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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2016  >  No 10/11, 17 mai 2016  >  Plan d’études 21, enseignement axé sur les compétences, apprentissage autoguidé: les cantons s’apprêtent à réformer leurs écoles de fond en comble [Imprimer]

Plan d’études 21, enseignement axé sur les compétences, apprentissage autoguidé: les cantons s’apprêtent à réformer leurs écoles de fond en comble

La Suisse ne doit pas détruire son système d’éducation

par Thomas Dähler

Personne ne niera que le système scolaire suisse fait partie de l’histoire du succès suisse. L’école obligatoire reposant sur une formation générale solide prépare aujourd’hui au mieux aussi bien pour une carrière académique que pour une carrière partant d’une formation professionnelle. Elle prépare, il faut le dire, à la vie! Cependant, une vague de réformes presque inimaginable a submergé la Suisse. Un tsunami ayant le potentiel de détruire tout le paysage éducatif fédéraliste de la Suisse. Les nombreuses réformes du système scolaire suisse à succès mettent en danger son niveau de formation élevé, reposant sur une excellente formation générale à l’école obligatoire et sur un système dual de formation professionnelle performant – garantissant ainsi prospérité économique et niveau de vie élevé.
Que ce soient les technocrates ou les experts: la garde des réformateurs justifie aujourd’hui ce bouleversement structurel de l’école obligatoire en avançant pour argument le nouvel article sur la formation dans la Constitution fédérale, que le peuple a approuvé en 2006 avec 85% des voix. Il y a dix ans, on ancra donc au niveau constitutionnel l’obligation des cantons «à une harmonisation de l’instruction publique concernant la scolarité obligatoire, l’âge de l’entrée à l’école, la durée et les objectifs des niveaux d’enseignement et le passage de l’un à l’autre, ainsi que la reconnaissance des diplômes» (art. 62 al. 4 Cst.). Si ces efforts n’aboutissent pas, la Confédération a la compétence d’intervenir.
Pourtant, à cette époque, personne ne se doutait que cette timide tentative vers davantage de points communs dans les écoles des divers cantons serait malmenée pour tenter de donner une légitimité démocratique à de profondes réformes scolaires. Le Plan d’études 21 (Lehrplan 21) pour les cantons suisses-alémaniques n’est qu’une partie (importante!) de la vague des réformes qui s’est abattue sur notre pays.

L’école en tant qu’entreprise

S’éloignant des principes d’éducation basés sur la tradition humaniste, cette restructuration mène vers une instrumentalisation utilitariste de l’instruction publique. C’est au début des années 1990 qu’Ernst Buschor, jadis chef du Département de l’Instruction publique zurichoise, a imposé à l’administration scolaire de son canton, l’introduction du New Public Management, a déclaré que les écoles devaient toutes avoir leur Corporate Identity et a donné la préférence à l’anglais précoce à l’école primaire, apparemment plus utile qu’une seconde langue du pays. Le Plan d’études 21 reflète l’esprit régnant à Zurich à cette époque. Il conçoit les enseignants comme prestataires de services et tant les parents que les élèves comme des clients – une école qui érige à l’instar de l’économie l’offre et la demande en maxime suprême.
Au centre du Plan d’études 21 on trouve les «compétences» et l’«apprentissage autoguidé». L’accent est mis sur les épreuves et les tests et non plus sur les connaissances et les contenus scolaires. L’ancien directeur des CFF Benedikt Weibel a déjà critiqué il y a quelques temps l’abandon de la maxime «le savoir a le pouvoir» comme signe d’une «politique scolaire faisant fausse route». Le Plan d’études 21 est axé sur des compétences acquises par le biais de connaissances utiles et de capacités applicables et sont mesurées et contrôlées au moyen de tests généralisés. Ce qui reste sur le carreau, c’est entre autre la mission éducative incombant à l’école. On n’a plus besoin de personnalités marquantes d’enseignants qui se soucient du bien de leurs élèves et favorisent leur développement. Ils deviennent les contrôleurs des élèves qui doivent développer eux-mêmes leur niveau de compétences, l’analyser et le perfectionner pour ensuite savoir cocher la bonne case sur les formulaires d’évaluation.
Une école n’est cependant pas une entreprise. L’opposition contre les nombreuses réformes, qui n’augmentent de toute évidence pas la qualité de l’école, augmente. L’harmonisation de l’instruction publique s’avère ainsi être un échec. De nombreux cantons n’ont pas adhéré au concordat HarmoS. Le concept des langues étrangères avec deux nouvelles langues en classes primaires commence à s’effriter. Plusieurs initiatives populaires cantonales ont été déposées contre le Plan d’études 21. Même les cantons qui introduisent ce plan d’études, le sapent: en Appenzell Rhodes-Intérieures par exemple, la «landsgemeinde» a soutenu le Plan d’études 21 après que le gouvernement ait assuré qu’il l’adapterait aux besoins locaux et qu’il renoncerait entièrement à l’apprentissage autoguidé dans des soi-disant «paysages d’apprentissage». C’est une façon de manier le Plan d’études 21 qui ne correspond certainement pas à l’intention de ses inventeurs. Heureusement.

