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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°20, 14 mai 2012  >  L’Europe centrale et orientale dans le «nouvel ordre mondial» [Imprimer]

L’Europe centrale et orientale dans le «nouvel ordre mondial»

La mondialisation et le nouvel ordre mondial veulent construire leur hégémonie au moyen d’écoles et d’universités privées

par Peter Bachmaier

La mondialisation dans le sens actuel a commencé avec la libéralisation du commerce mondial et avec la mise en place du néolibéralisme par les USA et la Grande-Bretagne. Celle-ci est étroitement liée au terme «nouvel ordre mondial», que le président Bush a forgé en septembre 1990 après l’effondrement du bloc de l’Est lors d’un discours devant le Congrès américain et Bush ajouta en expliquant: «Un nouvel ordre mondial dirigé par les USA». C’est le système international que nous avons jusqu’à présent.

Le renversement en 1989 avec l’aide de l’Occident

Le changement essentiel dans le nouvel ordre mondial était l’expansion de l’Occident vers l’Europe centrale et orientale, qui était jusqu’en 1989 sous la domination de l’Union soviétique, mais Gorbatchev «renonça» à ces pays le 2 décembre 1989, lors de la Conférence de Malte avec le président Bush sur ces pays, et c’est pourquoi ils font aujourd’hui également partie de l’empire américain. L’effondrement du bloc de l’Est et le renversement en 1989 remontait à la faiblesse du système, mais aussi au «facteur occidental», avant tout à l’offensive des USA sous le gouvernement Reagan. La révolution n’aurait jamais abouti, dans la plupart des pays de l’Europe centrale et orientale, sans l’influence américaine. La Charte 77 en République tchèque et Solidarnosc en Pologne n’auraient pas pu survivre sans le soutien américain.
L’influence culturelle occidentale joua dans cette victoire un rôle décisif, ce qu’on nomme aujourd’hui le «soft power», avant tout l’influence de la culture pop, qui pénétra tout à fait légalement à travers la radio, la télévision, les films d’Hollywood et l’échange culturel et répandit «les valeurs occidentales». Cependant, ce n’était pas la culture européenne classique, mais celle du libéralisme, de l’individualisme, du matérialisme et d’Hollywood.

Le nouvel ordre mondial en Europe centrale et orientale après 1989

Le nouvel ordre mondial, qui a été introduit après le tournant en Europe centrale et orientale, signifia la mise en place du modèle néolibéraliste, la dictature de l’argent, qui a les caractéristiques suivantes: libéralisation complète de l’économie, démantèlement de la propriété et privatisation, démantèlement de l’Etat et dérégulation, la mise sous tutelle du pays sous le contrôle du capital étranger et finalement l’intégration politique dans le système occidental, dans l’UE, l’OTAN, l’OMC. La réforme a été contrôlée par le Fond monétaire international et la Banque mondiale et liée à des conditions politiques.

Suprématie des Etats-Unis

Les fondements intellectuels et les objectifs du nouvel ordre mondial après 1989 ont été élaborés par le «Council on Foreign Relations» (CFR), ce sont des documents tels que le «Projet pour le nouveau siècle américain», qui a été conçu sous la direction de William Kristol et Richard Perle pour justifier la fin de «l’époque de la paix de Westphalie» et du droit international. En 2001, le président Bush se retira sur recommandation de ce groupe de projet du contrat américain concernant le bouclier anti-missile (ABM) avec la Russie qui prévoyait une limitation des systèmes anti-missiles. Un des architectes du nouvel ordre était également Zbigniew Brzezinski, qui exigeait dans son livre «Le grand échiquier: l’Amérique et le reste du monde» («The Grand Chessboard»), paru en 1997, le partage de la Russie ou La Stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis en 2002 et la «Vision 2015», publiée par la CFR en 2008.
Le résultat n’était pas la création d’une classe moyenne productive et constructive en tant qu’échine de la nouvelle société, mais d’une «élite indépendante étrangère» (Brzezinski), d’une classe de «nouveaux riches» qui sont sous le contrôle du FMI. Leurs enfants étudient aujourd’hui dans des universités d’élite en Angleterre et aux Etats-Unis, pour en revenir avec une «nouvelle conscience».

L’UE – un projet américain

Un pilier du nouvel ordre est l’Union Européenne, qui à l’origine était un projet américain, élaboré par Jean Monnet, qui en vérité était un banquier américain et un lobbyiste de Wall-Street. Le projet prévoyait l’édification des Etats-Unis d’Europe sous le contrôle américain et la dissolution des Etats nationaux. Dans les Traités de Maastricht en 1992, de Copenhague en 1997 et de Lisbonne en 2007, les directives suivantes ont été fixées: essentiellement le néolibéralisme avec ses quatre libertés et la dissolution des Etats nationaux. Les décisions ne seront pas prises par le Parlement européen mais par la Commission européenne, donc d’un appareil administratif non élu. L’objectif est encore l’Etat supranational centralisé avec une constitution unifiée qui a été décidée à Lisbonne et un gouvernement économique.
L’Europe centrale et de l’Est ont été intégrées par l’OTAN et l’UE au système occidental. L’élargissement à l’Est a été réalisée grâce aux programmes PHARE, Tempus et avant tout aux traités d’adhésion à l’UE en 2004 et 2007, et aujourd’hui il existe le «partenariat oriental» pour les pays en dehors de l’UE.

