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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°29, 30 septembre 2013  >  «Tous les litiges doivent être résolus par des moyens pacifiques» [Imprimer]

«Tous les litiges doivent être résolus par des moyens pacifiques»

Proposition d’un rapporteur spécial contre l’incitation à la guerre

Interview d’Alfred de Zayas, expert indépendant auprès de l’ONU pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable

thk. Lundi dernier, le Conseil des droits de l’homme s’est réuni à Genève, pour prendre connaissance du rapport de la «Independent International Commission of Inquiry on the Syrian Arab Republic (COI)» (Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne), présenté par le chef de cette commission, Sergio Pinheiro. La Commission a fait des recherches concernant divers massacres en Syrie. Le rapport actuel se base sur 258 interrogations de diverses personnes, le nombre de personnes questionnées n’étant pas mentionné. La Commission ne s’est pas rendue elle-même sur les lieux; selon ses dires, elle aurait obtenu ses «informations» avant tout par des sondages téléphoniques auprès de personnes se trouvant à l’extérieur du pays.
La discussion qui a suivi la présentation de ce rapport a reflété la situation des intérêts du moment dans ce conflit, notamment des pays occidentaux. En gros, on peut dire que les Etats membres de l’OTAN et de l’UE, avec la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et quelques autres Etats arabes d’orientation occidentale ont condamné le gouvernement Assad et ont saisi l’occasion de lui attribuer les attaques au gaz toxique perpétrées à Ghouta (banlieue de Damas), ce qui n’était cependant pas le sujet du rapport. Le son de cloche exprimé par ces Etats «guidés» par l’Occident était que ce crime de guerre, ce qu’il est sans doute, devait avoir des conséquences. Les attaques au gaz toxique antérieures, qui ont clairement pu être attribuées aux soi-disant rebelles, n’ont pas été mentionnées. Des pays comme les Etats ALBA d’Amérique latine, la Russie ou la Chine mais aussi quelques Etats asiatiques et africains ont appelé à la modération et ont soulignée l’interdiction d’ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat souverain. Ils ont continué d’appeler au dialogue pour trouver une solution constructive de ce conflit – qui, si elle est réellement souhaitée par les partenaires de la négociation, pourrait être réalisée ce que les négociations entre la Russie et les Etats-Unis ont prouvé, – et ils ont appelé à terminer les effusions de sang dans ce pays. Tous les Etats ont condamné l’utilisation de gaz toxique, sur ce point la communauté internationale est unanime.
En marge de cette réunion du Conseil des droits de l’homme, «Horizons et débats» a rencontré le professeur de droit international, historien et spécialiste américain des droits de l’homme Alfred de Zayas, qui occupe actuellement à l’ONU le poste d’expert indépendant pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable. Dans l’interview ci-dessous, vous pouvez lire comment il conçoit sa tâche dans notre monde dominé par des luttes pour le pouvoir et pour les ressources énergétiques et quelles sont ses réflexions actuelles face au conflit en Syrie.

Horizons et débats: Le 10 septembre vous avez présenté votre rapport sur «La promotion d’un ordre international démocratique et équitable». Quelles réactions avez-vous obtenues?

Alfred de Zayas: Après avoir lu mon texte au Conseil, environ 30 Etats et 12 ONG se sont exprimés. J’ai été très satisfait parce que les commentaires étaient, soit positifs en se joignant à mes propositions, soit ils contenaient des critiques constructives. Ni l’UE, ni la Grande Bretagne ont attaqué le rapport mais plutôt critiqué l’ampleur du mandat, et les Etats-Unis se sont abstenus.

Quels étaient les points critiqués?

Par exemple, que j’avais traité l’aspect de l’autodétermination de manière trop détaillée, que j’avais trop mis le poids sur ce sujet. Un autre point critiqué était que le mandat était trop «vaste», c’est-à-dire la résolution 18/6 elle-même.

Quelles ont été vos recommandations?

Par exemple, la proposition de créer une «Représentation mondiale des peuples». Une assemblée parlementaire avec des compétences consultatives, dans laquelle tous les peuples seraient représentés par des personnes élues par les citoyens, un véritable parlement pour le monde. Les membres ne seraient pas des ambassadeurs des Etats individuels, mais des citoyens de chaque pays, je pense à des médecins, des artisans, des juristes, des enseignants etc.

Comment cette proposition a-t-elle été accueillie?

