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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°38, 5 octobre 2009  >  «Nous surmonterons la crise, l’arriération et la corruption» [Imprimer]

«Nous surmonterons la crise, l’arriération et la corruption»

Message du président russe Dmitri Medvedev au peuple russe

hd. C’est la première fois qu’un président russe effectue une visite en Suisse. Après des entretiens avec le Conseil fédéral, il est allé se recueillir au pied du monument Souvorov dans le canton d’Uri. A cette occasion, Horizons & débats offre à ses lecteurs une traduction du message qu’il a adressé au peuple russe le 10 septembre et publié sur Internet sous le titre «En avant la Russie!». La lecture de ce texte donne une idée très nuancée des problèmes auxquels se trouve aujourd’hui confrontée la Russie, pays que l’Occident présente souvent de manière très déformée.

Dans quelques mois, la Russie entrera dans une nouvelle décennie du XXIe siècle. ­Certes, des situations et des dates impor­tantes ont une valeur plus symbolique que pratique, mais elles nous fournissent une raison de réfléchir au passé, d’évaluer le présent et de penser à l’avenir, à ce qui attend chacun de nous, nos enfants, notre pays.
Commençons par répondre à une question simple mais très sérieuse. Une économie primitive fondée sur les matières premières et la corruption endémique, l’habitude invé­térée de nous reposer sur le gouvernement, les pays étrangers, telle ou telle doctrine globale, quelqu’un ou quelque chose et non sur nous-mêmes pour résoudre nos problèmes, tout cela va-t-il nous accompagner dans le futur? Si la Russie ne peut pas se délivrer elle-même de ces fardeaux, va-t-elle pouvoir trouver sa propre voie vers l’avenir?
L’année prochaine, nous allons célébrer le 65e anniversaire de la victoire de la Grande Guerre patriotique. Cet anniversaire nous rappelle que notre époque fut l’avenir des héros qui ont gagné notre liberté et que le peuple qui a vaincu alors un ennemi très puissant et très cruel doit surmonter aujourd’hui la corruption et l’arriération afin de moderniser notre pays et de le rendre viable.
Gérer un héritage immense
En tant que génération actuelle du peuple russe, nous avons reçu un immense héritage, des acquis durement gagnés et bien mérités grâce aux efforts tenaces de nos prédécesseurs. Parfois, ces terribles épreuves ont coûté la vie de nombreuses personnes. Nous avons un immense territoire, une grande quantité de ressources naturelles, un potentiel industriel solide, une liste impressionnante de réalisations remarquables en sciences, en technologie, en éducation et dans les arts, une histoire glorieuse en matière d’armée, de marine et d’armes nucléaires. En usant de son autorité, le pouvoir russe a joué un rôle important, et à certaines périodes déterminant, dans des événements historiques.
Comment gérer cet héritage? Comment l’amplifier? Quel sera l’avenir de la Russie pour mon fils, pour les enfants et petits-enfants de mes concitoyens? Quelle sera la place de la Russie et celle des futures générations parmi les autres nations sur le marché global du travail, dans le système des rela­tions internationales, dans la culture mondiale? Que devons-nous faire pour améliorer constamment la qualité de vie des citoyens russes aujourd’hui et demain, pour permettre à notre société de devenir plus riche, plus libre, plus humaine et plus attirante? De sorte que la société russe puisse donner à ceux qui le désirent une meilleure éducation, un travail intéressant, un revenu satisfaisant, un environnement confortable à la fois pour la vie personnelle et l’activité créatrice.
J’ai des réponses à ces questions, mais avant de les aborder, je voudrais évoquer la situation actuelle.
Une situation qui est loin d’être parfaite
La crise économique mondiale a montré que nos affaires sont loin d’aller parfaitement bien. Vingt années de changements tumultueux n’ont pas sauvé notre pays de sa dépendance humiliante à l’égard des matières premières. Notre économie reflète le défaut principal du système soviétique: il ignore grandement les besoins individuels. A quelques exceptions près, l’économie intérieure n’invente ni ne crée les biens nécessaires et la technologie dont les gens ont besoin. Nous vendons des choses que nous n’avons pas produites, des matières premières et des biens importés. Les produits finis fabriqués par la Russie souffrent considérablement de leur compétitivité extrêmement faible.
