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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°20, 25 mai 2010  >  Le «monstre» des marchés financiers et de l’endettement, créé par les hommes, peut être maîtrisé [Imprimer]

Le «monstre» des marchés financiers et de l’endettement, créé par les hommes, peut être maîtrisé

Pourquoi il faudrait limiter à nouveau la circulation des capitaux

ts. Il vaut parfois la peine de relire certains livres, en particulier lorsqu’il s’agit de textes concernant des événements historiques, et de les replacer dans des contextes nouveaux. A un moment comme le nôtre où les médias sont pleins de commentaires sur la grave crise financière et économique dans laquelle les quantités colossales d’argent imprimé censées sauver les grandes banques de la faillite vont être mises à la charge des contribuables, où des Etats sont au bord de la faillite parce qu’ils ne peuvent plus maîtriser le service de la dette publique, où menace une impor­tante inflation que devra également supporter la population sur laquelle finalement tout retombe, à un moment où au nom de la libre circulation des capitaux l’argent devient une nouvelle arme de destruction massive, où la rapacité paraît illimitée, où la problématique des intérêts remplit à nouveau les colonnes des journaux, où même un journal plutôt favorable aux banques comme la Neue Zürcher Zeitung utilise le terme de «monstre» à propos des marchés financiers (cf. l’article «Das Schuldenmonster regt sich» du 28 décembre 2009), à ce moment-là, certains livres peuvent donner une idée d’ensemble sur des événements qui risquent de nous échapper dans le stress quotidien.
Quand dans nos médias dominants, il est question du «monstre de l’endettement» ou des «marchés financiers» qui apprécieront peu ceci ou cela, d’«investisseurs» anonymes qui se retirent des marchés, de «flux d’argent, qui pourraient fuir à l’étranger», de «fonds spéculatifs qui prennent des paris contre les monnaies», etc., le lecteur éprouve un sentiment d’impuissance, d’abandon à un destin apparemment inévitable: Que pourrait bien faire le simple citoyen?
Et c’est précisément contre la tutelle imposée au simple citoyen que s’élève l’un des livres évoqués plus haut: Il s’agit du roman policier «Die blaue Liste» de Wolfgang Schorlau (Köln, 2005, ISBN 3-462-03479-0) qui transporte le lecteur à l’époque de la réunification allemande lorsque la Treuhand, après l’assassinat de Detlev Carsten Rohwedder, a bradé la totalité du patrimoine des citoyens de la RDA à des grands groupes de l’Ouest, et où le principe coopératif et la doctrine sociale de l’Eglise, avec sa réconciliation du travail avec le capital, étaient foulés aux pieds. L’auteur réussit remarquablement à présenter de manière très évocatrice la «troisième voie» entre l’économie planifiée et le capitalisme pur, c’est-à-dire le système coopératif, qui applique la doctrine sociale de l’Eglise, alternative à l’idéologie selon laquelle il n’y a pas d’autre solution que la privatisation, la globalisation, la dérégulation et l’homo oeconomicus. Nous réservons la présentation de la solution coopérative à d’autres articles. Nous nous contenterons, pour éclairer la situation actuelle, d’un petit exposé sur la théorie financière qui montrera à quel point l’idéologie de la libre circulation des capitaux est abstraite, absurde et inhumaine. Schorlau attribue les déclarations suivantes à un banquier sans scrupules qui occupe une tour de verre de Stuttgart et qu’il présente comme une instance située derrière d’autres instances. Le lecteur comprend que derrière ce person­nage, il y a d’autres personnages situés dans des sphères situées encore plus loin des réalités et appartenant aux milieux tout à fait intouchables de la haute finance. Cet exposé sur la théorie financière, qui est très éloquent de par sa froideur, la personnalisation de l’argent et son inhumanité, peut être résumé de la manière suivante:
Le banquier explique que l’argent est un véritable être vivant: il a des besoins, souffre de la faim et de la soif et éprouve même des émotions, comme les autres êtres. Mais il a un problème qui le différencie des humains et des animaux. Il n’a ni bras ni jambes et surtout pas de bouche pour exprimer ses désirs. Cependant ses besoins sont bien réels et comme les autres êtres vivants, il veut avant tout croître et se multiplier. Comment l’argent peut-il manifester sa volonté? Il possède un désir absolu de survivre, aussi fort que celui d’un lion. Or d’après le banquier, la réponse est simple. L’argent cherche des hommes qui parlent à sa place, qui se mettent avec beaucoup d’empathie dans la peau de l’argent et sentent ses besoins plus qu’ils ne les conçoivent: les banquiers.