Une notion de compétences floue

Déjà l’historique de ce Plan d’études 21 a rendu bon nombre de personnes extérieures méfiantes. Au début, les enseignants et journalistes se sont vus refuser l’accès aux contenus du Plan d’études 21. Le projet top-down devait apparemment passer sans critiques. C’est seulement lors de la publication du projet, après 3 années de silence, que des critiques ont pu être émises. Ainsi, de multiples souhaits de correction ont été apportés lors de la consultation et ce rafistolage a été adopté par les directeurs cantonaux de l’Instruction publique de la Suisse alémanique. On voit vite qu’il s’agit d’un rafistolage: il traite toutes les matières différemment, la notion de compétences reste floue. On a affaire à un mélange de connaissances, d’objectifs d’apprentissage et de réelles compétences.
«Les élèves savent effectuer des calculs de pourcentage avec la calculatrice» possède une toute autre dimension que par exemple «Les élèves savent classer des informations et leurs sources concernant le sol en tant que ressource, savent tirer des conclusions pour son utilisation durable et évaluer celles-ci». Alors que dans certaines matières les contenus sont très limités, d’autres matières ont des contenus qui dépendent entièrement de la manière dont la compétence doit être acquise. Par exemple dans la matière «Espaces, Temps, Sociétés» l’holocauste est uniquement mentionné comme un des évènements parmi d’autres dans l’«époque des extrêmes». Il est écrit: «Les élèves savent analyser des phénomènes choisis de l’histoire des XXe et XXIe siècles et expliquer leur importance pour aujourd’hui». Il ne s’agit donc pas d’une discussion factuelle sur l’holocauste puisque ce n’est qu’un événement parmi plusieurs autres, avec lesquels l’élève peut acquérir la compétence de situer dans l’histoire un de ces évènements.
Peter Bonati, dont j’ai fait la connaissance alors qu’il était chargé de cours au Département pour l’enseignement supérieur à l’Université de Berne et que j’estime beaucoup, est d’avis que c’est justement ce déséquilibre entre les contenus et les compétences qui est une des faiblesses principales du Plan d’études 21. Bonati pense qu’un jeune enseignant peu expérimenté aura du mal à trouver un enchaînement cohérent des contenus qu’il faut pour atteindre les compétences.

Laquais des spécialistes de l’éducation

Avec le Plan d’études 21 et les réformes qui en font partie, on n’harmonisera pas seulement, comme déclaré, les systèmes scolaires. Il s’agit plutôt de transformer l’école en une industrie de test, dans laquelle les enseignants ont avant tout le rôle de contrôler si les élèves travaillent pour atteindre les objectifs prescrits. Les enseignants seront donc largement dispensés de leur fonction pédagogique, de même que de leur mission d’animer les élèves à la pensée critique. Ils ne seront que les laquais des spécialistes de l’éducation.
Une discussion démocratique sur les fonctions attribuées à l’école obligatoire dans notre société n’est pas prévue. S’il n’y avait pas eu des citoyens récoltant des signatures, la transformation de l’école obligatoire se ferait sans que le gros du peuple s’en rende compte. Mais il n’en est pas question: l’excellent système scolaire suisse ne va pas être enterré subrepticement.    •

Source: Basler Zeitung du 30/4/16

(Traduction Horizons et débats)