Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°31, 10 août 2009  >  Au service du capitalisme sauvage [Imprimer]

Au service du capitalisme sauvage

Les espaces métropolitains en Suisse suivent le plan de l’Union européenne

par Karl Müller

Le concept de «régions métropoles» (en Suisse: régions métropolitaines ou espaces métropolitains) sert dans son noyau social, économique et politique un capitalisme sauvage opérant au niveau international. C’est un projet mondial qui s’oriente selon les direc­tives de l’idéologie de la mondialisation dominant depuis 20 ans.
Déjà en 1995, il est écrit dans le «cadre d’actions politiques pour l’aménagement du territoire» énoncé au niveau national en République fédérale d’Allemagne et relatif aux «régions métropoles européennes»: «En tant que moteur de l’évolution sociale, économique et culturelle, elles ont pour objectif la capacité de performance et de concurrence en Allemagne et en Europe.» Les plus grandes entreprises d’un pays – respectivement du monde – doivent avoir leurs sièges principaux ou leurs succursales principales dans une région métropolitaine.

Schéma de développement de l’espace communautaire SDEC

Dans le Schéma de développement de l’Espace communautaire (SDEC) de l’Union européenne qui a été adopté en 1999 sous la présidence allemande rouge-verte du Conseil de l’UE, il est écrit qu’il s’agit d’une «intégration totale dans l’économie mondiale». Et plus loin: «L’accroissement de la compétitivité mondiale de l’UE requiert une meilleure intégration des régions européennes dans l’économie mondiale. […] La création et le développement de plusieurs zones dynamiques d’intégration dans l’économie mondiale sont un instrument important pour accélérer le développement économique […] dans l’UE. […] La création de plusieurs zones dynamiques d’intégration économique mondiale bien réparties sur le territoire de l’UE, constituées de régions métropolitaines interconnectées et d’un accès international facile, articulées autour de villes et de zones rurales de tailles différentes, va jouer un rôle crucial dans l’amélioration de l’équilibre spatial en Europe. Des services globaux et performants devront dorénavant être également développés dans les régions métropolitaines et dans les grandes villes situées hors du cœur de l’UE.»
Les réseaux transeuropéens RTE prévus par l’UE et fixés dans le traité instituant la CE (Articles 154–156) appartiennent à ces régions métropolitaines («une contribution de l’UE à la restructuration et au développement du marché intérieur»), qui doivent relier les régions métropolitaines les unes aux autres. Le RTE 24, l’axe ferroviaire Lyon/Gênes–Bâle–Duisburg–Rotterdam/Anvers qui doit traverser la Suisse en fait également partie, ce qui explique un peu l’intérêt particulier de la Deutsche Bahn AG à vouloir saisir le tunnel du Lötschberg.

Cela n’émane pas de la base des communes, des régions et des nations

Le concept des régions métropolitaines n’émane pas de la base des communes, des régions et des nations, mais a été et est mené au niveau global de manière centrale et communiqué de haut en bas. Le programme SDEC énoncé par les dirigeants allemands rouges-verts se réfère à plusieurs reprises aux conférences de l’ONU à Rio (en 1992) et à Istanbul (en 1996) où on a posé les jalons avec l’Agenda 21 et l’Habitat II au niveau international, entre autre pour mettre à bord de la barque de la mondialisation du gros capital, sous le slogan de la «durabilité», les socialistes et les Verts opérant au niveau international pour briser la résistance naturelle à la mondialisation planifiée.
Le slogan de l’Agenda 21: «Pense globalement, agit localement» ne peut donc être compris que de la manière suivante: Ce qui est centralement planifié par quelques individus dans le monde, doit être imposé jusqu’au sein des communes. Cela doit cependant être vendu de sorte qu’on croie que la situation sociale et écologique sur place et dans le monde exige la dissolution des structures politiques éprouvées. Cette tromperie trouve une nouvelle variante dans la revendication actuelle pour un «Green New Deal».

