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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N° 33, 23 août 2010  >  Le politicien et son fils [Imprimer]

Le politicien et son fils

par Thomas Brändle*

Le dialogue ci-dessous est un extrait du livre satirique «Armaturen aus Plastik» [Robinetterie en plastique]. Il a été publié pour la première fois en 2007 sur le site Internet du Service parlementaire fédéral.


-    Papa, pourquoi ce que désirent les parlementaires s’appelle des ‹convoitises› et que pour les désirs des consommateurs, on parle de la ‹demande›?
-    C’est à l’école que tu as appris ça?
-    C’est toi le politicien! A cause de toi, on a maintenant un enseignement précoce de l’anglais, du civisme, du golf, de l’économie …
-    D’accord, fiston.
-    T’as pas répondu à ma question.
-    Bon, les désirs des consommateurs créent la croissance économique et les convoitises des politiciens font croître le budget.
-    Mais les politiciens représentent le peuple et ses désirs?
-    Naturellement, fiston.
-    Alors il suffirait de vendre l’Etat à l’économie et ça augmenterait la croissance.
-    Mais alors je n’aurais plus de travail!
-    Mais tu dis toujours que l’Etat coûte trop cher.
-    D’accord, mais …
-    Pourquoi tu gagnes autant d’argent en tant que conseiller national et maman rien du tout?
-    Euh, parce que maman n’est qu’une mère et qu’une femme au foyer …
-    Ton travail est plus valable que le sien?
-    On ne peut pas dire ça.
-    Si, on peut. Brabeck, de Nestlé, a dit que ce qui ne coûte rien ne vaut rien.
-    Comment, Brabeck connaît ta mère?
-    Je sais pas. Il a dit ça parce qu’il veut privatiser l’eau. Ça ferait encore grandir ­Nestlé.
-    Bien sûr!
-    Alors il faudrait aussi privatiser maman.
-    Qu’est-ce qui te fait penser ça?
-    Ben, pour qu’elle soit incluse dans le produit national brut et que la Suisse en­registre de nouveau de la croissance. Et on devrait également privatiser oncle Herbert.
-    Oncle Herbert?
-    Mais oui, il travaille comme bénévole à la maison de retraite.
-    C’est pour ça qu’on parle de travail bénévole, parce qu’il ne coûte rien.
-    Non, parce qu’il n’a aucune valeur.
-    Mais si, il a une certaine valeur.
-    Mais si on ne le paie pas?
-    Sinon, ce ne serait plus un travail ­bénévole.
-    Alors pourquoi tu ne travailles pas béné­volement pour l’Etat, papa?
-    Il faut bien que je nourrisse ma famille!
-    Comment ça? C’est maman qui fait la ­cuisine.
-    Bien sûr, mais qui, à ton avis, paie la nourriture?
-    Si on privatisait maman et que tu travaillais bénévolement, ça reviendrait au même.
-    Tu es trop jeune pour comprendre, fiston.
-    Mais tu m’as dit que je devais apprendre ça à l’école. Maman m’a montré le DVD de ta prestation à l’émission politique «Arena».
-    Tu n’aurais pas d’autres questions, par exemple sur la sexualité?
-    Pourquoi? Qu’est-ce que tu voudrais savoir?
-    Ce que je voudrais savoir?
-    Ben oui, hier, en buvant le thé avec ma­dame Kottmeier, maman a dit que t’avais aucune idée de la manière de …
-    Et comment sais-tu ce que madame Kottmeier et ta mère … ?
-    Tu sais bien que j’ai gagné le premier prix de «La science appelle les jeunes» pour mon système de surveillance domestique!
-    Oui, j’avais oublié. Dis donc, fiston, tu ne devrais pas aller te coucher?
-    Papa, pourquoi on privatise?
-    Pour que les choses soient meilleur marché.
-    Mais justement, ce serait une bonne raison de privatiser maman!
-    Ecoute, ça suffit maintenant.
-    Mais tu dis toujours que maman dépense trop.
-    Encore une de ces remarques insolentes et je te privatise toi!
