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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°27, 7 juillet 2008  >  «Défendre un pays sans baillis étrangers ni troupes étrangères» [Imprimer]

«Défendre un pays sans baillis étrangers ni troupes étrangères»

Hans Bachofner*, ancien divisionnaire, rappelle les missions de l’Armée suisse

Les accidents militaires, à la Jungfrau l’année dernière et sur la Kander il y a quelques semai-nes, renvoient à un problème fondamental de l’Armée suisse. Sa réforme axée entièrement sur la conformité avec la doctrine et les objectifs de l’OTAN (réforme qui avait commencé avec Armée XXI et a été poursuivie et approfondie déjà pendant sa mise en place) révèle ici une partie des conséquences qu’avaient signalées de nombreux opposants de gauche comme de droite. L’ancien divisionnaire Bachofner avait déjà critiqué à l’époque la doctrine militaire: fondements erronés de la politique de sécurité, tendance contraire à la neutralité, mentalité qui banalise la guerre et transformation complète de l’armée de milice, fondée sur la volonté po-pulaire, en une pure armée défensive. Pour Hans Bachofner, dans son interview à la Weltwo-che que nous reproduisons ci-dessous, les accidents sont dus à cette doctrine inappropriée et aux réformes récentes.
Selon l’ancien divisionnaire et expert militaire Hans Bachofner, le drame de la Kander est également le résultat d’une mauvaise doctrine militaire qui augmente le risque d’accidents.

Weltwoche: Qu’est-ce qui se passe dans l’Armée?

Hans Bachofner: Depuis des années, je ne cesse de répéter: Faites attention, il y aura des accidents si l’on néglige la formation des cadres. Je n’aurais jamais imaginé avoir raison de cette manière.
Il est absurde qu’une activité de team-building (création d’un esprit d’équipe) entraîne la mort de cinq soldats. Une armée qui effectue des exercices militaires difficiles n’a pas besoin de ces rituels de team-building. Seule une armée qui exige trop peu de ses soldats organise des descentes de rapides en canot. L’imagination des commandants doit se limiter aux exercices. Le chef de l’Armée doit mettre un terme à ce genre de stupidités.

Qu’entendez-vous par «exige trop peu de ses soldats»?

Les soldats en question avaient une mission dans le cadre de l’Euro. Ils sont pour ainsi dire morts pour l’Euro. Il faut analyser précisément les erreurs du commandant mais il n’est pas le seul responsable. L’Armée doit modifier le climat qui encourage un tel comportement.

Qu’est-ce que l’accident de canot a à voir avec l’instruction des cadres?

Les cadres sont retirés trop tôt de l’école de recrues. Autrefois, les futurs officiers de­vaient apprendre le commandement des ­troupes sous la surveillance d’instructeurs expérimentés. Aujourd’hui, on les fait monter en grade à la suite de formations express. C’est une erreur fondamentale qui produit de mauvais chefs. Je n’ai pas confiance dans ce système.

Comment une armée qui devrait assurer la sécurité de la Suisse peut-elle maîtriser aussi mal sa propre sécurité?

Méfions-nous des généralisations, mais ce qui s’est passé est caractéristique. Au cours de ces dernières années, on a donné systématiquement dans le sport. On ne pouvait être assez sport. Nous avons un ministre de la Défense à temps partiel qui aime se faire photographier en compagnie de reines de beauté lors d’événements sportifs. Cela a commencé à l’époque du conseiller fédéral Ogi qui, à l’occasion de manifestations sportives, aimait à dire que c’est ainsi qu’il se représentait l’Armée. On a perdu le sens du sérieux.
Aujourd’hui on a recours à des soldats pour éloigner des hommes ivres pendant l’Euro. Lors d’un tournoi de saut d’obstacles à Saint-Gall, des soldats ont manifestement dû ramasser le crottin.
Il s’agit là d’un grave mépris de la dignité des soldats et de leur mission. Les soldats ne veulent pas de cela. Il faut que ça cesse.

Comment a-t-on pu en arriver là?