C’est pourquoi, pendant la crise actuelle, la production a tellement baissé, plus que dans d’autres économies. Cela explique également la volatilité excessive des marchés boursiers. Cela montre que nous n’avons pas réalisé tout ce que nous aurions dû au cours des dernières années et que tout n’a pas été fait correctement.
L’efficacité énergétique et la productivité de la plupart de nos entreprises restent honteusement faibles. Mais ce n’est pas ce qu’il y a de pire. Le problème est que les propriétaires, les directeurs, les ingénieurs en chef et les fonctionnaires ne s’en inquiètent guère.
Il en résulte que l’influence de la Russie dans les processus économiques globaux est, à parler franchement, moins grande que nous le voudrions. Certes, à l’ère de la mondialisation, l’importance d’aucun pays ne peut être illimitée. Ce serait même préjudiciable. Mais notre pays doit avoir des perspectives importantes, à la hauteur de son rôle historique.
Dans l’ensemble, les institutions démocratiques ont été établies et stabilisées mais leur qualité est loin d’être idéale. La société civile est faible, de même que les niveaux d’autogestion et d’autonomie.
Chaque année, il y a de moins en moins de Russes. L’alcoolisme, le tabagisme, les accidents de la route, l’absence de disponibilité des technologies médicales et les problèmes environnementaux font des millions de morts et le début de hausse du taux de natalité n’a pas compensé le déclin démographique.
Nous avons réussi
à stopper les tendances centrifuges
Nous avons réussi à stopper les tendances centrifuges mais de nombreux problèmes subsistent et notamment les plus graves. Les attaques terroristes contre la Russie continuent. Les habitants des républiques du Caucase septentrional ne connaissent pas la paix. Les militaires et les policiers meurent, tout comme les fonctionnaires gouvernementaux et municipaux ainsi que les civils. Certes, les ­crimes sont commis avec le soutien de ­groupes criminels internationaux, mais voyons les ­choses en face: la situation ne serait pas aussi cri­tique si le développement économique de la Russie méridionale était plus solide.
En résumé, une économie inefficace, une sphère sociale encore à moitié soviétique, une démocratie fragile, des tendances démographiques négatives et un Caucase instable représentent de gros problèmes, même pour un pays comme la Russie.
Cependant n’exagérons rien. Beaucoup de choses ont été réalisées, la Russie est au travail. Ce n’est pas un pays à moitié paralysé comme il y a dix ans. Tous les systèmes sociaux fonctionnent, mais ce n’est pas suffisant. Après tout, ils ne font que prolonger le modèle actuel, ils ne le développent pas. Ils ne peuvent pas changer les modes de vie actuels, si bien que les mauvaises habitudes subsistent.
Il est impossible d’arriver au leadership en comptant sur les marchés du pétrole et du gaz. Nous devons être conscients de la complexité des problèmes. Nous devons en discuter franchement afin d’agir. Finalement, le marché des matières premières ne doit pas déterminer le sort de la Russie, ce sont nos idées à notre sujet, notre histoire et notre avenir qui doivent le faire. Notre intelligence, une autoévaluation honnête, la force, la dignité et l’esprit d’entreprise doivent être les facteurs décisifs.
Cinq priorités
En présentant cinq priorités pour le développement technologique, des mesures spécifiques pour la modernisation du système poli­tique et des mesures pour renforcer le système judiciaire et lutter contre la corruption, j’exprime mes vues sur l’avenir de la Russie. Et par égard pour notre avenir, il est nécessaire de libérer notre pays des maux sociaux persistants qui inhibent son énergie créatrice et limitent nos progrès. Ces maux sont notamment les suivants:
1.    Des siècles de retard économique et l’habitude de compter sur l’exportation des matières premières en les échangeant ­contre des produits manufacturés. Pierre le Grand, les derniers tsars et les bolcheviks ont tous créé – et non sans succès – des éléments d’un système novateur mais le prix de leurs succès a été trop élevé. En général, on a fait des efforts considérables mais en utilisant tous les leviers de la machine totalitaire.