-    Bonne idée! J’ai lu, dans le «Beobachter», que faire des enfants représentait un risque de pauvreté pour les Suisses. Si on privatise les enfants, les pauvres pourront aussi avoir des enfants et acheter de nouveau des produits des paysans suisses.
-    Tu es sacrément futé, fiston.
-    Naturellement. A l’émission «Arena», tu as bien dit qu’on devait obtenir de meilleurs résultats à l’enquête Pisa si on veut, à l’avenir …
***
-    Alors, fiston, on a bien dormi?
-    Oui, et toi?
-    Pas mal.
-    Maman t’a de nouveau chassé de la ­chambre à coucher?
-    Qu’est-ce qui te fait penser ça?
-    Ben, tu as de nouveau dû dormir sur le canapé parce que tu n’étais pas efficace!
-    Parce que je n’étais pas efficace? Mais qu’est-ce que ça veut dire?
-    A l’émission «Arena», tu as dit que la Suisse devait être plus productive, plus créative et plus efficace.
-    Et qu’est-ce que ça a à voir avec le fait que j’ai dormi sur le canapé?
-    Tu laisses toujours traîner ton linge sale au lieu de le mettre dans le panier à linge, tu ne débarrasses pas la table et ne mets pas directement la vaisselle dans la machine et maman doit toujours te dire plusieurs fois ce que tu as à faire. Elle t’a reproché de ne pas être très efficace, vous vous êtes de nouveau disputés et elle t’a chassé de la chambre à coucher. Comme la semaine dernière.
-    Maintenant ça suffit, je ne suis pas un homme au foyer.
-    Mais ce serait plus efficace si tu aidais maman dans les tâches domestiques. Surtout parce qu’‹efficace› est un de tes mots préférés.
-    Mange tes flocons et ne pose pas tant de questions!
-    Si on ne pose pas de questions, on reste ignorant.
-    Mais on ment beaucoup à ceux qui posent beaucoup de questions. C’est une vieille maxime de politicien.
-    C’est ce que dit maman quand elle t’a posé une question.
-    Et qu’est-ce que dit d’autre ta mère tout au long de la sainte journée?
-    Elle dit que t’es pas très créatif en tant qu’amant mais très efficace …
-    Ah? Elle te dit ça à toi?
-    Non, à ses amies quand elles prennent le thé, et quand elle dit ça, elles rient toujours.
-    As-tu peut-être une autre question poli­tique à me poser?
-    Est-ce qu’on peut refuser un héritage?
-    Naturellement. Pourquoi cette question?
-    Oncle Herbert a dit que nous les enfants étions à plaindre parce que nous devrons payer les dettes de l’Etat, travailler plus longtemps, prendre en charge de plus en plus de retraités et pourtant gagner moins.
-    Et qu’est-ce que cet homme si intelligent a proposé comme solution?
-    Il a dit que je devais aller dans un autre pays.
-    Tu ne devrais pas parler si souvent avec oncle Herbert.
-    Oui, mais toi, tu devrais le faire plus souvent.
-    C’est lui qui a dit ça?
-    Oui, parce qu’il fait partie du peuple. Il a dit aussi que quand tu appartenais encore au peuple, on savait quelles étaient tes opinions.
-    Mais, jeune homme, je fais toujours partie du peuple. Dis-le à ton oncle qui est si malin. Les choses sont un peu plus complexes que se l’imaginent les habitués des cafés du commerce.
-    Oncle Herbert dit que les politiciens ne font pas partie du peuple. Ils ont subi un lavage de cerveau et c’est pour ça qu’ils parlent si bizarrement. Et puis, ils ne font que répéter ce que disent les autres … ou ce qu’ils ont lu dans les journaux. Et quand les politiciens ont une opinion à eux, ça agace leurs camarades de parti.
-    Alors, puisqu’il est si malin, ton oncle Herbert, il devrait se porter candidat.
-    Il dit qu’il arrive à s’imprégner à aucun parti.
-    Tu veux dire s’identifier.
