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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°32, 15 août 2011  >  Définition du problème [Imprimer]

«Définition du problème»

par Václav Klaus

Le texte ci-dessus est un extrait de l’ouvrage de Václav Klaus intitulé «Planète bleue en péril vert. Qu’est-ce qui est en danger aujourd’hui: le climat ou la liberté?»*

Je voudrais commencer par exprimer nettement mon accord avec les conceptions des libéraux classiques, cette espèce d’hommes peut-être déjà condamnée à disparaître. Ils ont tout à fait raison d’affirmer que la cause la plus importante des menaces sur la liberté, la démocratie, l’économie de marché et la prospérité économique à la fin du XXe et au début du XXIe siècle n’est pas le socialisme (et, 17 ans après la «Révolution de velours», absolument pas sa forme extrême, le communisme, que nous avons vécue dans notre chair) mais l’idéologie ambitieuse, très arrogante et presque sans scrupules d’un mouvement politique qui, à l’origine modeste et peut-être animé de bonnes intention, a commencé avec la protection de l’environnement mais qui, avec le temps, s’est transformé en environnementalisme, idéologie qui n’a presque plus rien à voir avec l’environnement.
Ce mouvement idéologique est devenu l’alternative dominante aux idéologies vouées résolument et en priorité à la liberté de l’homme. C’est une conception philosophique qui veut changer le monde de manière radicale et à n’importe quel prix (donc au prix de la restriction des libertés et de la vie humaines), qui veut changer l’homme, ses comportements, l’ordre social et le système de valeurs, c’est-à-dire tout.
Pour écarter tout malentendu et éviter que l’on pense que je cherche à m’immiscer dans le domaine scientifique et dans l’écologie scientifique, je préciserai ceci: L’environnementalisme n’a rien à voir avec les sciences de la nature et – ce qui est encore plus grave – avec la sociologie, pour autant qu’il s’aventure sur leur territoire. Précisons que certains scientifiques oublient leurs principes scientifiques dès qu’ils s’y meuvent.
Bien que l’environnementalisme se veuille scientifique, c’est fondamentalement une idéologie métaphysique qui refuse de voir le monde, la nature et l’homme tels qu’ils sont, qui refuse de considérer son évolution naturelle et considère l’état actuel de la nature et du monde comme un absolu et se réfère à une norme intouchable que toute modification arbitraire menacerait fatalement.
Lors de sa conférence tenue à New York il y a quelque temps et qui a été diffusée mondialement, Al Gore disait expressément que nous sommes confrontés à une «catastrophe planétaire» et que si nous ne faisons rien au cours des dix prochaines années, la destruction irréversible de la planète la rendra inévitablement inhabitable. Cette affirmation alarmante est tout à fait absurde. Elle oublie notamment que l’histoire de notre planète, la constitution et la forme de la Terre, des cours d’eau, la structure des règnes animal et végétal, l’atmosphère, etc. sont soumis à un processus permanent de transformation produit aussi bien par des mécanismes endogènes de la nature que par des facteurs exogènes qui, comme les effets du soleil, échappent totalement à notre action.
Au cours des derniers millénaires, l’homme est sans aucun doute devenu un facteur de changement, finalement un facteur exogène pour les environnementalistes. Son comportement a entraîné des modifications du paysage, de l’évolution des variétés d’animaux et de plantes et aussi, en partie, du climat. En même temps, cependant, on ne connaît pas l’importance de l’influence réelle de l’homme sur les changements, à l’exception de changements locaux.
Si les critères des environnementalistes actuels étaient valables par exemple pour les différentes étapes historiques du développement de l’humanité, nous pourrions sans doute dire que nous sommes à la fois les témoins et les agents d’une catastrophe écologique permanente, que nous avons modifié les biotopes et les paysages originels, que nous avons remplacé la faune et la flore d’origine par les cultures agricoles, ce qui a entraîné des changements climatiques (par l’irrigation ou au contraire par l’extension des déserts à la suite de la déforestation et du refoulement de la végétation). Le bon sens nous dit que nous ne devons pas faire cela. Aux yeux des environnementalistes d’aujourd’hui, la déforestation de la forêt primaire dans nos régions était sans aucun doute une épouvantable catastrophe écologique, mais cela a permis de créer les paysages ruraux qui nous entourent, et reconnaissons que cela représente – pas seulement d’un point de vue esthétique – un dédommagement plus qu’acceptable.
