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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°25, 29 juin 2009  >  «Tout d’abord l’éthique, ensuite la politique et alors seulement l’économie» [Imprimer]

«Tout d’abord l’éthique, ensuite la politique et alors seulement l’économie»

Une perspective éthique de l’économie pour le XXIe siècle

 

Emission de la télévision alémanique «Sternstunde Philosophie» du 7 juin 2009                         Entretien de Roger de Weck avec le professeur Peter Ulrich, du Département d’éthique de l’économie de l’Université de Saint-Gall

 

La crise est là; que devient la morale? Une économie peut-elle vraiment fonctionner sans valeurs? La crise financière change-t-elle nos activités économiques durablement? Pendant plus de deux décennies, Peter Ulrich a été titulaire de la première et jusqu’ici unique chaire d’éthique de l’économie en Suisse. Il est parti en retraite au début de mai. Dans un entretien avec Roger de Weck, Peter Ulrich explique comment l’éthique de l’économie pourrait réussir à s’opposer dans une certaine mesure à l’utilitarisme des économistes.

Bernhard Senn: Depuis 1987, Peter Ulrich était professeur d’éthique de l’économie à Saint-Gall. Il est l’unique titulaire d’une chaire d’éthique de l’économie en Suisse. Après deux décennies d’enseignement, il vient de donner sa leçon d’adieux, sur la crise, bien sûr. Il a posé la question de savoir comment comprendre que les activités économiques d’un nombre si frappant d’acteurs s’emballent. Aujourd’hui, l’émission «Stern­stunde» est consacrée à cette énigme. Roger de Weck a invité Peter Ulrich pour engager avec lui une discussion fondamentale. Notamment sur le rôle et le pouvoir de l’éthique en ces temps où les dirigeants de l’économie ne prêtent guère attention aux professeurs d’éthique de l’économie, si ce n’est pour les ridiculiser.

Roger de Weck: Soyez le bienvenu.

Peter Ulrich: Je suis heureux d’être ici.

Est-ce que cela a valu la peine?

Quoi exactement?

Les deux décennies pendant lesquelles vous avez été professeur d’éthique de l’économie à Saint-Gall.

Oui, j’ai toujours dit que j’étais un optimiste méthodique. Le contraire – le pessimisme – n’est pas une attitude sensée. Et en jetant un regard rétrospectif, je pense que cela a valu la peine. Peut-être moins si l’on espérait pouvoir changer la pratique dominante; ce serait exagéré. Mais peut-être a-t-on réussi à mener des centaines, voire des milliers d’étudiants à mieux réfléchir, à augmenter leur prise de conscience de certains faits.

Vous dites que c’est exagéré de vouloir changer les pratiques?

Oui, l’éthique n’est pas une technique sociale pour la bonne cause. C’est une forme de réflexion philosophique. J’aime bien dire que l’éthique de l’économie contribue à combler un manque dans l’élucidation de notre pensée économique et cela semble être un domaine dans lequel nous ne sommes pas très mo­dernes. Nous avons beaucoup de connaissances et des convictions profondes en économie sur lesquelles on réfléchit peu.

Dont nous ne sommes pas conscients?

Dont nous ne sommes pas conscients et qui ont en partie une très longue tradition. L’éthique philosophique tente d’éclairer ces faits pour les rendre accessibles à l’argumentation et nous permettre de préciser nos idées fondamentales sur l’économie.

Un exemple?

Une idée fondamentale est par exemple que davantage de marché est une bonne chose. Et là nous pouvons nous demander pourquoi cette confiance dans le marché existe. Pourquoi cette conviction que la coordination du marché dispose d’un potentiel d’harmonie intégré qui fait que les résultats pour toutes les personnes concernées seraient a priori les meilleurs possibles.

D’où vient cette hypothèse?

Je le répète, les choses sont complexes. En simplifiant grossièrement, on pourrait dire qu’il y a l’idée premièrement qu’un marché non régulé relève de l’ordre naturel; deuxièmement que l’ordre naturel est la création de Dieu, que troisièmement, Dieu a organisé la nature avec sagesse, et que, quatrièmement, tout ira donc bien si nous nous en remettons à l’autorégulation du marché, même dans le domaine social. On a tendance à considérer, dans cette conception quasi théologique du marché, qu’à l’opposé, ceux qui préconisent une régulation extérieure du marché sont des hérétiques.

Walter Benjamin a parlé du capitalisme comme d’une religion.

Oui. Je dirais, bien sûr en faveur de la religion, que c’est une pseudoreligion ou une cryptoreligion, une forme tardive de crédulité religieuse qui est instrumentalisée et dont on abuse à des fins idéologiques.

Vous avez évoqué tout à l’heure la coordination par le marché des différents acteurs de l’économie: entrepreneurs, travailleurs et tous les autres. L’autre coordination, qu’on a observée ces derniers temps est celle réalisée par l’Etat, par l’économie planifiée. Et elle a échoué. En d’autres termes, cela a-t-il contribué aussi à la croyance dans le marché?