-    Et que vous utilisez beaucoup trop de mots compliqués, comme une langue secrète, pour embrouiller les gens, pour que plus personne n’écoute et que vous puissiez faire ce que vous voulez.
-    Ton oncle est un adepte de la théorie du complot.
-    Oui, il dit toujours ça.
-    Quoi? Que je suis un adepte de la théorie du complot?
-    Non, non. Que les politiciens disent toujours ça quand quelqu’un du peuple dit quelque chose de désagréable.
-    Dis donc, tu n’as pas d’autres amis que ton oncle Herbert?
-    Si, Benni. Son père est aussi politicien, mais il est d’un autre parti que toi. Benni dit toujours que son père dit que tu es un optortu …
-    Un opportuniste?
-    Oui, c’est ça.
-    Comment est-ce qu’il s’appelle, ton Benni?
-    Affentranger.
-    Ah, Affentranger, encore un de ces individus qui se croient plus malins que tout le monde.
-    Comme oncle Herbert?
-    Non, encore plus malin. A propos, tu ne devrais pas partir pour l’école, fiston?
-    Aujourd’hui, c’est le jour de Pascal.
-    Comment ça?
-    On se relaie, pour que l’instituteur tienne le coup plus longtemps.
-    C’est une blague!
-    Pas du tout. Les enseignants finissent tous par s’user et pour que monsieur Kammüller tienne le coup jusqu’à la retraite, les trois élèves les plus fatigants ne vont à l’école qu’à tour de rôle.
***
-    Alors,  mon garçon, ça s’est bien passé à l’école ?
-    Ouais.
-    Tu as de nouveau posé des tas de questions à ton instituteur?
-    Non. Aujourd’hui, il a parlé sans arrêt pour que je puisse pas poser de questions. Il fait toujours ça quand il veut avoir une journée tranquille.
-    Et qu’est-ce qu’il a raconté?
-    Que si tous les hommes voulaient vivre comme les Suisses, il faudrait les matières premières de trois à cinq planètes.
-    Et d’où est-ce qu’il tient ça?
-    D’une étude.
-    Tu sais, il existe sûrement une autre étude qui n’est pas aussi radicale.
-    Il l’a dit, ça, et que les politiques voulaient avoir un certain résultat et alors les experts devaient faire une autre étude, et comme chaque parti voudrait un autre résultat, il faudrait beaucoup d’experts.
-    Et comme il y a tant d’enfants gâtés, il faut beaucoup d’éducateurs spécialisés.
-    Là, je comprends pas.
-    Ce n’est pas important.
-    Un groupe d’experts de Prague a dit qu’il n’y a plus douze planètes mais huit. Selon la nouvelle définition, Pluton n’est plus une planète.
-    Et alors?
-    Ben, à quelle parti ils appartiennent, ces experts?
-    Je ne sais pas, moi!
-    Mais aux néolibéraux! Ils veulent ré­duire l’offre pour que le prix des planètes monte.
-    Quelle sottise! On ne peut pas acheter ou vendre les planètes.
-    Comment, on peut bien acheter notre terre. Le terrain sur lequel est bâtie notre maison, tu as bien dû l’acheter.
-    Oui, aux Muller, petit futé.
-    Et les Muller?
-    Si je me rappelle bien: aux Buchmann.
-    Et eux?
-    Probablement à Adam et Eve.
-    Et eux?
-    Au bon Dieu, évidemment!
-    Il y a une inscription au cadastre?
-    Comment ça?
-    Mais oui, une inscription au cadastre qui prouve que le bon Dieu a vraiment vendu sa planète. Il faudrait pas qu’on ait des ennuis un jour.
-    Pourquoi diable ne passes-tu pas, comme les autres enfants, tes journées à regarder la télé, à tirer sur le chat du voisin ou à courir après les filles?
-    Tu vois?
-    Qu’est-ce que je vois?
-    On peut quand même acheter les planètes. On va faire quoi si les Chinois et les Indiens veulent vivre comme nous mais que le bon Dieu ne veut pas vendre les autres planètes?
