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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°35, 13 septembre 2010  >  Gregory Bateson et l’OSS: la Seconde Guerre mondiale et le jugement que portait Bateson sur l’anthropologie appliquée [Imprimer]

Gregory Bateson et l’OSS: la Seconde Guerre mondiale et le jugement que portait Bateson sur l’anthropologie appliquée

par David H. Price

Afin d’examiner le travail effectué par Gregory Bateson pour l’«Office of Strategic Services» (OSS) pendant la Seconde Guerre mondiale, il a été recouru à des documents établis par la «Central Intelligence Agency» (CIA) aux termes de la loi sur la liberté de l’information. Le premier document à examiner est un travail que Bateson a effectué pour l’OSS en novembre 1944. Il y esquissait un certain nombre de méthodes et de stratégies auxquelles les services américains de renseignements pouvaient envisager de recourir encore dans l’après-guerre pour recueillir des renseignements en Inde ou pour contribuer à y maintenir l’ordre colonial. Si ce document OSS de base, daté de 1944, fait l’objet d’une discussion, c’est à la fois pour apporter quelque lumière sur l’œuvre des anthropologues pendant la guerre et pour comprendre pourquoi Bateson est revenu après la guerre à son appréciation, négative dans l’ensemble, de l’anthropologie appliquée.

En 1947, John Cooper estimait que, durant la guerre, environ la moitié des anthropo­logues en activité avaient travaillé à plein temps dans une institution du gouvernement liée à la guerre et un quart à temps partiel (Cooper 1947). Ces anthropologues ont profité de leurs qualités pour occuper des centaines de postes de l’administration, allant du Bureau des renseignements de guerre au Bureau des services stratégiques (OSS), se livrant à des activités qui allaient des besognes bureaucratiques aux travaux secrets et aux crimes de sang d’agents secrets (Coon 1980).1
Dans le cadre d’un plus ample projet de recherche relatif à l’impact de la guerre froide sur le développement de l’anthropologie américaine, j’ai recouru à la loi sur la liberté de l’information pour avoir accès à des centaines de documents gouvernementaux concernant les organisations d’anthropologues et anthropologiques de toute une gamme d’institutions militaires et de services de renseignements (Price 1997a, 1997b et 1998). Ce qui ressort de cette masse de documents, c’est une image très compliquée de personnes fort différentes, aux expériences divergentes faites en temps de guerre. J’ai rencontré davantage d’ambivalence que dans la plupart des considérations historiques sur cette époque. Je suis aussi parvenu à la conclusion que cette vague considérable d’anthropologues qui ont reconnu eux-mêmes leurs diplômes a subi les mêmes frustrations que de nombreux spécialistes d’anthropologie appliquée contemporains. Ceux-ci doivent surtout résoudre les conflits entre les objectifs des anthropo­logues et ceux des financiers. Dans le présent article, je décrirai quelques expériences que Gregory Bateson a faites à l’OSS – manière d’examiner quelques-uns des aspects clés du développement de l’anthropologie appliquée durant la guerre. Je souhaite particulièrement examiner comment les expériences que Bateson a faites durant la guerre ont marqué sa conception de l’anthropologie appliquée en général et je désire souligner que certains des dilemmes éthiques auxquels il a fait face ont leurs parallèles dans le monde contemporain de l’anthropologie appliquée.