Je le pense. Il y a eu la situation bien connue de la guerre froide et on a eu, dans les pays occidentaux, une certaine peur du communisme. Le résultat a été ce que Ralf Dahrendorf a appelé le compromis social-démocratique. On s’est dit: Faisons des concessions dans le domaine de la politique sociale afin que la population reste tranquille, qu’elle ne se révolte pas contre les effets d’une régulation excessive du marché.

On a appelé cela l’économie sociale de marché.

On a appelé cela, ou disons une réalisation particulière de cela, l’économie sociale de marché. Et après 1989, il y eu naturellement les cris de victoire du capitalisme qui se croyait vainqueur. Je me souviens d’avoir dit juste après dans une interview: Le capitalisme est tout aussi démodé que le communisme, car tous deux sont finalement des systèmes métaphysiques. Métaphysique veut dire qu’ils ne sont pas empiriquement réfutables.

Surnaturels?

Oui. Ce sont des convictions que la réalité échoue à ébranler.

Donc l’expérience que l’économie de marché, malgré tous ses défauts, fonctionne mieux que l’économie planifiée était là.

Elle était là. Cependant je vous dirai que le professeur d’éthique n’admet pas cette opposition. En effet, l’économie de marché elle-même est une organisation relevant de l’Etat de droit. Elle n’est pas tombée du ciel. Et le marché seul ne caractérise pas un ordre économique. Plus personne – à part Fidel Castro et deux ou trois de ses fidèles ne conteste le fait que nous ayons besoin d’une coordination du marché dans une économie complexe fondée sur la division du travail. C’est trivial. Seulement il existe mille variantes d’économies de marché. On a besoin d’un mélange intelligent d’autorégulation du marché et de conditions cadres fixées juridiquement ainsi que de structures incitatrices. Et cela aussi, ce n’est qu’un aspect des choses.

Et l’autre aspect?

C’est la société. Nous avons aujourd’hui un syndrome typique de l’esprit du temps. Nous ne savons plus faire la distinction entre l’économie et la société. Nous avons certains problèmes politiques et sociaux dont nous n’arrivons pas à nous débarrasser, par exemple l’écart qui se creuse entre les revenus et la fortune des uns et des autres, le chômage chronique …

… qui augmente dans la crise.

Exactement. Depuis des décennies, tous les acteurs politiques de gauche comme de droite partent du principe contestable qu’il existe des réponses économiques aux questions non résolues. Je n’y crois plus.

C’est-à-dire?

Ce sont des problèmes politiques et sociaux qui réclament aussi des solutions politiques et sociales. On pourrait presque aller jusqu’à dire que dans la plupart des pays de l’OCDE, l’économie de marché fonctionne parfaitement.

Mais?

Les problèmes que nous avons, par exemple le chômage de masse chronique, sont le résultat de l’histoire d’une réussite et non d’un échec car toute dynamique rationalisatrice de l’économie de marché dans le cadre des conditions relatives au droit de la propriété et à la politique sociale tend bien sûr à supprimer des emplois en rationalisant la production. C’est une décision préliminaire. Ne croyez aucun dirigeant politique qui affirme que son objectif est de créer des emplois. Bien sûr que non, car les emplois font naturellement partie des coûts. On veut réduire les coûts. L’objectif est l’augmentation du rendement des fonds propres (return on equity).

Le capitalisme, c’est le capitalisme et non le «laborisme», pour utiliser le terme latin désignant le travail.

Exactement. Cette décision n’a rien à voir du tout avec le marché. C’est une décision de politique sociale qui a une histoire de cinq siècles. Elle tire son origine d’une forme de pensée bourgeoise, d’une bourgeoisie possédante, en quelque sorte.

La propriété serait à la base du système actuel.

Oui. A l’origine, cela avait un côté raison­nable. Les anciens Grecs le savaient déjà, par exemple Aristote pour qui le citoyen ne peut être réellement libre que s’il est économiquement indépendant. Au début des Temps modernes, la bourgeoisie a commencé à s’émanciper de la noblesse. «La ville libère!»

Ou «Enrichissez-vous!»

Oui, c’est lié. Les bourgeois étaient ceux qui allaient dans les villes, qui pratiquaient un métier: avocat, artisan, etc. Ils ont réussi à devenir économiquement indépendants, en ont conçu une certaine assurance et peu à peu, ils ont aspiré à l’émancipation politique. Nous pouvons donc dire que libéralisation économique et libéralisation politique vont de pair.C’est logique. Mais au cours du XIXe siècle, l’histoire a évolué un peu autrement.

Parlez-nous-en.

Entre 1840 et 1875, il y a eu un grand boom, une période de croissance économique considérable, comme nous n’en avons jamais vécu au XXe siècle.