Ce sont eux qui formulent ce que l’argent leur demande de faire. Ils ne se prennent pas au sérieux. Ce sont des serviteurs de l’argent. Plus ils se mettent à la place de l’argent, mieux ils exercent leur profession. Au commissaire qui lui demande si l’argent ne leur ordonne pas, de temps en temps, de commettre un massacre, le banquier répond: «Les événements dont vous parlez ici se sont produits il y a plus de 12 ans. [Il s’agit de l’assassinat du chef de la Treuhand Rohwedder qui, dit-on, cherchait une solution autogestionnaire pour les entreprises de la RDA. Il avait dressé une «liste bleue» des entreprises qui s’y prêtaient le mieux, d’où le titre du roman.] A cette époque, la finance étaient déchaînée. Le morceau de viande qu’elle avait soudain sous le nez était trop gros, trop cru. L’enjeu était énorme, sans précédent. L’argent ne pouvait pas se contenir, rester calme. Figurez-vous qu’il se trouvait en présence de tout un pays, d’innombrables usines, d’énormément de travailleurs ainsi que de bâtiments de valeur.»
Après une pause, il poursuit: «En temps normal, nous maîtrisons cet être, nous veillons à ce que tout soit réglementaire, que les lois soient respectées, etc. Après tout, nous sommes civilisés. Mais dans les années 1990, l’argent a échappé à tout contrôle. Tant de choses étaient en jeu.» Mais cela appartient au passé. «L’argent lui-même ne s’intéresse plus guère à ces questions. Il a déjà tout ­digéré et presque tout éliminé.» Après que le patron d’une grande banque soit mort lui aussi – il pourrait s’agir du directeur de la ­Deutsche Bank Alfred Herrhausen – la bataille est terminée. «Nous donnons à cet être d’autres nour­ritures et soyez heureux que nous le fassions.» C’était une phase d’«activités financières très intenses».
Aujourd’hui, nous nous trouvons manifestement dans une nouvelle phrase d’«activités financières très intenses», d’avidité retrouvée. Le «morceau de viande» devant lequel se trouve aujourd’hui le «monstre financier» est encore plus gros: il s’agit de rien de moins que de l’asservissement financier de pays, voire de continents entiers.
Cependant, nous savons aujourd’hui que l’argent n’est pas un être, pas une entité indépendante qui échapperait à tout ­contrôle. Derrière le système financier, il y a des ­hommes, quoiqu’ils tentent de se cacher. On connaît leurs noms. Et comme ce sont des hommes qui vivent dans des collectivités humaines, ils doivent eux aussi se soumettre à cer­taines règles. Comme tout le monde, car nous vivons dans un siècle éclairé, loin des législations racistes ou féodales, du moins en ce qui ­concerne l’Occident. Ce qui se passe avec les Palestiniens est une autre affaire, ou peut-être le revers de la médaille. Il n’existe pas de monstre financier vivant, mais il existe des monstres à visage humain, comme le banquier du roman de Schorlau.
Les citoyens du XXIe siècle ne devraient pas avoir trop de peine à faire ce qu’il faut: de même qu’on lutte contre ce qui est ­nuisible dans l’environnement, chez soi ou sur les lieux de travail, qu’il s’agisse d’amiante, de substances toxiques domestiques ou de maladies, nous devrions réussir à mettre de ­l’ordre dans notre économie (du grec, oikonomia, gestion de la maison [oikos]. Et pour cela il faut avant tout remettre le système financier entre les mains des citoyens, faire que l’argent soit au service des hommes. La ­première étape est simple: il faut revenir à l’époque où la libre circulation des capitaux n’existait pas encore. Alors disparaîtront le cauchemar du capitalisme de casino, les tours de passe-passe de tous les produits financiers incompréhensibles, la course aux superprofits d’une petite oligarchie. Alors on pourra approfondir la question de savoir comment l’argent peut redevenir la charnière d’une économie au service des hommes, telle qu’elle a été définie par la doctrine sociale de l’Eglise catholique et le système coopératif (non monopolisé par les socialistes) dans la tradition de la démocratie directe de la Suisse et d’un Wilhelm Raiffeisen.    •

