jours 62 000 signatures pour une pétition demandant au Président de la République de ne pas signer la loi sur Icesave. Magnus Arni Skulason, cofondateur et porte-parole de l’association In Defence, a déclaré ceci: «Avec les seuls intérêts que nous devrions payer selon la loi sur Icesave, nous pourrions financer le système de santé pendant 6 mois.» Le président de la République Ólafur Ragnar Grimsson a accédé à la demande de la population et a appelé à un référendum. «Le fait que le peuple soit le juge suprême de la validité des lois est au cœur de la Constitution islandaise. Aussi ai-je décidé, conformément à la Constitution, de confier au peuple la décision concernant cette loi contestée.»

Questions en suspens

Dans le cadre du référendum, la population a débattu de questions fondamentales concernant la crise financière. Ce débat a été public et non, comme dans d’autres pays, réservé à quelques milieux élitaires. Est-il moralement justifié d’exiger des contribuables qu’ils remboursent les dettes de banques privées envers des spéculateurs étrangers? Dans ces circonstances, les promesses et les garanties faites par l’Etat ne sont-elles pas immorales et anticonstitutionnelles?
340 000 Britanniques et Hollandais avaient ouvert un compte de manière impersonnelle en Islande par le biais d’Internet et obtenu un taux d’intérêt allant bien au-delà de 10%. Pourquoi n’endossent-ils pas la responsabilité de leur acte? Ceux qui spéculent ainsi doivent s’attendre à perdre éventuellement leur argent. Est-il moralement et légalement justifié de reporter ce risque sur l’Etat et donc sur les contribuables? N’est-ce pas une invitation à continuer de spéculer selon la devise: «Si ça ne marche pas, il y aura toujours quelqu’un pour me rendre mon argent.»
La cheffe du gouvernement islandais Jóhanna Sigurdardottir et des milieux financiers ont essayé de détourner le peuple de voter «non»: Ils ont prétendu que les progrès économiques de l’année précédente étaient en péril et que le refus de la loi était «un jeu dangereux». La population ne s’est pas laissé intimider. 93% des citoyens ont refusé la loi sur Icesave en mars 2010 dans une quasi-unanimité impressionnante.

Situation actuelle

Depuis, le gouvernement a négocié avec Londres et La Haye un nouvel accord prévoyant des conditions un peu plus favorables: Les remboursements s’échelonneraient entre 2016 et 2046. Les taux d’intérêt serait inférieurs. Les Pays-Bas obtiendraient 1,3 milliard à un taux annuel de 3% et la Grande-Bretagne 2,6 milliards à 3,3%. Le gouvernement islandais, qui voudrait adhérer à l’UE et rester un membre bien vu de la communauté financière globale, plaide avec force en faveur du nouveau «deal» qu’il considère comme plus favorable que le premier. Il estime qu’un «non» annulerait la reprise économique, affaiblirait le gouvernement et empoisonnerait les relations diplomatiques. En outre, les dettes devraient être remboursées dans la mesure du possible avec l’argent de la banque nationalisée Islandsbanki. Le Parlement a déjà donné son feu vert. Des sondages indiquent que le «oui» a cette fois plus de chances.
Ce nouveau «deal» est certes financièrement un peu plus favorable que le précédent, mais il n’élimine pas les objections fondamentales d’ordre moral, au contraire. Les politiques islandais ne reportent-ils pas tout simplement le remboursement sur la prochaine génération, qui est encore moins responsable de la débâcle financière que l’actuelle? Comment peut-on imposer des remboursements douteux à des individus qui sont encore mineurs aujourd’hui ou ne sont pas encore nés et qui ne peuvent pas se défendre? Est-ce que les responsables ne sont pas en réalité les investisseurs privés et les banques qui ont spéculé sur des rendements anormalement élevés et ont perdu leur argent? Est-il justifié de leur venir en aide avec l’argent des contribuables? Cela fait-il partie des missions de l’Etat? Ces questions de principe ne se posent pas seulement en Islande mais également dans d’autres pays. Seulement, dans ces derniers, on ne peut pas se prononcer sur la question.
Le président de la République d’Islande Ólafur Ragnar Grimsson a donc mis son veto pour la seconde fois après que 61 000 des 340 000 habitants aient signé leur pétition contre le nouveau «deal». La consultation populaire aura lieu le 9 avril. Grimsson est devenu le héros des jeunes, l’avocat des enfants à naître qui lutte pour la dignité et la justice.    •

Autodestruction

Dans son ouvrage paru en 2010 et intitulé «Geldsozialismus», Roland Baader décrit les véritables causes de la dépression mondiale: «Ce que nous avons aujourd’hui est une crise d’endettement d’ampleur historique provoquée par un système de fausse monnaie, de monnaie fiduciaire, et par ses gestionnaires, les gouvernements et les banques centrales. Grâce à des montagnes de papier monnaie et de crédits créés à partir de rien, on a stimulé une orgie de consommation globale inflationniste qui s’effondre maintenant. Ce qui a été dépensé par anticipation a créé un vide. La prospérité ne peut revenir que grâce au travail et aux économies car la consommation excessive et les dettes la détruisent.
La décomposition des structures de la société libérale – éducation, famille, droit, médias et religion – trouve son achèvement accéléré dans l’appauvrissement monétaire.»

Roland Baader, Geldsozialismus, Schweizerzeit Bücherverlag, 8416 Flaach