Quelques Etats, par exemple l’Egypte, la soutiennent. Auprès des ONG cette proposition a trouvé une approbation de 100%. Après leurs prises de position j’ai eu encore une fois l’occasion de m’exprimer et alors j’ai mis au centre l’examen général des pays du Conseil des droits de l’homme (Universal periodical review UPR). A l’aide de cette démarche, tous les pays sont examinés concernant leur situation dans le domaine des droits de l’homme. Jusqu’à présent tous les Etats y ont participé. Depuis peu un pays s’y refuse. C’est très regrettable.

Qu’est ce qui se perd de cette manière?

Ce sont justement ces examens périodiques qui créent toujours des occasions de dialogue et ils soulignent l’universalité des droits de l’homme – c’est primordial. Pour améliorer la situation, le dialogue entre les pays est tout à fait décisif. Tous les Etats sont concernés, car aucun Etat ne se comporte de façon irréprochable.

Qu’avez-vous répondu au reproche du mandat trop «vaste» et d’éventuels chevauchements avec d’autres mandats?

Je n’y vois pas de grands problèmes. Il n’y a jamais deux rapporteurs qui pensent de la même façon. Même si certains thèmes reviennent plusieurs fois, on apprend avec la répétition. Un autre aspect important dans tout cela, c’est l’indépendance du rapporteur. L’expert doit être capable de penser en dehors du système, des préjugés, de l’esprit du temps et du politiquement correct. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut travailler en tant qu’expert indépendant.

Quels autres thèmes ont été discutés?

Nous avons également parlé de la grande menace pour la paix. La semaine dernière, nous étions tous en souci concernant une éventuelle intervention  militaire de grande envergure en Syrie. Mon point de vue est que dans un ordre mondial démocratique et équitable, en utilisant tous les moyens disponibles du dialogue pour maintenir la paix, les guerres ne seront plus possibles. Cela présuppose que toutes les parties soient prêtes au dialogue et à faire des compromis. Si nous arrivons à créer le dialogue entre les hommes, alors nous pouvons réfléchir à réaliser des réformes pour trouver des solutions aux véritables problèmes. Mais une chose est claire, avec les armes on ne trouvera pas de solution, nous perpétuons le circulus vitiosus et la haine rencontrera la haine. Un problème fréquent se trouve dans le fait que certains Etats jouent le jeu de la géopolitique, ils soutiennent une partie avec des armes et de l’argent et la poussent même à l’intransigeance, de façon à ce qu’elle pense pouvoir rester figée sur ses positions et refuser tout compromis raisonnable.

Vous avez mentionné le dialogue comme étant un instrument pour assurer la paix …

… Dialogue signifie que je perçois l’autre comme partenaire de discussion égal. On est d’accord de ne pas s’affronter à l’aide d’armes, mais à l’aide d’arguments. C’est là l’idée fondamentale des Nations Unies. Cela est clairement fixé dans le préambule ainsi que dans le premier et le deuxième article de la Charte des Nations Unies. Tous les litiges doivent êtres résolus par des moyens pacifiques. C’est une obligation claire à négocier. Les Etats n’ont pas le droit d’évoluer catégoriquement en dehors de négociations et de s’opposer à tout dialogue. On n’a pas le droit de poser des conditions avant d’entrer en dialogue avec son vis-à-vis. Cela va à l’encontre de l’esprit et des termes des articles 2 et 3 de la Charte des Nations Unies.

Si les hommes, peu importe à quel échelon politique, se parlaient d’avantage, s’ils prenaient soin à des échanges honnêtes, on aurait pu éviter un grand nombre de guerres et énormément de souffrances. C’est sur cette base qu’il faut évoluer.

La semaine passée, nous avons pu observer la volonté de faire la guerre, nous l’avons également ressentie en 1999, lorsque l’OTAN a attaqué la Yougoslavie après les négociations de Rambouillet, et en 2003, lorsqu’on a attisé les haines contre l’Irak. Dans ces trois cas, on ne s’est pas basé honnêtement sur des négociations, mais sur la violence, et cela en dehors des Nations Unies. Si l’on en avait discuté au sein du Conseil de sécurité, on n’aurait certainement pas accepté de résolution permettant à l’OTAN d’intervenir en Yougoslavie ou en Irak. La guerre n’aurait ainsi pas été possible. Jusqu’à présent, on a pu empêcher cela en Syrie.

Et là, le dialogue n’était-il pas le facteur décisif?