L’UE veut aussi planifier l’espace suisse

En ce qui concerne la Suisse, le SDEC prévoit qu’elle doit être intégrée dans le concept de l’aménagement du territoire européen: «L’interdépendance croissante avec la Suisse et avec la Norvège [qui n’est pas non plus membre de l’UE] et l’intérêt explicite de ces Etats pour une coopération confirme la nécessité d’étendre la planification du développement spatial de l’UE au-delà du territoire des [1999] 15 Etats-membres (souligné par l’auteur). C’est pourquoi l’UE ambitionne une «stratégie de développement spatial sur l’ensemble du territoire européen.»
En clair, l’UE ignore la souveraineté des Etats non-membres et veut également intégrer leurs espaces dans sa planification!
Malheureusement, cela correspond aux prises de position venant de la Suisse même. C’est ainsi que déjà dans le rapport du Conseil fédéral du 19 décembre 2001 intitulé «Politique des agglomérations de la Confédération», il est écrit que «l’engagement planifié par la Confédération pour l’espace urbain» ne re­présente «pas une initiative isolée ou une action particulièrement innovative de la Suisse». La Suisse a plutôt «en comparaison avec les initiatives étrangères déjà pris du retard ou est menacée d’en prendre». C’est pourquoi, le concept du Conseil fédéral s’intègre «dans un contexte international et européen», et les réflexions du Conseil fédéral vont «dans la même direction que les réflexions de l’Union européenne». (souligné par l’auteur)
Une étude de l’EPF de Zurich datée de 2003 et intitulée «Trop grand pour être vrai? La région métropolitaine européenne de Zurich» est encore plus claire. Ici, on pose la question de savoir si la région métropolitaine de Zurich «du fait de son importance économique et politique pour la Suisse, non-membre de l’UE, prend la fonction d’un moteur d’intégration en direction de l’UE» (souligné par l’auteur). On ne répond qu’en partie à la question en écrivant: «La compétition d’un site a lieu à un niveau dimensionnel pour lequel les petites structures fédérales caractérisant la Suisse sont insuffisamment équipées.» Cela veut-il dire que la Suisse doit changer – et ce en ignorant la volonté du peuple – ses structures politiques qui ont évolué au cours des siècles seulement pour se soumettre à une mondialisation de plus en plus douteuse et aux plans de l’UE? Le rapport de l’EPFZ donne des éclaircissements: «L’OCDE souligne justement pour la Suisse la ‹Metropolitan Governance›, c’est-à-dire la capacité de direction des régions métropolitaines fonctionnelles, qui représente l’un des défis les plus centraux pour un développement spatial durable.»

Pas de contribution à la promotion du bien commun

Chacun doit le savoir: Le concept des régions métropolitaines n’est pas une contribution à la promotion du bien commun, mais détruit l’égalité des rapports humains dans un pays et viole ainsi de manière fondamentale de nombreux droits de l’homme. Le concept fait partie d’un plan qui sert avant tout à l’enrichissement et à la croissance du pouvoir de certains, avant tout des acteurs de la finance, avec en arrière-plan des groupes multinationaux et des instituts financiers. Le concept des régions métropolitaines ne peut pas être jugé de manière adéquate si on ne tient pas compte des conséquences dévastatrices à l’échelle mondiale de la mondialisation des vingt dernières années: attaque contre les valeurs centrales de la vie communautaire, abrutissement de parties toujours plus grandes de notre société, malheureusement aussi de la jeunesse, au moyen de produits médiatiques brutaux, érosion de la classe moyenne bourgeoise, indispensable pour une démocratie, dans les pays industrialisés, faim et détresse alarmante d’un nombre toujours plus élevé d’êtres humains dans le monde, disparité toujours plus flagrante entre les pauvres et les riches, règne sans scrupules de l’exploitation et de l’oppression. A cela il faut ajouter les nombreuses guerres de ces vingt dernières années qui ont tant détruit.

Le rapport de l’OCDE de l’année 2002

Le rapport de l’OCDE daté de 2002 et intitulé «Examens territoriaux de l’OCDE: Suisse» cité dans l’étude de l’EPFZ montre l’absurdité et la misanthropie de l’ensemble du concept des régions métropolitaines.
L’OCDE – on a présenté cela amplement dans ce journal (Horizons et débats no 16 du 27 avril) – est une institution transatlantique charnière, un appareil de planification au profit de la politique de la mondialisation – en particulier au service de la liberté de la circulation du capital – et ainsi au profit des attaques contre une économie nationale axée sur le bien commun et sur la souveraineté du peuple.
Le rapport de l’OCDE remonte à une décision de l’OCDE de 1999 par laquelle un comité pour le développement territorial a été fondé qui devait «examiner» le développement territorial de tous les Etats-membres.
Déjà dans la préface, la mondialisation est considérée comme une loi naturelle irrévocable et on y apprend que cette mondialisation «met de plus en plus à l’épreuve la capacité des économies régionales à s’adapter et à exploiter ou simplement à conserver leur avantage concurrentiel».

L’équivalence des conditions de vie en Suisse…

Toutefois, le rapport a abouti initialement à la conclusion que la politique de la Suisse valable à l’époque et jusqu’à cette date a conduit à ce que les différences entre les cantons, «c’est-à-dire les différences de performance économique […] soient relativement faibles dans le contexte de l’OCDE».
La Suisse a réussi «à maintenir un haut niveau de vie dans l’ensemble du pays». Elle y a réussi grâce par exemple à des entre­prises de services publics telles que les chemins de fer et les services postaux qui ont fourni des emplois même aux régions très écartées. L’investissement dans l’infrastructure routière cantonale a «présenté un fort aspect redistributif au profit des zones rurales et montagneuses» et «l’administration fédérale a privilégié aussi fortement, dans les marchés publics, les régions économiquement défavorisées».
Selon l’OCDE en 2002, la politique décentralisée caractérisant la Suisse «ne semble toutefois pas accroître les disparités territoriales au niveau des services publics fournis» et peut même contribuer à une diminution de celles-ci entre les territoires urbains et ruraux. «Etant soucieuses d’assurer leurs rentrées fiscales, les autorités cantonales sont amenées à suivre de près les exigences de la population et à fournir de bons niveaux de services même dans les régions écartées. […] La concurrence fiscale paraît, dans l’ensemble, avoir un effet bénéfique sur la qualité des services publics d’un bout à l’autre du pays.»

