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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N° 43|44, 22 octobre 2012  >  Le Conseil national pose des jalons en politique agricole [Imprimer]

Le Conseil national pose des jalons en politique agricole

Protection de l’agriculture suisse et de la sécurité alimentaire en Suisse

par Marianne Wüthrich, docteur en droit, Zurich

Presqu’inaperçu, lors des délibérations sur la politique agricole 2014–17, le Conseil national a pris deux décisions remarquables. Il a non seulement accepté de rompre les négociations relatives à l’accord agricole avec l’UE, mais s’est également prononcé en faveur du maintien du moratoire sur l’utilisation des OGM pour trois ans supplémentaires. Il faut espérer qu’après un délai de réflexion, le Conseil des Etats se joindra à ces décisions positives.

C’est la Suisse romande qui a donné la première impulsion à une rupture des négociations relatives au secteur agricole avec Bruxelles. Au moyen d’une initiative cantonale, le canton de Vaud est intervenu dans la politique fédérale.

L’initiative cantonale – expression des larges droits fédéralistes accordés aux cantons

Les larges droits constitutionnels de participer à la vie politique accordés aux Suisses contiennent non seulement les droits de démocratie directe des citoyens mais aussi le droit des cantons d’adresser par le biais d’une initiative cantonale une proposition au Parlement fédéral. L’instrument de l’initiative cantonale met les cantons sur un pied d’égalité avec les conseillers nationaux et les conseillers aux Etats. La loi cantonale règle les modalités de la procédure relative à une initiative cantonale. Parfois, c’est le Parlement cantonal qui décide de lancer une initiative cantonale mais souvent il s’agit du souverain qui en demande le dépôt lors d’une votation cantonale. L’article 160 alinéa 1 de la Constitution fédérale en est la base légale.

CF art. 160 Droit d’initiative et droit de proposition

1 Tout membre de l’Assemblée fédérale, tout groupe parlementaire, toute commission parlementaire et tout canton peuvent soumettre une initiative à l’Assemblée fédérale.

L’Assemblée fédérale doit donc traiter les initiatives cantonales selon la même procédure que les initiatives parlementaires présentées par les conseillers nationaux et les conseillers aux Etats.

Le Conseil national adopte l’initiative cantonale du canton de Vaud

Voilà le texte de l’initiative cantonale, déposée le 8 février 2012 (no 12.300):

Accord de libre-échange dans le secteur agroalimentaire. Rupture:
«Se fondant sur l’article 160 alinéa 1 de la Constitution fédérale, le canton de Vaud soumet à l’Assemblée fédérale l’initiative suivante:
L’Assemblée fédérale est invitée à demander au Conseil fédéral que les négociations avec l’Union européenne au sujet d’un accord de libre-échange dans le secteur agroalimentaire soient interrompues immédiatement.»

En tant que conseil prioritaire, le Conseil national a dû traiter l’initiative. La Commission de l’Economie et des redevances (CER-N) du Conseil national a proposé le 15 août 2012, par 14 voix contre 10 et 1 abstention, de ne pas donner suite à l’initiative cantonale. Une minorité (Ritter, Darbellay, Hassler, Hausammann, Müri, Schelbert, Walter) a proposé de donner suite à l’initiative cantonale. Il faut souligner la physionomie politique variée de la minorité de la commission: PDC (Ritter, Darbellay), PBD (Hassler), UDC (Hausammann, Müri, Walter) et les Verts (Schelbert). Dépassant les clivages politiques, ils sont unanimes qu’un accord de libre-échange avec l’UE dans les secteurs vitaux de l’agriculture et de la transformation alimentaire serait fâcheux.
Le 26 septembre 2012, le Conseil national a soutenu par 88 voix contre 78 l’initiative cantonale de Lausanne et a demandé au Conseil fédéral que les négociations avec Bruxelles au sujet d’un accord de libre-échange dans le secteur agroalimentaire soient interrompues immédiatement. Ce verdict comprenait presque tous les partis représentés au Conseil national. En faveur de la rupture des négociations ont voté: PDC: 19 conseillers nationaux, PBD: 5, les Verts: 12, PLR: 7, PS: 5, UDC: 40.

Maintenant c’est le tour du Conseil des Etats

Par la suite le Conseil des Etats devra se prononcer sur cette initiative cantonale. En mars 2012, il avait refusé une proposition similaire du Conseil national tout en soutenant une motion de sa propre Commission de l’économie et des redevances (CER-E) demandant au Conseil fédéral une autre approche des négociations «l’objectif étant que le libre-échange soit instauré par étapes et de manière contrôlée.»
Il faut espérer que jusqu’à la prochaine session les conseillers aux Etats se rendent compte du fait que le contenu des accords bilatéraux avec l’UE n’ont jamais été fixés selon le goût des autorités suisses – il devrait être connu entre-temps que l’UE fixe les règles sans égard pour la place économique suisse. Pour protéger notre agriculture et les entreprises situées avant et après de manière efficace, il n’y a qu’une seule réponse, notamment celle du Conseil national: Rupture immédiate des négociations.