C’est toujours ainsi. En Syrie, nous avons pu pour le moment éviter une intervention militaire, suite au dialogue entre deux grandes puissances. Mais le dialogue ne doit pas se faire uniquement entre les grandes puissances. J’aurais aimé entendre et pouvoir publier ce que pensent les 193 Etats membres de ONU au sujet de l’ingérence unilatérale d’un Etat dans les affaires d’un autre Etat. J’aurais aimé avoir une votation au sein de l’Assemblée générale sur ce thème. J’imagine qu’une large majorité s’y serait opposée, un petit nombre se serait probablement abstenu et trois membres y auraient été favorables. Il est nécessaire de montrer aux yeux du monde que la communauté internationale est contre une intervention. Dans les médias, j’ai observé à maintes reprises des tentatives de mensonges pour donner l’impression que la communauté internationale approuve l’attaque contre la Syrie, ce qui, comme le montrent les sondages, n’est certainement pas le cas. Dans une telle situation, il est primordial que la communauté internationale crie «Non» de toutes ses forces. Et pour qu’elle ait le soutien nécessaire au sein de l’ONU, il est urgent d’installer un rapporteur spécial contre l’incitation à la guerre, pour créer une sorte de surveillance préventive afin qu’une telle dynamique ne puisse pas se développer, voire qu’elle puisse être stoppée par l’autorité de l’Assemblée générale à la suite d’un vote. Si à la suite d’un tel vote, nous avons 160 voix de l’Assemblée générale qui s’opposent à une intervention, il serait beaucoup plus difficile de s’arroger le droit d’agresser un autre Etat sans le consentement du Conseil de sécurité.

Vous avez mentionné les médias et l’idée d’un rapporteur spécial contre l’incitation à la guerre. Comment voyez-vous cela concrètement?

Dans une telle atmosphère de guerre, il y a une dynamique qui se développe chez les hommes politiques aussi bien que dans les médias que nous appelons «hype». C’est une manière de s’acharner sur un pays dans laquelle les politiciens ou/et les médias se surpassent mutuellement tels des chevaux qui s’emballent. C’est un des plus grands dangers. Pour empêcher une telle éruption incontrôlée ou pour la stopper, il faut de l’autorité. La seule autorité dont nous disposons aujourd’hui est l’Assemblée générale ou éventuellement le Secrétaire général des Nations Unies. Pour cette raison, j’ai proposé que le Secrétaire général donne l’alarme dans de telles situations, lorsqu’il réalise qu’une telle dynamique est en train de se développer. Il existe déjà un Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide. De la même manière, on pourrait instaurer au bureau du Secrétaire général un conseiller spécial sur l’incitation à la guerre, ou au sein du Conseil des droits de l’homme un rapporteur spécial contre l’incitation à la guerre.

N’existe-t-il pas de lois interdisant l’incitation à la guerre?

Oui, cela est interdit selon l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Mais qui connaît ce document? La plupart des politiciens n’en ont aucune idée, et encore moins les articles individuels. C’est pourquoi le secrétaire général doit être assez sagace pour convoquer une réunion extraordinaire de l’Assemblée générale, lorsqu’il se rend compte qu’il y a des hommes politiques qui risquent de s’emballer. Une telle dynamique doit être arrêtée avant que ce ne soit trop tard. Nous avons pu l’observer lors de toutes les guerres. Une fois que les politiciens se sont présentés avec une certaine «Bravado» [vantardise, ndt.], ils ne veulent pas rentrer dans le rang, c’est-à-dire se modérer et se déclarer prêts à négocier. Il faut donc rendre cela plus facile pour les hommes politiques. Après avoir fait tant de bruit, ils doivent pouvoir se retirer peu à peu sans perdre la face. A l’Assemblée générale, il faut toujours trouver une possibilité pour que les Etats puissent revenir de leurs positions sans être désavoués.
Une autre idée est de transférer la question de l’incitation à la guerre à la Cour internationale de justice de La Haye pour obtenir une opinion consultative. Cela permettrait d’avoir une prise de position de la CIJ désignant un tel comportement comme étant illégal et de pouvoir exiger des sanctions de droit pénal. Selon la norme, la menace de la violence est interdite; la Charte de l’ONU l’interdit également. Il faut recourir à l’autorité de la Cour internationale de justice pour qu’il soit clair que ce que les hommes politiques manigancent est hors la loi. Cela donne la possibilité aux ONG de faire pression, en se basant sur la prise de position de la CIJ, et d’obliger les parties concernées de s’ouvrir au dialogue. D’ailleurs l’article 5 du Statut du Rome de la Cour pénale internationale interdit aussi le crime d’agression. Mais la CPI n’aura pas la compétence de poursuivre les crimes contre la paix avant 2017.

De telles propositions font-elles partie de votre mandat?