L’euro sombre dans le bourbier de l’endettement*

Comme avant le déclenchement de la Révolution française, les politiques européens ont actuellement perdu tout sens des droits, des inquiétudes et des attentes des citoyens. Les hommes ont besoin d’un fondement économique sûr pour leur travail, leurs économies, leurs projets de vie et leur avenir, c’est-à-dire d’une monnaie stable.
Ce fondement d’une société de citoyens libres est indispensable. Quand il manque, la démocratie, l’Etat de droit, l’économie de marché et les systèmes sociaux s’effondrent. La dépréciation de la monnaie a toujours été la cause comme la conséquence de ce genre de catastrophe. Nous autres citoyens savons cela pour avoir vécu d’amères expériences, mais la classe politique européenne l’ignore manifestement. Elle doit avoir oublié ces expé­riences comme, il y a un peu plus de 200 ans, la royauté et la noblesse fran­çaises. Sinon comment expliquer que ces politiciens donnent la priorité à des mauvais gestionnaires des finances publiques de la zone euro (la Grèce n’est pas le seul) sur la stabilité de la monnaie?
Qu’est-ce qui se passe dans la tête de politiciens qui, du jour au lendemain, décident d’un plan de sauvetage de 750 milliards d’euros qui transforme d’anciennes dettes en nouvelles? Ce ne sont pas des Etats que l’on sauve, mais leurs bailleurs de fonds, les banques. Et d’où vient cet argent? Des contribuables et des gardiens de la monnaie: la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) abandonnent leur indépendance en devenant des banquiers des Etats. Ils violent leurs statuts et ­mettent à disposition de l’argent frais (cause d’inflation) pour l’achat de dettes d’Etat. Mais le mensonge le plus gros et le plus mani­feste est que les Etats endettés réussiront à rembourser ne serait-ce qu’une partie de leurs dettes. Les conditions liées à l’aide rendent la chose impossible. La Grèce et les autres pays de la zone euro sont si profondément enfoncés dans le bourbier de la crise qu’ils ne pourront pas les amortir.
Comme s’il n’y avait pas de meilleures solutions pour remettre à flot les pays et les banques endettés. Nous les avons assez souvent et clairement indiquées: la Grèce et les autres pays à problèmes doivent quitter la zone euro car c’est seulement en l’absence de ses contraintes qu’ils pourront, comme beaucoup d’autres pays de l’UE, se redresser financièrement. Pourquoi leur refuser cette solution? Ils reviendraient à leur ancienne monnaie et la dévalueraient. Ils retrouveraient ainsi la compétitivité internationale qu’ils ont perdue. Si davantage de touristes visitent la Grèce, le pays gagnera des devises et pourra rembourser sa dette. Une conférence internationale sur les dettes devrait négocier les anciennes dettes de la Grèce. Les banques devraient réduire leurs exigences car elles savent que des intérêts plus élevés sont liés à des risques plus importants.
Comment expliquer la fébrilité et l’hystérie européennes du dernier week-end? Les politiques ont-ils perdu la raison? Croient-ils vraiment retrouver la con­fiance des hommes et des marchés avec ces excès inflationnistes? Plus leurs plans de sauvetage prendront des proportions démesurées, plus les marchés calculeront froidement leur gains: ils spéculent sur la dévaluation et l’achat avantageux de ­titres dévalués.
Il y a un peu plus de 200 ans, lorsque survint l’inflation française, le pouvoir avait également perdu tout contact avec le peuple et la réalité. La Cour se désendetta avec l’aide d’un banquier douteux du nom de John Law. Son nom est devenu le symbole des liens fatals entre la haute finance et la politique qui nuisent à l’intérêt général. Le même phénomène se répète-t-il aujourd’hui sous le signe de l’Europe?
Les soussignés ont déposé une ­plainte auprès de la Cour constitutionnelle fédérale afin qu’elle examine la légalité du plan de sauvetage présenté. Son caractère économique explosif – véritable bombe à retardement – est de toute façon évident. Il ne suffit pas de vouloir le désamorcer devant un tribunal. L’opinion publique doit s’impliquer, d’où le présent appel. En effet, une chose est claire: comme les politiciens européens détruisent les fondements juridiques de la monnaie unique, l’union monétaire devient une communauté de la dette. Elle met en mouvement et maintient une spirale inflationniste. Ce serait la fin du rêve européen et nous devons empêcher cela.

Wilhelm Hankel, Wilhelm Nölling, Karl Albrecht Schachtschneider, Dieter Spethmann, Joachim Starbatty

* Il s’agit ici de la traduction (par Horizons et débats) du texte d’une annonce parue dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 12/5/10

Konrad Hummler: «Les banques et la politique constituent sans doute le plus grand cartel qui existe.»

«Déjà le nom de ce paquet de sauvetage est faux. Il ne s’agit pas du tout de sauver la Grèce. Il s’agit d’un paquet de sauvetage pour les créanciers de la Grèce. Ce sont une fois de plus les banques. En ­réalité, nous avons à faire à une deu­xième crise financière. Si les banques achètent des hypothèques pourries ou des emprunts d’Etat, cela revient au même. […]
Les frais de solidarité font partie d’une communauté. Là, la pression de groupe a fonctionné. Mais sans évoquer de noms: Les banques et la politique constituent bien le plus grand cartel qui existe. L’Etat protège les banques. Dans tous les pays. Le peuple n’a pas droit au chapitre. Le manque de proxi­mité entre les citoyens et l’UE est angoissant. […]
Maintenant les centralistes perçoivent leur chance. L’UE veut l’intégration à tout prix. On a peur de subir un échec total, si un Etat membre quitte le navire. Il y a un an déjà, Manuel Barroso, président de la Commission européenne, a initié un programme pour l’harmonisation des impôts et de la politique de dépense des Etats membres. Ce développement affligeant de l’UE aboutit à l’alternative: contrainte ou désintégration. Elle choisira la contrainte.»

Source: Interview de Konrad Hummler dans «Sonntag» du 16/5/10
Konrad Hummler est président de l’Association des banquiers privé suisses.
(Traduction Horizons et débats)