-    La technique va certainement résoudre le problème des matières premières, fiston. Ne te prends pas la tête.
-    C’est ce qu’ont dit les habitants de l’île de Pâques.
-    Qu’est-ce qu’ils ont dit?
-    Ils ont déboisé leur île pour leurs idoles et quand ils ont remarqué qu’il y aurait bientôt presque plus d’arbres s’ils continuaient comme ça, certains ont dit qu’on pouvait pas arrêter à cause des emplois. Et d’autres ont dit que la technique résoudrait cer­tainement le problème. Et d’autres ont dit …
-    Mais nous n’élevons pas des statues.
-    Si, des églises.
-    Mais les églises sont déjà toutes cons­truites.
-    Oncle Herbert dit que les centres commerciaux sont les églises du néolibéralisme. La Suisse a trois fois plus de surfaces de vente que la plupart des autres pays européens. Et on transforme les exploitations agri­coles en terrains de golf. C’est aussi des idoles du néolibéralisme.
-    Mon fils serait-il un gauchiste?
-    Non, je suis un libéral, quelqu’un qui pense librement. C’est ce que dit toujours oncle Herbert.
-    Ah, voilà! Et comment les habitants de l’île de Pâques ont-ils résolu leur problème?
-    Ils se sont bouffés les uns les autres, parce qu’ils avaient même plus assez de bois pour construire des bateaux et quitter leur île.
-    Pas de chance.
-    Je trouve aussi. Mais toi, papa, heureusement que tu es un politicien prévoyant, n’est-ce pas?
-    Maintenant, bois ton lait, fiston.
***
-    Et où il est, le Palais fédéral, papa?
-    C’est le bâtiment avec les échafaudages.
-    On le restaure?
-    Oui. Il était temps.
-    Dis, papa, pourquoi tu es devenu politicien?
-    Je voulais assumer des responsabilités, participer à l’organisation de la société, plutôt que de me plaindre au café du commerce.
-    Mais oncle Herbert dit que les politiciens n’ont pas de pouvoir pour organiser ­quelque chose, pour gouverner.
-    Il dit ça, ton cher oncle? Et qui dirige la Suisse à son avis?
-    Si je me trouvais sur la place Fédérale, à Berne, je saurais tout de suite qui dirige la Suisse, dit oncle Herbert.
-    Et tu as déjà regardé autour de toi sur la place?
-    Il y a que des banques.
-    Oui, la Suisse est une importante place financière.
-    L’argent mène le monde, n’est-ce pas, papa?
-    Oh, c’est une façon de parler. Regarde, là-bas il y a madame Leuthard, c’est une conseillère fédérale.
-    Est-ce qu’elle va à la banque demander ce qu’elle doit faire?
-    Non, elle va juste au distributeur de billets.
-    Probablement qu’elle veut de nouveau s’acheter des chaussures. De préférence des bottes en caoutchouc, elle qui va si souvent dans les fermes.
-    Quelle imagination, ce n’est pas croyable!
-    Regarde, papa, y a des envahisseurs chinois qui prennent des photos. Je crois qu’ils s’intéressent au Palais fédéral. Ils veulent probablement l’acheter.
-    Le Palais fédéral? Ne dis pas de bêtises. On ne peut pas acheter le Palais fédéral, et ce ne sont pas des envahisseurs mais des touristes.
-    Oncle Herbert dit que les investisseurs sont des envahisseurs. Que les Russes et les Chinois ont tellement d’argent qu’ils ­achètent tout avant que l’argent n’ait plus aucune valeur et que les politiciens privatisent tout pour qu’ils puissent tout acheter, les Chinois et les Russes.
-    Regarde, là-bas, c’est Samuel Schmid. Tu pourras parler à un vrai conseiller fédéral.
-    Ah, le conseiller national Bollmann avec son fils. Tu veux voir où ton papa travaille?
***
-    Pourquoi est-ce que vous pouvez vous déplacer dans la ville sans gardes du corps, monsieur?
-    Ton père peut aussi le faire. En Suisse, les politiciens ne sont pas assez puissants pour qu’on doive les protéger.