Après le bouleversement de 1989, toutes les armées ont dû s’adapter aux nouvelles menaces. Les premières réformes menées en Suisse obéissaient à une tendance claire. La doctrine Rumsfeld – qui a échoué – d’une armée allégée et hautement technicisée était en vogue. On s’y est conformé sans esprit critique. Il fallait que l’Armée suisse puisse coopérer avec celles de l’OTAN. On a divisé la troupe en modules et séparé les différentes composantes de l’Armée. Il en est résulté une bureaucratisation, un chaos logistique, un affaiblissement des liens humains entre les supérieurs et les soldats et une détérioration de l’instruction. Quand une armée d’engagements n’effectue pas vraiment d’engagements, il faut soutenir le moral des soldats en organisant par exemple ces stupides descentes en rafting. L’accident de la Kander est l’expression de cette crise d’identité.

C’est que nous n’avons plus d’ennemis!

Ça, ce sont les fadaises proférées par les gens qui pensent selon les concepts d’hier. Avant de parler de canots pneumatiques, nous devrions nous demander pourquoi la guerre, pourquoi la paix.

Et quelle est votre réponse?

La paix ne va pas de soi, elle répond à des critères précis. Ce serait une illusion de croire que les conflits armés ne sont plus possibles. Il y aura toujours des conflits de pouvoir. Nous avons des Etats dont la population compte une part très importante de jeunes hommes sans perspectives. La lutte pour les matières premières s’intensifie. Aux fron­tières des grandes puissances se trouvent des Etats faibles. La guerre informatique sévit déjà. Même une troisième guerre mondiale est possible. Et finalement nous nous trouvons face à un défi important: le terrorisme. La Suisse est extrêmement vulnérable. Notre armée n’est pas préparée.

Le conseiller fédéral Schmid ne devrait-il pas encourager de manière plus affirmée ce processus de création de sens militaire?

Oui, mais on ne peut guère lui adresser de reproches. Les problèmes datent de l’époque Ogi. Certes, Schmid ne fait rien pour les résoudre.

Quelle devrait être notre conception du soldat?

Il y a tout d’abord l’expert apolitique de l’usage de la force. Il va là où l’envoie le gouvernement. Le second type de soldat est le représentant armé de son Etat à l’étranger, une sorte de diplomate muni d’un fusil qui se bat quand il doit mais qui essuie les larmes d’une fillette quand les caméras sont pré­sentes. Troisièmement, nous avons celui qui défend son pays. Il dit: l’Etat m’appartient, j’ai une contribution à apporter. Ce type de soldat se sent souverain, il n’est pas commode, il signale les dysfonctionnements. C’est à mon avis le meilleur soldat.

C’est de la nostalgie.

Non. C’est adapté à notre temps. Nous sommes en pleine crise d’interventionnisme militaro-moral. C’est pourquoi une réflexion sur les qualités d’une armée de citoyens, d’une armée de milice, d’une armée prête à intervenir qui attache une grande importance à l’instruction et aux exercices pratiques. Cette armée est ancrée dans notre société et peut être mobilisée immédiatement en cas de crise.

Quelles principales recommandations adressez-vous au conseiller fédéral Schmid?

Premièrement, ne pas dissimuler les défauts sous de belles paroles. Deuxièmement: pas de nouvelles réformes mais beaucoup d’exercices concrets dans lesquels l’Armée peut faire face aux défis. Troisièmement: cesser d’utiliser les soldats lors de manifestations spor­tives, rétablir la dignité, attribuer le sport à un autre Département. Quatrièmement: armée de citoyens. Cinquièmement: ne pas se maintenir coûte que coûte à son poste. Sixièmement: demander à tous les membres de l’Armée de réfléchir à une question simple: Qu’avons-nous à défendre?

Et que répondez-vous à cette question?

Nous défendons la Suisse, petit pays indépendant ouvert au monde. Nous défendons notre privilège d’être, en tant que citoyens souverains, la dernière instance de décision politique. Nous défendons notre monopole de l’usage de la force contrôlé par l’Etat de droit. A ce titre, nous restons neutres. Mais comme la neutralité ne protège pas des agressions, nous avons une armée. Nous défendons un pays sans baillis étrangers ni troupes étrangères.    •

Source: Weltwoche no 26/08, interview accordé à Roger Köppel
(Traduction Horizons et débats)

*Hans Bachofner, docteur en droit, né en 1931, a été notamment officier d’état-major général et, en tant que divisionnaire, commandant des écoles cent­rales et des cours d’état-major général.