Le changement des valeurs: Education pour la «société ouverte»

Le nouvel ordre mondial veut aussi créer une nouvelle culture, qui remplace le système traditionnel des valeurs avec son accentuation sur les idéaux nationaux, l’histoire, la religion et la famille: Il vise à imposer une société libérale, séculaire et multiculturelle. En 2005, le politologue américain Joseph Nye forgea pour cela le terme «soft power». Son livre porte le sous-titre «The Means to Success to World Politics». L’UE a déposé ses valeurs dans la Charte des Droits fondamentaux de 2000, qui est surveillée depuis 2007 par l’Agence européenne des droits fondamentaux siègeant à Vienne. Celle-ci s’occupe avant tout de la surveillance du racisme, de la xénophobie et de la discrimination sexuelle, de la religion et l’orientation sexuelle. La culture n’est plus depuis longtemps l’affaire des Etats nationaux, il existe ici une direction générale de la commission de l’UE pour la culture, les médias et le système éducatif, qui gère les programmes culturels sur cinq ans et le programme «Télévision sans frontières».

L’influence des groupes occidentaux sur les médias

Les médias en Europe centrale et orientale sont pratiquement guidés par des groupes médiatiques occidentaux: par la News Corporation de Rupert Murdoch, par le groupe Bertelsmann SA (à qui appartient «Gazeta Wyborcza», le plus grand quotidien polonais ainsi que Fakt, le plus grand journal à sensation), par le groupe Springer (détenteur du prestigieux quotidien polonais «Rzeczpospolita»), le groupe WAZ, le groupe médiatique suisse Ringier et les Editions Styria autrichiennes, actives dans l’Europe du Sud. Les maisons de presse occidentales s’orientent avant tout vers le marché et ont imposé un journalisme qui a peu à voir avec l’information, mais beaucoup plus avec la sensation chargée d’images. Mais le système éducatif est lui aussi guidé par les études de PISA et le processus de Bologne qui visent à uniformiser le système éducatif dans le sens d’une formation axée sur le marché.

La société multiculturelle

La société multiculturelle est fixée entre autre par la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales de 1995, qui prévoit une valorisation des minorités et en fait une égalité avec la population majoritaire. Un exemple est l’Université albanaise Tetovo en Macédoine, dont l’enseignement est en albanais et d’où sortent des diplomés universitaires instruits en albanais au sein d’un Etat ayant une population slave-orthodoxe. C’est le programme de la sécession qui se produira comme au Kosovo, où il a débuté lorsque les Albanais ont commencé à fréquenter davantage les écoles albanaises et n’ont plus appris la langue serbe.

Le rôle des ONG

Les Organisations non gouvernementales (ONG) jouent un grand rôle dans ce changement culturel, aussi appelées le «troisième secteur», comme la «société ouverte» de Soros (importante agence globale qui a ouvert dans tous les pays de l’Europe centrale et orientale des instituts, par exemple à Budapest, déjà en 1984) et qui défend une société globale détachée de ses traditions nationales; de même avec les fondations américaines comme la National Endowment for Democracy, la Fondation européenne de la culture à Amsterdam et beaucoup d’autres. L’Occident installe des institutions élitaires privées comme l’Université d’Europe centrale à Budapest, la Nouvelle école pour la recherche sociale à Varsovie, l’Université américaine de Blagoevgrad à Sofia en Bulgarie, qui doivent toutes former une nouvelle élite. L’instauration des écoles et universités privées est une particularité du nouveau système éducatif. En Pologne, il y a actuellement environ 200 universités privées, pour la plupart des universités de sciences économiques, qui prélèvent des frais d’études et en échange garantissent à leurs étudiants un diplôme.

