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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°38|39, 17 septembre 2012  >  La Suisse libre est un modèle pour l’Allemagne [Imprimer]

La Suisse libre est un modèle pour l’Allemagne

«Il est pour moi à peine supportable que la Suisse fière, nation née de la volonté collective, restreigne sa souveraineté fondée sur le droit, afin de subvenir aux souhaits financiers d’un autre Etat»

par Reinhard K. Sprenger*

Au lieu de tabasser hautainement la république alpine et d’envoyer des inspecteurs du fisc, les Allemands bruxellisés devraient comprendre ce qui constitue la souveraineté et la liberté des citoyens.
Si j’étais Suisse, je refuserais le traité fiscal entre la Suisse et l’Allemagne. Je le refuserais, parce qu’il nuirait à l’Allemagne. Nuire, non pas dans le sens que quelques politiciens du parti social-démocrate en campagne électorale braillent aveuglément dans chaque micro. C’est grave quand des politiciens démentent l’Etat de droit en faisant affaire avec des criminels, voire même se vantent de l’achat de bien volé.
C’est grave si un système d’autodénonciation est édifié sur la base d’une grotesque surcriminalisation et intimidation, qui est plus proche du banditisme organisé que d’un système fiscal légal et légitime.
C’est grave que l’Allemagne combatte un prétendu paradis fiscal au lieu de son propre désert fiscal.
Il est pour moi à peine supportable que la Suisse fière, nation née de la volonté collective, restreigne sa souveraineté fondée sur le droit, afin de subvenir aux souhaits financiers d’un autre Etat. La sécurité juridique (que l’on pourrait aussi nommer une hésitation à la modernisation du droit) a toujours été un pilier de l’identité suisse – et est, d’ailleurs, indispensable pour chaque développement de prospérité économique.
D’un point de vue historique, la Suisse détient comme aucun autre pays la réputation de protéger les droits fondamentaux et les droits de propriété des gens – de tous les gens, peu importe d’où ils venaient et quelles attaques contre leur propriété étaient à repousser.
Le secret bancaire est l’expression de ce principe fondamental de l’Etat de droit helvétique: la protection de la sphère privée, à laquelle les finances appartiennent également. En fait, le secret bancaire n’a jamais été un secret pour éviter les impôts – même si la politique allemande voudrait le voir ainsi, afin de criminaliser ses propres citoyens.
Mais il honore un bien qui pèse plus lourd que la transparence fiscale absolue: la liberté de l’individu. Et cela est avant tout pratique. Car d’après tout ce que l’on sait, en Suisse et en Nouvelle-Zélande que l’honnêteté fiscale est la plus élevée. Non pas malgré, mais grâce au secret bancaire.
Pour moi il est inacceptable que la Suisse collecte des impôts pour un autre pays, et que de par ce fait elle contribue à ce qu’en Allemagne personne n’ait à réfléchir aux causes systématiques de l’évasion fiscale (qui se fait en masse et non seulement en profitant de la Suisse).
Avec le modèle de l’impôt libératoire, on soutient la vision que l’argent des citoyens est de façon latente l’argent de l’Etat, et de par ce fait n’a pas le droit d’affluer à l’étranger. C’est une vision qui est totalement étrangère à la Suisse: Là le citoyen est le propriétaire primaire du fruit de son travail.
La Suisse n’est pas un paradis fiscal. Et pourtant elle est une épine dans la peau des grands proxénètes euro-fiscaux. Colmater la possibilité d’évasion aurait pour effet de désinhiber totalement l’étau fiscal étatique en Allemagne; c’est-ce qu’on appelle dans le jargon de l’EU «harmonisation», c’est-à-dire la ligature du système de concurrence, mène déjà aujourd’hui à une escalade de l’emprise de l’Etat.
Et surtout la Suisse est un modèle concernant son Etat efficace par concurrence d’impôts – qui n’est pas aussi ruineux que la gauche allemande aimerait le voir. En tout cas une misère généralisée et des caisses de l’Etat vides en Suisse me sont jusqu’à présent restées inconnues.
La Suisse a souvent été décrite comme contre-modèle: par Justus Moser, Benjamin Constant, Alexis de Tocqueville et particulièrement par Wilhelm Röpke. La Suisse signifie une construction d’Etat coopérative, décentralisée, de bas en haut, pour l’opposition à l’égalitarisme, pour des citoyens politiquement bien cultivés et amoureux de la liberté, qui se défendent encore fièrement avec une attitude droite, là où 80 millions d’Allemands bruxellisés ne font plus que hocher la tête de façon fatiguée.
En Suisse la démocratie est respectée et non pas contournée comme quelque chose de désagréable; ici aucune Cour constitutionnelle ne doit rappeler à un gouvernement qu’il y a encore un souverain. La Suisse est un modèle pour une compensation sociale intelligente, elle a un marché de travail libéral avec une grande capacité d’intégration, une autonomie fiscale communale et surtout des moyens d’influence par la démocratie directe, qui rencontrent un large intérêt international.
Surtout de la discipline de budget des Suisses, tous les pays de l’UE devraient se couper une grosse tranche: accumuler des réserves pendant les bonnes périodes, maintenir les impôts modérés et investir dans les infrastructures. C’est ainsi que ça fonctionne.
Je ne connais aucun pays où la conscience «l’Etat – c’est nous tous» est aussi répandue qu’en Suisse. Et je ne connais pas d’autre Etat, où, en même temps, un scepticisme libéral à l’égard d’un Etat central pénétrant est aussi prononcé. Mais je ne connais que peu de politiciens allemands qui sont prêts et intellectuellement capables de comprendre ce caractère conditionnel réciproque.
Et en même temps la Suisse est le pays le plus européen de tous – si l’on ne considère pas l’Europe comme un monstre de bureaucratie uniforme, – mais comme une diversité, une ouverture et une concurrence. Ici on ne force pas à tenir ensemble – comme dans l’UE – ce qui n’a rien à faire ensemble.
Ici on soigne de bonnes relations de voisinage, mais on se laisse réciproquement tranquille, on est certes poli, mais pas forcément amical, on laisse chacun régler lui-même ses affaires. D’après la devise de Dürrenmatt: Soit humain, garde tes distances.
Pour celui qui se rebelle contre les slogans prétendant qu’il n’y a pas d’alternatives (!) – formulés d’ailleurs par ceux dont l’hostilité démocratique ne peut être dépassée que par leur cynisme – alors la voilà, l’alternative. Si ce n’est pour copier, alors pour s’orienter. Une chance pour l’Allemagne et un cadeau pour un monde libéral, qui a besoin d’espérance et qui cherche un modèle.
L’attitude invasive des Allemands, espérons-le, aide les Suisses à se concentrer sur les forces qui ont rendu ce pays sans pareil, libre, démocratique et prospère. Mais je ne suis pas Suisse, je suis Allemand. C’est la raison pour laquelle je souhaite une Suisse forte, sûre d’elle-même. Pour l’Allemagne.     •

Avec l’aimable autorisation de l’auteur (publié dans Die Welt du 30/8/12)
(Traduction Horizons et débats)

*    L’auteur est conseiller pour le management et essayiste; il vit à Winterthur. Prochainement, il va publier son livre «Radikal führen» chez les éditions Campus.