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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°11/12, 30 mars 2009  >  Poursuite des efforts diplomatiques suisses visant à établir la paix au Sri Lanka [Imprimer]

Poursuite des efforts diplomatiques suisses
visant à établir la paix au Sri Lanka
«La Suisse préfère dialoguer avec chacun plutôt que de mépriser les organisations»
Une interview du conseiller national Geri Müller, parti écologiste suisse, Les Verts
Depuis que, ces derniers temps, la guerre au Sri Lanka a pris des proportions atroces, les Tamouls en exil prennent position, avant tout par de grandes manifestations, tels les cor­tèges de la fin de la semaine dernière qui ont eu lieu à Genève et à Berne. Ils attirent l’attention sur la situation désastreuse de leur patrie et demandent à la communauté internationale de se prononcer en faveur de la cessation immédiate des combats et de la protection de la population civile.
Nous avons demandé au conseiller national Geri Müller, membre des Verts, comment il envisageait la situation au Sri Lanka et quel rôle pourrait jouer la Suisse en vue de la cessation du conflit.
Horizons et débats: En pensant au conflit du Sri Lanka, une comparaison avec la Palestine vient inévitablement à l’esprit. Les médias sont remplis de telles comparaisons, alors que le sort des Tamouls ne suscite pas une seule ligne. Comment envisagez-vous la situation? Y a-t-il des parallélismes? Où se trouvent les différences?
Geri Müller: Bien évidemment, il y a des parallélismes. Toutefois, les différences sautent aussi aux yeux. Un parallélisme réside dans la manière d’appréhender ces deux problèmes. Un pays combat contre une organisation terroriste. Telle est la perception internationale que nous livre aussi la plupart des médias. Seule une petite minorité voit que la soi-disant «organisation terroriste» est un mouvement politique pourvu d’une aile armée. On peut se demander si une aile armée est nécessaire. Pacifiste radical, je dis évidemment non. En revanche, si l’on est militairement menacé, que ce soit par Israël ou par le gouvernement cinghalais, il est compréhen­sible que presque chacun s’organise, s’arme et lutte contre l’agression armée. Maintenant, un débat a lieu, d’aucuns prétendant – mais personne ne parlant de terrorisme d’Etat – que le terrorisme est exercé par une armée officielle contre une minorité. Les deux conflits ont des caractéristiques analogues.
Un autre parallélisme entre les deux conflits est le rapport de forces: l’énorme Goliath contre le petit David. De plus, Israël a des liens serrés avec l’Union européenne et les Etats-Unis, dont il reçoit un soutien massif. Toute critique envers Israël se heurte au vieux reproche d’antisémitisme.
Au Sri Lanka, la situation n’est pas très différente. Sri Lanka est très bien intégré en Asie. On y considère le conflit comme intra étatique, partant notamment du point de vue selon lequel aucun groupement ethnique ne devrait venir à l’idée de faire sécession. Ainsi se forment des alliances très difficiles à dissoudre, surtout par la voie diplomatique. La troisième comparaison est certainement très forte. Tous deux sont des domaines coloniaux abandonnés, où la puissance coloniale a fixé un état, à la fin de sa domination, correspondant à ses goûts et dépourvu de participation des intéressés. Il en est allé de même au Sri Lanka. Il s’agissait initialement de trois royaumes, traités différemment par les Anglais, puis fondus en un seul Etat. Les guerres sont les conséquences des rapports coloniaux.
Une des différences est le sentiment de proximité que suscite le Proche-Orient. Certaines personnes ont immigré en Israël, mais font jouer leurs relations en Europe et aux Etats-Unis. Chaque enfant a connaissance du conflit du Proche-Orient. A l’opposé – et je le dis sans appréciation – le Sri Lanka est une île stratégiquement dépourvue d’importance, sur laquelle des cultures de thé ont été aménagées pour l’exportation. Si le Proche-Orient est en flammes, nous avons un problème de pétrole. L’intérêt porté au Proche-Orient est nettement plus fort que celui voué au Sri Lanka.
Vous avez mentionné auparavant que les pays asiatiques voulaient empêcher une sécession en raison de leurs peuples. Mais que pensez-vous du droit d’autodétermination des Tamouls qui ont déjà eu un Etat au cours de leur histoire? L’exemple du Kosovo, mentionné actuellement dans les médias et ayant proclamé son indépendance il y a un an, est frappant. La lutte a duré quelque dix ans, alors que les Tamouls s’efforcent depuis 1948 d’améliorer leur situation. Les Tamouls sont loin de se voir accorder cette chance. Qu’en pensez-vous?