2.    Des siècles de corruption ont affaibli la Russie. Cette corruption est due à la présence excessive du gouvernement dans de nombreux domaines importants de l’activité politique et sociale. Mais elle ne se limite pas au gouvernement: l’activité économique et commerciale n’est pas sans défauts. De nombreux chefs d’entreprise ne se préoccupent pas de trouver des inventeurs talentueux, d’introduire de nouvelles technologies, de créer et de commercia­liser de nouveaux produits: ils préfèrent soudoyer des fonctionnaires afin qu’ils contrôlent la circulation de la redistribution des biens.
3.    Les attitudes paternalistes sont très répandues dans notre société, notamment la conviction que tous les problèmes doivent être résolus par le gouvernement ou par quelqu’un d’autre et jamais par soi-même. Le désir de faire une carrière en partant de zéro, d’obtenir des succès personnels petit à petit n’est pas dans nos habitudes nationales. Cela se manifeste dans le manque d’initiative et de nouvelles idées, dans les questions restées en suspens, dans la mauvaise qualité du débat public impliquant la critique. L’acceptation et le soutien publics s’expriment généralement par le silence. Les objections sont très souvent émotionnelles, cinglantes mais superficielles et irresponsables. Certes, la Russie est confrontée depuis des siècles à ce phénomène.
On nous dit que nous ne pouvons pas guérir complètement les maux sociaux chroniques, que ces traditions sont inébranlables et que l’histoire se répète. Mais à une certaine ­époque, le servage et l’illettrisme endémique paraissaient insurmontables et pourtant nous les avons surmontés.
Certes, les traditions exercent une influence considérable mais elles s’intègrent dans chaque nouvelle époque et subissent des changements. Certaines disparaissent et ­toutes ne sont pas utiles. A mon avis, seules les valeurs indiscutables qui doivent être préservées peuvent être considérées comme des traditions. Il s’agit de la paix entre les ethnies et les religions, la bravoure militaire, le sens du devoir, le sens de l’hospitalité et la gentillesse inhérente à notre peuple. La corruption, le vol, la paresse mentale et l’alcoolisme sont des vices qui constituent un outrage à nos traditions et dont nous devrions nous débarrasser en les condamnant dans les termes les plus énergiques.
La Russie d’aujourd’hui
 ne va pas reproduire son passé
Il est évident que la Russie d’aujourd’hui ne va pas reproduire son passé. Nous vivons vraiment une nouvelle époque, non seulement parce que le temps avance, mais parce qu’il ouvre à notre pays et à chacun d’entre nous d’extraordinaires possibilités dont il n’y avait aucune trace il y a vingt, trente ans, et encore moins il y a cent ou trois cents ans.
L’héritage impressionnant des deux plus grandes modernisations de l’histoire de notre pays – celle, impériale, de Pierre le Grand et celle de l’Union soviétique – ont pro­voqué des ruines et des humiliations et ont fait des millions de morts parmi nos concitoyens. Il ne nous appartient pas de juger nos prédécesseurs mais nous devons reconnaître que la préservation de la vie humaine n’a pas été, et c’est une litote, une priorité du gouvernement pendant ces années-là. C’est malheureusement un fait. Aujourd’hui, nous avons pour la première fois une chance de prouver à nous-mêmes et au monde que la Russie peut développer une voie démocratique, que la transition vers une étape de civilisation plus élevée est possible. Et nous y par­viendrons par des méthodes non violentes. Non par la coercition mais par la persuasion, non par la répression mais par le développement du potentiel créatif de chaque individu, non par l’intimidation mais par l’intérêt, non par la confrontation mais en harmonisant les intérêts de l’individu, de la société et du gouvernement.
Edifier une Russie nouvelle, libre et forte
Nous vivons vraiment une époque exceptionnelle où nous avons une chance d’édifier une Russie nouvelle, libre, prospère et forte. En tant que Président, je suis tenu de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour m’assurer que nous tirions le meilleur profit de cette opportunité.
Au cours des prochaines décennies, la Russie devrait devenir un pays dont la prospérité est assurée moins par les matières premières que par les ressources intellectuelles, par l’«économie intelligente» qui crée des connaissances originales et exporte de nouvelles technologies et des produits innovants.