Gregory Bateson et l’OSS

Le 13 juin 1942, le président Roosevelt a fondé l’OSS, institution précédant directement la CIA. Plus de deux dizaines d’anthropologues ont travaillé pour l’OSS pendant la guerre, parmi lesquels figuraient: E. Wyllys Andrews IV, William Bascom, Gregory Bateson, Lloyd Cabot Briggs, Carleton Coon, Cora DuBois, Anne Fuller, Nelson Glueck, Gordon Hewes, Frederick Hulse, Olov Janse, Felix Keesing, Alexander Lesser, Edwin Loeb, Leonard Mason, Mark May, Alfred Métraux, George Murdock, David Rodnick, Morris Siegel, Richard Starr, David Stout, Morris Swadesh et T. Cuyler Young.2 Les travaux auxquels ces personnes se livraient étaient très divers, allant des activités de linguistes, d’espions, de gérants de budgets, à celles d’économistes prévisionnistes et d’analystes de nouvelles de l’étranger. Le rapport de loin le plus étonnant de tous ceux d’anthropologues de l’OSS était celui de Carleton Coon (1980) publié dans son livre intitulé «A North Africa Story: The Anthropologist as OSS Agent», dans lequel il décrit ses expériences, ses connaissances géographiques et culturelles de l’avant-guerre l’ayant aidé à développer, dans le nord de l’Afrique malmené par la guerre, des réseaux alliés d’espionnage et de contre-espionnage, ainsi que des équipes d’insurgés.
Dès sa fondation, l’OSS a été un type fondamentalement neuf de services de renseignements militaires. Son directeur, «Wild» Bill Donovan, considérait l’OSS comme un nouveau type de service multidisciplinaire d’espionnage relié à une multitude de moyens novateurs, permettant de collecter des renseignements et d’agir dans l’ombre. L’OSS recrutait ses effectifs dans l’élite universitaire et sociale. A de nombreux égards, Gregory Bateson était le candidat naturel pour l’OSS. Depuis 1940, Bateson et son épouse de l’époque, Margaret Mead, avaient développé et amélioré les méthodes qu’ils avaient appliquées dans leurs études de «culture considérée de loin» (Yans-McLaughlin 1986a, p. 196). C’était exactement le type de techniques que l’OSS souhaitait appliquer pour comprendre et déstabiliser l’ennemi.
Initialement, Bateson était peu enclin à travailler pour une organisation militaire ou d’espionnage. Il estimait que travailler pour une organisation d’espionnage – comme c’était le cas dans la plupart des projets appliqués – empêchait de choisir le type de recherches ou l’affectation des résultats. Même avant de se décider à entrer à l’OSS, Bateson était troublé par les questions d’éthique posées à l’anthropologue utilisant ses connaissances comme une arme de guerre et, de surcroît, par le fait que les chercheurs en sciences sociales ne pouvaient guère s’at­tendre à pouvoir décider du sort de leurs recherches. En 1941, il écrivait que la guerre

«était maintenant une lutte à la vie et à la mort à propos du rôle que les sciences sociales jouent dans l’ordre des relations humaines. Il est à peine exagéré de prétendre […] que cette guerre se rapporte exactement à cela – au rôle des sciences sociales. Les techniques et le droit de manipulation sont-ils réservés à quelques rares individus ayant des objectifs et étant avides de pouvoir, pour qui instrumentaliser des sciences a un attrait naturel? A l’époque où nous avons les techniques, considérons-nous de sang froid les hommes comme des choses? Que ferons-nous de ces techniques?» (Bateson 1942, p. 84 – comme cité par Yans-McLaughlin 1986a, p. 209)

Alors que Bateson s’est exprimé sans hésitation avant, puis après la guerre, le tableau qui ressort de l’examen du matériel contenu dans son dossier à l’OSS reflète – ô surprise – le comportement d’un agent des services de renseignements intéressé, voire enthousiaste, pendant la guerre.
Bateson a commencé la guerre en concluant un contrat à l’Université de Columbia avec l’OSS, puis avec la marine des Etats-Unis, en tant qu’instructeur de Pidgin-English pour les troupes destinées au sud du Pacifique (Yans-McLaughlin 1986a, p. 197). Le prochain poste a été celui de «secrétaire de la Commission du moral» (Yans-McLaughlin 1986a, p. 200). Finalement, il a servi comme «membre [civil] d’un service de renseignements avancé dans la chaîne de montagnes de l’Arakan, en Birmanie, de 1944 à1945» (Bateson 1944).
Bateson a passé une grande partie de la guerre à concevoir et à réaliser des émissions radiophoniques de «propagande noire» à partir de studios isolés et secrets de Birmanie et de Thaïlande (Lipset 1980, p. 174). Il a également travaillé en Chine, en Inde et à Ceylan (Yans-McLaughlin 1986a, p. 202). La «propagande noire» est tout simplement une technique par laquelle une personne ou un groupe fait semblant d’avoir le point de vue de son ennemi et d’assaisonner d’une pointe de dés­information une majorité de faits vrais, de manière à faire paraître l’ennemi sous un jour défavorable. Dans ce travail, Bateson a appliqué les principes de sa théorie de schismogenèse,3 pour semer le trouble chez l’ennemi.