Aussi avec des bonus?

Sans bonus, mais une énorme augmentation de la prospérité. A la fin de cette période, après 1870 environ, la question sociale, tristement célèbre, a surgi de manière inattendue. Cela veut dire que la croissance économique déchaînée n’avait pas éliminé la pauvreté mais qu’elle avait conduit aussi à une nouvelle constellation sociale.

Avec un prolétariat.

De l’autre côté, tout d’abord, une bourgeoisie qui a réussi, qui a acquis certains privilèges et le pouvoir économique et politique. De l’autre côté, ce que Marx a appelé le prolétariat. Et cela fait partie maintenant de l’histoire …

Pourquoi Marx? Vous ne l’appelleriez pas ainsi?

Le prolétariat est un terme quelque peu lié à une époque. Je crois que nous ne devons pas conserver toutes les connotations négatives de ce terme. Actuellement, les sociologues parlent plutôt de «précariat», ce qui veut dire que de plus en plus de personnes tombent dans la précarité, jusque dans la classe moyenne inférieure, en ce sens que l’insécurité économique profonde devient pour elles un état normal.

Et au milieu du XIXe siècle, lorsque Marx écrit le Manifeste communiste, c’était beaucoup plus flagrant.

Oui. En particulier après 1870 lorsque la bourgeoisie devint une force progressiste. La «Neue Zürcher Zeitung» en faisait partie. C’était autrefois un journal de gauche. La bourgoisie se trouvait devant un choix historique: Devait-elle maintenir son projet original de liberté émancipatrice pour tous ou commencer à défendre les privilèges acquis? L’histoire nous apprend que ces privilèges ne sont malheureusement pas souvent rendus volontairement. La bourgeoisie a choisi grosso modo cette option et à partir de ce moment-là sont naturellement apparus de nouveaux mouvements et de nouveaux partis qui ont poursuivi le projet émancipateur d’une société bourgeoise pour tous.

Les syndicats de travailleurs et ensuite la démocratie sociale.

Oui, et plus tard le mouvement féministe, etc.

Mais à ce moment-là, Bismarck était chancelier du Reich – en Prusse tout d’abord en tant que chancelier et ensuite en Allemagne en tant que chancelier du Reich – et il a introduit les premières assurances-maladie, l’assuranc-invalidité, l’assurance-vieillesse. L’économie sociale de marché s’inscrit dans une grande tradition.

Je vois les choses de la même manière. Toutefois l’économie sociale de marché a – si nous voulons la dater de cette époque, mais ne chinoisons pas là-dessus – une malformation congénitale. Elle consiste en ce que l’Etat social ne fait que réduire, compenser ou corriger après coup les symptômes dus à l’action des forces du marché.

C’est donc du rapiéçage.

Exactement. On n’a fondamentalement rien changé aux causes.

Existe-t-il un système au centre duquel on ne trouve pas le capital mais le travail et où le social est aussi important que la rentabilité?

Bien sûr qu’il y a des alternatives, mais je ne chercherais pas un système.

Mais?

Un système suppose l’existence d’un mécanisme institutionnalisé qui se charge, quasi automatiquement, dans notre dos, de résoudre parfaitement tous les problèmes de coordination. Or l’histoire de l’après-guerre nous a appris, premièrement, qu’un mélange intelligent d’autorégulation du marché et de dirigisme est indispensable et que, deuxièmement, le système d’économie de marché ainsi conçu doit s’insérer dans une société organisée de manière à la fois moderne et intelligente. Et c’est là que sont, aujourd’hui, nos principaux problèmes.

Comment se fait-il que l’économie devienne indépendante et que nous ayons soudain d’un côté la société et de l’autre l’économie?

C’est une situation à deux faces. Attention! A première vue, l’économie de marché s’est effectivement émancipée en développant un certain entêtement et cet entêtement conduit facilement à des comportements absurdes dans la vie pratique. Mais, à y regarder de plus près – et c’est la question que se pose l’éthicien de l’économie – il doit y avoir des raisons à cela. Pourquoi les peuples, les individus des sociétés libérales démocratiques ont-ils accepté jusqu’à aujourd’hui cette émancipation du système économique? J’expliquerai cela de la manière suivante: Même les partisans les plus chauds d’une économie de marché totalement dérégulée ont premièrement besoin de se persuader que c’est une bonne idée, que c’est bien pour tout le monde Ils ne veulent pas être cyniques. Ils ont besoin de se persuader que c’est un ordre économique légitime.

Mais ne sont-ils pas tout de même cy­niques?

C’est possible. Mais je suis persuadé qu’il y a beaucoup moins de cyniques qu’on le pense communément et beaucoup plus de «croyants», de personnes qui ont confiance dans le marché.

Et deuxièmement?

