Trop peu de spécialistes pour les professions techniques – les mathématiques sont le point faiblepar Eliane Gautschi et Alfred BurgerEn Suisse, un manque croissant de spécialistes des professions techniques se fait sentir. Le rapport MINT du secrétariat d’Etat à l’éducation et la recherche (2010) constate qu’en 2010 on a compté 16 000 places vacantes dans les domaines des mathématiques, de l’informatique, des sciences naturelles et techniques. Si l’économie devait redémarrer, il en manquerait encore plus. Le choix, par les adolescents, de professions industrielles ou commerciales, ou universitaires, qui demandent assurance et plaisir dans les branches mathématiques, dépend généralement de leurs capacités dans ce domaine: les capacités de calcul et l’envie des adolescents de s’occuper de mathématiques. La question se pose de savoir pourquoi de nos jours tant de jeunes n’ont pas ces capacités, et ce qu’il faut pour les développer assez tôt. Le manque des fondementsBeaucoup d’entreprises d’apprentissage qui offrent des professions techniques ne trouvent actuellement pas assez de postulants qui conviennent. Dans le temps, notre pays était connu pour la formation de professionnels qualifiés dans des domaines techniques exigeants. Beaucoup d’entre eux ajoutaient à leur apprentissage un séjour de montage à l’étranger en tant que spécialistes recherchés. Cela a changé ces dernières décennies. Les entreprises d’apprentissage constatent que beaucoup d’apprentis n’arrivent plus à suivre les exigences des écoles professionnelles. Souvent, après peu de temps, ils doivent être déclassés à un niveau plus bas, c’est-à-dire au lieu de faire un apprentissage complet ils ne font plus qu’une formation élémentaire. Les maîtres d’apprentissage se plaignent que souvent dans la pratique les apprentis ne sont pas capables d’effectuer les calculs les plus simples. Récemment, un charpentier s’est plaint que son apprenti en deuxième année n’était même pas capable de scier une planche en deux moitiés égales. On entend souvent des affirmations de ce genre. Les enseignants des lycées disent la même chose. Dans plusieurs lycées, on a introduit des cours de rattrapage pour compléter les bases de mathématiques des élèves pour qu’ils puissent seulement suivre les cours à l’école. Même au niveau des universités on a été obligé d’installer de tels cours parce que beaucoup d’étudiantes et étudiants avaient un niveau déplorable en mathématiques. Le taux d’échec aux examens dans les domaines mathématiques et aux études de base en médecine est terriblement élevé. Tout commence déjà à l’école primaireDéjà à l’école primaire, beaucoup d’enfants ne savent calculer que de manière très insuffisante. Ils ne maîtrisent la table de multiplication (livret) que de façon incomplète et ont de la peine à calculer un problème de tête. Beaucoup d’enfants n’ont pas l’idée de la place que tiennent les chiffres. Ils ne remarquent donc pas forcément des erreurs grossières de placement de chiffres. Ils sont capables de dire 20 comme résultat de la division de 800 par 4, sans réaliser l’erreur. Ils sont aussi souvent incapables de partager de grands nombres, ce qui est important pour la division et la multiplication. Dans les unités de mesures, beaucoup d’enfants connaissent à peine les mesures comparables et ne peuvent pas se représenter dans la réalité par exemple la longueur d’un kilomètre ou la dimension d’un mètre carré. On pourrait citer beaucoup d’observations de ce genre et les enseignants du secondaire s’en aperçoivent aussi. Cela montre que le malaise a ses racines déjà dans les premières années scolaires. La question se pose de savoir comment nous pourrions y remédier. Qu’est-ce qu’il faut pour que les enfants et les adolescents puissent construire une base pour les mathématiques, et développer de l’intérêt et l’envie d’étudier cette matière. Un point faible, le nouveau matériel scolaire: la fantaisie remplace la substanceCes dernières décennies, le matériel scolaire et les méthodes d’enseignement en mathématiques ont changé de façon fondamentale. Cela a des répercussions sur les capacités mathématiques des enfants. Beaucoup des exemples cités ci-dessus s’expliquent avec le nouveau matériel scolaire. Nous allons d’abord les examiner comme une des causes du manque des connaissances mathématiques. Déjà le profane peut reconnaître que le matériel scolaire a changé massivement ces dernières décennies. Du point de vue du graphisme, il est bien fait. Mais il contient beaucoup de choses qui ont moins à faire avec les mathématiques et plus avec des clowneries, et qui détournent les