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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°34, 29 août 2011  >  Courrier des lecteurs [Imprimer]

Courrier des lecteurs

Des réponses extrême­ment claires et réalistes

L’interview avec Karl Albrecht Schacht­schneider reflète parfaitement la situation:
Les questions de Jürgen Elsässer correspondent à l’opinion prédominante de la population. On entend toujours les mêmes «arguments» quand on tente de discuter avec d’autres personnes du Mécanisme de stabilité européen (MSE). Beaucoup de gens ont apparemment bien plus peur de l’effondrement de l’euro – peut-être aussi de subir personnellement des pertes financières? – que du saignement à blanc de notre pays au niveau financier, de la perte de la démocratie et de la liberté personnelle.
Cependant Schachtschneider a une réponse extrêmement claire et réaliste à chacune de ces questions. Il n’y a rien à ajouter. Il se peut que bien des Allemands estiment le risque d’une intervention de troupes de l’UE dans le pays comme exagérée – mais moi je partage cette crainte. Dans des situations comme en Grèce, ils sont à la porte.
Mais à l’égard des moyens de résistance proposés, je suis sceptique. D’une part il faut que la mobilisation soit grande pour empêcher que l’UE s’empare d’encore plus de pouvoir. Mais d’autre part, je ne vois pas encore la possibilité de grandes manifestations ici en Allemagne. Malheureusement, la Gauche articule son opposition d’une manière trop timide – soit celle-ci est réprimée par les médias soit l’Internationale socialiste poursuit ses propres plans et ne défend plus la démocratie. A l’avenir, les communautés électorales indépendantes, défendant avec bec et ongles la démocratie en tant que résultat des Lumières, seront les entités sociétales les plus importantes.
En tout cas, je suis très heureuse de cette interview qui se prête manifiquement à faire passer les informations.

Marianne Schammert, Weingarten (Allemagne)

L’ensemble des citoyens doit prendre position

On ne peut – malheureusement – qu’être d’accord avec le contenu de l’interview de Karl Albrecht Schachtschneider. Le titre me semble néanmoins quelque peu euphémique parce que l’ordre démocratique et libéral est déjà depuis longtemps dans un processus de dissolution inexorable.
Ce qui est effectivement surprenant, c’est qu’il n’y ait pas plus de voix critiques venant du secteur universitaire. Ce sont malheureusement uniquement des professeurs émérites ou des collègues retraités qui prennent la parole. Ceux qui sont en fonction n’osent pas élever la voix, car l’ensemble du système universitaire allemand dépend entre-temps de donateurs externes, et la libre recherche et l’enseignement tant glorifiés appartiennent depuis longtemps au passé.
S’il s’agit de développer des voies de sortie et de trouver des alternatives, on ne peut rien attendre de la part des institutions universitaires. C’est en fait le point déprimant de la situation décrite par Schachtschneider.

Wolfgang Blendinger, professeur universitaire, Clausthal-Zellerfeld (Allemagne)