«[Il] a contribué à l’exploitation d’une radio alliée prétendant être une station japonaise officielle. Il a saboté la propa­gande japonaise en suivant la ligne japonaise officielle, mais en l’exagérant.» (Mabee 1987, p. 8)

Carleton Mabee a noté:

«Bien que Mead et Bateson aient été perturbés par les chausse-trapes de de la guerre psychologique, Mead n’en était pas autant outrée que Bateson. Durant et après la guerre, Mead, naturellement optimiste, est toujours restée convaincue que la science, si elle était appliquée de façon respon­sable, pourrait contribuer à la solution des problèmes pratiques de la société, alors que Bateson, d’un naturel plus pessimiste, outré par ses expériences faites pendant la guerre, soulignait qu’appliquer la science à la société était intrinsèquement dangereux et que le rôle le plus utile de la science était de faciliter la compréhension plutôt que l’action. Ces différences ont entraîné la rupture de leur alliance juste après la guerre.» (Mabee 1987, p. 8)

Gregory Bateson ne se contenta pas de rédiger des instructions concernant la propagande anti-japonaise. Il a aussi aidé à analyser les informations brutes de services de renseignements, rédigé des documents analysant des stratégies à long terme de tels services et a même participé à des manœuvres se­crètes. Il ressort de son dossier à l’OSS qu’il a participé comme volontaire, en août 1945, à une mission secrète dangereuse de dix jours – pour laquelle il a été décoré – qui l’a obligé à se faufiler à travers les lignes ennemies pour rechercher et délivrer des agents alliés capturés par l’adversaire (Mosgrip 1945). La déclaration, faite sous serment, accompagnant la recommandation de lui décerner l’ordre de la campagne Asie–Pacifique décrit cette mission en ces termes:

«[…] après l’échec d’une opération, Mr Bateson s’est porté volontaire pour pénétrer profondément sur le territoire ennemi afin de tenter de délivrer trois agents censés s’être échappés après leur capture par les Japonais. Il s’est exposé ainsi aux dangers considérables de cette opération et, compte tenu de son statut de civil, le courage dont il a fait preuve alors [accroît] fortement son crédit.» (Mosgrip 1945)

Il ressort aussi de cette déclaration que le statut de civil de Bateson l’excluait de toute responsabilité obligeant à effectuer de telles «opérations clandestines contre l’ennemi, réalisées profondément en territoire ennemi et exempte de toute aide de forces alliées.» (Mosgrip 1945)

Bateson, spécialiste des services de renseignements

Pour éclairer une partie du travail que Bateson a effectué pour l’OSS, je vais maintenant examiner un rapport qu’il a rédigé en no­vembre 1944 sur le fonctionnement de l’OSS pendant et après la guerre en Inde et en Asie du Sud (Bateson, 1944). Il est important de noter que j’ai trouvé une copie de ce texte non pas dans les archives de l’OSS mais dans celles de la CIA, l’organisme qui a pris la relève de l’OSS à la fin de la guerre. Ce document nous informe non seulement sur les activités de renseignement que certains anthropologues appliqués ont menées pour l’OSS mais également sur les conseils que Bateson a prodigués aux analystes de l’OSS. L’objectif principal de Bateson, dans ce document de l’OSS, était d’avancer l’idée que les diplomates et les agents des renseignements américains devaient

«procéder à une planification à long terme. Nous sommes ici pour favoriser une situation [en Asie du Sud] qui nous permette, d’ici vingt ans, de compter sur de véritables alliés dans cette région.» (11/15/44, p. 1)4

