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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  No 27/28, 2 novembre 2015  >  Une formation d’enseignants selon le modèle du Plan d’études 21 [Imprimer]

Une formation d’enseignants selon le modèle du Plan d’études 21

Le plus important est de se conformer au courant dominant

par Marianne Wüthrich

Depuis des années, il n’y a pas suffisamment d’enseignants dans les écoles primaires suisses. Toujours plus d’enseignants engagés et expérimentés changent de métier ou prennent prématurément leur retraite: «[...] Une quantité d’enseignants à l’âge de la retraite ne veulent plus enseigner selon HarmoS – ils laissent un grand vide». («Basler Zeitung» du 31/10/13)
Pour palier au manque d’enseignants, on a toujours proposé des cursus de formation pour les personnes venant d’autres professions. Depuis 2012, ceux qui possèdent une formation professionnelle et quelques années de pratique peuvent entreprendre une formation d’enseignant d’école primaire proposée par les Hautes écoles pédagogiques (HEP) cantonales suisses (cf. «Wiler Zeitung» du 29/9/15)
Celui qui examine de plus près les modalités d’inscription de cette formation, doit constater qu’apparemment seul celui qui dévoile la manière de penser «juste» peut devenir enseignant: car les modalités d’entrée se composent en grande partie en fait d’un examen sur l’opinion personnelle. Cela confirme les craintes de nombreux parents et enseignants de voir leurs enfants influencés au niveau idéologique avec le Plan d’études 21. C’est une des raisons pour lesquelles dans de nombreux cantons des initiatives populaires sont lancées pour empêcher son introduction. Et c’est certainement un facteur qui pousse certains compatriotes, le cœur serré, à ne pas devenir ou rester enseignant du primaire: nous Suisses, nous n’aimons pas qu’on nous prescrive ce qu’il faut penser.
Notre intérêt particulier se porte sur les conditions professionnelles attendues au préalable des candidats. Une fois de plus, le lecteur intéressé reçoit l’occasion de plonger dans les profondeurs du terme de compétence – et il est à craindre qu’il n’en ressorte pas plus intelligent qu’avant.

Les modalités d’entrée au cursus école maternelle et primaire pour ceux venant d’autres professions – ici à l’exemple de la HEP de ­St-Gall – comprennent trois parties: séance d’informations obligatoire, inscription et journée d’évaluation personnelle. (cf. www.phsg.ch; «Aufnahme sur dossier»).1