Deuxièmement, ils doivent également supposer que l’Etat peut imposer efficacement cette dérégulation. Ce n’est pas attesté par l’histoire. A un moment donné, au début du XIXe siècle, en 1800 et dans les années qui ont suivi, la libéralisation du marché a commencé en Angleterre et au même moment les activités de l’Etat ont explosé au lieu de disparaître. En effet, c’est évident, ce système doit être mis en place, il faut imposer la concurrence. Les marchés doivent rester ouverts. Une certaine infrastructure juridique est nécessaire.

C’est-à-dire?

Des lois concernant la propriété, la responsabilité, les contrats, etc.

Revenons à l’élaboration d’un cadre pour l’économie de marché.

Si l’on considère l’histoire récente, nous avons, dans l’après-guerre, le compromis social-démocrate qui, après 1989, n’a plus semblé nécessaire puisque la doctrine adverse menaçante, le communisme, avait été vaincue.

On ne craignait plus qu’une partie du peuple rejoigne les communistes et le capitalisme pouvait se durcir?

Il pouvait s’emballer et on a eu, naturellement, tout d’abord le thatchérisme en Grande-Bretagne puis le reaganisme aux Etats-Unis, c’est-à-dire ce que les journalistes appellent généralement le néolibéralisme. Bref, les 25 dernières années ont été marquées par la mode du néolibéralisme et cette mode, si l’on peut utiliser cette métaphore, semble être en fin de parcours.

On pourrait cependant objecter que ce n’est pas l’émancipation de l’économie par rapport à la société, comme vous le prétendez, qui a lieu mais son contraire. Nous avons maintenant non seulement une économie de marché mais une société de marché. La société existe tout à fait mais elle est imprégnée de catégories économiques, et cela jusqu’au travailleur social qui considère les personnes assistées comme des «clients» et s’imagine qu’en utilisant ce terme relevant de l’économie, il les ennoblit.

Je suis heureux que vous souleviez cette question. La distinction entre l’économie et la société est assez floue. Et au cours de ces 20 dernières années, nous avons assisté à un renversement de situation. Nous avons vécu une vaste économisation de presque tout, de tous les domaines de la vie, du monde (la globalisation) et également de la politique. C’est-à-dire que la politique est devenue de plus en plus la gestionnaire des «contraintes» que lui impose le système économique devenu indépendant.

La politique serait l’instrument de l’économie?

Oui. Et naturellement, elle ne pouvait plus définir souverainement les conditions dans lesquelles l’économie pouvait fonctionner au service de la société. La raison en est évidente: il s’agit de la concurrence, très souvent invoquée, entre les lieux d’implantation écono­miques, qui est également une concurrence entre les diverses gouvernances économiques. Il s’agit d’attirer à un endroit précis les capitaux en quête d’investissements juteux. Et c’est uniquement un point de vue gestionnaire qui détermine l’attractivité des sites écono­miques pour les investisseurs. Avec ironie, on peut dire ceci: Dans les endroits en question, l’Etat offre des infrastructures parfaites et des «ressources humaines» parfaitement formées, accorde des subventions pendant 10 ans et une exonération fiscale; de plus, les coûts de production sont faibles. Mais ce ne sont pas là les critères d’une bonne économie nationale, d’une bonne économie sociale.

Ici aussi, l’aspect gestionnaire s’émancipe …

Exactement.

… et l’aspect social n’est pas pris en compte.

Non.

Une concurrence entre les sites économiques, comme s’il s’agissait d’entreprises, et les entreprises peuvent disparaître, pas les Etats.

C’est juste. On peut d’ailleurs se demander sérieusement si la catégorie concurrence peut s’appliquer à des entités politiques. Nous n’avons peut-être pas besoin d’approfondir la question. Je me contenterai de dire ceci: Le primat de la politique est la condition raisonnable de la réalisation de la vie et de l’ordre économiques. L’homme moderne ne saurait le contester.

Vous êtes optimiste. Mais n’est-ce pas naïf de réclamer quelque chose qui n’existe presque jamais. C’est toujours l’argent qui a le pouvoir et l’idée qu’une politique libérée de l’argent est possible n’est-elle pas naïve?

C’est votre opinion. Mais je vous opposerai ceci: Quelle est la fonction précise de l’éthicien? Il n’a pas de pouvoir et l’on ne peut absolument pas exiger qu’il change les choses. Il a éventuellement un certain pouvoir en matière de définition de concepts.

Ne devrait-il pas s’intéresser beaucoup plus au pouvoir afin que les maux qu’il diagnos­tique puissent recevoir une thérapie?

Mais il le fait. Voici un exemple. Nous nous demandions pourquoi l’autorégulation du marché n’est pas bonne en soi. La première réponse est: parce que le marché est puissant. Quand un marché fonctionne de manière efficace – c’est ce que demandent les économistes, leur idéal – il reflète efficacement, dans le meilleur des cas, les rapports de forces réels entre l’offre et la demande, les «terms of trade».