Il commence par affirmer qu’«il sera payant pour les Américains d’inciter les Britan­niques à adopter une politique coloniale plus souple et plus efficace». (1944, p. 2) Il prévoit que la période d’après-guerre ressemblera essentiellement à la période d’avant-guerre. Il identifie «deux erreurs importantes dans le sys­tème colonial d’avant-guerre». (1944, p. 2) Il souhaite que l’on s’efforce d’améliorer ce système et commence par se demander s’il est pos­sible de «diagnostiquer les erreurs remédiables dans les systèmes coloniaux britannique et hollandais et de présenter notre diagnostic aux Britanniques et aux Hollandais de telle manière qu’ils améliorent leur sys­tème». (Bateson, 1944)
Ces «deux faiblesses du système impérial» (1944, p. 5) sont le «manque de communication de bas en haut, de la population indi­gène à la population blanche» (1944, p. 2) et l’échec des Britanniques en matière de «délégation de pouvoirs» (1944, p. 4). Nous aborderons ces deux points séparément.

1.    Le manque de communication de bas en haut

En étudiant la manière dont les colons britanniques recevaient traditionnellement l’information des indigènes, il note que «de la fin du XIXe siècle à 1914, les gouvernements coloniaux britanniques ont eu l’habitude de mener des études monumentales sur la langue, la population, la religion, les castes et les industries villageoises» (1944:2). Il estime que ces efforts étaient certes imparfaits quant à leur méthode et à leurs résultats, mais que ce système «forçait chaque commissaire de district à aller interroger les indigènes» (1944:2). Il les forçait au moins à entretenir un certain contact avec les indigènes selon la technique de l’observation participante. Bateson estime que malgré le caractère maladroit et artificiel de ces rencontres, les fonctionnaires coloniaux acquéraient

«une connaissance de la vie des indi­gènes. Ils n’étaient peut-être pas capables de trans­mettre cette connaissance dans leurs rapports, mais ils apprenaient à connaître sur le tas la pensée des indigènes.» (1944, p. 2)

Bateson indique qu’après la Première Guerre mondiale, les administrateurs coloniaux ces­sèrent ces rencontres personnelles avec les indigènes, préférant des approches statis­tiques plus distantes, mais ils souffrirent de ce manque de connaissance interactive directe.
Ensuite Bateson évoque l’importance des informations que les colons recueillaient grâce à leurs contacts intimes avec leurs maîtresses locales. Il fait remarquer que l’usage stratégique de ces relations a été abandonné pour diverses raisons.

«Grâce à l’amélioration des transports, à la découverte de la quinine, au développement de l’hygiène, à l’élimination des moustiques et aux mesures de santé publique en général, il était devenu de plus en plus facile pour l’homme blanc d’avoir avec lui sa femme et ses enfants dans les colonies. La présence d’un grand nombre de femmes blanches soulageait les administrateurs de la solitude qui les poussait vers les femmes indigènes et, en même temps, les femmes blanches usaient naturellement de leur influence pour élever de fortes sanctions morales contre le fait de prendre des maî­tresses indigènes, allant jusqu’à ostra­ciser les coupables. Il en résulta que ce type de relations plus durable et plus informatif avec les femmes indigènes fut réduit au minimum et que ne subsistèrent que des relations occasionnelles et éphémères, inutiles au point de vue informatif.» (Bateson 1944, p. 3)

Dans ces passages du document, Bateson explique que l’importance des réseaux de communication «de bas en haut» établis par les fonctionnaires coloniaux britanniques en Inde, y compris avec leurs maîtresses, les aida à comprendre et à contrôler quelques aspects de la vie villageoise indienne. La perte de ces contacts entre colons et colonisés est évoquée dans le contexte de la perte d’informations, impliquant que les autorités coloni­ales d’après-guerre seraient bien inspirées de réintroduire certains de ces réseaux de communication.