Examen d’opinion personnelle no1: Motivation et fonction de l’enseignant

Les modalités d’inscription consistent en une feuille de données personnelles «avec lettre de motivation et auto-évaluation des compétences». Quant à la lettre de motivation, il faut répondre entre autres aux questions suivantes: «Comment imaginez-vous le rôle de l’enseignant? Quelles attentes avez-vous du métier d’enseignant? Quels sont les côtés négatifs potentiels de la profession d’enseignant et comment y faire face?»
Ici, le premier examen d’opinion personnelle a lieu: que faut-il écrire pour convenir aux formateurs de la HEP? Ou bien autrement dit: mieux vaut ne pas formuler une conception de l’enseignement qui pourrait déplaire?
Peu de clarté à propos de la notion de compétence – ou: que sont des «compétences professionnelles»?
L’«auto-évaluation des compétences» se constitue d’un schéma à 4 niveaux (très bien, bien, plutôt insuffisant, clairement insuffisant). D’abord, on demande des «compétences» en mathématiques, en sciences naturelles (biologie, chimie, physique, technique), en allemand (littérature, grammaire), en sciences humaines (histoire, géographie, économie, droit, philosophie, …), en musique, en sport, pour le dessin et les travaux manuels, donc dans toutes les matières du Plan d’études 21. Le candidat peut ajouter des commentaires et livrer des preuves.
Exige-t-on des connaissances? Comment le candidat doit-il évaluer lui-même son niveau dans toutes ces matières? «J’ai fait de la biologie il y a longtemps déjà au collège, mais je ne sais pas ce que j’en sais encore», ou quelque chose de semblable? Ou bien doit-il donner les références des manuels scolaires de l’école publique et de sa formation professionnelle? Ou bien ses bulletins scolaires? «En mathématiques, j’ai toujours eu de bonnes notes donc «de bonnes à très bonnes compétences». Ou bien: «Je peux trouver toutes les formules physiques sur Internet, donc je suis très compétent.» Doit-il sincèrement cocher une case, quand il a peu de connaissances dans une matière, ou vaut-il mieux bluffer un peu?
Ah, ici il y a une remarque: «Si les compétences sont insuffisantes, expliquez-nous concrètement comment vous voulez les amener à un standard minimal avant le début des études.» [souligné par Horizons et débats]. A cette fin, le canton offre un cours préalable pour la HEP à l’Ecole de maturité gymnasiale intercantonale pour adultes ISME. Mais la question reste sans réponse: les contenus appartiennent-ils aussi au standard minimum exigé? Que sont des compétences suffisantes et insuffisantes? Autrement dit: Comment les mesure-t-on? Questions sur questions … Le candidat doit-il par exemple en mathématiques maîtriser les thèmes énumérés ou seulement avoir une idée de ceux-ci et savoir rechercher (à l’aide de moyens auxiliaires) la solution du problème? Ou bien pour parler clairement: doit-il lui-même calculer l’équation et savoir dessiner le modèle lui-même ou bien suffit-il, qu’il trouve la solution dans un manuel et qu’il puisse cocher la case si un triangle est congruent?
Nous rencontrons ici les mêmes problèmes fondamentaux que dans le Plan d’études 21: L’orientation vers les compétences ne garantit pas que l’élève – ou le candidat au métier d’enseignant – a véritablement traité un thème et s’est exercé si intensivement que cela est bien ancré. Mais si déjà les futurs enseignants ne maîtrisent pas vraiment la matière – comment pourront-ils l’expliquer de manière compréhensible à leurs élèves?

Examen d’opinion personnelle no2: Examen à la loupe de la propre personnalité

Non seulement l’auto-évaluation des compétences professionnelles fait partie des modalités d’inscription, mais aussi une auto-analyse qui touche profondément la propre personnalité des candidats – une entreprise délicate. Ainsi, il doit estimer sa propre compétence méthodique (réflexion analytique, façon de penser en réseaux, capacité à structurer) tout comme la capacité de réflexion et de communication et l’appréciation de ses limites. Difficile, n’est-ce-pas? Le mieux c’est que je coche partout bien ou très bien – je ne peux pas écrire que je parviens vite à mes limites, sinon je suis viré d’emblée. Que veulent-ils dire exactement par «capacité de communication et de réflexion»? Faut-il faire semblant de comprendre ou de discuter avec chaque professeur, pardon, «chaque homme et femme actifs dans l’enseignement» – le langage non sexiste doit être maitrisé en premier pour rester dans le coup! – sur le sens ou le non-sens de ses théories? On doit aussi comprendre un peu la philosophie: la philosophie favorisée à la HEP est le constructivisme (chacun se construit sa propre réalité), à partir de là, les étudiants peuvent discuter avec chaque «tuteur», tout selon l’idéologie du Plan d’études 21.

La journée d’évaluation personnelle: beaucoup d’occasions pour vérifier l’opinion personnelle