J’ai récemment identifié cinq vecteurs de modernisation pour notre pays. Premièrement, nous allons devenir un pays leader en matière d’efficacité de la production, des transports et de l’utilisation de l’énergie. Nous allons développer de nouveaux carburants pour l’usage domestique et les marchés internationaux. Deuxièmement, nous devons maintenir et amener notre technologie nucléaire à un niveau qualitatif supérieur. Troisièmement, les spécialistes russes amélioreront la technologie de l’information et influenceront fortement le développement des réseaux globaux de données publiques en utilisant des superordinateurs et d’autres équipements nécessaires. Quatrièmement, nous allons développer notre infrastructure terrestre et spatiale afin de transmettre tous les types d’informations. Nos satellites seront en mesure d’observer le monde entier, d’aider nos citoyens et les peuples de tous les pays à communiquer, à voyager, à s’engager dans la recherche et dans la production agricole et industrielle. Cinquièmement, la Russie occupera une position de leader dans la production de certains types d’équipements médicaux, d’instruments de diagnostic sophistiqués, de médicaments pour le traitement des maladies virales, cardio-vasculaires et neurologiques ainsi que du cancer.
Cinq stratégies de réussite
dans le domaine de la high-tech
Tout en appliquant ces cinq stratégies de réussite dans le domaine de la high-tech, nous serons constamment attentifs au développement de nos industries traditionnelles les plus importantes, et avant tout au complexe agro-industriel. Un Russe sur trois vit dans une zone rurale. La disponibilité des services sociaux modernes pour les habitants des campagnes, l’élévation de leur revenu, l’amélioration de leurs conditions de travail et de leur vie quotidienne restera toujours notre priorité.
Naturellement, la Russie aura d’importantes forces armées, suffisamment importantes pour que personne n’en vienne à nous menacer, nous ou nos alliés.
Ces objectifs sont réalistes. Malgré leur difficulté, nous pouvons les atteindre. Nous avons déjà développé des projets détaillés, étape par étape, pour avancer dans ces domaines. D’abord et avant tout, nous allons soutenir les jeunes scientifiques et inventeurs. L’enseignement secondaire et supérieur préparera un nombre suffisant de spécialistes pour les industries porteuses. Les institutions universitaires concentreront leurs efforts sur l’application de projets novateurs. Le législateur prendra toutes les décisions visant à soutenir largement l’esprit d’innovation dans tous les domaines de la vie publique, créant un marché d’idées, d’inventions, de découvertes et de nouvelles technologies. Des sociétés publiques et privées bénéficieront de notre soutien total dans leurs efforts pour créer des produits innovants. Nous allons offrir à des sociétés et à des organismes de recherches les conditions les plus favorables en vue de la création de centres de re­cherche et développement en Russie. Nous allons engager les meilleurs scientifiques et ingénieurs du monde. Et surtout, nous allons expliquer à nos jeunes que l’atout compétitif le plus important, ce sont les connaissances que les autres n’ont pas, la supériorité intellectuelle, l’aptitude à créer des biens dont les gens ont besoin. Comme l’écrivait ­Pouchkine, «il existe un courage supérieur, le courage de l’invention, de la création où un projet d’envergure est maîtrisé grâce à la créativité». Les inventeurs, les novateurs, les chercheurs, les enseignants, les entrepreneurs qui introduisent de nouvelles technologies seront les personnes les plus respectées de la société et de son côté, la société leur apportera tout ce dont ils ont besoin pour être productifs.
Une culture fondée sur des
valeurs humanistes
Evidemment, on ne peut pas créer une économie novatrice dans l’immédiat. Elle fait partie d’une culture fondée sur des valeurs humanistes, sur nos efforts pour transformer le monde et assurer une meilleure qualité de vie, libérer les individus de la pauvreté, de la maladie, de la peur et de l’injustice. Les personnes de talent qui veulent faire des réformes, qui sont capables de créer des choses nouvelles et meilleures ne viendront pas d’une autre planète. Elles sont déjà parmi nous et la preuve en est apportée par les résultats des concours intellectuels internationaux, le fait que des inventions faites en Russie soient brevetées à l’étranger et que nos meilleurs spécialistes soient recrutés par les plus grandes sociétés et universités du monde. Nous – gouvernement, société, familles – devons apprendre à trouver, à encourager, à former et à prendre soin de ces gens.