Le prochain pas en direction de l’OTAN

Après la signature du document cadre du Partenariat pour la Paix (PPP) [avec l’OTAN, en décembre 1996] le pas suivant ne s’est pas fait attendre: Le 1er mai 1997, le Conseil fédéral a présenté à l’OTAN un «Programme de partenariat individuel» (IPP)1 qu’il avait élaboré avec les in­stances compétentes de l’OTAN. Ce document mentionnait «18 activités» que la Suisse offrait à l’OTAN et «38 activités» auxquelles elle allait recourir2. Tous les Etats membres du PPP doivent présenter régulièrement ce genre de programme.
Pour l’année 1997, par exemple, la Suisse s’engageait à participer aux exercices suivants: «Cold Response 07», «Cooperative Archer 07», «Cooperative Longbow 07», «LCC Training 07», «Noble Vision 07», «Steadfast Jackpot 07», «Steadmove 07». Aucune précision sur ces «entraînements» n’est disponible. Le Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) les signale sur son site mais ne les a pas mis en ligne3.
    Peu après la remise à Bruxelles du «Programme de partenariat individuel», le Conseil fédéral a effectué le troisième pas: il a adhéré au Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA). Aucune des commissions politiques et de sécurité des deux Chambres n’a été consultée. Le Conseil fédéral a également signé ce document de sa propre autorité. Nombreux sont ceux qui ont trouvé qu’il allait trop loin. Il y a eu de nouveau une vive opposition de la gauche à la droite. Et, cette fois au moyen d’une question ordinaire urgente, Remo Gysin a mis à nouveau sur le tapis la question des «intentions peu claires du Conseil fédéral en matière de politique étrangère et de paix».

1 IPP = Individual Partnership Programme
2 «Vademecum der Partnerschaft für den Frieden», Département militaire fédéral, Bureau interdépartemental du PPP, sans date (vers 1997)
3 www.pfp.admin.ch
Source: «Spin doctors in der Schweiz. Wie der
Bundesrat die Schweiz mit Manipulation und
Propaganda in die Nato verstrickt.»
Plaquette de 64 pages.
© 2008 Judith Barben, Hüttwilen, 8536 Hütt­wilen

Ce que le DDPS planifie vraiment

La comparaison entre les affirmations du Conseil fédéral et les planifications du Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) nous ramène à la réalité. Ainsi, les déclarations du Conseil fédéral selon lesquelles le projet de loi sur l’armée [votation fédérale de 2001] n’avait aucun lien avec l’OTAN ont été contredites par Urban Siegenthaler, sous-chef d’état-major du Groupe de la planification. En réalité, ce projet de loi constituait un pas de plus en direction d’Armée XXI qui est entièrement axée sur l’adhésion à l’OTAN: «Armée XXI est orientée uniquement vers l’adhésion à l’OTAN. La langue de l’armée ne sera plus que l’anglais.»1
    Dans un document stratégique interne daté de février 2001 figure le passage suivant:
    «Dans le cadre d’une orientation générale du projet Armée XXI vers l’interopérabilité, on s’est – dans la mesure du possible – fondé sur des documents de l’OTAN. […] Dans le contexte important pour la Suisse, l’espace de sécurité euro-atlantique, l’interopérabilité ne peut être axée que sur l’OTAN.»

1 Siegenthaler, Urban, sous-chef d›état-major du Groupe de la planification de l’Armée lors du colloque intitulé «Anforderungen an die Armee XXI aus Sicht der Wirtschaft, Politik und Armee». Intervention présentée au Bildungszentrum Lilienberg d’Ermatingen le 22/9/2000.
2 Schweizerische Armee: Grundlagen der militär­strategischen Doktrin, février 2000, pp. 9 et 26.
Source: «Spin doctors in der Schweiz. Wie der
Bundesrat die Schweiz mit Manipulation und
Propaganda in die Nato verstrickt.»
Plaquette de 64 pages.
© 2008 Judith Barben, Hüttwilen, 8536 Hütt­wilen