2.    La délégation des pouvoirs par les Britanniques. Codépendance et paternalisme

Ensuite, Bateson évoque l’échec général des Britanniques à déléguer des pouvoirs à la population indienne en recourant aux concepts étonnants de colon paternaliste et de sujets indiens infantiles. Il commence par donner une image caricaturale des différences entre Américains et Britanniques en matière d’éducation des enfants puis il évoque les défauts du gouvernement britannique en Inde.
Il estime que les Britanniques pourraient améliorer leur système colonial en agissant moins comme des parents britanniques, ri­gides, et davantage comme des parents américains, attentifs et empathiques. «On nous dit que les classes supérieures et moyennes de Grande-Bretagne pensent être des mo­dèles que les enfants doivent observer et imiter» alors qu’en Amérique, de nombreux parents viennent de cultures étrangères si bien qu’ils sont plus enclins à observer leurs enfants et à apprendre de leur progéniture qui réalise dans ce monde de grandes choses que leurs parents comprennent imparfaitement. Bateson poursuit la comparaison en notant que «la famille américaine constitue en elle-même une machine à sevrer» (1944, p. 4). Lui est diamétralement opposée

«la famille anglaise codépendante qui ne comporte pas cette machine à rendre l’enfant indépendant. Il est donc nécessaire, en Angleterre, d’atteindre cet objectif au moyen d’une institution tout à fait séparée, le pensionnat. L’enfant anglais doit être radicalement séparé de l’influence de ses parents pour pouvoir grandir et être ca­pable d’initiative et d’indépendance.» (1944, p. 4)

Bateson affirme que les Britanniques seraient des colons plus efficaces s’ils étaient moins comme des parents britanniques et davan­tage comme des parents américains. Bien qu’il note la présence de mouvements anticolonialistes indigènes, il ne recommande pas le démantèlement du système colonial à la fin de la guerre. Il donne des conseils en vue d’améliorer son fonctionnement, c’est-à-dire de renforcer sa longévité. Il estime que les Etats-Unis ne devraient pas prendre parti pour les mouvements de libération qui se développent et conseille de «ne pas songer à modifier les institutions impériales mais plutôt à changer les attitudes et les idées de ceux qui administrent ces institutions» (1944, p. 2).
Dans un certain sens, il s’agit d’une analyse – fondée sur la culture et la personnalité – des différences entre l’approche colonia­liste britannique et l’approche néocolonia­liste américaine de la relation globale patron/client. Pour Bateson, la longévité de la présence britannique en Inde augmentera dans l’après-guerre si les administrateurs britan­niques changent la «personnalité» de la bureaucratie administrative.

Les recommandations de Bateson

Dans la conclusion de son document, Bateson recommande à l’OSS de prendre quatre mesures après la guerre afin de profiter des «deux faiblesses du système impérial» (c’est-à-dire le manque de communication de bas en haut et l’échec de la délégation des pouvoirs). On ne voit pas clairement à quoi doivent servir ces «deux faiblesses», mais il est clair qu’elles ne doivent pas être exploitées pour mettre fin à l’autorité coloniale britannique sur le peuple indien.
Bateson recommande:
1.    que l’OSS recueille le plus de renseignements possible des sources britanniques pendant que l’alliance militaire est en vigueur;
2.    d’entreprendre une étude détaillée de la culture populaire – en particulier en analysant le contenu des films populaires indiens – afin de sonder les sentiments populaires;
3.    et, point le plus important, que l’Amérique tire les leçons des succès de la Russie dans la conquête des minorités ethniques en louant et en récupérant des aspects de leur culture. Sur ce point, il estime pos­sible de récupérer certains aspects du capital symbolique que Gandhi a utilisé avec tant de succès;
4.    que l’OSS poursuive dans l’après-guerre ses programmes éducatifs de l’époque de la guerre à l’intention des autorités coloniales. Naturellement, l’OSS a été dissoute après la guerre ou plus précisément transformée en «Central Intelligence Agency», l’agence qui a conservé une copie du rapport de Bateson jusqu’à ce que j’en obti­enne une copie aux termes de la loi sur la liberté de l’information (cf. Katz, 1989; Smith, 1983, Winks, 1987).
Le commentaire du point 3 est très révélateur du caractère des activités de Bateson pour l’OSS pendant la guerre. Nous le reproduisons intégralement ci-dessous:

