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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  N° 25, 5 octobre 2015  >  «Arrêtons l’érosion de la démocratie» [Imprimer]

Journée internationale de la Démocratie

«Arrêtons l’érosion de la démocratie»

Injonction des experts des Nations Unies aux gouvernements du monde entier

par Alfred de Zayas* et Maina Kiai**

«La société civile doit reprendre sa place légitime en exigeant une véritable participation à la gouvernance, y compris aux décisions concernant les initiatives de paix, la protection de l’environnement et les accords de commerce et d’investissement. Une législation ou des traités ‹express›, actés sans consultation des participants et sans débat responsable sont inacceptables en démocratie.»

Alfred de Zayas, expert indépendant pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, et Maina Kiai, rapporteur spécial des droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, s’exprimant avant la Journée internationale de la Démocratie [15 septembre], déplorent l’érosion grandissante de la démocratie résultant dans certains pays de politiques répressives mais aussi de l’influence accrue d’intérêts particuliers aux dépens de la volonté publique.

Cette année, le thème directeur de la Journée internationale de la Démocratie est celui de l’«Espace dévolu à la société civile». Les Nations Unies ainsi que l’ensemble des titulaires de mandats au titre des procédures spéciales adhèrent à cet objectif réalisable et nécessaire.
De nos jours cependant, la démocratie est devenue un terme galvaudé, invoqué même par les tyrans. Un pays n’accède pas à la démocratie par le seul fait qu’il organise des élections.
Ce qui importe le plus est ce qui arrive entre ces élections: les gens peuvent-ils s’exprimer, dialoguer, exercer une influence sur les dirigeants qu’ils ont élus? Y a-t-il une corrélation entre leurs besoins, leur volonté et les politiques qui les affectent? Peuvent-ils se réunir de façon pacifique si les autres moyens d’exprimer leurs griefs ont échoué? Une contestation pacifique est-elle tolérée et son épanouissement encouragé, de sorte que le «marché des idées» ne puisse être monopolisé au profit d’un seul groupe à l’exclusion des autres?
A l’occasion de la Journée internationale de la Démocratie 2015, nous appelons les Etats à reconnaître que l’espace dévolu à la société civile est l’instrument qui permet de réaliser tout cela. En fait, c’est la base d’une véritable démocratie.
Malheureusement, l’espace dévolu de nos jours à la société civile rétrécit rapidement à la fois dans les pays sans tradition démocratique et dans ceux à démocratie ostentatoire. Il y a un divorce croissant entre les élus officiels et le peuple. Ce désaccord s’est récemment manifesté par une flambée d’importants mouvements de protestation à travers le monde. Les gens perçoivent l’échec gouvernemental et démocratique et manifester est souvent leur dernier recours pour parvenir à se faire entendre. De plus en plus, les gouvernements répondent à ce genre de désaccord en accentuant la répression, détournant ainsi le concept de démocratie jusqu’à le rendre méconnaissable.
Parallèlement nous assistons à une érosion inquiétante de la démocratie résultant de l’influence accrue de puissants protagonistes n’ayant aucune légitimité démocratique, les complexes militaro-industriels, les multinationales, les institutions financières, les investisseurs, les grands lobbies pharmaceutiques, pétroliers et miniers. La gouvernance démocratique est corrompue par des acteurs qui ne sont pas soumis aux contrôles démocratiques et qui utilisent leurs largesses pour assurer la priorité de leurs intérêts aux dépens de ceux du secteur public.
La société civile doit reprendre sa place légitime en exigeant une véritable participation à la gouvernance, y compris aux décisions concernant les initiatives de paix, la protection de l’environnement et les accords de commerce et d’investissement. Une législation ou des traités «express», actés sans consultation des participants et sans débat responsable sont inacceptables en démocratie.
La démocratie est bien plus qu’une simple étiquette. La «démocratie représentative» peut être qualifiée de démocratique seulement quand et si les «représentants» représentent vraiment leurs électeurs en les consultant de façon proactive et en facilitant leur participation à la prise de décisions et donc en faisant une réalité de l’objectif d’un accroissement de l’espace dévolu à la société civile.
La démocratie ne doit pas se réduire à un mot vide de sens; c’est l’autodétermination en action et l’instrument nécessaire à l’assurance d’un monde plus pacifique, plus juste et plus stable. La société civile est un partenaire-clé dans l’accession à ce noble objectif.
En conséquence nous appelons les Etats membres à garantir plus d’espace pour la société civile, pour pouvoir occuper la place qui leur revient en tant qu’acteurs-clés de la démocratie.    •

Source: www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?LangID=E&NewsID=16410 
(Traduction de l’anglais Horizons et débats)

*    Alfred de Zayas (Etats-Unis) a été désigné en tant que premier expert indépendant pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable par le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU à partir de mai 2012. Il est actuellement professeur de droit international à la GSD (Geneva School of Diplomacy).
**    Maina Kiai (Kenya) a été désigné par le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU en tant que premier rapporteur spécial pour les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association en mai 2011. M. Kiai a été directeur exécutif du Conseil international sur la politique des Droits de l’homme, directeur du programme africain d’Amnesty International et directeur pour l’Afrique de l’«International Human Rights Law Group» (à présent Global Rights).

ev. L’expérience nous apprend que c’est uniquement un ancrage juridique au niveau constitutionnel des droits populaires à la participation (référendum et initiative populaires) qui peut garantir que la volonté des citoyennes et citoyens soit réellement prise en compte. Malheureusement, ce droit à la véritable participation démocratique manque dans la plupart des pays; dans certains pays de telles possibilités existent mais uniquement au niveau communal ou au niveau de certains Etats fédérés. La Suisse est le seul Etat connaissant la possibilité, ancrée dans la Constitution fédérale, de la participation directe au niveau de l’Etat dans son entier. Mais à la vue des informations sur l’influence croissante de fondations internationales nullement légitimées démocratiquement – actives par exemple dans le domaine de l’enseignement et de la formation dans notre pays –, il faut absolument défendre cet espace réellement démocratique contre les velléités et les exigences élitaires et arrogantes de ces groupes d’influences et de lobbysmes.