Petite cause et grands effets

ou pourquoi nous devons avant tout apprendre une autre langue nationale dans nos écoles
A la suite d’un petit accident, je me suis retrouvé dans un hôpital du Tessin. Mis à part le fait que les normes suisses valent aussi bien là-bas qu’en Suisse allemande, on apporte son aide à chacun – tout naturellement, sans poser de questions ni de conditions – à un niveau qui, je dois le dire, provoque chez moi à chaque fois de la reconnaissance pour ce que l’on fait et ce qui est possible aujourd’hui. Ici, je fais l’expérience d’un aspect, et le meilleur, de notre système de santé.
De nombreuses idées passent par l’esprit de celui qui a certaines connaissances historiques. Il y a 200 ans, vivaient ici les «Frères noirs*». Je me souviens bien des leçons de 5e lorsque l’instituteur nous en lisait chaque semaine un passage; nous pouvions reposer nos têtes sur nos pupitres et mettre des images mentales sur ce que nous entendions. Bien sûr, nous étions curieux à chaque fois de voir les petites illustrations – à cette époque, des gravures sur bois illustraient souvent les livres pour la jeunesse. L’instituteur ne devait omettre aucune d’entre elles. Et comme nous vibrions lorsqu’Antonio devait quitter sa famille et sa chère vallée avec ses chèvres parce que sa famille ne pouvait pas payer le médecin. Alors naissait un certain sentiment social. Aujourd’hui, au milieu de ma vie, j’éprouve aussi ce sentiment de reconnaissance que nous, quelques générations plus tard, pouvons éprouver en sachant qu’aujourd’hui, on peut nous apporter une aide médicale dans chaque situation.
Cela ne va pas de soi, mais il est devenu possible, grâce à la recherche, à l’instruction, à la formation des générations antérieures, à la synergie de nombreux phénomènes complexes et certainement grâce à l’assistance de l’Etat, d’édifier un système de santé accessible à tous et je me rends compte qu’il s’agit d’une performance de haut niveau dont on ne dispose pas partout dans le monde.
Un petit événement presque anodin a laissé vagabonder mes pensées. Un jeune infirmier de 26 ans, encore en formation, se donnait beaucoup de peine pour pratiquer tous les gestes médicaux à ma grande satisfaction et, en outre, il s’efforçait de parler allemand avec moi – alors que j’avais du plaisir à réutiliser enfin mon italien que j’avais appris autrefois à l’école de commerce. Lorsque je lui ai demandé s’il l’avait appris à l’école, il ma répondu tout de suite: non, au service militaire. Il avait effectué son école de recrues en Suisse allemande dans les troupes sanitaires.
Outre le fait que cette simple question nous a donné l’occasion de poursuivre notre échange d’idées, une chose essentielle m’est apparue évidente. Je pensais à des situations dans lesquelles les conflits linguistiques ont entraîné pendant des années des sociétés dans des conflits violents, sanglants et interminables. Une langue devait dominer, une autre devait être interdite, elle ne devait pas être utilisée en tant que langue officielle; sur les panneaux d’entrée de localité, on avait rayé un nom ou on en avait gribouillé un autre qui sonnait différemment. Dans les écoles, des conflits sans fin avaient été déclenchés et des gens s’étaient eux-mêmes enfermés dans des ghettos.
Et maintenant, il y avait cet événement anodin à l’hôpital. Deux individus se réjouissaient d’aborder l’autre dans sa langue et de lui témoigner du respect pour sa singularité culturelle. Mais nous devons reconnaître honnêtement que nous n’avions aucun mérite même si nous éprouvions tous deux un grand plaisir. Non, nous devons cela à nos ancêtres, qui ont contribué pendant des siècles à créer ce qu’on appelle une nation née de la volonté collective, dans laquelle toutes les régions linguistiques, malgré les diverses religions, l’opposition villes-campagne et de nombreuses différences culturelles, devaient pouvoir vivre de manière pacifique. Parmi beaucoup d’autres facteurs, le Conseil des Etats y a contribué en garantissant, grâce au bicamérisme, un droit de participation important aux régions linguistiques plus faibles. Cela veut donc dire qu’au lieu de donner à une langue une position dominante, on s’est engagé librement à coexister, à développer les uns à côté des autres des moyens de résoudre de manière concensuelle la question du pouvoir. Cela incluait le fait qu’on allait apprendre la langue des autres dans leur région linguistique, afin d’échanger avec eux et de maîtriser linguistiquement la démocratie. Quand on y réfléchit bien – et pas en anglais! – il nous paraît presque incroyable qu’une telle énergie politique et culturelle ait été dépensée. L’apprentissage d’une autre langue nationale renforce les liens et il continuera de donner à notre pays la forte cohésion dont il a besoin.
Nous pourrions être quand même un peu fiers ou du moins reconnaissants de cette réussite de nos ancêtres.
En tout cas, nous ferions bien d’y repenser de temps en temps, justement quand on est alité et qu’on a beaucoup de temps pour laisser vagabonder ses pensées.

Roland Güttinger, Locarno

    *Lisa Tetzner: «Die schwarzen Brüder», histoire des petits ramoneurs du Tessin, vendus en ce temps-là à Milan.