«L’expérience la plus importante menée jusqu’ici sur le réajustement des relations entre les peuples ‹supérieurs› et les peuples ‹inférieurs› est la manière dont les Russes s’y prennent avec leurs tribus asiatiques de Sibérie. Les résultats de cette expéri­ence appuient fortement la conclusion selon laquelle il est très important d’encourager l’observation d’autrui chez les supérieurs et le désir de se montrer chez les inférieurs. En gros, ce que les Russes ont fait est d’inciter les indigènes à entreprendre un renouveau de leur culture traditionnelle tandis qu’eux-mêmes admiraient les fêtes de danse et d’autres manifestations de la culture indigène: littérature, poésie, musique, etc. Et cette attitude spectatrice a été ensuite étendue aux réalisations dans la production et l’organisation.
En revanche, quand l’homme blanc pense être un modèle et encourage les indigènes à l’observer afin de voir comment on fait les choses, les indigènes finissent par créer des cultes à caractère ethnique. Le système s’amplifie jusqu’à ce qu’une machinerie compensatoire se développe et alors le renouveau des arts, de la littérature, etc. indigènes devient une arme utilisée contre l’homme blanc (des phénomènes comme le rouet de Gandhi s’observent en Irlande et ailleurs). Si, d’autre part, le peuple dominateur favorise le renouveau de la culture indigène, le système dans son ensemble est beaucoup plus stable et le culte ethnique ne peut pas être utilisé contre le peuple dominant.
L’OSS ne peut et ne doit rien faire pour encourager le renouveau des cultures traditionnelles mais nous pourrions essayer de sensibiliser en douceur les Britanniques et les Hollandais à l’importance de processus tels que ceux-ci.» (Bateson, 1944, p. 6–7)

L’idée centrale des quatre recommandations est que les agences de renseignements des Etats-Unis devraient, dans l’après-guerre, recueillir le plus d’informations possible sur la manière de vivre des Indiens et leur cul­ture populaire. Ensuite, les responsables poli­tiques américains pourraient utiliser ces informations, comme les Soviétiques l’ont fait en Sibérie, pour influencer les mouvements politiques et sociaux indigènes. Bateson a ainsi posé les bases de la guerre psycholo­gique, la conquête d’un pays par la pénétration culturelle, qui a été popularisée par l’agent de la CIA Edward Landsdale au Vietnam de l’après-guerre et aux Philippines (cf. Blum, 1995; Jeffreys-Jones, 1989). Cette approche consistant à assujettir les chefs indigènes légitimes au moyen de prévenances manifestées par des personnes et des institutions liées aux agences de renseignements est devenue une des techniques ordinaires de subversion et de conquête de la CIA (Stockwell, 1978).

Conclusion: Interprétation de l’évaluation par Bateson, après la guerre, de l’anthropologie appliquée

