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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°31, 4 août 2008  >  Pourquoi je mets en garde contre les expériences prévues à l’aide du Grand collisionneur à hadrons [Imprimer]

Pourquoi je mets en garde contre les expériences prévues à l’aide du Grand collisionneur à hadrons

par Otto E. Rössler, biochimiste et physicien

hd. Le texte ci-dessous du biochimiste, pionnier de la théorie du chaos et physicien Otto E. Rössler expose tout d’abord ses inquiétudes à propos des expériences qui vont être réalisées au CERN. Cette première partie du texte ne sera pas immédiatement accessible à la plupart des profanes, mais les conclusions de ces réflexions scientifiques le seront et elles sont si importantes que nous tenons à présenter le texte à nos lecteurs dans sa totalité. En résumé, il s’agit de ceci: A partir du 1er août, le CERN va procéder à une série d’expériences permettant très probablement de créer des trous noirs. Deux théories s’opposent à ce sujet: selon Stephen Hawking, les trous noirs ainsi produits se désintègrent en l’espace de 10-26 secondes. («évaporation des trous noirs»). D’autres scientifiques, notamment Rössler, craignent que les trous noirs ne se dématérialisent pas mais restent sur terre, se nourrissent d’autres particules de matière (quarks), se développent de manière exponentielle et ne puissent plus être éliminés de l’environnement terrestre. En conséquence, il demande qu’avant le début des expériences, une commission de sécurité scientifique examine attentivement les théories existantes.
C’est un honneur pour moi de pouvoir écrire un article accessible à tous. Les auditeurs de mon cours sur le chaos et moi-même sommes tombés sur un fait nouveau de la théorie générale de la relativité qui nous distingue de la presque totalité des spécialistes mais n’a jamais été contesté. Nous l’avons exposé en anglais en 1998 sous le titre Gravitational slowing-down of clocks implies proportional size increase (in: A Perspective Look at Nonlinear Media, Lecture Notes in Physics, Springer Verlag, 1998;503:370-372) sans enregistrer de critiques. Ce résultat est la vraie raison de ma mise en garde contre les expériences prévues par le CERN sur des faisceaux protoniques soumis à des accélérations extrêmes, jamais atteintes jusqu’ici.
Notre découverte modifie l’interprétation – pas la justesse – de la théorie générale de la relativité. Einstein supposait que dans un champ gravitationnel, là où la lumière, comme il l’avait découvert, est décalée vers le rouge (diminution de la fréquence) et où les horloges avancent plus lentement, la vitesse de la lumière est ralentie. Car vue d’en haut, la lumière «traîne» deux fois plus lentement quand sa fréquence est divisée par deux. Cette question troubla profondément le confrère d’Einstein Max Abraham, son aîné, qui rappela à Einstein, en 1912, que la constance de la vitesse de la lumière était sa découverte la plus remarquable. Pourtant ce qu’Einstein avait observé d’en haut, était correctement décrit. Ce que nous avons trouvé, c’est que les deux observations sont justes. Cela ne tient pas au fait que la vitesse de la lumière, en bas, est par exemple divisée par deux, mais au fait que l’extension de tous les objets, et de l’espace lui-même, est doublée en bas dans toutes les directions. Ce qui s’oppose apparemment à cette interprétation, c’est le fait que la largeur reste inchangée. Cela tient à ce que, selon le principe d’équivalence, la transformation de Lorentz modifie certes la longueur d’un corps mais pas sa largeur. Le fait que la transformation de Lorentz puisse non seulement provoquer une contraction de l’espace, comme Lorentz l’a montré, mais également une extension, comme nous l’avons observé ici, avait déjà été décrit par Walter Greiner dans son manuel en plusieurs volumes (ce que nous avons appris plus tard). L’apparente constance de la largeur vue d’en haut est un effet de distorsion. Pour les observateurs situés sous le champ gravitationnel, avec leur taille doublée, tout est normal (isotropie). Ils sont certes deux fois plus ­larges mais cela ne se voit pas d’en haut (anisotropie). C’est pourquoi la lumière, en bas, ne «traîne» qu’en apparence.
L’expansion relative de l’espace (ou, inversement, sa contraction) indépendante du temps est une chose difficile à comprendre. C’est pourquoi il ne s’est rien passé pendant presque 10 ans. Pourtant l’année dernière un livre particulièrement accessible sur la théorie générale de la relativité nous a permis de retrouver notre résultat de 1998 sous son aspect quantitatif dans la version définitive, de 1915, de la théorie générale de la relativité d’Einstein. Effectivement, la «distance radar» entre le haut et le bas y est, comme dans notre résultat, deux fois plus longue de haut en bas que de bas en haut. La formule donnée page 130 de l’ouvrage de J. Foster et J. D. Nightingale (A Short Course in General Relativity, Springer Verlag, 2006) le montre bien. La même intégrale se trouve naturellement dans beaucoup d’autres textes en tant que résultat de la métrique radiale de Schwarzschild. Mais le fait qu’elle soit différente dans les deux sens verticaux n’apparaît aussi clairement que dans ce manuel, si bien que cela nous a sauté aux yeux.