-    Tu vois, papa, même le conseiller fédéral Schmid dit que l’argent mène le monde.
-    Il n’a pas du tout dit ça, fiston.
-    Alors pourquoi on transporte l’argent dans des fourgons blindés et pas nos conseillers fédéraux?
-    Bollmann, votre garçon est très éveillé.
-    Merci.
-    Vous êtes bien le chef de l’Armée?
-    Je vois que tu es bien informé. Comment t’appelles-tu?
-    Martin Bollmann, comme mon père. Pourquoi la Suisse a besoin d’une armée?
-    Eh bien, pour défendre le pays.
-    Je comprends pas. Vous voulez tuer tous ceux qui achètent des choses chez nous?
-    Pourquoi le ferions-nous, jeune homme?
-    Les Russes, les Chinois et les Allemands achètent déjà toutes sortes de choses en Suisse et ils ont été nos ennemis.
-    Oui, mais il y a longtemps et nous-mêmes achetons aussi des sociétés à l’étranger.
-    Oncle Herbert a une boucherie à Schlieren et il achète pas d’autres boucheries à l’étranger.
-    Jeune homme, l’économie est une chose compliquée.
-    Si un jour je suis soldat et si les Russes envahissent la Suisse, est-ce que je devrai également défendre les biens des Chinois?
-    Bon, maintenant je dois me rendre à ma prochaine séance. J’ai été très heureux de faire votre connaissance, jeune homme.
-    Au revoir, Monsieur.
-    Tu l’as contrarié. Pourquoi faut-il que tu poses toujours des questions si imper­tinentes, fiston?
-    Si on rencontrait le chef des Finances, j’aurais encore plus de questions impertinentes à poser, papa. Dis donc, là-bas, c’est pas le président de la Confédération Leuenberger?... Hé, monsieur!
-    Mais Martin, tu ne peux pas …
-    Ah, le conseiller national Bollmann et …
-    Martin Bollmann. J’ai une idée pour le problème des NLFA.
-    Tiens donc! Et laquelle?
-    Privatiser et ensuite vendre.
-    Ah, voilà! Et à qui, jeune homme?
-    Aux Chinois. Ils ont une réserve d’un billion de dollars et veulent la dépenser. Alors le Gothard appartiendra aux Chinois et à un certain Egyptien et nous n’aurions plus tant de dettes. Le mieux serait même de vendre la Suisse tout entière et de distribuer l’argent aux Suisses. Alors plus aucun Suisse ne devrait travailler et chacun pourrait faire travailler son argent. Les politiciens auraient fait ce qu’Aristote préconisait comme objectif pour les politiciens.
-    Tu es un drôle d’oiseau, Martin Bollmann.
-    Merci monsieur!
-    Il faut l’excuser, mon fils a une imagination débord …
-    De qui est-ce qu’il peut bien la tenir? ... Et quel était l’objectif d’Aristote, Martin Bollmann?
-    De permettre aux citoyens de vivre bien.
***
-    Alors, Martin, comment c’était, à Berne, avec papa?
-    Bof, pas mal. Mais j’ai comme le sentiment que ma génération devrait être assez in­quiète à propos des politiciens d’aujourd’hui.
-    Tu l’as dit à ton père?
-    Tu sais bien comment ils sont, les politiciens. Ils préfèrent s’écouter eux-mêmes plutôt que les autres.
-    Là tu exagères, fiston.
-    C’est ce que papa dit toujours.
-    Est-ce que tu vas voir oncle Herbert aujourd’hui?
-    Non, je n’ai plus la permission. Papa dit qu’il a une mauvaise influence sur moi.
-    Et tu le penses aussi?
-    J’y vois plus clair du tout. Oncle Herbert dit que les médias ont une mauvaise influence sur les politiciens, comme les ­sophistes sur les Grecs.
-    Je ne comprends pas du tout ce que tu veux dire, fiston.
