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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°27, 7 juillet 2008  >  Créer la paix [Imprimer]

Créer la paix

Le «finissage» de l’exposition de Theo Dannecker à l’église du Balgrist à Zurich

«Créer la paix», c’est ce qu’on pouvait lire pendant trois semaines sur une banderole au pied du clocher de l’église du Balgrist à Zurich. C’était le titre d’une exposition de l’artiste conceptuel Theo Dannecker et en même temps un appel aux citoyens de faire quelque chose contre les guerres, d’arrêter les guerres. L’exposition bien fréquentée s’est terminée le 15 juin par un «finissage». Il a eu lieu dans le cadre du programme «Eglise ouverte pour la culture et les rencontres» qui, déjà depuis 5 ans, attire les gens avec des événements culturels. Dans l’interview avec H. Frei, l’artiste parle de son œuvre et des aspects de l’exposition. Nous souhaitons à l’exposition qui a été visitée par de nombreuses classes d’école une bonne continuation dans d’autres endroits.

hf. «Créer la paix» – c’est un sujet dont l’artiste Theo Dannecker s’occupe déjà depuis des décennies. «Il est peut-être utile de remarquer que je suis un artiste conceptuel», m’a dit Dannecker. «L’artiste conceptuel à la possibilité de mettre en valeur le contenu qu’il prend très au sérieux tout en le reliant à la forme. Dans cette exposition tout doit servir l’idée de ‹Créer la paix› dans n’importe quelle forme. Chaque tableau, chaque objet, chaque installation est consacré à ce thème: Il y a un chapitre consacré à la misère, aux guerres affreuses contre lesquelles il faut faire quelque chose, à mon avis. Et ensuite le chapitre: ‹Comment arriver à une réconciliation, comment les hommes peuvent-ils se retrouver les uns les autres, quelles sont les bases nécessaires?› et enfin une assez grande partie qui traite le thème: ‹Quel est le sens de la vie, comment l’homme pourrait-il mieux investir sa propre énergie?›»

H. Frei: Tu as exposé, il y a plus de trente ans à Zurich. Là, j’ai vu des tableaux sombres et obscurs. Je me souviens encore d’un tableau, une coupe transversale d’une maison, des installations de WC, et tout le tableau encadré d’une boîte noire. Aujourd’hui, quand je regarde les tableaux de cette exposition, tout cela a changé.

Theo Dannecker: Ces travaux dont tu parles, je les ai jadis appelés Rauma. C’était un mot composé de Raum (espace) et trauma (traumatisme). En ce temps-là, le thème de la solitude me préoccupait et c’est ainsi que ces feuilles ont été créées, ces coupes traversales des pièces. En 1967, j’étais au Canada, j’ai vu de jeunes Américains qui traversaient la frontière, qui se sont enfuis de chez eux pour ne pas partir en guerre au Vietnam. C’est à cette époque que j’ai fait ma première exposition à Montréal, par ensemble avec deux Américains et quatre Canadiens. Mais le plus important, je l’ai créé en rentrant chez moi: J’ai commencé à faire des travaux en révolte ­contre la guerre, le problème de la guerre m’a préoccupé aussi dans l’art. Plus tard, j’ai fondé une école de dessin. J’ai essayé de comprendre mes élèves afin de leur donner l’envie de dessiner; je voulais mieux connaître l’être humain dans ces motivations.

Qu’est-ce que tu veux exprimer ici dans cette exposition avec tes tableaux, objets et installations?

Après qu’en 2001 les Américains aient commencé à bombarder l’Afghanistan, je me suis demandé où avait passé l’idée du «Nie wieder Krieg» [Plus jamais la guerre]. Vouloir résoudre des problèmes avec la guerre, c’est la mauvaise solution – j’en étais absolument sûr. Cependant, je me suis demandé: «Pourquoi en es-tu si sûr?» Spontanément une vingtaine de personnalités que je trouvais importantes, me sont venues à l’esprit, qui ont renforcé en moi l’idée du «Nie wieder Krieg». J’avais l’idée de faire venir tous ces personnages dans mon atelier, tous ensemble. Cela ne ferait-t-il pas un tableau? J’ai monté la plus grande toile que j’ai pu placer dans mon atelier et j’ai commencé à développer le tableau d’atelier devant lequel nous nous trouvons en ce moment.

Käthe Kollwitz

Ma femme et moi sommes les seuls êtres vivants actuellement dans ce tableau, tous les autres sont des personnages historiques. Ma femme est jardinière d’enfants; elle sort un livre du psychologue individuel Alfred Adler de la bibliothèque. Elle s’occupe de la question comment bien se comporter avec les enfants. Moi-même je me trouve devant le chevalet et je fais un portrait de Käthe Kollwitz qui a dessiné l’affiche très connue de «Nie wieder Krieg», un tableau qui nous a accompagnés, un tableau qui exprime entièrement notre consternation émotionnelle et notre révolte contre la guerre. Le plus jeune fils de Käthe Kollwitz a été tué pendant la Première Guerre mondiale, cela l’a tourmentée toute sa vie.

