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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°37/38, 16 décembre 2013  >  Ce que dit réellement la science [Imprimer]

Ce que dit réellement la science

par Stevan Miljevic, enseignant, Sierre

L’école romande est gangrenée. Gangrenée par le constructivisme. Pour faire simple, le constructivisme, c’est la théorie à la mode depuis un moment déjà (et qui persiste, malheureusement …) qui consiste à penser qu’en jetant un élève dans le bain d’une tâche complexe d’un coup, il s’en sortira mieux que si on lui explique les choses petit à petit. Fini le prof en face de sa classe qui guide ses élèves avant de les mettre à l’ouvrage, place à l’animateur qui accompagne. Mais surtout qui ne dirige rien du tout! Ou presque!
La méthode constructiviste est entrée en force dans les milieux scolaires romands et ce par le biais de deux canaux principalement. Il y a d’une part, les instituts de formation des nouveaux enseignants (les Hautes écoles pédagogiques [HEP] en particuliers) et, d’autre part, le Plan d’études romand (PER), qui, insidieusement, pose des objectifs induisant une méthodologie constructiviste comme le dénonce l’Association refaire l’école (ARLE).
On peut s’étonner de cet état de fait, s’interroger sur cette mainmise qui va à l’encontre de la liberté pédagogique la plus élémentaire. L’argument est simple: ces gens fort instruits affirment qu’en procédant de la sorte on obtient de meilleurs résultats. Et de convoquer la science pour étayer leurs dires.
Qu’on soit clair: j’ai quelques doutes quant aux sciences dans le domaine de l’éducation. L’éducation me semble être quelque chose de trop humain pour être mesurable correctement de manière scientifique, il y a trop de facteurs interférents, de variables pouvant entrer en jeu. Mais bon, ce n’est pas avec ce genre d’affirmations qu’on peut convaincre quiconque du bien fondé de nos affirmations. Alors allons malgré tout jeter un œil sur ce que dit cette science.
Plusieurs études d’ampleur variable ont tenté de quantifier l’efficacité de telle ou telle manière de procéder. Il y a par exemple celle de 2010 des professeurs Bissonnette, Richard, Gauthier et Bouchard intitulée «Quelles sont les stratégies d’enseignement efficaces favorisant les apprentissages fondamentaux auprès des élèves en difficulté de niveau élémentaire? Résultats d’une méga-analyse» [cf. encadré «Résumé»]. Cette étude est en fait une synthèse de 11 analyses réalisées entre 1999 et 2007 et portant sur plus de 30 000 élèves au total. Les résultats se trouvent ci-contre.
Pour comprendre ces deux tableaux, il suffit de savoir que plus l’«effet d’ampleur» est élevé, plus le résultat est probant.
Intéressant de constater que les résultats de cette étude font du constructivisme une des pédagogies les moins adaptées et les moins efficaces du petit monde de l’enseignement!
Certains penseront peut-être qu’une étude ce n’est pas suffisant, que les résultats sont peut-être faussés pour une raison ou pour une autre et que tout ça mérite un peu plus de précaution avant de tirer des conclusions hâtives. Soit. Alors allons-y pour une deuxième étude: le professeur John Hattie a réalisé un travail gigantesque dénommé «Visible learning. A Synthesis of over 800 Meta-analyses Relating to Achievement» portant sur 50 000 études concernant 80 millions d’élèves. [cf. Horizons et débats no 6 du 11/2/13]
On ne va pas s’arrêter sur l’ensemble des résultats obtenus, cela prendrait bien trop de temps, et se concentrer uniquement sur quelques spécificités propres au constructivisme et, plus globalement, à certaines innovations introduites dans l’école romande.
L’enseignement basé sur les simulations et les jeux obtient un effet d’ampleur de 0.32. L’enseignement basé sur la découverte, lui, se fixe à 0.31 alors que l’apprentissage par problème, fleuron constructiviste par excellence, obtient un effet d’ampleur de 0.15. L’apprentissage basé sur le web obtient un spectaculaire 0.09, l’approche globale en lecture un retentissant 0.06. Précisons également qu’Hattie fixe à 0.40 l’effet d’ampleur moyen de tous les éléments qu’il a étudiés et que par conséquent, tout résultat supérieur à ce chiffre se veut acceptable alors que tout score inférieur se veut une condamnation stricte et sans appel. Tout est dit ou presque.
A titre de comparaison, certaines méthodes plus «traditionnelles», une fois qu’elles sont rigoureusement appliquées et systématisées tels l’enseignement direct (effet d’ampleur de 0.59) ou la pédagogie de maitrise (0.57) obtiennent des résultats largement supérieurs. A ce propos, Hattie, dans sa dernière livraison, écrit noir sur blanc que lorsque l’enseignant dirige et conduit l’apprentissage, son effet d’ampleur est en moyenne trois fois plus important que lorsqu’il joue le rôle de facilitateur.1
En court comme en long il semblerait donc que, contrairement à ce que prétendent les défenseurs des pédagogies si à la mode ces derniers temps, la science ne va de loin pas dans leur sens, loin s’en faut! Ce d’autant plus qu’à côté de ces volumineux travaux existe encore toute une kyrielle d’études de moindre envergure allant dans le même sens.
Il semblerait donc que tout le monde se réclame de la science pour dire tout et son contraire. Nous sommes donc en droit de nous demander comment les constructivistes peuvent convoquer la science pour se justifier alors que les études empiriques les plus importantes les condamnent ouvertement. Je laisserai le soin à Bissonnette, Richard, Gauthier, Castonguay d’en donner une explication:
«En éducation, il nous manque la plupart du temps des données, des preuves, des études rigoureuses; conséquemment, chacun se laisse happer par l’air du temps, la mode, ce qui est populaire et dominant. A cet égard, on observe un phénomène assez courant que l’on appelle la «circularité des références». Un certain nombre de penseurs de l’éducation, assez prolifiques et connus d’ailleurs, se citent mutuellement. Ce phénomène de citations en boucle crée une sorte d’effet de science et fait passer pour de la recherche ce qui n’est en réalité qu’une espèce de mantra pseudo-scientifique, c’est-à-dire de simples opinions reprises de multiples fois par ces stars de l’éducation et qui produisent, par leur récurrence, un effet de vérité trompeur. Par exemple, la plupart des auteurs francophones en éducation qui affichent l’étiquette «constructiviste» prennent appui sur les mêmes références, se renvoient l’ascenseur et se citent mutuellement. On cherche en vain des preuves empiriques et des données probantes et, au bout du compte, on en arrive progressivement à la conclusion qu’elles n’existent tout simplement pas.»2
Voilà qui a le mérite d’être clair. Le petit souci réside dans le fait que, comme dit plus haut, les institutions responsables de la formation des enseignants ainsi que le Plan d’études romand sont bourrés de références constructivistes. Après une telle démonstration de l’inefficacité de ce gen§re de méthodes au regard d’autres manières de faire la classe, il n’y a plus à tergiverser: le corpus d’idées constructivistes doit tout simplement être rayé de la carte.
Dans le même temps, l’ensemble des documents émis et proposés par les différents départements en charge de l’instruction publique doivent aussi être passés au peigne fin et modifiés en conséquence: les sommes investies dans l’éducation au niveau cantonal sont trop importantes pour qu’on les gaspille à la légère. Si l’on respecte ne serait-ce qu’un tout petit peu ces cohortes de braves gens acceptant de payer lourd tribut pour que leurs enfants puissent bénéficier des meilleures conditions de formation possible et surtout si l’on veut vraiment que la jeunesse ait le droit à ce qui se fait de mieux, il n’y a pas à hésiter.    •