-    Oncle Herbert a dit qu’Aristote a dit tout ce qu’il y avait à dire sur la politique, l’économie et la société et alors les sophistes sont arrivés et ils ont dit que la vérité dépendait de l’aptitude à débattre.
-    C’est vrai. Le mot ‹parlement› vient de ‹parler›.
-    D’accord, mais imagine que quelqu’un puisse persuader la majorité des gens que la Terre est plate. C’est pas la vérité, mais la majorité le croit.
-    Et tu crois que les médias sont les so­phistes d’aujourd’hui?
-    Je ne sais plus rien, maman. Tout est si compliqué.
-    Tu es un garçon intelligent. Alors la vie s’avère un peu plus compliquée.
-    Je crois qu’à l’avenir, je vais passer moins de temps avec mon oncle et papa et plus avec mes camarades de classe.
-    Est-ce que tu peux aussi bien parler avec tes camarades?
-    Parler? Non, mais picoler et tabasser des étrangers.
-    Ce n’est vraiment pas une bonne idée, Martin.
-    D’accord, mais papa peste toujours au Parlement contre les jeunes qui n’ont plus de repères et deviennent de plus en plus violents.
-    Mais il est toujours très fier de toi. La dernière fois, à l’émission «Arena», il a dit beaucoup de bien de toi, parce que tu poses toujours des questions intelligentes et que tu es si critique à l’égard des politiques.
-    Dis, maman, il était déjà politicien, papa, quand tu l’as connu?
-    Non, il était simplement administrateur.
-    Et pourquoi il a mal tourné?
-    Mais ton papa n’a pas mal tourné?!
-    Oncle Herbert dit toujours que les politiciens doivient se prosti …
-    Prostituer.
-    Exactement. Et papa dit que les prosti …
-    Prostituées.
-    Ça rappelle la pizza!
-    Comment ça?
-    La pizza con prostitute e funghi.
-    Et que dit papa des prostituées?
-    Que c’est des femmes qui ont mal tourné et que c’est un gros problème pour la so­ciété.
-    Oui, mais ces femmes vendent leur corps à des inconnus.
-    Et les politiciens vendent leur âme à des sociétés étrangères.
-    Tu as de ces idées, fiston!
-    C’est ce qu’a dit oncle Herbert.
-    Peut-être que tu ne devrais vraiment plus le voir si souvent.
-    Le mieux, ça serait que les politiciens au Parlement portent des combinaisons comme Michael Schumacher sur les­quelles sont cousus les logos des sociétés qui les financent. Tout serait plus transparent.
-    Ton père représente le peuple et le pays. Tu peux être fier de lui.
-    Mais je le suis, maman.
-    Alors tu devrais le lui dire.
-    Je lui ai dit que je voterais pour lui s’il voulait être conseiller fédéral.
-    Il était content, sans doute?
-    Il m’a fait un bisou et m’a dit qu’il espérait qu’on n’en arriverait pas là.
-    Comment, ton papa ne veut pas être conseiller fédéral?
-    Non, il espère que je ne participerai jamais à l’élection d’un conseiller fédéral.
-    Ton père est devenu cinglé, ma parole!
-    Il a dit qu’avant les élections au Conseil fédéral, il y avait des auditions et que si je lui posais mes questions, il n’aurait plus au­cune chance.
-    Il a sans doute raison, mais je crois que ce serait pareil pour les autres candidats.
-    Dis, maman?
-    Oui, fiston.
-    Sans les mères, il y aurait pas de consommateurs, de contribuables et de salariés, ou quoi?
-    C’est vrai, Martin.
-    Alors les mères sont les personnes les plus importantes de toutes, non?
-    Je crois que je devrais parler encore une fois avec ton père. On a absolument besoin de plus de politiciens comme toi.
-    Bonne nuit, maman.
-    Bonne nuit, Martin.    •

*    Thomas Brändle est aussi l’auteur du roman «Das Geheimnis von Montreux – ein Kriminalroman zum Sonderfall Schweiz», que nous avons présenté à nos lecteurs dans Horizons et débats no 31 du 9/8/10.

(Traduction Horizons et débats)