Gandhi

A côté de ma femme, tu vois Gandhi. Je ne sais pas de gens qui n’en aient pas été touchés: Gandhi, qui a réussi à gagner tout le peuple indien au chemin sans violence pour sortir de la dépendance coloniale. Il est un exemple lumineux pour nous montrer ce qui est possible.

Albert Schweitzer

Et Albert Schweitzer qu’on peut voir dans le tableau. Son postulat: «Respect de la vie», prendre soin de la vie, pas seulement prendre soin des hommes mais de tout ce qui est vivant. (Schweitzer a pris position dans les années 50 du siècle passé contre l’armement nucléaire.)

Erasme de Rotterdam

Erasme de Rotterdam, un humaniste, qui a pris au sérieux l’homme en tant qu’homme. Je lui ai mis son texte dans la main: «Aucune paix est si injuste qu’elle ne soit pas à pré­férer à la guerre la plus juste.»

Mencius

Mencius, un philosophe chinois, a vécu 300 ans avant Jésus Christ. C’est chez lui que j’ai lu pour la première fois: «Der Mensch ist gut» [L’homme est bon de nature] et il a soutenu cela de manière très évidente: «Quand quelqu’un se promène au bord d’une rivière et voit que quelqu’un est en train de tomber dedans, il essaie de le retenir». Mencius a écrit entre autres: «Le bon souverain ne mènerait pas de guerre contre d’autres pays, mais contre l’ennemi commun qui est la pauvreté, car c’est de la pauvreté et de l’ignorance que naissent les crimes.» On ne peut pas dire mieux.

Pablo Picasso

Ça, c’est déjà un peu plus connu: C’est Picasso qui, avec son œuvre «Guernica», a créé l’œuvre contre la guerre la plus connue du 20e siècle. J’ai dessiné Picasso avec un ­journal dans la main. Car c’est très pro­bable qu’il ait lu ce journal en 1937 en France, lorsque Guernica a été bombardée. A cette époque, Picasso avait une commande pour créer un tableau pour l’exposition universelle à Paris. Après cet événement, il a tout changé et il a peint cette œuvre magni­fique et impressionnante. Dans mon tableau on peut maintenant voir Picasso avec Goya lequel tient dans sa main son œuvre contre la guerre «L’exécution des citoyens par les armes.»

Max Dätwyler

Et là arrive Dätwyler, à qui on avait interdit à Zurich de parler de la paix sous prétexte que cela causerait des troubles de la circulation lorsque les gens se groupaient autour de lui. Alors, vite fait bien fait, il a loué sans autre un bateau à rames et il a prêché depuis la Limmat. C’était sur territoire cantonal et la ville de Zurich ne pouvait plus le renvoyer.

Rudolf Rocker

Rudolf Rocker aussi a clairement pris position contre la guerre et a dit que les guerres ne sont pas des solutions. Pendant la Première Guerre mondiale il a dû fuir de l’Allemagne en Angleterre. Là-bas, il a été arrêté sur un bateau comme opposant radical contre la guerre avec 1000 autres émigrants.

Après la Première Guerre mondiale, Rocker a parlé lors d’un congrès syndical des ouvriers de l’armement. Dans son discours il a constaté que pour les ouvriers c’était depuis toujours une chose très importante de produire quelque chose d’utilisable et rien de nuisible. Lors de ce congrès fut votée une résolution pour l’arrêt de la production d’armement.

Le point de vue humaniste dans le Sermon sur la montagne du Nouveau Testament

Lors de la planification de l’exposition, je devais prendre en compte que l’intérieur de l’église est très haut. Pour que les tableaux ne se perdent pas dans l’espace, j’ai cherché un obstacle visuel: un baldaquin fait d’une construction de fer avec un petit autel au centre. Sur cet autel se trouve une vieille Bible. La marque de page se trouve au Sermon sur la montagne et aux béatifications, les deux ayant préparé une vue humaniste. En dessous du baldaquin j’ai écrit une béatification qui me plaît beaucoup: «Heureux ceux qui ont faim et soif de justice; car ils seront rassasiés.»

Les objets noirs supplémentaires

Dans les objets supplémentaires à l’exposition je montre la situation actuelle comme elle se présente aujourd’hui: «La honte». En ouvrant cet objet, on voit une image de soldats qui tirent sur des enfants avec le texte: «Sie zogen aus, Atomwaffen zu finden und stiessen (schiessen) auf Kinder» [Ils sont partis pour trouver des armes nucléaires et ont trouvé – ont tiré sur – des enfants]. (Cela se réfère à la guerre en Irak, menée soi-disant pour trouver et détruire des bombes nucléaires irakiennes.) Cela, beaucoup de gens l’ont certainement lu dans les journaux et entendu à la radio, que des enfants sont encore et encore les victimes des situations atroces de la guerre.
Nous avons encore autre chose, un poème tragique: «Je me tais, tu te tais, il se tait, elle se tait, nous nous taisons, ils se taisent.» Quand on ouvre cette boîte noire apparaît le portrait d’un nouveau-né, atrocement malformé par l’uranium. (A cause de l’utilisation de la munition à l’uranium, en Irak, en Afghanistan et déjà dans les Balkans, il y a eu beaucoup de nouveau-nés malformés.)    •

Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous donner une vue approfondie de l’exposition.