Génie génétique – non merci!

En outre le Conseil national a lancé une motion en faveur de la prolongation du moratoire sur l’utilisation des OGM dans l’agriculture après son expiration, le 27 novembre 2013. Le nombre des signataires est impressionnant: 122 des 200 conseillers nationaux ont signé la motion que le conseil a ensuite adoptée par 123 oui contre 62 non.
Le texte de la motion est le suivant:

«Le Conseil fédéral est chargé de créer les bases légales nécessaires au maintien du moratoire en vigueur, limité dans le temps, sur l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l’agriculture après son expiration, le 27 novembre 2013.»

Extrait du développement de la motion:
«Après le oui très net à l’initiative populaire pour des aliments sans OGM, la population est toujours aussi sceptique à l’endroit du génie génétique. La grande majorité des consommateurs ne souhaitent pas de denrées alimentaires contenant des OGM.
La Confédération a pour mandat constitutionnel de veiller à ce que la production agricole réponde à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché. C’est la qualité qui constitue l’atout de la production agricole suisse sur le marché. […] Une production sans OGM qui a la confiance du consommateur constitue une chance pour les produits de qualité suisses dans la mesure où elle leur assure une position dominante sur le marché – un avantage qu’il serait irresponsable de galvauder.»
Antécédents:
Le 27 novembre 2005, l’interdiction limitée à 5 ans de l’utilisation des OGM (organismes génétiquement modifiés) dans l’agriculture ancrée dans la Constitution entra en vigueur.
A l’époque, l’initiative populaire fédérale «Pour des aliments produits sans manipulations génétiques» lancée par des organismes de défense des consommateurs, des associations pour la protection de l’environnement et des associations de paysans, fut clairement acceptée par 1 112 400 oui (55,7%) contre 896 400 non (44,3%). Aucun des 26 Etats ne la rejeta.
Ce moratoire fut prolongé dans le cadre de la Loi sur le génie génétique (LGG, art. 37a) de trois ans, c’est-à-dire de novembre 2010 à novembre 2013.

Le Conseil fédéral doit respecter les décisions du Parlement et du peuple!

Etant donné qu’il y a 7 ans, le peuple et les Etats se sont prononcés sans équivoque contre la modification génétique de denrées alimentaires portant atteinte à la santé et à l’environnement, l’adoption claire et nette du maintien de l’interdiction par le Conseil national témoigne du respect de la volonté du souverain.
Ce projet sera maintenant également soumis au Conseil des Etats.
Vu la genèse de l’interdiction de l’utilisation des OGM dans la production agricole, il faut clairement rejeter la prise de position du conseiller fédéral Schneider-Ammann. Il accepte la prolongation seulement parce qu’elle lui donne la possibilité de terminer le projet national de recherche (PNR 59) visant l’élaboration d’une réglementation sur la «coexistence permettant l’utilisation des OGM dans l’agriculture». Après avoir déclaré que «le Conseil fédéral est conscient de la complexité de la coexistence», J. Schneider-Ammann explique comment il entend traiter cette complexité: il veut «complémenter la réglementation de la coexistence au niveau des ordonnances», c’est-à-dire sans consultation ni du Parlement ni du peuple. [Mise en évidence par Horizons et débats]
L’exécutif en dominateur de la démocratie directe suisse? – certainement pas! Et ceci bien que les 122 conseillers nationaux aient clairement fixé dans la motion qu’ils ne veulent pas de «coexistence».
Voici un extrait du développement de la motion: «Le moratoire en vigueur sur les OGM ne semble pas avoir occasionné de problèmes particuliers. Les variétés génétiquement modifiées actuellement disponibles et celles qui le seront bientôt n’apporteront aucun avantage économique aux agriculteurs suisses, comme en témoignent les résultats du programme du Fonds national suisse de la recherche scientifique PNR 59.
En outre, dans l’optique actuelle, la coexistence de produits agricoles avec et sans OGM entraînerait des coûts supplémentaires, ce qui irait à l’encontre de l’optimisation des coûts indispensable, si l’on veut que le secteur agro-alimentaire suisse demeure compétitif.»
D’ailleurs, déjà les plus jeunes savent que les graines transportées par le vent et le vol des insectes ne se laissent pas empêcher par une haie entre deux champs. Au lieu de parler de «coexistence» on devrait plutôt parler d’un mélange – si l’on veut être honnête…
Qui est-ce que le chef du Département de l’économie représente? Les multinationales du génie génétique ou la population et l’agriculture suisses?
Extrait de l’avis du Conseil fédéral: «Sous l’angle de la Constitution et de la jurisprudence internationale, un moratoire renouvelé à plusieurs reprises ou fixé à long terme pourrait s’avérer problématique. En revanche, le Conseil fédéral considère qu’une prolongation adéquate du moratoire est néanmoins justifiée, si elle permet au Parlement d’examiner en profondeur les propositions du PNR 59 afin de compléter, au niveau de la loi, la réglementation de la coexistence ainsi que celles pour les régions sans OGM.» [Mise en évidence par Horizons et débats]
Il est urgent de rappeler quelques règles du droit public à Monsieur le conseiller fédéral:
Premièrement, «sous l’angle du droit constitutionnel», il faut tenir compte de l’article 197 al. 7 de la Constitution fédérale qui a été fixé par le législateur constitutionnel:

Art. 197 al. 7 CF

7.    Disposition transitoire ad art. 120 (Génie génétique dans le domaine non humain)

L’agriculture suisse n’utilise pas d’organismes génétiquement modifiés durant les cinq ans qui suivent l’adoption de la présente disposition constitutionnelle. Ne pourront en particulier être importés ni mis en circulation:
a.    les plantes, les parties de plantes et les semences génétiquement modifiées qui peuvent se reproduire et sont destinées à être utilisées dans l’environnement à des fins agricoles, horticoles ou forestières;
b.    les animaux génétiquement modifiés destinés à la production d’aliments et d’autres produits agricoles.

Deuxièment, lieu «sous l’angle de la jurisprudence internationale», il faut mettre en évidence que la Suisse n’en est soumise à aucune: la Constitution fédérale a été promulguée par le souverain – pour nous Suisses c’est elle qui est en vigueur prioritairement.
Troisièment, lieu le Conseil national vient de se prononcer contre la soi-disant coexistence, ce qui veut dire qu’il ne veut pas compléter les règlements respectifs.
Pour certains politiciens, il serait urgent de s’orienter davantage vers notre pays et sa population et de moins loucher sur l’économie mondiale!
Dans le domaine de l’accord agricole avec l’UE et de l’interdiction des OGM, le Conseil national s’est avéré être un représentant du peuple digne de ce nom.    •

Extrait de l’intervention du conseiller national Markus Ritter (PDC, SG):

«Représentant ici la minorité, je vous propose de donner suite à l’initiative cantonale du canton de Vaud (no 12.300). Tous ces débats sur l’ouverture du marché agricole respectivement sur la diminution des protections à l’importation, remontent au cycle de Doha de l’OMC qui a été lancé en 2001. […] Notamment depuis 2008, depuis la crise financière, il est évident que la communauté internationale a d’autres chats à fouetter que d’augmenter la libéralisation. On peut dire à bon droit et haut et fort dans cette salle et à la Nation: le cycle de Doha est mort.
En tant que réponse à un eventuel nouveau cycle de Doha, le Conseil fédéral a entamé, en 2008, des négociations sur un accord de libre-échange dans le secteur agricole avec l’UE, afin de réduire les conséquences du cycle de Doha. A la suite des développements au sein de l’OMC, il s’avère que cette stratégie n’est plus tenable de nos jours. Le Conseil fédéral, dans son message concernant la politique agricole 2014–17 (PA) […], a souligné à juste titre, que le dispositif de la PA 2014–17 partait de l’idée qu’il n’y aura pas d’autres mesures de diminution des protections à l’importation qui entreront en vigueur jusqu’à fin 2017. […] De ce point de vue-là, il n’y a plus de raisons de persister dans les efforts de libre-échange. Tout au contraire, il faut les rejeter de manière conséquente – et donner suite à l’initiative cantonale du canton de Vaud.
Pour être complet, il convient de mentionner que la Confédération perdra beaucoup de recettes fiscales, dû à la diminution des droits de douane, lorsque les accords de libre-échange seront mis en vigueur. Il est question ici de plusieurs centaines de millions de francs. […]
Dans ce contexte, je vous demande de ne pas poursuivre l’accord de libre-échange dans le secteur agroalimentaire et de donner suite à l’initiative cantonale du canton de Vaud – ceci pour la raison qu’il n’y a plus de nécessités sur le plan de la politique extérieure et que ceci n’est ni dans l’intérêt des consommateurs, ni de l’agriculture et certainement pas non plus dans l’intérêt des finances de la Confédération.»

Source: www.admin.ch

(Traduction et mises en évidence par Horizons et débats)