C’est évidemment le point décisif. A mon avis, on ne peut comparer le Kosovo et le royaume d’Eelam, même si certains facteurs sont comparables. Considérant l’histoire de l’Amselfeld et les traitements divers infligés durant les derniers 600 ans, il faut constater que ce ne sont pas des forces extérieures – je pense aux Britanniques au Sri Lanka – qui ont envahi l’Amselfeld, l’ont occupé puis se sont retirés longtemps après. Le Kosovo est un plateau fertile, auquel s’intéressent divers peuples, contrairement à la région méridionale. Ainsi, les Ottomans ont occupé au XIVe siècle l’Amselfeld, où les Serbes avaient bâti plusieurs couvents et formé des colonies. Ultérieurement, les disputes entre l’Orient et l’Occident y ont eu lieu pendant des années.
Après la Première Guerre mondiale, la défaite de l’Empire ottoman et sa dissolution, il s’est fait un grand vide. Le Kosovo, province multiethnique dans laquelle les Serbes avaient un groupement important, a été intégré dans la «Pré»-Yougoslavie. Il ne faut pas oublier que la Yougoslavie de Tito a effectué des dépenses publiques considérables au Kosovo. Tito avait donné rapidement le passeport yougoslave à tous les immigrés du Kosovo. Les autres Etats de la Yougoslavie l’avaient critiqué pour y «avoir dépensé tant d’argent». La lutte pour l’indépendance du Kosovo a naturellement été aussi utilisée pour détruire la puissante Yougoslavie. Cela n’a pas eu lieu spontanément. Des facteurs extérieurs ont également joué un rôle important.
Passons au Sri Lanka. Avant l’occupation de Sri Lanka par les Britanniques, les peuples de l’île avaient peu affaire l’un avec l’autre. Il a fallu attendre la colonisation pour que cela change. Quand le Royaume-Uni a quitté le pays, on a adopté une forme d’Etat portant la majorité ethnique au pouvoir et ne tenant pas assez compte des minorités. Depuis l’indépendance du Sri Lanka, les dis­putes se sont amplifiées, leur vigueur s’est accrue et elles ont abouti à une guerre déclarée dans les années 70. Dans les années 90, une paix relative a été observée par moments. Les tensions ont éclaté après l’élection du président Mahinda Rajapakse. A la veille des élections présidentielles de 2005, les Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE) ont appelé au boycott, appliqué largement dans les régions tamoules du Nord et de l’Est.
Un mot encore à propos du Kosovo. Une reconnaissance réelle du Kosovo n’a pas eu lieu jusqu’à maintenant. A ce jour, le Kosovo n’a pas été reconnu par un tiers des Etats, dont cinq Etats européens importants. Même le monde musulman reste à l’écart. Après une année d’indépendance, on voit combien il est malaisé d’ériger un Etat dans un domaine qui n’a pas de propre histoire. Le reproche selon lequel l’évolution se dessine en direction d’une grande Albanie n’est pas dépourvu de pertinence, même s’il est constamment réfuté. Les Albanais qui vivent actuellement au Kosovo ont immigré durant les 100 dernières années.
Au Sri Lanka, où j’ai été observateur des élections de 2005, il sera difficile aux Tamouls d’ériger leur propre Etat. Le droit international ne prévoit de sécession que par consentement mutuel, comme dans le cas de la Tchécoslovaquie, qui s’est scindée en République tchèque et en Slovaquie. Les Tamouls auront aussi beaucoup de peine économiquement. C’est pourquoi je ne vois comme solution de rechange qu’un fédéralisme adapté. Il ne doit donc pas être analogue à celui de la Suisse. D’autres pays aux cultures, religions et sociétés divergentes ont trouvé un système qui fonctionne sur le plan fédéral. On trouvera une forme par laquelle les deux peuples font bon ménage.
Actuellement, les Etats-Unis ont une énorme base militaire au Kosovo, Bondsteel. Ce fait a-t-il accéléré l’indépendance du Kosovo?
Si Bondsteel est un point non négligeable, il ne faut pas oublier toute la géostratégie. Le Kosovo a d’énormes réserves de lignite ainsi que quelques mines en exploitation. Le lignite est très important. L’Allemagne a aujourd’hui encore de nombreuses exploitations de charbon.
Quels sont, à votre avis, les intérêts géostratégiques des Etats-Unis au Sri Lanka?
Les Etats-Unis ont un allié sûr en Inde. Et l’Inde souhaite surtout avoir la paix à Sri Lanka, car le conflit pourrait s’étendre au continent. Je crois que les Etats-Unis, quant à eux, sont assez occupés par leur politique intérieure et par leurs guerres actuelles.
Quel rôle la communauté internationale doit-elle jouer dans une solution pacifique? Que peut-on faire pour que la guerre cesse?