Si nous prenons au sérieux les réflexions des environnementalistes, nous constatons que c’est une idéologie antihumaniste pour laquelle la source fondamentale des problèmes réside uniquement dans la propagation de l’espèce Homo sapiens qui, à la suite de l’évolution de l’intelligence de l’homme et de sa capacité à transformer la nature et à l’utiliser pour propager l’espèce, s’est écarté du cadre traditionnel de la nature. Ce n’est pas un hasard si toute une série d’environnementalistes ne placent pas l’homme au centre de leurs réflexions. Il n’y a pas consensus sur la question de savoir si l’on peut utiliser, pour désigner la conception opposée, le terme tout à fait correct d’anthropocentrisme, mais je reconnais qu’il représente un élément indispensable de ma pensée et également – je crois – des réflexions sur la race humaine dans son ensemble. L’ethnocentrisme, en revanche, est, de même que l’hypothèse Gaïa, qui repose sur une divinisation de la Terre, une chose toute différente.
Les environnementalistes, semble-t-il, ne tiennent pas compte du fait que l’aspect d’une grande partie de la masse terrestre est le produit d’activités humaines conscientes et que les conflits qui sont provoqués si souvent par les protecteurs de l’environnement ne visent pas à protéger l’état originel de la nature mais le produit historique des activités humaines. Ainsi, il n’existe pas de critères précisant pourquoi, dans telle ou telle région, il faudrait limiter les activités humaines pour protéger les espèces animales qui s’y sont propagées après que l’homme y ait modifié le paysage au cours des siècles.
Les environnementalistes ignorent également le fait que, comme l’homme qui cherche constamment à améliorer ses conditions de vie, la nature se transforme. Alors que les conditions de vie de certaines espèces animales ou végétales se détériorent à la suite des actions humaines, inversement, celles d’autres espèces s’améliorent et la nature contribue d’une manière très souple à ces modifications. Il en a toujours été ainsi, même avant l’apparition de l’homme. C’est pourquoi les statistiques qui indiquent combien d’espèces ont disparu ces dernières années sont trompeuses. Et pourtant elles constituent un argument fort à l’appui de l’imposition de différentes interdictions et limitations en faveur de la protection des espèces. Les espèces naissent et disparaissent uniquement pace que la nature s’adapte constamment aux situations qui changent.
Il n’existe pas d’état du monde optimal donné au départ. L’état du monde est le résultat de l’interaction entre un nombre gigantesque de facteurs cosmiques, géologiques, climatiques (parmi beaucoup d’autres), y compris les effets de divers éléments du vivant qui recherche constamment les meilleures conditions possibles pour se reproduire. L’équilibre qui prévaut dans la nature est de nature dynamique. (Il est fait d’un grand nombre de déséquilibres.)
L’attitude des environnementalistes à l’égard de la nature ressemble à l’approche marxiste des lois de l’économie car elles aussi s’efforcent de remplacer la libre spontanéité de l’évolution du monde (et de l’humanité) par une évolution planifiée prétendument optimale, centraliste ou, comme on dit aujourd’hui, globale. Cette approche – comme ce fut le cas également chez ses prédécesseurs communistes – est une utopie qui conduit à des résultats tout différents de ceux qui étaient prévus. Comme les autres utopies, celle-ci n’est applicable qu’en limitant les libertés sous le diktat d’une petite minorité d’élus face à une grande majorité de l’humanité (et elle est irréalisable).
La nature bizarre de l’environnementalisme se caractérise par le fait, facile à prouver, qu’au cours du temps, les cibles des attaques des écologistes se sont modifiées parce que l’objet concret de la critique n’est pas si important. Ce qui importe, c’est de créer un sentiment de menace d’une ampleur insoupçonnée et de rendre crédible le caractère actuel de cette menace. Si l’on réussit à créer une telle atmosphère, il apparaît qu’on a le devoir d’agir, et cela immédiatement, de ne pas se laisser retenir par des détails, de ne pas se préoccuper du coût des mesures, de ne pas tenir compte de l’argent gaspillé à la suite du changement de priorités, de contourner les normes en vigueur ainsi que les procédures prétendument «lentes» de la démocratie parlementaire, de ne pas attendre que le citoyen «ordinaire» comprenne les choses, et de prendre des décisions directes, ces décisions étant prises naturellement par ceux qui savent comment ça fonctionne.     •

*    Comme la version française de l’ouvrage de Václav Klaus est actuellement introuvable aussi bien dans les librairies francophones que chez l’éditeur français, le présent texte est une traduction de la version allemande (Václav Klaus, Blauer Planet in grünen Fesseln. Was ist bedroht: Klima oder Freiheit?) due à Horizons et débats.