Le rôle de l’Autriche

L’Autriche avait depuis toujours des relations économiques et culturelles étroites avec l’Europe centrale et de l’Est, mais elle a été utilisée comme tête de pont de l’Occident. Après 1989, l’expansion des banques autrichiennes vers l’Est (Raiffeisen) a joué un grand rôle. L’Autriche a obtenu de l’UE la tâche de répandre la culture moderne occidentale par l’Organisation «Kulturkontakt» dans ces pays.
L’Autriche joue aussi un rôle dans la politique d’information: L’Autriche officielle entretient des relations uniquement avec les médias de masse pro-occidentaux dans les pays de l’Europe centrale et orientale. C’est pourquoi elle n’a pas d’informations indépendantes. Dans les instituts comme l’IDM (Institut pour l’espace du Danube et de l’Europe centrale), IWM (Institut d’études supérieures en sciences humaines et sociales), l’Académie diplomatique etc., on n’invite que des personnes ayant un point de vue politiquement correct. Une position anti-mondialiste ou anti-européenne n’est pas souhaitée, par exemple on n’a jamais invité Richard Sulík en Autriche, bien qu’il ait été président du parlement. On a l’impression que l’opinion publique de ces pays soutient uniquement l’UE et l’Amérique.

Les révolutions oranges

En réalité, l’élargissement vers l’Est n’a pas toujours été sans accroc. Là où cela n’a pas fonctionné, on a mis en place des révolutions oranges comme en Serbie en 2000 (où l’on s’est servi de l’organisation Otpor), en Géorgie en 2003, en Ukraine en 2004, en Biélorussie en 2006; là, la révolution n’a pas marché et c’est pourquoi Obama a infligé de nouvelles sanctions contre le pays et l’UE s’y est jointe.

Opposition continue contre la politique européenne

Les gens étaient en 1989 contre la dictature de la Nomenclatura et pour l’Europe, mais aujourd’hui, ils ont perdu leurs illusions et veulent l’indépendance nationale, ils sont contre le centralisme de Bruxelles. Ils sont tombés de mal en pis. L’Europe centrale et orientale sont aujourd’hui l’établi prolongé de l’Occident.
Il existe une opposition renforcée contre la politique de l’UE, avant tout contre le centralisme croissant. Pendant la crise de l’euro, une opposition contre le plan de sauvetage et l’union fiscale s’est créée en Slovaquie (le parlement sous la présidence de Sulík rejeta le plan de sauvetage en octobre 2011), en République tchèque, qui n’a pas signé l’union fiscale, en Hongrie sous Orbán, en Slovénie, où le parti de l’opposition conservateur de Janez Janša refusa le plan de sauvetage, et de forts mouvements d’opposition existent aussi en Serbie, où le Parti radical serbe, le plus grand parti du pays, a tenu le 29 février une grande manifestation pour protester contre l’adhésion à l’UE, en Pologne, où le parti Droit et justice a émis un avis critique contre l’UE et dans les pays baltes. En Croatie aussi, la mauvaise humeur contre l’UE était si forte que la majorité lors du référendum n’a abouti que parce que la moitié des électeurs sont restés chez eux.
Dans les pays baltes, des banques suédoises, qui de leur côté sont liées au FMI, dominent. La thérapie de choc, c’est-à-dire l’expérience néolibérale, arrive dans les pays baltes lentement à sa fin car le PIB recule et le chômage se situe à 15%, et en Lettonie, le plus grand parti est de nouveau le parti russe qu’on ne laisse cependant pas gouverner. Les gouvernements des trois pays ont tout misé sur l’adhésion à la zone euro, car ils attendent ainsi la guérison de tous leurs problèmes.

Le sondage Eurobaromètre sur le jugement de l’économie

Selon le sondage Eurobaromètre qui recueille l’opinion de la population dans les différents pays, il y a eu en République tchèque, et en Hongrie, Lettonie et Estonie en 2008, moins de 50% des gens qui approuvaient l’UE, et ils ont été un peu plus de 50% en Pologne, en Slovaquie et en Lituanie, et la tendance ne s’est certainement pas améliorée depuis lors.1
Dans le dernier sondage de l’Eurobaromètre de décembre 2011, l’approbation de l’UE n’a plus été relevée, mais entre 60 et 90% des personnes interrogées dans les dix pays répondaient à la question «Comment jugez-vous la situation économique de votre pays?», par «mauvaise», et à la question «Croyez-vous que le pire arrivera encore sur le marché du travail?», le même pourcentage répondait par «oui».2 Le chômage se situe dans tous les pays de l’Est de l’UE, excepté en République tchèque et en Slovénie, entre 10 et 15%.3

Alternative: opposition nationale

C’est pourquoi, l’alternative est le maintien de l’Etat national, une opposition contre la mondialisation et une coopération avec la Russie et d’autres pays d’Europe de l’Est. L’Autriche, qui dispose d’une longue tradition dans les relations avec les pays d’Europe centrale et de l’Est, devrait construire en tant qu’Etat neutre une alliance avec ces pays en contrepoids à l’Occident.    •

Exposé tenu lors d’une soirée d’information et de discussion «Hongrie versus mondialisation».
Initiative Heimat und Umwelt, Kolpinghaus, 6/3/12
(Traduction Horizons et débats)

1    Die Presse, 26/06/08
2    Eurobaromètre, décembre 2011
3    eurostat, 1/3/12