Le progrès scientifique et technologique est indissolublement lié au progrès des systèmes politiques
Je pense également que le développement technologique est une tâche publique et politique prioritaire parce que le progrès scientifique et technologique est indissolublement lié au progrès des systèmes politiques. Selon les spécialistes, la démocratie est née dans la Grèce antique, mais à cette époque, elle n’était pas complète. La liberté était le privilège d’une minorité, d’une élite. La véritable démocratie qui a établi le suffrage universel et les garanties légales de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, la «démo­cratie pour tous», a émergé relativement récemment, il y a environ 80 à 100 ans. La démocratie n’est pas apparue avant le début de la production de masse des biens et des services les plus nécessaires, lorsque le niveau du développement technologique de la civilisation occidentale a rendu possible l’accès universel aux services publics de base: éducation, soins médicaux et information. Toute invention qui améliore notre qualité de vie nous apporte un peu plus de liberté. Elle rend nos conditions de vie plus confortables et les relations sociales plus équitables. Plus notre économie sera intelligente et efficace, plus grand sera le bien-être de nos citoyens et plus notre système poli­tique et la société dans son ensemble seront libres, justes et humains.
Le progrès des technologies modernes de l’information, que nous allons encourager de toutes nos forces, nous offre des occasions inédites de réaliser les libertés politiques fondamentales comme la liberté de parole et de réunion. Il nous permet également d’éliminer les foyers de corruption. Il nous donne accès aux lieux où se déroulent presque tous les événements. Il facilite l’échange direct d’opinions et de connaissances entre les gens dans le monde entier. La société devient plus ouverte et transparente que jamais bien que la classe dirigeante n’aime pas forcément cela.
Le système politique russe sera ouvert, souple et intérieurement complexe
Le système politique russe sera aussi extrêmement ouvert, souple et intérieurement complexe. Il sera adapté à une structure sociale dynamique, active, transparente et multidimensionnelle. Il correspondra à une culture politique de citoyens libres, sans craintes, sûrs d’eux et utilisant leur esprit critique. Comme dans la plupart des pays démocratiques, les leaders du débat politique seront les partis parlementaires qui se succéderont périodiquement au pouvoir. Les partis et les coalitions qu’ils forment choisiront les exécutifs fédéraux et régionaux (et non l’inverse). Ils seront chargés de nommer les candidats aux postes de président, de gouverneurs de région et à ceux des autorités locales. Ils auront une longue expérience de la compétition politique civilisée, c’est-à-dire des relations respon­sables et sérieuses avec les votants, de la coopération entre les partis et de la recherche de compromis pour résoudre les graves pro­blèmes sociaux. Ils rassembleront en une seule entité politique tous les éléments de la société et les citoyens de toutes les nationalités, les groupes de personnes et les territoires les plus divers de Russie dotés d’amples pouvoirs.
Le système politique sera renouvelé et amélioré grâce à la compétition d’associations politiques ouvertes. Il y aura un consensus entre les partis sur les questions de politique étrangère stratégique, la stabilité sociale, la sécurité intérieure, les fondements de l’ordre constitutionnel, la sauvegarde de la souveraineté du pays, les droits et les libertés civiques, la protection des droits de propriété, le rejet de l’extrémisme, le soutien de la société civile, toutes les formes d’autogestion et d’autonomie. Un consensus similaire existe dans toutes les démocraties modernes.
Cette année, nous avons fait les premiers pas vers la création d’un tel système politique. Nous avons donné aux partis politiques davantage d’occasions de choisir ceux qui occupent des positions de dirigeants dans les régions et dans les municipalités. Nous avons assoupli les conditions requises pour créer de nouveaux partis. Nous avons simplifié les conditions en vigueur pour la nomination des candidats aux élections à la Douma. Nous avons voté des lois garantissant un accès aux médias égal pour tous les partis parlementaires. Et un certain nombre d’autres mesures ont été adoptées.