élèves de la matière à traiter. Des éléments ludiques ne se trouvent pas seulement dans le matériel scolaire de primaire mais aussi dans les manuels de secondaire. Beaucoup de manuels ne font plus la différence entre les mathématiques et la géométrie. Certains sont plutôt des livres de lecture avec beaucoup de textes et peu de chiffres, d’autant plus que ce sont des textes qui ne servent pas l’enseignement de la logique. Lorsqu’on creuse plus profondément, on remarque encore d’autres changements bien plus étendus. La matière est complètement hachée et certains domaines ne sont traités que brièvement, puis laissés tomber. Il n’y a pas suffisamment de matériel d’exercice, les problèmes changent d’un devoir à l’autre. Déjà en primaire, les enfants s’occupent de thèmes de secondaire comme les corps géométriques et la probabilité. Un point faible, les plans scolaires: du hachis mathématiqueDans un grand nombre de cantons, de nouveaux plans scolaires ont été introduits au cours des années 1990, selon lesquels le matériel scolaire s’est orienté. A la place d’un apprentissage constructif et par étapes qui a fait ses preuves, on a introduit le «principe de la spirale». D’après ce principe, apprendre devra se faire en trois étapes: «Effleurer», «travailler» et «consolider». Dans la pratique, ce principe se présente de la manière suivante: l’enseignant «effleure» d’abord un thème et commence déjà après deux pages un nouveau thème. On passe à un problème de mathématiques tout à fait différent, sans avoir travaillé de façon approfondie le premier thème. Les exercices varient constamment, ce qui ébranle un grand nombre d’enfants. Quelque temps plus tard seulement, un thème sera «travaillé» et encore une fois plus tard «consolidé», c’est-à-dire répété de façon que l’élève soit sûr pour travailler ses exercices. Mais dans la pratique on recommence à chaque fois à zéro, parce qu’avec ce principe il n’y aura jamais de bases solides. Il est évident que les enfants ne connaissent pas bien le matériel dès le début. C’est comme si l’on construisait une maison sans fondement, qu’il faut toujours rajuster, bien que les murs soient déjà érigés. C’est bien clair pour tout le monde qu’une telle maison ne peut perdurer – en mathématiques ce principe ne fonctionne pas non plus. Un point faible, les méthodes d’enseignement: Mais où a passé la pédagogie?Depuis les années 1990, les enfants sont enseignés par d’autres méthodes d’enseignement. L’accent est mis sur l’apprentissage autonome, l’apprentissage dit de découverte. Les enfants travaillent avant tout d’après des méthodes individualisées, comme le plan de semaine, le «journal de voyage», des ateliers etc. Ils doivent découvrir par eux-mêmes les bases de la mathématique. L’enseignement se fait surtout par des indications écrites, les enseignants se retirent sciemment et se conçoivent surtout comme des organisateurs du processus d’apprentissage. Quand les enfants sont laissés à eux-mêmes et qu’ils doivent découvrir les choses le plus possible par eux-mêmes pendant les cours, une élaboration structurée de la matière est rarement possible, beaucoup de fausses réflexions restent cachées et beaucoup de temps est gaspillé. Certains enfants comprennent la retenue des enseignants comme un manque d’intérêt. C’est surtout dans la matière des mathématiques que cette méthode d’apprentissage est largement utilisée actuellement. L’enseignement avec toute la classe qui a fait ses preuves est dénigré et n’est presque plus utilisé. Un faux principe de la psychothérapie a été transposé dans la pédagogie. Construction méthodique du matériel scolaire et directives soigneuses des enseignantsAvec le matériel scolaire utilisé actuellement et les formes d’enseignement de découverte, les piliers des cours de mathématiques actuels doivent être mis à l’examen car ils représentent les causes les plus importantes de la problématique décrite plus haut; ils doivent donc être discutés. «Il est faux de dire qu’il ne vaut pas la peine d’acquérir un certain savoir parce que tout savoir devient caduc en peu de temps. Dans cinquante ans encore, les langues fonctionneront en gros selon les mêmes schémas, les affluents du Rhin seront toujours à leur place et les fleurs des champs seront toujours les plus fréquentes. Il existe donc un noyau dur sur lequel il faut insister et que l’on peut étoffer le cas échéant. L’instruction ne saurait être assez conservatrice. C’est seulement ainsi qu’elle peut, au besoin, produire des rebelles alors que des programmes qui changent constamment ont pour seul effet que les âmes se perdent dans l’histoire.» |