Source: http://stevanmiljevic.wordpress.com/2013/11/06/pour-un-enseignement-de-qualite/ - comment-1

1    Hattie, John. «Visible learning for teachers. Maximizing Impact on Learning», New York, Routledge, 2012, p. 17
2    Gauthier, Bissonnette, Richard, Castonguay. «Enseignement explicite et réussite des élèves, la gestion des apprentissages» Ed. de Boeck, 2013, p. 73

 

 

Résumé de l'analyse Bissonnette et al.

«Notre méga-analyse a pour objectif d’identifier les stratégies d’enseignement favorisant l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et des mathématiques auprès des élèves en difficulté de niveau élémentaire. Pour ce faire, nous avons analysé les résultats provenant de onze méta-analyses publiées à ce sujet au cours des 10 dernières années. Les résultats de cette méga-analyse révèlent que deux modalités pédagogiques montrent une influence élevée sur le rendement des élèves: 1. l’enseignement explicite, 2. l’enseignement réciproque. Paradoxalement, plusieurs réformes éducatives semblent privilégier des approches pédagogiques inspirées du constructivisme qui s’éloignent des stratégies d’enseignement identifiées dans cette synthèse de recherches.»
(Analyse p. 1)
Pour plus de détails, cf. les extraits de l'analyse à la page 5.