Comme le note Virginia Yans-McLaughlin, après la guerre, «Bateson revint à son ancienne évaluation négative de l’anthropologie appliquée» (1986a: 202–203). Il ne cessa de parler en termes négatifs de ses expériences au sein de l’OSS mais il conserva des liens avec des membres de la communauté du renseignement.5 S’il est évident qu’il revint à un jugement négatif de l’anthropologie appliquée, la raison qui l’y incita est moins claire. Autrement dit, je pense que la question importante est de savoir si Bateson n’aimait pas cette discipline en raison de son inefficacité ou parce qu’il n’aimait pas la manière dont on l’avait utilisée.
Je pense que l’on peut répondre à cette question, du moins en partie. Tout porte à croire que la propagande effectuée par Bateson pour l’OSS a été couronnée de succès et que ses contributions aux analyses des services de renseignements correspondaient à la politique de l’après-guerre bientôt adoptée par la CIA, qui a succédé à l’OSS après la guerre. Ainsi on n’a guère de raisons de penser que les activités de Bateson pendant la guerre ont été inefficaces mais on a lieu de supposer qu’après la guerre, il avait des doutes sur l’application de son travail.
Comme le rapporte son biographe David Lipset, après la guerre, Bateson disait qu’il était «très troublé par la manière dont l’OSS traitait les indigènes et [selon Geoffrey Gorer] qu’il avait l’impression d’être associé à une équipe malhonnête» (Lipset, 1980, p. 174; Yans-McLaughlin, 1986a, p. 202–203). Carleton Mabee note que Bateson était «mal à l’aise» parce qu’il n’avait aucun contrôle sur la manière dont étaient utilisés les renseignements qu’il recueillait et qu’il «avait été impliqué dans une propagande déloyale qui le gênait encore davantage». (1987, p. 8)
Bateson ne fut de loin pas le seul à réagir de cette manière après la guerre à ses activités au sein de l’OSS. Un certain nombre d’anthropologues furent troublés, pendant et après la guerre, par ce que, selon John Embree, certains détracteurs ont appelé une «prostitution scientifique». (Embree, 1965) A l’époque, il existait un dialogue franc, parfois acerbe, entre les praticiens de l’anthropo­logie appliquée et ceux de l’anthropologie non appliquée à propos de certaines inquiétudes de voir les anthropologues devenir, comme l’écrit Laura Thompson, des «techniciens qui se louent au plus offrant». (Thomson, 1944)
Connaissant assez bien l’aversion de Bateson pour l’anthropologie appliquée, j’ai été surpris de découvrir que non seulement il a bien travaillé pour l’OSS mais qu’il semble avoir, dans une certaine mesure, pris plaisir à ces activités pendant la guerre. Dans les écrits et la correspondance d’après-guerre d’autres anthropologues qui sortaient du cadre de la «guerre totale», on trouve de semblables expressions d’insatisfaction à propos de leur travail pendant la guerre.
Il est de fait que de nombreux anthropo­logues appliqués de la période de guerre considéraient leur travail comme un moyen d’apporter quelque soulagement aux vic­times civiles du conflit. Walter Goldschmidt écrit que

«l’incarcération des [Nippo-Américains] dans des camps occidentaux était une sorte de rapt, mais les anthropologues qui travaillaient pour la «War Relocation Authority» avaient l’impression d’améliorer la situation même s’ils ne pouvaient pas y mettre fin, et c’est ce qu’ils ont fait». (1977, p. 298)

Je crois que cette étude des activités de l’OSS peut permettre quelques généralisations significatives qui dépassent Bateson et les expériences des anthropologues américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Je pense qu’elles éclairent une forme ancienne de relations fondamentales et potentiellement problématiques entre patrons institutionnels et clients anthropologues.
Comme l’a fait observer il y a plus de vingt ans Delmos Jones, «quand les responsables politiques n’écoutent pas, cela pourrait signifier que [les anthropologues appliqués] ne leur disent pas ce qu’ils ont envie d’entendre» (1976, p. 227). Je crois qu’un corol­laire implicite de cette affirmation a influencé l’évaluation par Bateson de l’anthropologie appliquée, qu’il avait contribué à développer, corollaire selon lequel on entretient de bonnes relations avec ses patrons quand on leur dit ce qu’ils souhaitent entendre. De plus, en référence au modèle cybernétique de Bateson, que des cycles de feedback positif de la part des patrons (dans le cas présent, la conception du monde bureaucratique et hyperréifiée de l’OSS) peuvent créer des situations où il est beaucoup plus facile d’être d’accord que de contester des hypo­thèses fondamentales qui doivent être remises en cause. Dans ce cas, des hypothèses telles que l’opportunité de propager la désinformation, d’utiliser les populations indigènes à son profit et de perpétuer un système colonial injuste en train de mourir.
Je pense que la cohésion institution­nelle de la structure bureaucratique de l’OSS a permis à beaucoup de ses anthropologues appliqués d’agir et d’aboutir à des conclusions aux­quelles ils ne seraient pas parvenus en d’autres circonstances. Bateson a fait ce qu’on lui a demandé de faire dans le cadre de la conception du monde limitée de ses employeurs et il l’a regretté plus tard.
Si la sociologie expérimentale du milieu du XXe siècle nous a appris quelque chose, c’est bien que les institutions bureaucratiques et les contingences d’un groupe peuvent déterminer notre comportement de manière radicale. Des recherches expérimentales d’Irving Janis, de Stanley Milgrim, de Solomon Asch ou de Philip Zimpardo, se dégage une idée commune: la pression de groupe, les attentes à l’égard des rôles et le feedback institutionnel peuvent s’associer et créer de puissantes forces de coercition institutionnelle.
Bateson ne fut ni avant ni après la guerre (où il aurait été corrompu par l’OSS) un anthropologue partisan radical de la libération des colonies. C’était un social-démocrate libéral, mais son travail d’anthropologue appliqué l’a sorti d’un état confortable d’inaction et l’a poussé à faire et à dire des choses qu’il n’aurait pas faites ou dites dans d’autres circonstances et qu’il a regrettées plus tard.
Il y a beaucoup de choses édifiantes dans l’histoire non encore écrite de l’anthropologie pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais les recherches que j’ai effectuées jusqu’ici m’incitent à voir dans ces anciens travaux des anthropologues appliqués des inquiétudes très contemporaines exprimées en termes si clairs qu’elles font réfléchir. Ces questions non résolues nous ont occupés dès le début. Je pense que ce qui a changé, c’est que nous avons plutôt bien fait de ne pas les aborder.    •

