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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°21, 2 juin 2009  >  Témoins du passé: avertissement pour le présent [Imprimer]

Témoins du passé: avertissement pour le présent Réflexions suscitées par le cimetière de soldats allemands de Davos

par Ewald Wetekamp

Pendant mon séjour à la «Clinique de haute montagne Davos», une institution internationale très bénéfique qui traite des maladies allergiques et non allergiques des voies respiratoires, des poumons, de la peau et des yeux, j’ai découvert un cimetière de soldats allemands sur le vaste terrain de la clinique. Comment est-ce possible? En Suisse neutre un cimetière de soldats allemands situé à une altitude de 1600 m? Mes recherches ont pour résultat que les soldats qui y reposent étaient des membres de l’armée allemande atteints de tuberculose qui y furent envoyés à la fin de la Première Guerre mondiale pour se faire traiter. Ils espéraient échapper non seulement aux massacres horribles qui sévissaient sur les champs de bataille, mais aussi à la mort entraînée par cette maladie insidieuse.
Combien de ces soldats traités là-haut sous le climat curatif des montagnes de Davos furent guéris je ne peux pas le découvrir. Mais dans le cimetière, entourées par des murs en pierre sèche assez bas et cachées par des arbres centenaires créant une atmosphère de tranquillité, je compte 53 tombes de soldats. En outre il y a encore cinq tombes d’internés civils et celle de la famille du fondateur et donateur de cette clinique, Ulrich Hermann Burchard.
Monsieur Burchard, un marchand aisé de Hambourg, se rendit, vers la fin du XIXe siècle, à Davos pour guérir sa maladie pulmonaire. Par reconnaissance, il créa la fondation «Deutsche Heilstätte in Davos» (sanatorium allemand de Davos). Le but de cette fondation était de traiter des personnes ma­lades indépendamment de leur confession religieuse, leur nationalité ou leur origine sociale. Un souhait que, peu après, la Société des Nations fondée en 1920 a formulé à l’échelle politique.
Je suis plein de reconnaissance envers le fondateur et tous ceux qui ont rendu possible le maintien et l’élargissement de ce lieu de guérison.
Au cimetière, mes yeux errent d’une pierre tombale à l’autre. Je lis les noms et les chiffres gravés dans les croix tombales en pierre. Personne n’avait atteint plus de 35 ans. Le plus jeune avait 20 ans. Peut-être que ceux qui étaient plus âgés, étaient déjà mariés et pères de famille. Les plus jeunes avaient des mères, des pères et peut-être aussi une fiancée. Tous ils devaient mourir des conséquences d’une nouvelle guerre insensée à laquelle ils auraient aimé échapper (29% de tous les soldats tombés malades sur le champ de bataille souffraient de lésions pulmonaires causées par les gaz toxiques ou étaient atteints de tuberculose). Qui ne préférerait pas l’amour de sa femme et de sa famille, de ses enfants et de ses parents à ce fléau de la guerre qui détruit les hommes, la civilisation et qui porte atteinte à la nature? Les effets de ces massacres se manifestent toujours dans les âmes des hommes et la nature. Combien de temps faut-il pour que ces blessures guérissent? Nous savons cependant que seulement deux décennies plus tard le monstre de la guerre fut à nouveau déchaîné.
Je reste un instant près des tombes, puis je continue ma flânerie et je me trouve soudain devant un mémorial en pierre couvert d’un toit et orné d’une plaque commémorative. Encore plongé dans ma réflexion sur l’absurdité de la Première Guerre mondiale et ses nombreuses victimes devant les restes desquels je me trouve, je lis sur la plaque commémorative les phrases suivantes: «Ici re­posent les guerriers allemands morts dans un pays étranger hospitalier. Loin de la patrie, eux aussi, ils sont morts pour la patrie.»
Les larmes me viennent aux yeux et je suis pris de nausée: «… eux aussi, ils sont morts pour la patrie.» Je ne peux m’empêcher de penser aux jeunes soldats que la crise économique actuelle a amenés à joindre l’armée allemande pour pouvoir assurer leur pain quotidien. Il y en a quelques-uns parmi mes anciens élèves qui ont, eux aussi, pris ce chemin-là. Quand ils risquent leur santé et leur vie en Afghanistan, dans un pays où la Bundeswehr n’a rien à foutre, mais rien du tout, eux aussi, ils doivent se faire dire que leur engagement sert la patrie et qu’ils défendent les intérêts allemands.
Bien sûr, j’aimerais être fier de ma patrie comme les Suisses peuvent l’être, mais je n’y arrive pas. Seul la conviction d’appartenir à la communauté des peuples et à la famille humaine qui, elle, ne souhaite rien d’autre que la paix, la liberté et la justice, me rassure et crée un lien avec tous ces humains honnêtes. Cela me console et me donne une perspective, une perspective qui me dit que les cimetières de soldats et les plaques commémoratives de ce genre pourraient appartenir au passé.
En finir avec ce «… morts pour la patrie» et ce que l’on ajoute d’habitude «… au champ d’honneur». Quelle sorte de patrie est-ce, qui sacrifie une génération après l’autre pour multiplier la puissance et le capital, l’influence et les privilèges? Qu’en est-il de cet honneur qui manque de tout respect de la vie?
Quelle en serait une perspective? Eh bien, pas besoin de réfléchir longtemps. Le sol où je me trouve, c’est le sol suisse, même si ce terrain appartient à une fondation allemande. La Suisse, respectant l’égalité de tous les citoyens et la dignité qui leur est inhérente en tant qu’êtres humains, a développé au cours du temps un modèle convivial basé sur le principe de la démocratie directe.
Seuls la réalisation de l’égalité en droit de tous et le respect de la dignité de tous aboutissent obligatoirement au statut de neutralité comme principe déterminant de la politique étrangère. La neutralité en tant que paradigme de la politique étrangère signifie la renonciation à toute politique d’hégémonie. Pas de querelles, pas de tendances impériales, pas d’intervention guerrière. C’est le statut de neutralité qui oblige l’Etat de se concentrer sur ses véritables devoirs et à promouvoir le bien-être sous toutes ses facettes, soit sur son propre territoire soit à l’étranger.
En 1952, l’Allemagne avait encore la chance historique de devenir un Etat neutre selon les propositions de Staline. Cette chance a été ratée. L’intégration occidentale signifie «hurler avec les loups». Entre temps cela s’est développé en «hurler en tant que loup parmi les loups». Mais cela ne doit pas rester ainsi. Pourquoi pas la neutralité comme message de politique de paix à partir du sol allemand? Il s’agirait de la mise en œuvre concrète de la confession politique émise à la suite de la Seconde Guerre mondiale, à savoir «Plus jamais de guerre partant du sol allemand!».
Et cela, Monsieur Steinbrück, je vous le dis à vous et à vos auxiliaires exécutifs une bonne fois pour toutes: un démocrate honnête ne fait ni guerre ni razzia contre la population de son propre pays ou celle de ses voisins, comme vous le faites. Les hommes qui se pavanent en seigneurs se flétrissent dans une res publica. Ils ne trouvent pas d’écho dans une démocratie. Et l’Allemagne dispose quand même de certaines racines démocratiques. Dans ce contexte je pense à la «Fête de Hambach», à toutes ces idées nobles de l’Assemblée de la Paulskirche qui ont été inscrites en 1848 dans la première constitution démocratique allemande, à la Loi fondamentale établie en 1949 qui formule et fixe des droits humains dans ses premiers 19 articles. Et bien sûr, je pense à la Suisse.     •