Al Gore et le mauvais usage des thèmes et approches écologistesCe que M. Bursik est pour la République tchèque, Al Gore l’est au niveau mondial. Je l’ai rencontré lors d’un débat télévisé en février 1991 alors que l’on préparait la Conférence de Rio qui a prévu un grand nombre des erreurs que l’on constate aujourd’hui. Al Gore considère la protection de l’environnement comme le «meilleur principe central d’organisation de l’Etat moderne» autour duquel tout devrait «tourner», ce qui est tout à fait absurde. A l’époque déjà, je n’avais été d’accord avec lui sur presque aucun des sujets. En revanche, je suis d’accord avec B. Lomborg et R. Rose quand ils disent qu’Al Gore veut créer une «société obsédée par l’écologie», qu’il «effectue une mission» dont le but est «de transformer notre société de fond en comble à cause du danger représenté par le réchauffement climatique.»Je ne vais même pas tenter de critiquer son documentaire parce qu’il constitue une offense à ce genre. Après l’avoir vu, l’un de mes conseillers, M. Petrik, a rédigé, pour le magazine Euro un article qu’il a intitulé «Une démagogie désagréable». Je me permets de le citer: «Il s’agit d’un exposé idéologique et écologiste qui réunit presque tous les vices dont on peut se rendre coupable. Des graphiques sans échelles, indices ni unités, un jeu émotionnel dont même les militants de Greenpeace auraient honte. Ainsi, dans une présentation rappelant une bande dessinée, on nous montre un ours blanc qui nage et n’arrive pas à trouver une plaque de glace flottante pour s’y reposer. Celle qu’il trouve se brise si bien qu’il doit continuer à nager, promis à une mort certaine. Il n’est pas du tout question des méthodes qui ont présidé à la collecte des faits principaux et à l’établissement des pronostics. Puis vient l’extrapolation de ces événements tragiques avec des valeurs maximales et la présentation de catastrophes imminentes (une nouvelle ère glaciaire?). Ensuite le politicien apparaît en sauveur qui peut (lui seul?) prévenir la catastrophe et sauver l’humanité.» Le moralisme de Gore est symptomatique. «L’auteur évoque également le sort de son propre fils car ce n’est qu’après son accident qu’il a pris conscience de ce que le monde signifiait véritablement pour lui. Il fait de même à propos de sa sœur qui avait fumé toute sa vie et est morte d’un cancer des poumons. On a là les éléments classiques des rituels religieux, du réveil à la révélation.» Le résultat est évident: «Il n’est pas question de science dans ce film, encore moins d’écologie, mais uniquement d’un mauvaise usage de thèmes et d’approches écologistes.» Jetons un coup d’œil sur les livres d’Al Gore. «Earth in the Balance», paru en 1992 («Sauver la planète Terre. L’écologie et l’esprit», 1993) – dont nous avions débattu lors de l’émission de télévision déjà mentionnée – a été suivi, en 2006, de l’ouvrage intitulé «An Inconvenient Truth. The Planetary Emergency of Global Warming and what we can do about it» («Une vérité qui dérange. L’urgence planétaire du réchauffement climatique et ce que nous pouvons faire pour y remédier», 2007). Ce qu’il y a de plus grave dans ce dernier ouvrage, c’est que l’auteur nous assène un a priori: il est le seul à détenir la vérité. Il est extrêmement sûr de lui et étant donné qu’il considère le sujet comme un «problème moral», il nous le présente en moraliste et de manière hautaine. Le livre fourmille d’expressions qu’il vaut la peine de citer en anglais: «my passion for the Earth», «planetary emergency», «terrible catastrophes», «the extinction of living species». Je trouve presque fascinante son affirmation que «la pire catastrophe de l’histoire de la civilisation humaine se prépare» (introduction). Il se sent investi d’une «mission générationnelle» alors que les autres font preuve d’un «cynisme» absolu. La lecture de ce livre est triste mais instructive.

Tiré de: Klaus, Václav. Blauer Planet in grünen Fesseln. Was ist bedroht: Klima oder Freiheit? Wien 2007. ISBN 978-3-900812-15-7