Oui, parmi tous les mandats établis par le Conseil des droits de l’homme, mon mandat est celui qui rend possible la réconciliation entre les peuples, les personnes, les hommes politiques et les Etats. Je prends cela très au sérieux lors de mes propositions à l’adresse des Etats. Dans mon rapport, j’ai formulé 35 propositions, des propositions à l’adresse des Etats, du Conseil des droits de l’homme et de la société civile. Ce sont des propositions pragmatiques et réalisables. C’est ce qui est nouveau dans mon mandat. Je veux par exemple que le Conseil donne plus d’attention au principe de l’autodétermination. Dans la Commission des droits de l’homme cela avait toujours été un point spécifique à l’ordre du jour, malheureusement cela n’existe plus aujourd’hui. C’est une des raisons pour les guerres. C’est un problème constant qui devrait être constamment discuté par le Conseil des droits de l’homme.

Comment pourrait-on à l’avenir continuer à encourager le dialogue concernant la question de la guerre et de la paix, pour que les guerres appartiennent vraiment au passé en tant que période de l’incapacité humaine?

Pour cela, il faudra notamment la réforme du Conseil de sécurité. Il n’est pas représentatif, car seulement 15 Etats y sont représentés, dont cinq sont des Etats avec veto qui peuvent tout bloquer. Cela devra changer par petit pas. Il va de soi que les cinq privilégiés ne sont pas enclins à abandonner leurs privilèges. Mon idée serait de changer cela sur une période de 5 à 10 ans. On pourrait n’admettre le veto que pour des affaires clairement définies. Pourquoi une seule voix devrait-elle pouvoir tout bloquer? On pourrait décider qu’il faudrait deux, plus tard trois voix pour faire empêcher une décision. Ainsi on pourrait changer cela successivement. Il vaut mieux abolir les privilèges plutôt que d’inviter d’autres Etats, tels l’Inde, le Pakistan, le Brésil ou l’Allemagne, comme membres permanents au Conseil de sécurité. Cela serait fondamentalement antidémocratique. Il faudrait donner plus de pouvoir à l’Assemblée générale, elle devrait obtenir plus d’influence dans tous les domaines, mais avant tout dans celui de la guerre et de la paix. Cela ne doit pas rester uniquement l’affaire du Conseil de sécurité. Il ne faut pas qu’il y ait des guerres que les peuples ne veulent pas. 80% des Américains sont contre toute intervention en Syrie, les taux d’opposition en Allemagne, France, Angleterre et Italie sont similaires. Les citoyens sont contre l’intervention de leur Etat. Si les gouvernements respectifs se réclament d’être démocratiques, ils se doivent d’écouter la volonté du peuple. Il est inadmissible qu’un gouvernement élu démocratiquement entreprenne quelque chose à l’encontre de la volonté exprimée par le peuple. Dans de telles situations, l’Assemblée générale pourrait organiser un référendum mondial pour établir ce que les citoyens veulent. Si l’on avait un tel «Parlement mondial de citoyens», on pourrait enfin briser le pouvoir des oligarchies.

Ne faudrait-il pas que tous les Etats soient d’abord véritablement démocratiques?

Oui, naturellement, je suis pour la démocratie directe. Autant de démocratie directe que possible. Il est aussi évident que les gens de pouvoir préfèrent la soi-disant démocratie représentative qui est une forme de gouvernement plus facile à manipuler. Je ne puis me joindre à cette opinion. Il ne faut bien sûr pas faire un référendum pour chaque détail, mais certainement lorsqu’il s’agit de choses importantes, telles l’environnement, les finances etc., mais avant tout quand il s’agit de la guerre et de la paix. Qui meurt dans une guerre? C’est la population civile, ce sont nous, les citoyens. Dans les guerres modernes, plus de 90% des victimes sont des civils. Ils ne veulent pas de guerre. Ceux qui les y poussent sont les hommes politiques responsables. C’est pourquoi nous devons donner la parole aux citoyens afin qu’ils disent ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas. Les politiques qui agissent contre la volonté du peuple doivent être chassés au désert. Cela devrait être le but dans chaque Etat. Puis, à l’échelle internationale, il faut renforcer l’Assemblée générale puisque c’est l’institution la plus représentative que nous avons actuellement. Il faudrait également réfléchir à un «Parlement des citoyens du monde» qui s’orienterait directement à la volonté des peuples et soutiendrait dans chaque Etat le développement démocratique, et cela sous forme de dialogue permanant, il n’y a pas d’autre solution.    •

Interview: Thomas Kaiser