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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°50/51, 4 janvier 2010  >  Le respect de la diversité et de la liberté des peuples et des Etats [Imprimer]

Le respect de la diversité et de la liberté des peuples et des Etats

par Karl Müller

Dans son poème «Limites de la condition humaine», Goethe tend un miroir à l’individu abandonné et isolé, sans liens ni avec ses ancêtres ni avec ses contemporains ni avec lui-même. Il lui oppose l’homme qui se sent appartenir à la communauté des générations.

C’est un anneau étroit
Qui tient enclose notre vie;
Et bien des générations
Se rivent sans lacune
A la chaîne infinie
Qui est leur existence.

Ne faut-il pas aujourd’hui rappeler aux peuples et aux Etats européens que les hommes et les peuples qui n’ont pas conscience de leur identité historique deviennent très facilement le jouet d’intérêts étrangers? Et que le fait de reconnaître les acquis de son peuple et de veiller à ce que le souvenir en soit conservé fait partie de cette identité? L’heure n’est-elle pas venue d’agir contre l’ahistoricité générale, qui se veut moderne, et contre son revers fatal: la falsification de l’histoire opérée par quelques-uns à des fins politiques et l’instrumentalisation des plaies historiques par la politique de suprématie? N’est-il pas temps d’agir contre le fait de voler au peuple son histoire et son identité par des opérations ouvertes ou cachées, pour la seule raison qu’elles pourraient faire obstacle à la politique des grandes puissances?
Tous les peuples ne sont-ils pas confrontés à la tâche de lutter contre une mise au pas antidémocratique, bureaucratique et centraliste qui créera une masse amorphe et sans liens à l’intérieur de structures politiques artificielles et ahistoriques – comme l’UE – en maintenant la conscience de la diversité vivante des communautés, des peuples et des Etats qui se sont développés au cours de l’histoire?
Et ne va-t-on pas constater alors – en dehors de toute polémique – que, conscients d’appartenir à une communauté, nous n’avons pas besoin d’aller contre les autres peuples et les autres hommes? Un des acquis des sciences humaines est le suivant: Quiconque se sent, dans une communauté, réellement associé à autrui en tant que prochain ayant les mêmes droits ne se croira pas supérieur aux autres hommes, ni aux étrangers, et ne leur fera aucun mal.
L’histoire des peuples offre de nombreuses preuves de leur ouverture aux autres et de la joie procurée par les autres, preuves de l’existence, avant toutes les théories modernes, du commandement d’amour du prochain, qui comprend l’étranger, preuves que l’attachement à la diversité est souvent une part importante de notre identité, preuves de ce que, de l’autre côté, il existe une opposition justifiée à ceux qui veulent jouer les seigneurs.
Si l’on ajoute à cela qu’il y a des forces au sein de l’UE qui cherchent, depuis plus de vingt ans, à provoquer des conflits entre divers peuples ou ethnies – l’ex-Yougoslavie en est un exemple – et continuent de le faire en beaucoup d’endroits dans le monde, le dernier et plus important argument des partisans de l’UE s’effrite, celui selon lequel l’intégration européenne fut le grand projet de paix européen après la Seconde Guerre mondiale. Il faut ajouter ici que l’Europe n’a presque rien fait en faveur de la paix dans le monde depuis des années. Au contraire: En tant qu’«agent d’influence des Etats-Unis» (cf. l’article de John Laughland, p. 6), elle participe à leur politique de guerre. D’autres «agents d’influence des Etats-Unis», comme le montre John Laughland, se sont donné pour mission de manipuler les hommes partout dans le monde de manière à ce qu’ils mettent en péril, contre leur propre intérêt, l’indépendance de leurs Etats et qu’ils travaillent la main dans la main avec ceux qui veulent être des seigneurs étrangers.
Affirmons la thèse opposée: Un véritable projet de paix pour l’Europe consiste à respecter la diversité et la liberté des peuples et des Etats.
Cela vaut pour tous les peuples et tous les Etats, donc aussi pour l’Allemagne. Qui sait encore ce que l’histoire et la culture de ce pays peuvent offrir de précieux? Le moment n’est-il pas venu pour nous autres Allemands de développer l’idée que cela ne fait pas du bien de s’abandonner à l’american way of life? L’Allemagne n’a-t-elle pas de meil­leures réalisations à son actif?
Un ancien délégué à la culture très connu d’une grande ville du Sud de l’Allemagne propageait dans les années 1970 l’idée que depuis Luther, l’histoire allemande n’avait abouti à rien d’autre qu’au national-socialisme. On a créé spécialement pour les Allemands l’«archétype Wotan», image de l’homme violent. Mais ce n’est pas l’Allemagne, ce n’est pas typique de l’Allemagne, ce ne sont pas les Allemands, ni l’histoire allemande.
Johann Wolfgang von Goethe et Friedrich Schiller, les maîtres du classicisme allemand, font également partie de l’histoire allemande, avec leur idée que l’homme a la liberté de concilier le sentiment et l’intelligence, l’individu et la communauté, l’homme et la nature. En font aussi partie l’œuvre et le rayonnement de Friedrich Wilhelm Raiffeisen et d’Hermann Schulze-Delitsch, fondateurs de l’idée moderne de coopérative.
Et qu’en est-il des scientifiques, des inventeurs, des ingénieurs, des entrepreneurs et des ouvriers qui ont contribué à ce que le label «Made in Germany» soit un signe de qualité pendant de nombreuses décennies?
Les qualités de l’Allemagne s’étendent même à l’art culinaire, qui est aussi riche que les paysages de ce pays. Il est très regret­table que les deux volumes intitulés «Deutsche Spezialitäten. Culinaria» soient épuisés, car ils offraient un voyage merveilleux à travers l’art culinaire et la culture des seize Länder.
Il y a aussi en Allemagne une différence entre ce qui fut imposé d’en haut en tant que «rééducation» et le faire d’apprendre à connaître vraiment, avec une profonde conviction, les autres peuples et civilisations. Ainsi, il y a trois ans, a été publiée une thèse de doctorat intitulée «Eléments de démocratie directe dans l’histoire constitutionnelle allemande».1 Dans le chapitre final, intitulé «Perspectives», on peut lire ceci: «L’histoire constitutionnelle et les sciences politiques et constitutionnelles suisses sont particulièrement instructives pour celui qui travaille sur la situation allemande: en matière de démocratie et de fédéralisme, la Suisse a toujours été exemplaire. […] En Suisse, on a réfléchi à la démocratie plus profondément et on l’a vécue plus intensément que jamais en Allemagne. Il est naturel qu’on y ressente beaucoup plus fortement les restrictions supranationales à la démocratie […].»
Friedrich Schiller, grand humaniste, a trouvé dans «Guillaume Tell» un modèle suisse de liberté et d’indépendance à destination des Allemands. Dans un poème, il écrit:

Fais le bien: tu nourriras la
plante divine de l’humanité;
Crée le beau: tu répandras
les germes du divin.

et Goethe, dans son poème «Le divin»:

Que l’homme noble
Soit secourable
Et bon! Qu’il crée sans se lasser
Le bien, l’utile, […]

Et terminons par Schiller:

L’homme est créé libre, il est libre
Même s’il est né dans les chaînes.

1     Hanns-Jürgen Wiegand, Direktdemokratische
Elemente in der deutschen Verfassungsgeschichte, 2006, ISBN 3-8305-1210-4