C’est ainsi qu’est né le «théorème » Il existe dans la théorie générale de la relativité une mesure de distance naturelle, la «distance » (à ne pas confondre avec la distance I, appelée souvent également distance R) qui est, pour la vitesse de la lumière, universellement, et non pas seulement localement, constante. Elle reflète l’augmentation de taille en dessous et explique pourquoi la lumière met un temps infini à monter et sortir d’un trou noir à partir de sa surface (l’«horizon»): parce que la distance  est infinie. Jusqu’ici, on supposait au contraire que le retard infini provenait de ce que la lumière, en bas, se déplaçait avec une infinie lenteur. Les deux hypothèses sont formellement équivalentes, mais la seconde est plus simple et plus naturelle et elle permet de nouvelles prédictions.
Et nous voici arrivés aux expériences à réaliser à l’aide du Grand collisionneur à hadrons (LHC). Pour nous, les trous noirs (ceux que l’on espère produire au CERN) pos­sèdent de nouvelles propriétés physiques. Par exemple, la lumière – chaque rayonnement – a besoin, pour parvenir de l’horizon vers l’extérieur, d’un temps infini parce qu’elle doit parcourir une distance infinie. Aussi les trous noirs ne peuvent-ils plus se dématérialiser «à la Hawking», ou plus précisément, ils ne le peuvent qu’au bout d’un temps infiniment long ou infiniment lentement (ce qui revient au même). Ainsi, ils ne peuvent pas disparaître en 10-26 secondes en une pluie de particules secondaires, comme on le supposait jusqu’ici. Les particules doivent donc soit s’échapper sans être vues ou, si elles sont assez lentes, disparaître dans la terre de manière invisible pour y tournoyer, ralentir de plus en plus et être absorbées par un quark s’il vient à croiser leur route. Le seul problème non encore résolu consiste dans la rapidité de croissance, qui donne lieu à une nouvelle hypothèse, celle d’une croissance exponentielle par formation d’attracteurs.
Le théorème  différencie notre petite minorité des autres spécialistes, si bien que nous seuls pouvons dire «Objection, votre Honneur.» Pourquoi devrait-on nous écouter? Nous n’en demandons pas tant. Nous voudrions seulement que notre nouveau résultat (cf. www.wissensnavigator.com/documents/ottoroesslerminiblackhole.pdf) soit débattu au cours d’une conférence de sécurité par les experts mondiaux de la question avant que les expériences ne deviennent critiques cet été. Si notre théorie est réfutée, nous nous inclinerons. Dans le cas contraire, nous ne serons plus seuls. C’est ça, la science. Nous mettons en jeu notre réputation, c’est tout.
Malheureusement, le CERN ne veut pas entendre parler d’une telle conférence. Même la Commission européenne ne peut pas l’y contraindre. (Robert-Jan Smits, directeur général de la recherche de la Commission européenne, est intervenu.) Il n’est pas facile de comprendre les raisons de ce refus. Les enfants ont toujours eu la possibilité d’être entendus par la science, même quand le roi était nu, même si cela était gênant.
Il existe cependant une raison impérative pour laquelle le CERN doit autoriser cette conférence. A supposer que nous ayons raison, il en résultera premièrement, comme nous venons de le démontrer, que les trous noirs qui seront éventuellement produits ne vont pas s’évaporer et s’il en subsiste sur la terre, qu’ils vont se multiplier. Deuxièmement, ils ne laisseront pas de traces lors de leur production. Par conséquent, l’expérience, en ce qui concerne la production de trous noirs, va apparaître comme un échec. Le CERN va annoncer fièrement ce résultat. Dans ce cas, malheureusement, personne ne sera soulagé. Même une conférence convoquée après coup ne pourra plus rien faire. Car dire (Car au cas où le consensus visé serait) «qu’il y a une probabilité donnée que des trous noirs aient quand même pu être produits et qu’ils y a une probabilité donnée qu’au moins l’un d’eux se trouve sous terre et est en train de croître, peut-être très rapidement» serait irresponsable. Même un consensus absolu concernant le contraire (absence de danger) ne serait plus, pour cette raison, crédible. Le monde ne pardonnerait pas l’expérience, ni les scientifiques ni l’Europe. Ils considéreront cette expérience qui leur a été imposée comme le plus grand crime de l’histoire de l’humanité, même si, finalement, il ne s’est absolument rien passé.
Ce serait évidemment à tort car les chercheurs du CERN sont des gens honnêtes et sympathiques. Mais les conséquences seraient mille fois pires. C’est pourquoi on ne peut plus convoquer de conférence d’experts crédible après l’expérience. Il faut la convoquer dans les quelques semaines qui restent et cela malgré le fait que seule une petite minorité de spécialistes voient là actuellement un danger.
Me voici arrivé à la fin de mon plaidoyer adressé à l’opinion publique. Je trouve extrêmement gênant de devoir adresser cette mise en garde. La poursuite des réflexions ­d’Einstein cent ans après la parution du principe d’équivalence (le 22 janvier 1908 dans le Jahrbuch der Radioaktivität und Elektronik à la demande de Johannes Stark) fait encore mal. Jouer les prophètes de malheur procure un sentiment inhabituel. Jona était déçu qu’on l’écoute. Je vous pardonnerai si vous m’écoutez. Je vous en prie, pardonnez-moi de vous demander de l’aide pour que l’on me réfute. C’est mon seul objectif. Montrez-moi mon erreur. Tout cela tient uniquement au fait que le temps presse.    •

Je remercie Dieter Fröhlich, mon collaborateur et ami depuis de nombreuses années, ainsi que ­Wolfgang Fedyszin, Jeannette Fischer, Enrico Pellegrino, Joachim Frank, Peter Plath, Frank Kuske, Peter Weibel et Artur Schmidt.

Source: www.wissensnavigator.ch/documents/enrico.pdf, 9/6/08
(Traduction Horizons et débats)