… n’est pas compatible avec la mondialisation

Le rapport estime toutefois que cette position de départ favorable à la Suisse et ses habitants ne peut pas être maintenue à cause des dérégulations, des libéralisations et des privatisations qui vont de pair avec la mondialisation. «Des contraintes pèsent actuellement sur le système soigneusement équilibré de politiques territoriales et de mesures visant à remédier aux disparités.»
L’OCDE ne remet pas en question la mondialisation mais la politique suisse pratiquée jusqu’à maintenant. En Suisse, «un pro­blème particulier que doivent résoudre les politiques territoriales est celui des discordances croissantes observées entre les régions fonctionnelles et les régions politiques.» Pour l’OCDE, la Suisse avec sa démocratie directe qui a évolué au cours du temps, ses espaces d’une grandeur restreinte et sa structure fédérale n’est pas compatible avec la manière dont la mondialisation «fonctionne». L’OCDE écrit de manière dépréciative: «En réalité, la vie économique et sociale du pays au XXIe siècle repose sur une structure territoriale mise en place à la fin du XIXe siècle. Le chevauchement de l’organisation fonctionnelle et de la structure politico-territoriale du pays se traduit par divers vides et incohérences au niveau de la prise de décision politique.»
Et plus loin: «Cela apparaît particulièrement dans les zones urbaines.» C’est pourquoi la politique régionale suisse devrait moins se concentrer sur les territoires de montagne et ceux économiquement défavorisés, mais plutôt sur l’encouragement des régions urbaines. Avec la modification de la Constitution fédérale en 2001, cela est désormais devenu possible.
Dans le monde de la mondialisation, il s’agit avant tout de promouvoir la compétitivité d’une région et non pas de réduire les disparités. Les mesures de soutien directes pour les villes, par exemple les allègements fiscaux, pourraient buter sur une résistance de l’UE. C’est pourquoi l’OCDE conseille «des moyens d’action fondés sur le jeu du marché […] favorisant une concentration de l’implantation de l’habitat» et qui aident les cantons «à développer une configuration géographique plus cohérente sur l’ensemble de leur territoire».
Les auteurs reconnaissent eux-mêmes les conséquences d’une telle politique: «Les diverses réformes envisagées dans le domaine des politiques budgétaires, sectorielles et régionales pourraient déboucher sur un compromis entre une plus grande efficacité et la préservation de l’équité entre les régions.» Cependant, mise à part la proposition pour certains «mécanismes compensatoires» (par exemple la promotion de parcs nationaux ou de parcs naturels régionaux), une réflexion sur les conditions requises pour ce concept fait défaut à l’OCDE.

L’OCDE recommande à la Suisse de recourir à une politique «de la carotte et du bâton»

Afin de forcer beaucoup de personnes à monter à bord, malgré la destruction de l’équi­libre, l’OCDE a recommandé en 2002 une meilleure coordination entre la Confédération, les cantons et les communes et a mentionné pour le domaine des espaces métropolitains la «Conférence tripartite sur les agglomérations» en tant que «partenariat entre les trois niveaux de gouvernement». Dans les recommandations spéciales pour les régions métropolitaines suisses, l’OCDE a conseillé une «meilleure intégration des villes suisses dans le réseau des villes européennes».
L’OCDE conseille à la Confédération de recourir à une «politique de la carotte et du bâton»: «Le bâton pourrait revêtir la forme d’une ‹législation fédérale relative aux partenariats horizontaux› ou de l’obligation faite aux cantons ou aux communes de créer des associations métropolitaines ou d’y adhérer tandis que la carotte pourrait être une modulation des transferts entre les échelons de l’administration en fonction de l’empressement des communes des zones métropolitaines à coopérer, ou des incitations financières en faveur d’une collaboration au sein des zones métropolitaines entre les cantons, entre les communes et entre les cantons et leurs villes.»

Cela en vaut-il la peine?

En conclusion: Cela vaut-il vraiment la peine de passer outre et d’ignorer la démocratie directe de la Suisse? Est-il vraiment désirable de miner les structures politiques éprouvées en ignorant le peuple et ensuite de les détruire? Tout cela pour se soumettre à une UE antidémocratique? Tout cela pour une mondialisation dédaigneuse guidée par le capitalisme sauvage! Après vingt ans, le prix que l’humanité a payé et doit payer pour cela est pourtant devenu évident. Cela vaut-il vraiment la peine d’avoir les «gagnants» de la mondialisation à proximité, d’espérer des miettes laissées par ces «gagnants» et dans cette espérance trompeuse, de jeter par-dessus bord tout ce qu’on a conquis au cours de l’histoire? Et de réduire les chances relatives à une autre voie, digne au niveau social, politique et économique? Ce sont des questions en apparence rhétoriques. On doit pourtant y réfléchir.     •