La Grèce: nouvelles d’un pays ébranlé par la crise

Askos, village de 1200 habitants, est à quelque 35 minutes de voiture de la grande ville de Thessaloniki située dans la province nord-est de Macédoine. Grâce à des amis de Berlin, j’ai été accueilli dans une belle maison de vacances moderne. Askos est situé en montagne à 500 mètres d’altitude, à quelques minutes de l’autoroute. On ne peut pas voir la mer qui est à trois kilomètres d’ici, mais un beau panorama de montagnes. A première vue, avec ses deux grands lacs, le paysage de champs irrigués, de plantations d’oliviers et de forêts rappelle le lac de Constance. Seulement les températures ici montent à plus de 30 degrés dès la matinée et sur les routes de montagne, il faut prendre garde à ne pas écraser les tortues omniprésentes.
A notre arrivée par avion et en voiture de location, nous sommes curieux, en raison de la crise actuelle, de voir comment les gens d’ici vont nous traiter en tant qu’Allemands. Les images sur les grèves générales, sur les batailles de rue qui ont eu lieu à Athènes et les débats parlementaires agités sont toujours dans notre esprit. L’accueil qui nous est réservé par la famille de nos amis nous fait vite oublier ces pensées. Nous faisons l’expérience d’une telle cordialité et d’une telle joie de nous voir ici que nous pouvons à peine y croire. On nous régale presque chaque jour de légumes provenant du jardin. La barrière linguistique – puisque nous ne connaissons qu’un petit nombre de mots grecs courants – n’est pas aussi importante que nous le croyions. Beaucoup de personnes baragouinent l’allemand ici. Dans la localité, il y a de nombreux habitants qui ont travaillé en Allemagne – et certains pendant plusieurs années – qui aiment bien dialoguer avec nous.
Les gens qui vivent ici avant tout de l’agriculture. Ils cultivent des céréales, des tournesols et du maïs. Les olives sont particulièrement importantes. Il y a de grandes plantations d’oliviers. On presse les fruits pour en faire de l’huile ou on les confit. Le bétail se compose essentiellement de chèvres, de moutons et de vaches. Le fromage et les autres produits laitiers ont un goût exquis. Presque chacun possède une maison avec un terrain. Dans les jardins, on trouve des fruits (figues, pêches, noix) et des légumes (tomates, courgettes, aubergines, haricots, oignons, poivrons et pommes de terre). En outre, ils élèvent des animaux de subsistance: poules, moutons, chèvres et cochons. En automne, c’est la chasse qui contribue à l’alimentation de base. A part la crise que traverse le pays, les gens ont l’air satisfaits malgré leur vie simple et laborieuse. La famille est très importante. Les enfants sont considérés comme une richesse et non comme un fardeau.
Il est facile de parler des problèmes rencontrés par la population. Ainsi, les prix élevés de la farine sont dus au prix élevé du diesel destiné aux engins agricoles. Les pièces détachées des tracteurs sont presque inabordables. Il faut savoir improviser et faire preuve d’habileté manuelle. En dialoguant avec les gens, on se rend compte que la famille et l’entraide apportée par les amis et les voisins joue un grand rôle.
A propos de la crise que traverse le pays, un artisan qui parle allemand me dit lors d’une rencontre que les problèmes de son pays sont dus à la mondialisation et à la corruption des politiques grecs, quelle que soit leur tendance. Le népotisme et la mentalité du «self-service» sévissent. En outre, les hommes politiques jouissent d’une «immunité illimitée» et ne sont pratiquement jamais poursuivis pour corruption. Les problèmes sont aggravés par le système bancaire international. Il est déçu que dans les autres pays on ait l’impression que les Grecs sont paresseux et responsables de la situation catastrophique actuelle. A la question de savoir où il voit une solution du problème, il répond qu’il est faux de vouloir conserver l’euro. La Grèce devrait se «libérer» de l’UE et se reposer à nouveau sur ses propres forces plutôt que de vendre tout ce qui a encore de la valeur à des investisseurs internationaux. Il insiste sur le fait qu’il y a beaucoup d’idées et de personnes intelligentes en Grèce qui seraient capables et prêtes à lutter contre la crise et à rendre le pays indépendant des importations qui sont considérables. Mais les politiques les en empêchent parce qu’ils se laissent corrompre par des sociétés qui leur vendent des armements usagés et en partie de qualité médiocre. Un autre habitant évoque une escroquerie aux subventions de l’UE en matière de construction d’autoroutes. Il déplore aussi le fait que les médias parlent rarement des tenants et aboutissants des problèmes. A son avis, la déstabilisation encouragée également par l’étranger vise les ressources du sous-sol, notamment le pétrole et l’or. Il faudrait les exploiter grâce à la privatisation et à un apport massif de capitaux étrangers, car la Grèce ne peut pas le faire actuellement.
En résumé, on constate avant tout que l’autosuffisance et l’entraide dans les familles et les communes ont une grande valeur dans la crise actuelle. Avec son histoire prestigieuse et ses réalisations, ses habitants hospitaliers et ses magnifiques paysages, la Grèce vaut toujours le voyage.

Martin Wille, Berlin