Et c’est celui qui est politiquement fort qui détermine l’ordre économique.

Exactement. Chacun peut bien négocier sur le marché, avec le pouvoir dont il dispose, mais c’est tout. Or il se trouve que les plus forts, qui ne sont souvent pas conscients de leur pouvoir, ont toujours tendance à être favorables à la dérégulation, aux lois du marché et les plus faibles, qui sont en général conscients de leur faiblesse, réagissent de manière sceptique.

Ils veulent que le droit triomphe et non la raison du plus fort.

Exactement.

En d’autres termes, c’est la lutte éternelle entre la nature, où le plus fort s’impose au cours de l’évolution, et la culture où l’on recherche un équilibre grâce à la civilisation.

Tout à fait.

Est-ce cela, le débat idéologique dans le capitalisme d’aujourd’hui?

Ça me plaît bien. Je dirai que nous avons besoin, au sens propre, sans esprit polémique, d’une économie de marché civilisée, c’est-à-dire d’une économie dont le bon fonctionnement se mesure aux services rendus à la civil society, au modèle d’une société pleinement développée et bien organisée où les citoyens sont libres et égaux, idéal de l’ancienne Suisse que nous avons un peu perdu.

Et revoilà la question de l’idéal. Vous dites: Nous avons besoin de ceci, de cela. Mais l’éthicien de l’économie que vous êtes devrait aussi proposer des moyens d’y parvenir. Ou est-ce là l’éternelle question qu’on vous a posée toute votre vie et à laquelle vous ne voulez pas répondre?

Non, l’éthicien se complairait dans les mauvaises abstractions s’il ne désignait pas les responsables. Soyons concrets: Comme un ordre économique satisfaisant ne tombera pas du ciel, il faut bien qu’il y ait des responsables. Et c’est un peu compliqué dans une société moderne où les citoyens sont souverains. Sans citoyens qui possèdent un sens civique, il n’y a pas de res publica, de république bien ordonnée. C’est une idée réglée en principe depuis 500 ans, c’est-à-dire que les citoyens, tous les citoyens, se trouvent face au défi de manifester leur sens civique également dans la vie économique, attitude qui leur paraît naturelle dans les autres do­maines. En d’autres termes: nous ne devrions pas séparer notre recherche du profit économique de notre identité normale de citoyens. Nous devrions l’intégrer.

Il s’agit des devoirs plutôt que des besoins, du normatif, comme disent les scientifiques. Nous avons une démocratie qui a besoin des citoyens et une économie de marché qui essaie de produire des consommateurs dociles et l’on a toujours considéré la démocratie et l’économie de marché comme des notions complémentaires. Sont-elles opposées? L’économie détruit-elle la démocratie, l’affaiblit-elle?

Non. Je vois les choses tout à fait différemment. Je dirai que nous sommes encore trop imprégnés de ce genre d’idéologie ou de doctrine. Vous avez parlé de consommateurs. Il n’est pas très difficile d’expliquer aux gens, de préférence aux jeunes gens, dans les écoles, que la possibilité de consommer est une chose certes très agréable mais que la qualité de vie ne se réduit pas à la consommation ou que la liberté de vivre une vie autonome ne se réduit pas à la liberté de consommer. C’est pourquoi nous pouvons être sûrs que les citoyens modernes, si on les forme de manière adéquate, auront conscience que ce sont les droits civiques qui garantissent leur statut de citoyens libres et non pas les promesses économiques.

Pas d’accord!

Comment?

Une partie de la jeune génération, notamment les jeunes issus de l’Université de Saint-Gall, souvent les meilleurs, ne se sont pas engagés dans une vie professionnelle où ils utilisaient leur liberté de manière productive mais sont allés directement au casino. Et ils ont misé, à 25 ans, pour être millionnaires à 35 ans.

Je vais vous donner deux réponses partielles. Premièrement, l’Université de Saint-Gall offre naturellement l’exemple typique d’une école qui, par son image particulière, sélectionne les étudiants qui lui correspondent. Son influence sur ceux-ci est limitée. Deuxièmement, et cela répond à votre question, on a une distribution gaussienne. On rencontre dans une faculté toutes sortes de modèles de pensée, également chez les étudiants. Et la seule chose que nous puissions raisonnablement rechercher empiriquement, c’est de savoir si cette courbe de Gauss s’est déplacée au cours des années. Et c’est nettement le cas. Aujourd’hui, les jeunes qui entrent à l’Université, qui ont autour de 20 ans, âge où l’on est ouvert aux réalités, ont assisté à un certain ébranlement des anciennes doctrines économiques. Ils ne reprennent plus sans problème les anciennes idéologies «harmonistes». Ils sont ouverts, vigilants, réceptifs.
Cela dit, il y a aussi l’«arrière-garde». C’est comme dans les courses cyclistes: il y a un petit peloton de tête suivi, à bonne distance, du gros des coureurs. Ceux qui sont aujourd’hui aux commandes sont passés il y a 20 – 25 ans par cette machinerie et consti­tuent naturellement l’«arrière-garde».