(Traduction Horizons et débats)

* L’Office of Strategic Services était un service de renseignements du ministère américain de la Guerre de 1942 à 1945.
**David H. Price est maître assistant d’anthropologie au St. Martin’s College, Lacey, Washington. Il a étudié les systèmes d’irrigation au Yémen, en Egypte et aux Etats-Unis. Au cours des dix der­nières années, il a, au nom de la loi sur la liberté d’information, adressé des centaines de demandes qui ont abouti à la déclassification et à la publication de milliers de pages de documents sur les activités d’anthropologues et d’organisations anthropologiques pour le FBI, la CIA et le Département d’Etat. Il rédige actuellement un ouvrage où il étudie les effets de la guerre froide sur le développement de l’anthropologie américaine.

1     Il n’y a pas encore d’historiographie critique de l’anthropologie durant la Seconde Guerre mondi­ale, bien qu’il y ait de nombreuses sources d’activités anthropologistes de cette époque. Parmi les considérations essentielles de l’anthropologie américaine durant la guerre, citons Beals (non daté), Bennett 1947, Coon 1980, Cooper 1947, Cowan 1979, Doob 1947, Drinnon 1987, Embree 1983, Foster 1967, Frantz (n.d.), Goldschmidt 1979, Katz 1989, Linton 1945, Mabee 1987, May 1971, Mead 1979, Murphy 1976, Nader 1996, Simpson 1994, Smith 1983, Stocking 1976, Suzuki 1981, Winkler 1978, Yans-McLaughlin 1986a et 1986b.
2    Il est difficile d’évaluer l’ampleur des activités des anthropologues pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette liste d’anthropologues employés par l’OSS provient essentiellement de notices nécrologiques publiées dans l’American Anthropologist et dans l’Anthropology Newsletter ainsi que d’informations dues à Herskovits (1950).
3    Créé par l’anthropologue, psychologue et épistémologue américain Gregory Bateson, le concept de la schismogenèse (littéralement schisme: «division, séparation» et génèse: «création») fut conçu lors de son étude du peuple des Iatmul. C’est tout particulièrement en observant le comportement d’une mère qui, dans un type de communication paradoxale, attirait l’enfant par la parole, mais le repoussait par un geste. Ce concept se rapproche de la double contrainte (double bind, en anglais).
[Wikipédia]
4    Naturellement, 20 ans après, l’Amérique était en plein bourbier en Asie du Sud-Est avec des milliers de soldats dans la région.
5    Bateson a lui-même participé dans les années 1950 à quelques-unes des expériences de la CIA sur le LSD. C’est l’agent de la CIA Harold Abramson qui a administré à Gregory Bateson, ancien époux de Margaret Mead, ses premières doses de LSD. En 1959, Bateson a, à son tour, fait en sorte qu’un ami à lui, le poète Allen Ginsberg, prenne du LSD lors d’un programme de recherches de l’Université Stanford. (Marks, 1979, p. 120)

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