Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°40, 24 septembre 2012  >  Les Catalans cherchent l’autonomie [Imprimer]

Les Catalans cherchent l’autonomie

«Un peuple a le droit de gérer lui-même son Etat, ses ressources et son argent»

par Raphael Minder, Barcelone

ts. L’Espagne et ses régions souffrent de la crise financière. Mais au lieu de s’abandonner maintenant à un fatalisme dépressif, les Catalans se réfèrent aux droits du peuple de gérer lui-même ses ressources et son argent. Selon un parlementaire de Barcelone, les gens devraient, dans la crise, pouvoir se tenir à une vision positive de l’avenir au lieu de se faire tous les matins du souci concernant les taux de la prime de risque des dettes. Une majorité des Catalans exige une souveraineté fiscale et un relâchement ou même une rupture du lien avec le reste de l’­Espagne tourmentée par la récession. Même si, dans le passé, leurs propres hommes politiques n’ont pas toujours géré les finances impeccablement, ils sont de toute façon les représentants du peuple et la population devrait avoir le pouvoir de juger ses hommes politiques selon les critères «échoué» ou «accepté». On commence ainsi à discuter la problématique de l’éloignement de la politique du peuple dans les grands Etats européens gouvernés de manière centraliste, où les citoyens demandent davantage d’autonomie et de fédéralisme.