L’Université de Saint-Gall reste-t-elle une école de cadres qui produit avant tout des managers efficaces plutôt que des personnalités indépendantes?

Je ne peux pas faire de pronostics. Je dirai simplement qu’elle a néanmoins introduit le Kontextstudium et là elle est pionnière.

On offre un cadre général afin de ne pas se limiter aux disciplines principales que sont l’économie et le droit.

Exactement. Les étudiants doivent obtenir 25% de leurs crédits en lettres et sciences humaines ainsi qu’en sciences sociales.

Les crédits sont les points à acquérir dans le nouveau système de Bologne.

C’est ça. Et pour parler familièrement, disons que les étudiants doivent être vaccinés contre la spécialisation bornée.

J’ai fait mes études à Saint-Gall et un professeur m’a marqué: Ota Sîk, vice-Premier ministre du gouvernement Alexander Dubcek, lors du Printemps de Prague. A l’époque déjà, il cherchait une troisième voie. C’était un solitaire. Les étudiants n’étaient pas nombreux à suivre son cours, le soir, et pourtant il a joué un rôle très important. Est-il vrai que dans ce genre d’écoles, il y a de nombreux non-conformistes mais qu’ils font en quelque sorte tapisserie?

Non, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je dirai qu’au moins un tiers des professeurs de l’Université de Saint-Gall ont une opinion très semblable à celle de l’éthicien maison sur les rapports entre l’économie et la société.

Pas plus que ça?

Cela pourrait être lié à la perception sélective des médias. Ceux qui ont des opinions très proches, p. ex. la plupart des constitutionnalistes, ont encore une conception normale de la hiérarchisation des choses, de la bonne vieille triade aristotélicienne: tout d’abord l’éthique, ensuite la politique et alors seulement l’économie. Mais il peut y avoir d’autres domaines, l’économie politique, la gestion, où les approches standards se sont détachées de ces rapports de sorte qu’il est un peu plus difficile d’en parler.

Comment en est-on arrivé là? Adam Smith, qui a inventé, ou du moins rendu visible, la puissance cachée du marché, qui compte parmi les plus grands analystes de notre système économique, a commencé par être un philosophe moral et a écrit une «Théorie des sentiments moraux» encore valable.

C’est exact. C’est un très bel exemple, car les économistes ne lisent généralement qu’une moitié de Smith, celle qui a décrit la richesse des nations. Je dirai qu’il a été un philo­sophe moral brillant et un économiste passable. Il est devenu économiste parce qu’il y avait un problème qu’il ne maîtrisait pas encore complètement dans sa philosophie morale: Partant de la sympathy, de l’empathie entre les hommes, des forces morales qui lient les hommes, il supposait que notre raison, quasiment en tant qu’observatrice impartiale en nous, était capable de nous faire faire ce qu’il faut. Mais ensuite, en fin observateur de la réalité, il avait constaté qu’il y avait là un biais, une distorsion. Il utilisait une image: Quand on a mal au petit doigt, cela nous préoccupe beaucoup plus que lorsque des milliers de personnes meurent lors d’un tremblement de terre en Chine.
Comme c’était un déiste écossais, il partait de l’idée que Dieu ne commet pas d’erreurs et que s’il a fait l’homme ainsi, il avait une bonne raison et qu’elle se trouvait notamment dans l’économie. En gros, son explication était la suivante: L’imbrication des intérêts individuels dans le marché peut être un substitut partiel à la faiblesse des forces morales qui engagent les hommes. Ce n’est qu’une explication partielle du problème de la coordination sociale. Si l’on ne tient pas compte de cela, on se méprend sur la pensée de Smith. Donc si on veut l’appliquer avec succès à la situation actuelle, on devrait dire plutôt qu’il était partisan d’une économie de marché rigoureusement liée à la civil society, à la république.

Ce lien a disparu depuis deux décennies, le capitalisme s’étant décomplexé. Il existait encore dans les trois décennies précé­dentes. Certes, l’intérêt personnel était un moteur important mais limité, dans le cadre du marché, qui incitait l’homme à la créativité et à la productivité. Et soudain les limites ont disparu. Et nous sommes face à la question mentionnée par Bernhard Senn dans son introduction. Y a-t-il toujours, dans le capitalisme, des périodes de stabilité où il sait se limiter et d’autres où il perd tout simplement ses normes?

Je ne sais pas s’il en est toujours ainsi. Par rapport à la société et à l’Etat de droit, nous devons résoudre deux problèmes de définition. Tout d’abord, il y a les conditions auxquelles nous libérons les forces du marché et ensuite les limites. On pourrait dire: Là où nous voulons une régulation du marché par la société, au nom de son efficacité et de ses effets sur la richesse, rien d’autre ne doit compter que les performances du marché. Mais le marché ne doit pas dominer dans tous les domaines de la vie et de la société. Les direc­tives politiques sont essentielles.