Nous n’allons pas précipiter les choses
Tout le monde n’est pas satisfait du rythme des changements. Certains voudraient accélérer les changements du système politique et revenir aux années 1990 «démocratiques». Mais il serait impardonnable de revenir à un pays paralysé. Je souhaite décevoir les partisans de la révolution permanente. Nous n’allons pas précipiter les choses. Des réformes hâtives et irréfléchies ont eu des consé­quences tragiques plus d’une fois dans notre histoire. Elles ont conduit la Russie au bord de l’effondrement. Nous ne pouvons pas mettre en danger notre stabilité sociale et la sécurité de nos citoyens au nom de théories abstraites. Nous ne sommes pas habilités à sacrifier une vie stable, même pour les objectifs les plus élevés. Confucius faisait observer qu’«une petite impatience ruine un grand projet». Nous en avons tous fait l’expérience par le passé. Les réformes sont pour le peuple et non le peuple pour les réformes. En même temps, cela va déplaire à ceux qui sont tout a fait satisfaits du statu quo, ceux qui craignent les changements. Ils auront lieu mais ils seront graduels, réguliers, cohérents et considérés dans tous leurs détails.
La démocratie russe ne va pas
simplement copier des modèles étrangers
La démocratie russe ne va pas simplement copier des modèles étrangers. La culture politique ne sera pas transformée par une ­simple imitation des traditions politiques des sociétés avancées. On ne peut pas importer un système judiciaire efficace. Il est impos­sible de copier la liberté dans un livre, même dans un livre très intelligent. Certes, nous apprendrons quelque chose des autres pays, de leurs expériences, de leurs réussites et de leurs échecs dans le développement d’institutions démocratiques, mais personne ne vivra à notre place. Personne ne nous rendra libres, responsables, performants. Seuls nos efforts en vue de la démocratie nous donneront le droit de dire: nous sommes libres, respon­sables et performants.
La démocratie doit être protégée
La démocratie doit être protégée, les droits et les libertés civiques également. Il faut les protéger avant tout de la corruption qui engendre la tyrannie, le manque de liberté et l’injustice. Nous commençons seulement à développer ces mécanismes protecteurs. Notre système judiciaire doit être ici une composante essentielle. Nous devons créer un système judiciaire moderne et efficace en conformité avec la nouvelle législation et basé sur les principes légaux contemporains. Nous devons également nous débarrasser du mépris de la loi et de la justice qui, je l’ai souvent dit, est devenu une tradition lamentable dans notre pays. Mais ce nouveau système ne peut pas être réalisé par la compétition et les campagnes ni par de vains propos sur le degré de corruption du système ou sur la question de savoir s’il ne serait pas plus facile de créer de nouveaux systèmes judiciaires et policiers plutôt que de changer les systèmes actuels. Il n’y aura pas de juges entièrement nouveaux, pas plus que de nouveaux procureurs, policiers, membres des services de renseignements, fonctionnaires, hommes d’affaires, etc. Nous devons créer des conditions de travail nor­males pour les services chargés de faire respecter la loi et nous débarrasser une fois pour toutes des imposteurs. Nous devons apprendre à ceux qui sont chargés de faire respecter la loi de défendre les droits et les libertés à résoudre les conflits de manière équitable, claire et efficace dans le cadre de la loi. Nous devons mettre fin aux tentatives d’influencer les décisions de justice pour quelques raisons que ce soit. Finalement, le système judiciaire lui-même doit comprendre la différence qui existe entre agir dans l’intérêt général et agir dans l’intérêt égoïste d’un fonctionnaire ou d’un homme d’affaires. Nous devons cultiver le respect de la loi, le respect des droits d’autrui, notamment celui de la propriété foncière. Il appartient aux tribunaux de débarrasser le pays de la corruption avec un large soutien de la population. Il s’agit là d’une tâche difficile mais faisable. D’autres pays y sont parvenus.
Programmes économiques et
humanitaires pour le sud du pays
Nous allons faire tout notre possible pour permettre aux populations du Caucase russe de vivre normalement. Les programmes économiques et humanitaires pour le sud du pays vont prochainement être révisés et développés. Nous établirons des critères précis permettant d’évaluer les résultats des chefs des structures gouvernementales chargées du Caucase. Cela concerne avant tout les ministères fédéraux et régionaux et les départements responsables de la production industrielle, des finances, du développement social, de l’éducation et de la culture. En même temps, les autorités poli­cières et judiciaires continueront de poursuivre les bandits qui cherchent à intimider et à terroriser la population de certaines républiques caucasiennes avec leurs idées folles et leurs coutumes barbares.