Xavier Carbonell, le gérant de Palex, un fournisseur d’appareils médicaux, ne donne pas l’impression d’un homme d’affaires qui est disposé de risquer une confrontation politique entre sa région natale de Catalogne et le gouvernement central de Madrid.
Car Palex, ayant son siège à Barcelone, reçoit 90% de ses recettes de 150 millions de dollars annuelles de clients de l’Espagne restante.
Mais mardi, Carbonell a suivi les centaines de milliers de concitoyens catalans dans le centre de Barcelone qui ont demandé l’indépendance de la Catalogne du reste de l’­Espagne – bien que ces exigences puissent mettre la Catalogne en danger de subir des mesures de rétorsion, peut-être même un boycott populaire de produits catalans commandé par Madrid. Mais, Carbonell a jugé que de tels risques «à court terme» sont secondaires face aux principes économiques et politiques plus fondamentaux.
Il a dit: «Un peuple a le droit de gérer lui-même son Etat, ses ressources et son argent».
Même dans la situation dans laquelle le gouvernement espagnol du Premier ministre Mariano Rajoy se retrouve aux avant-postes de la crise financière de l’euro, la Catalogne s’est placée au centre des défis internes de Rajoy. La Catalogne est si lourdement endettée que, récemment, son gouvernement a demandé un crédit d’urgence de 5 milliards d’euros à Madrid. Mais ici, dans cette région avec sa propre langue et sa propre conscience identitaire, la crise financière a fait renaître des ressentiments culturels et économiques existants depuis longtemps.
La société catalane reste divisée dans la question de savoir si la sécession doit se limiter à la souveraineté fiscale de Madrid ou aller au-delà. Malgré la participation sans précédent à la manifestation de mardi, des sondages effectués récemment montrent que seulement une mince majorité des Catalans préfère l’indépendance totale. Mais, les attentes de Xavier Carbonell reflètent l’évolution du séparatisme de l’époque récente d’une opinion de minorité vers un phénomène de majorité, non seulement parmi les hommes politiques mais aussi parmi les plus grands hommes d’affaires de la région économique la plus puissante de l’Espagne qui produit un cinquième de la performance économique du pays.
Et cela représente encore un autre défi essentiel pour Rajoy, dont la relation avec les régions espagnoles sont déjà difficiles suite à la crise et aussi à cause de son attitude de demander une plus grande discipline budgétaire de la Catalogne et des autres régions lourdement endettées avant de concéder des soutiens financiers.
Des hommes politiques catalans concèdent que l’offensive séparatiste n’aurait pas pu venir dans un moment plus défavorable pour Rajoy. Il est sous pression de l’extérieur par le programme pour l’achat d’emprunts d’Etat de la Banque centrale européenne, décidé la semaine dernière, parce qu’il doit décider si l’Espagne doit demander une aide financière supplémentaire européenne.
Rocío Martínez-Sampere, un député socialiste du parlement régional catalan a exprimé ceci: «Une crise économique importante a malheureusement tendance à faire apparaître à la surface toutes sortes de problèmes en même temps».
Même si le modèle d’une indépendance catalane reste vague, Josep Ramoneda, philosophe catalan, pense qu’en réalité cela est «au moment actuel le seul projet politique réel en Espagne».
Il a continué: «Dans une crise, les gens doivent pouvoir se tenir à une vision positive de l’avenir et ils ne peuvent pas se soucier tous les matins du taux de la prime de risque des dettes.»
Rajoy a essayé entre-temps de contourner le défi catalan en appelant à l’unité nationale. Mardi, il a exhorté les régions qu’elles devaient se montrer solidaires et se concentrer sur les possibilités de sortir ensemble l’économie de la récession.
La Catalogne a été pendant longtemps la locomotive économique la plus importante du pays, avec une économie de 200 milliards, équivalente de celle du Portugal, et avec ses 7,5 millions d’habitants (16% de la population espagnole). La région relie un secteur de prestation de service financier puissant, dirigé par la grande banque La Caixa, avec une base industrielle forte dont font partie les secteurs traditionnels du textile et de l’industrie automobile (Nissan et Volkswagen ont des sites de production dans les environs de Barcelone), mais aussi des entreprises de biotechnologie comme Grifols, un développeur de produits sur la base de plasma de sang.
Des fonctionnaires de Madrid aiment souligner que c’est le financement des Jeux olympiques de 1992 par le gouvernement central qui a aidé Barcelone à améliorer sa renommée mondiale et de devenir l’une des villes les plus fréquentées d’Europe – avec 9 millions de touristes par an, comparé à un million avant les jeux. La force d’attraction commerciale de l’espace métropolitain est maintenant telle que, la semaine dernière, les autorités locales ont pu annoncer les projets d’un entrepreneur privé en bâtiment pour un nouveau parc d’attractions à 4,8 milliards d’euros, appelé Barcelone World, qui doit être construit sur un terrain appartenant à La Caixa, à 120 kilomètres au sud de la capitale, dans les environs de Tarragone.
La crise financière a toutefois révélé que la Catalogne, comme beaucoup d’autres régions, a mal géré son budget public. Pour Rajoy, les régions endettées de l’Etat sont responsables des deux tiers du déficit budgétaire de l’année dernière, qui a empêché l’Espagne d’atteindre les objectifs d’un budget équilibré, auxquels elle avait consenti dans le cadre de ses obligations dans la zone euro.
De la dette totale de 140 milliards d’euros des 17 gouvernements espagnols régionaux, la Catalogne doit la plus grande partie: 42 milliards d’euros. La région a tellement de difficultés qu’elle ne peut plus prêter de l’argent aux marchés financiers, raison pour laquelle la Catalogne a dû demander un crédit d’urgence au gouvernement Rajoy.
Dans un certain sens, la Catalogne a laissé la nation derrière elle. Vu le taux national de chômage de 24,6%, le taux catalan du chômage est légèrement meilleur, s’élevant à environ 22%. Et beaucoup de Catalans en ont tiré la conclusion que leurs chances pour une reprise par le biais d’un relâchement ou d’une rupture du lien avec le reste de l’Espagne, tourmentée par la récession, augmenteraient.
«Avant la crise, beaucoup de gens ont vu ici les avantages de faire partie d’une économie espagnole dynamique, mais ce que nous voyons maintenant, ce n’est qu’une économie en déclin et qui est dirigée par les hommes politiques qui la rendent encore pire à Madrid», a dit Salvador García Ruiz, l’un des fondateurs de Collectiu Emma, une union qui encourage les intérêts catalans. Bien qu’il concède que les hommes politiques catalans ont également trop dépensé et que, dans quelques cas, ils étaient impliqués dans des scandales de corruption, «ils sont de toute façon les représentants du peuple et la population devrait avoir le pouvoir de juger ses hommes politiques selon les critères «échoué» ou «accepté».
Le gouvernement régional de la Catalogne, sous la direction d’Artur Mas et de son parti Convergencia i Unio, a limité jusqu’à présent ses exigences à demander la souveraineté fiscale et a commencé de convaincre Rajoy qu’on devrait permettre à la Catalogne de réduire sa contribution à un système financier qui redistribue des parties des recettes fiscales à d’autres régions plus pauvres de l’Espagne. Il est prévu que deux hommes politiques discutent de l’affaire lors d’une rencontre jeudi prochain.
En regardant de l’avant, avec deux élections régionales le mois prochain – l’une dans le Pays Basque, l’autre dans la région natale de Rajoy, la Galice – il ne semble pas que le Premier ministre conclut n’importe quel accord avec la Catalogne, qui ne pourrait qu’ouvrir une boîte de Pandore avec de nouvelles exigences d’autres régions endettées. Il essaye aussi de détourner une révolte fiscale qui risque de se produire dans la région d’Extremadura, qui, bien que le parti populaire de Rajoy soit le parti le plus puissant là-bas, a laissé entendre ce mois qu’elle n’appliquerait que sélectivement une augmentation d’impôt promulguée par Madrid.
Mais dans le cas de la Catalogne, Artur Mas et ses alliés menacent de laisser envenimer le conflit si Mariano Rajoy ne tient pas compte de leurs exigences fiscales. Ils ont pris en considération de créer une nouvelle administration fiscale catalane pour prélever l’argent qui afflue jusqu’à présent encore dans les caisses de Madrid. […]    •

Source: © The International Herald Tribune du 14/9/12

(Traduction Horizons et débats)