La société de marché, où le marché im­prègne tout, est-elle l’ennemie de l’économie de marché?

Absolument. Une économie de marché du­rable, c’est-à-dire une économie que la majorité de la population considère durablement comme légitime, doit être limitée et intégrée dans la société. On pourrait aussi penser en catégories de risques. Plus vous soumettez les forces économiques à des conditions, plus vous les limitez, plus vous devez éventuellement renoncer à certains effets sur la productivité et la richesse. Mais vous y gagnez quelque chose, par exemple une répartition plus équitable des richesses dans la société; vous réduisez les risques de bulles et de crises conjoncturelles. Nous devons finalement prendre des décisions d’ordre social.

Un des pères fondateurs de l’économie de marché moderne, Wilhelm Röpke, qui avait fui le régime nazi et enseigna à Genève jusqu’à sa mort, a déclaré: «Si l’on considère le libéralisme avant tout comme une théorie économique, on est prisonnier d’un réductionnisme économique qui, aujourd’hui, paraît tout à fait dépassé. Le libéralisme politique et culturel a la primauté sur le libéralisme économique.» J’ai tiré cette citation de la leçon d’adieux qu’il a prononcée en 1944.

Oui, exactement. On peut admettre que les ordolibéraux Wilhelm Röpke et Alexander Rüstow – qui, d’ailleurs, se sont tous les deux exilés à Istanbul, le premier est ensuite allé à Genève tandis que le second restait à Istanbul – ont représenté la pensée libérale citoyenne en faveur de laquelle je plaide. On peut montrer qu’ils ne l’ont malheureusement pas représentée avec suffisamment de rigueur. La conséquence a été que les fondateurs de l’économie sociale de marché – je pense ici à Alfred Müller-Armack et à Ludwig Erhard, qui a appliqué politiquement le programme du précédent – ont malheureusement eu tendance à considérer l’Etat social comme s’ajoutant simplement aux forces du marché en tant que force compensatoire, au lieu de l’intégrer.

Comment réalise-t-on cette intégration?

On commence par définir les droits civiques et ensuite on libère les forces du marché dans le cadre de ces droits. Cela a l’air abstrait et je vous donne un exemple qui nous permettra d’y voir un peu plus clair. Comparons le Danemark et l’Allemagne en ce qui concerne la manière de traiter la question sociale au sens large. Je vais être un peu injuste car je simplifie les choses par manque de temps. En Allemagne, en principe, le marché et l’Etat social sont envisagés horizontalement et il s’agit de trouver des compromis. Cela conduit à intervenir politiquement sur le marché de l’emploi, longs délais de licenciement, etc. Au Danemark, on a envisagé le problème à la verticale: on commence par faire en sorte, au niveau social, que personne ne soit exclu du contrat social et quand cette condition est acquise, on peut libérer les forces du marché. Il en résulte que le Danemark, selon toutes les statistiques dont nous disposons, a une société très intégrée et des différences de niveau de vie relativement faibles entre les couches sociales et en même temps un marché de l’emploi qui fait penser à celui des Etats-Unis, où l’on peut embaucher et licencier à volonté (système «hire and fire»).

En même temps, on est frappé par le fait que le Danemark, bien que les dépenses de l’Etat y soient relativement élevées – c’est le coût de cette société intégrée – est selon les statistiques un des pays les plus concurrentiels du monde. Les Danois appellent cela la «flexicurité».

C’est un mélange de flexibilité et de sécurité: un marché de l’emploi flexible mais la protection sociale. Pensée verticale: l’un est la condition de l’autre et l’on ne fait pas de mauvais compromis. Ça fonctionne.

Et la Suisse?

Je dirai qu’elle se situe entre deux. Elle aurait des possibilités extraordinaires dues à son histoire. Elle a une pensée profondément citoyenne fondée sur la démocratie et cela a des conséquences en partie positives, par exemple la bonne vieille AVS. Nous avons déjà ce sur quoi l’Allemagne débat actuellement avec difficulté, le passage des diverses anciennes assurances professionnelles des salariés à une assurance «citoyenne» (c’est-à-dire étendue à tous). L’AVS garantit à tous les citoyens une retraite minimale – qui représente quand même la moitié de la retraite maximale – même s’ils n’ont payé que des cotisations quasi symboliques. Nous devrions développer et non démanteler les traditions citoyennes.    •