Les tendances démographiques négatives doivent être ralenties et stoppées. Nous devons améliorer la qualité des soins médicaux, encourager la fécondité, assurer la sécurité sur les routes et sur les lieux de travail, combattre l’épidémie d’alcoolisme et développer la culture physique et le sport de masse. Cela nécessite une approche stratégique et il faut que cela devienne des tâches quotidiennes du gouvernement.
Quels que soient l’ampleur et les effets de ces transformations, leur objectif est finalement le même: améliorer la qualité de vie des Russes en leur procurant des logements, des emplois, des soins médicaux, en s’occupant des retraités et des handicapés, en protégeant les enfants. Tels sont les devoirs des autorités à tous les niveaux.
Les politiciens russes nous rappellent souvent que, selon la Constitution, la Russie est un Etat providence. C’est vrai, mais nous ne devons pas oublier que l’Etat providence moderne n’est pas une espèce de système de protection sociale soviétique hypertrophié dont les prestations tombent du ciel. L’Etat providence est un système complexe et équilibré d’incitations économiques et de prestations sociales, de critères éthiques et comportementaux, un système dont l’efficacité dépend d’une manière décisive de la qualité du travail et du niveau de formation de chacun d’entre nous.
Le gouvernement ne devrait distribuer à la société que ce qu’elle a produit. Il est immoral, imprudent et dangereux de vivre au-dessus de ses moyens. Nous devons augmenter la productivité de notre économie pour améliorer nos finances et non pas nous contenter d’attendre une hausse du prix du pétrole.
Nous améliorerons l’efficacité des services sociaux dans tous les domaines en prêtant une attention toute particulière au soutien matériel et médical apporté aux anciens combattants et aux retraités.
Utiliser les ressources intellectuelles
des sociétés post-industrielles
A mon avis, la modernisation de la démo­cratie russe et la création d’une nouvelle économie ne seront possibles que si nous utilisons les ressources intellectuelles des sociétés post-industrielles et nous devrions le faire sans complexes, de manière ouverte et pragmatique. L’harmonisation de nos relations avec les démocraties occidentales n’est pas une question de préférences personnelles ou de préroga­tives de groupes politiques. Notre potentiel financier et technologique actuel ne suffit pas pour améliorer la qualité de vie. Nous avons besoin de l’argent et de la technologie des pays d’Europe, d’Amérique et d’Asie. De leur côté, ces pays ont besoin des opportunités offertes par la Russie. Nous tenons beaucoup au rapprochement et à l’interpénétration des cultures et des économies.
Naturellement, aucune relation n’est exempte de contradictions. Il y aura toujours des sujets à controverse, des désaccords, mais les ressentiments, l’arrogance, les complexes, la méfiance, et en particulier l’hostilité devraient être exclus des relations entre la Russie et les principaux pays démocratiques.
Nous avons beaucoup d’objectifs communs, notamment des priorités absolues qui concernent tous les habitants de la planète, comme la non-prolifération des armes nucléaires et la réduction des risques liés aux effets négatifs du changement climatique.
Nous avons besoin de partenaires
Nous avons besoin de partenaires intéressés que nous impliquerons dans des activités communes. Si nous devons changer quelque chose nous-mêmes pour abandonner d’anciens préjugés et d’anciennes illusions, nous le ferons. Bien entendu, je ne fais pas allusion à une politique de concessions unilaté­rales. Le manque de volonté et l’incompétence ne nous vaudra aucun respect, aucune gratitude, ne nous apportera aucun bénéfice. Cela s’est déjà produit dans notre histoire récente. Les notions naïves d’un Occident infaillible et heureux et d’une Russie éternellement sous-développée sont inacceptables, insultantes et dangereuses. Mais non moins dangereuse est la voie de la confrontation, de l’isolement, des insultes mutuelles et des récriminations.
Notre politique étrangère et nos objectifs stratégiques à long terme ne devraient pas être inspirés par la nostalgie. La Russie est une des principales économies du monde, une puissance nucléaire et un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Elle devrait expliquer ouvertement sa position et la défendre en tous lieux sans équivoque et sans céder aux pressions. Et si nos intérêts sont menacés, nous devons les défendre avec force. J’ai parlé de ces principes de notre politique étrangère en août de l’année dernière.