La communauté internationale doit apprendre à opérer avec des étalons identiques. Les prétendues «disputes internes» doivent être résolues conformément aux accords internationaux. Si un parti s’y oppose, il faut exercer des pressions sur lui. Nous devons militer en faveur de la souveraineté nationale, également dans l’intérêt d’une Suisse qui comprend de nombreux groupements de population. Toutefois, il faut un instrument comme en droit civil. Il n’est pas non plus permis de faire violence à quelqu’un dans ses appartements.
La Norvège, la Suisse et le Japon s’efforcent de négocier avec les parties en présence. Il ne s’agit pas de soutenir une sécession tamoule, mais d’une solution durable, qui pourrait aboutir à un fédéralisme ou à une autonomie partielle.
Il convient de bâtir un pont entre les deux parties, afin qu’aucun ne perde contenance. Une certaine chance vient du fait que ce conflit n’est pas très connu. Une représentation des Tamouls à laquelle ceux-ci accordent une importance politique doit être reconnue. Cependant, chaque jour de guerre accroît le risque qu’une telle possibilité disparaisse.
Pour les Tamouls, la situation au Sri Lanka est une catastrophe.
Oui, la situation est catastrophique.
Comment des négociations doivent-elles se dérouler si les LTTE figurent toujours sur la liste des terroristes et que ses objectifs sont rejetés sous prétexte de terrorisme?
La Suisse connaît ces listes, mais préfère dialoguer avec chacun plutôt que de mépriser les organisations. Il apparaît toujours davantage que cette liste de terroristes n’apporte rien. Bien au contraire, elle empire le problème. Récemment, des spécialistes du droit international ont affirmé que la «guerre contre le terrorisme» était un mauvais point de départ. Je suis du même avis depuis longtemps. Si, dans un domaine où une résistance se manifeste, une raison milite pour viser à de meilleures solutions parce que la partie opprimée est disposée à négocier, un espoir naît, ainsi qu’une vision, et le terrain où se nourrissait le terrorisme se dérobe.
Vous avez mentionné la Suisse. Quels sont les efforts faits dans la question du fédéralisme au Sri Lanka?
Ces dernières années, la Suisse n’est pas restée les bras croisés au Sri Lanka. Elle a été très active dans ce pays. Des modèles de fédéralisme ont été discutés à plusieurs reprises. On était parvenu très loin dans les entretiens avec le gouvernement précédent. On avait déjà formulé le statut d’autonomie. Les deux parties ont été invitées en Suisse. Notre pays a fait des propositions à divers niveaux sur le plan de l’administration et du gouvernement.
La Suisse passe pour la représentante d’un bon fédéralisme. Dans quelle mesure le Sri Lanka peut-il s’inspirer de ce modèle?
Tout d’abord, il faut savoir que la Suisse n’est pas devenue par nature ce qu’elle est aujourd’hui. Pendant plus de 200 ans, il n’y avait pas d’autre solution. La France exerçait de fortes pressions. Il y avait lieu d’éla­borer un système dans lequel les divers groupe linguistiques et religieux pouvaient être intégrés. Cela n’a donc pas toujours été volontaire. Mais nous avons appris à vivre de cette manière. Même si l’on entend parfois d’autres propos lors de votations.
Et il y a également d’autres modèles de fédéralisme, telle une autonomie partielle des diverses minorités, comme il a été proposé au Kosovo.
Que dit à ce sujet la commission de poli­tique extérieure du Conseil national (CPE)? Quelle est l’attitude de la commission?
Cette semaine, nous avons mené une large discussion à la suite de diverses propositions. Il était important que la DFAE (Département fédéral des affaires étrangères) nous indique quelles démarches elle a entreprises jusqu’alors. Il y a divers moyens de s’exprimer. Parfois, il est bon de protester de vive voix. Parfois, il est bon de procéder discrètement. Durant les 18 derniers mois, la Suisse s’est efforcée de développer des activités, notamment dans la discussion sur le fédéralisme et l’autonomie partielle. Elle a beaucoup agi à cet égard, bien que le Sri Lanka ne soit pas un de ses secteurs d’activité principaux. En exigeant que le ministère des Affaires étrangères fasse tout pour stopper la guerre, la CPE a soutenu celui-ci afin qu’il poursuive ses efforts. Deuxièmement, aucun demandeur d’asile ne peut être expulsé. Les deux motions de la commission ont été approuvées par une large majorité.
Si je vous comprends bien, les démarches diplomatiques de la Suisse tendant à résoudre le conflit se poursuivent.
Telle est la situation!
Je vous remercie de cet entretien.    •
(Traduction Horizons et débats)