Peter Ulrich est né à Berne en 1948. De 1967 à 1971 il a étudié les sciences économiques et sociales à l’Université de Fribourg, en Suisse. En 1976, il a été fait docteur en sciences politiques de l’Université de Bâle. De 1976 à 1979, puis de 1982 à 1984, il a travaillé à plein temps dans le conseil en gestion des entreprises. En 1982, il a passé sa thèse d’habilitation. De 1984 à l’automne 1987, il a été, à l’université de Wuppertal, professeur de gestion d’entreprises axée sur les sciences sociales. En 1987, l’Université de Saint-Gall a créé la première chaire d’éthique de l’économie des pays de langue allemande et y a nommé Peter Ulrich. Dès lors, il a dirigé, jusqu’à sa retraite, le Département d’éthique de l’économie de l’Université de Saint-Gall. De 2005 à 2007, il a été doyen du Département des disciplines culturelles. Le 5 mai de cette année, il a donné sa leçon d’adieux sur «l’intégration sociale de l’économie de marché, problème central du XXIe siècle.»


Source: Télévision alémanique, Sternstunde Philo­sophie du 7/6/09.
(Traduction Horizons et débats)


«Comment comprendre que les activités économiques et commerciales d’un nombre si élevé d’acteurs aient pu s’emballer pareillement? C’est manifestement parce que la pensée de ces acteurs, orientée exclusivement vers l’intérêt personnel et l’optimisation des profits, était dépourvue du sens des limites raisonnables. Et ils n’étaient pas conscients de la nécessité d’intégrer la rationalité économique dans les obligations relevant de la décence, de la responsabilité, de la solidarité et de la justice.»

Source: Peter Ulrich: Die gesellschaftliche Einbettung der Marktwirtschaft als
Kernproblem des 21. Jahrhunderts. Eine wirtschaftsethische Fortschritts­perspektive; Berichte des Instituts
für Wirtschaftsethik der Universität
St. Gallen, Nr. 115 (leçon d’adieux
de Peter Ulrich [5/5/09])

«Une économie de marché civilisée, au sens libéral et républicain, est fondamentalement différente d’une société de marché émancipée. Elle doit être conçue comme une structure de citoyens libres et solidaires relevant de l’Etat de droit. Elle ne doit pas être orientée primordialement vers des objectifs de justice distributive mais vers l’égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens dans le cadre d’une société bien ordonnée de citoyens libres et égaux en droits.»

«Dans les sociétés modernes, ce sont les citoyens eux-mêmes qui devraient se sentir coresponsables de la res publica, des règles du jeu officielles de la vie privée et de l’économie. Comme la confiance dans les leaders aussi bien politiques qu’économiques a considérablement diminué aujourd’hui, cette idée est plus actuelle que jamais. L’idée centrale de cette éthique économique d’inspiration libérale citoyenne est l’intégrité de la vie économique de même que l’intégrité commerciale des entreprises.
Cela suppose tout à fait littéralement et en opposition totale avec le principe d’optimisation des profits de l’économie de marché libérale, de ne pas séparer la recherche du profit individuel de la notion de citoyen honnête mais de ne rechercher ses intérêts privés que dans la mesure où ils satisfont aux conditions légitimes de la société citoyenne.»

«Pour empêcher que la partialité structurelle du marché n’imprègne de manière «tyrannique» toute la vie des citoyens et que, par conséquent, elle porte atteinte à leurs libertés et à leur droit à l’égalité, nous avons besoin, dans l’économie de marché civilisée, d’une nouvelle catégorie de droits civiques qui concerne les conditions de notre statut socioéconomique de citoyens libres. Et cela, dans un esprit libéral, en tant que droits économiques émancipateurs, à la différence des concepts traditionnels d’Etat social qui se bornent essentiellement à soulager les symptômes des entraves aux libertés, c’est-à-dire l’impuissance structurelle des perdants de la concurrence à se tirer d’affaire. Si l’on veut vraiment endiguer l’Etat social, qui corrige les effets du marché surtout après coup, il faut, avant qu’ils se fassent sentir, garantir à chacun, en tant que conditions initiales de la concurrence, des chances équitables de mener une existence autonome.»

«On sait que les sociétés libérales démocratiques ont besoin de citoyens adultes, responsables. C’est pourquoi la culture générale comprend une instruction civique qui aborde non seulement les mécanismes mais aussi l’«esprit» républicain de cette conception de la société. Mais plus l’évolution de la société est déterminée non (seulement) par la politique mais par les forces économiques, plus il me paraît nécessaire de compléter cette instruction civique par une «instruction économique».
A la différence de l’enseignement traditionnel de l’économie, cette dernière ne se contenterait pas de pré­senter la logique de l’économie de marché mais elle amènerait les élèves à réfléchir de manière approfondie au conflit existant entre la rationalité du système économique et les principes directeurs de caractère éthique et politique de la société dans laquelle nous voudrions vivre afin qu’ils se rendent compte de toute la logique de l’activité économique.»

Extraits de Peter Ulrich, Die gesellschaft­liche Einbettung der Marktwirtschaft