En plus de ce travail sur le front occidental, nous devons augmenter notre coopération avec les pays de la Communauté économique eurasienne (CEEA), l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et le Commonwealth des Etats indépendants (CIS). Ce sont nos partenaires stratégiques les plus proches. Nous partageons les objectifs de modernisation de nos économies, de sécurité régionale et d’un ordre mondial plus juste. Nous devons également développer la coopération avec nos partenaires de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et le BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine).
Comme tout grand peuple, le peuple russe est brillant et héroïque; il suscite le respect et l’admiration du monde et cependant, notre histoire a été sujette à controverse, complexe, ambiguë. Cela signifie des choses diffé­rentes pour différents peuples dans différents pays et il reste beaucoup à faire pour protéger notre héritage historique des distorsions et des spéculations politiques. Nous devons envisager lucidement notre passé, avec ses grandes victoires, ses erreurs tragiques, nos modèles et les manifestations des meilleurs traits de notre caractère national.
Nous devons respecter notre histoire
De toute façon, nous serons attentifs à notre histoire et nous la respecterons. Avant tout, nous devons respecter le rôle que notre pays a joué pendant des siècles dans le maintien d’un ordre mondial équilibré. A tous les stades de son développement, la Russie a cherché à réaliser un ordre mondial plus juste. Elle a souvent cherché à protéger des petits Etats confrontés à une menace d’asservissement, voire d’anéantissement. Ce fut encore le cas récemment lorsque le régime de Saakachvili a lancé son attaque criminelle contre l’Ossétie du Sud. La Russie a souvent mis fin aux projets de ceux qui étaient résolus à dominer le monde. Elle a été deux fois à la tête d’une grande coalition: au XIXe siècle, pour stopper Napoléon et au XXe pour vaincre les nazis. En temps de guerre comme en temps de paix, lorsqu’une juste cause nécessitait une action décisive, notre peuple a apporté son aide. La Russie a toujours été une alliée loyale dans les guerres et un partenaire honnête dans les affaires économiques et diplomatiques.
A l’avenir, la Russie sera un membre actif et respecté de la communauté des nations libres. Elle sera suffisamment forte pour exercer une influence importante sur les déci­sions aux répercussions globales. Elle sera en mesure de prévenir n’importe quelle action unilatérale visant à nuire à ses intérêts nationaux, à ses affaires intérieures, à faire baisser le niveau de vie des Russes ou à porter atteinte à leur sécurité.
C’est pour ces raisons qu’avec d’autres pays nous essayons de réformer les institutions politiques et économiques supranationales. L’objectif de cette modernisation est le développement des relations internatio­nales dans l’intérêt du plus grand nombre de peuples et d’Etats possible. Nous souhaitons établir des règles de coopération et de résolution des conflits qui accordent la priorité aux idées modernes d’égalité et d’équité.
Voilà ce que je pense du rôle historique de notre pays et de son avenir. Ce sont mes réponses à quelques-unes des questions qui nous concernent tous.
J’invite tous ceux qui partagent mes opi­nions à s’engager. J’invite également ceux qui ne sont pas d’accord avec mes idées mais désirent sincèrement des changements positifs à s’investir eux aussi. Certaines personnes vont tenter de contrecarrer nos efforts. Des ­groupes influents de fonctionnaires corrompus et d’entrepreneurs paresseux sont bien installés. Ils ont tout et sont satisfaits. Ils vont tirer tous les bénéfices possibles de ce qui reste de l’industrie soviétique et dilapider les ressources naturelles qui appartiennent à nous tous. Ils ne créent rien et ­craignent le développement. Mais l’avenir ne leur appartient pas, il nous appartient à nous et nous constituons une majorité absolue. Nous agirons patiemment, avec pragmatisme, de manière cohérente et équilibrée, aujourd’hui et demain. Nous surmonterons la crise, l’arriération et la corruption. Nous créerons une nouvelle ­Russie. En avant la Russie!    •
Source: www.kremlin.ru
(Traduction de l’anglais: Horizons et débats)