La troisième partie des modalités d’entrée est une journée d’évaluation personnelle composée d’une part d’examens de qualification professionnelle, d’autre part d’une vérification des compétences sociales et personnelles.
On s’imagine vivement l’évaluation des compétences personnelles et sociales: toutes sortes de jeux psycho et autres … Mais lors de l’examen de qualification professionnelle aussi, plusieurs possibilités se présentent pour passer la personnalité à la loupe. Par exemple en biologie: «interventions humaines dans les écosystèmes» (fermer ou faire marcher les centrales nucléaires? Prendre la voiture ou les transports publics pour aller au travail? etc.); en musique/sport (on examine avant tout les jeux d’équipes et les exercices rythmiques de mouvement, lors desquels on peut reconnaître qui marche au pas – pardon – qui bouge au rythme de la musique.)
En allemand, il faut rédiger entre autre un «texte argumentatif» (les thèmes proposés sont très appropriés à un examen d’opinion personnelle); d’importance particulière: «Langue et sexe» (examen d’opinion à propos du «gender»); et l’analyse et l’interprétation orales d’un texte (là aussi l’indiscrétion à travers le choix de textes.)
Venons-en finalement à l’histoire (deuxième partie de l’examen outre la biologie issu du domaine Nature, Homme, Société NMG): il s’agit d’un pur lavage de cerveau! L’examen touche uniquement l’histoire suisse du XIXe et XXe siècle. Sans connaissance de ce qui s’est passé avant, on ne peut pas nommer cela histoire! De plus, lors du choix des thèmes, on reconnaît déjà un point de vue unilatéral, presque manipulateur: par exemple «mise à l’épreuve de la Seconde Guerre mondiale: indépendance, neutralité, collaboration, tradition humanitaire; Guerre froide, mentalité du réduit et idéologie du Sonderfall», ou: «La Suisse et le développement supranational après 1945, en particulier l’intégration à l’Europe: histoire de la neutralité, rapports avec l’ONU et l’UE».
Donc, un Suisse qui veut devenir enseignant ne doit-il en aucun cas montrer de l’indignation sur ces notions quelque peu simplistes qui ne rendent en aucune manière justice à la situation grave et dangereuse de la Suisse et de la performance impressionnante de nos parents et grands-parents lors de la Seconde guerre mondiale? Ne peut-il pas exprimer combien il s’identifie avec son pays et dire clairement qu’une adhésion à l’UE serait la fin du modèle suisse? Autrement dit: le candidat doit-il devenir un dit-oui seulement pour qu’il puisse devenir enseignant? De ces questions résultent d’autres questions encore plus graves: quelle image caricaturale de la Suisse sera transmise aux générations futures à l’école publique? Dans quel but?

Conclusion

En étudiant la procédure d’admission aux HEP, le citoyen penseur reçoit un aperçu du monde du Plan d’études 21. D’un côté, des compétences peu définies au lieu de connaissances et aptitudes solides, d’un autre côté de graves atteintes à la liberté personnelle d’expression, octroyées aux enfants tout comme aux futurs enseignants selon le gré de quelques idéologues en chef. Le plus important c’est que ces derniers reçoivent des généreux contribuables leurs très bons salaires – si les élèves d’aujourd’hui seront un jour capables, avec le Plan d’études 21, d’apprendre le métier de leur choix et de gagner leur vie et celle de leur famille, s’ils pourront quitter en tant que citoyens bien informés et responsables les bancs d’une école toute chamboulée, ce sont là les questions urgentes qui se posent à nous, parents, enseignants et être humain bien pensant. Car nous ne devons pas manquer à notre responsabilité.    •

1    Les modalités d’inscription pour les enseignants du secondaire se distinguent que de très peu.

Conférences des directeurs comme pouvoir étatique ­auto-proclamé

mw. Le 21 juin 2012, la Conférence des Directeurs de l’Instruction publique (CDI) a décidé sur les «conditions minimales pour la qualification de personnes venant d’autres branches professionnelles et visant à devenir enseignant(es) (Quereinsteigende)». Si ce langage conforme à la théorie du «gender» vous semble trop embrouillé: la CDI a fixé les critères qu’un professionnel sans maturité doit remplir pour pouvoir acquérir le diplôme d’enseignants reconnu dans toute la Suisse. (cf. «Quereinstieg Lehrerberuf», www.edk.ch/dyn/23673.php )
Comment la CDI peut-elle «disposer» de ceci ou de quoi que soit valant pour toute la Suisse, bien qu’elle n’existe pas en fait au niveau légal? Ce n’est pas la première fois que nous constatons: nous citoyens, nous avons élu nos conseillers cantonaux, afin qu’ils accomplissent les mandats du parlement cantonal et du souverain et en particulier qu’ils fassent en sorte que l’administration cantonale ne dépasse pas ses compétences. Par contre, nous n’avons jamais attribué à nos Directeurs de l’instruction publique, de la santé et du sociaux la permission d’insérer entre la Fédération et les cantons un nouveau niveau étatique, qui édicte des décrets et des règlements – ou laisse écrire en secret un plan d’études centraliste! – qui sont intégrés au droit cantonal, en passant outre le souverain et souvent aussi le parlement du canton concerné.