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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°4, 2 fevrier 2009  >  Quels sont les dessous du «conflit du gaz»? [Imprimer]

Quels sont les dessous du «conflit du gaz»?

par Karl Müller

Au cours des dernières années, le gouvernement russe s’est efforcé de freiner l’effondrement que le pays avait subi au cours des années quatre-vingt-dix et de le mener à nouveau vers des horizons encourageants. Cette descente aux enfers ne fut pas le fruit du hasard, mais bien le résultat d’une stratégie des Etats-Unis et des «conseillers» américains tel que Jeffrey Sachs. Naomi Klein en a parlé dans les chapitres consacrés à la Russie de son ouvrage intitulé «Stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre» (publié en français en 2008: ISBN 978-2-7427-7544-6). Le but de cette stratégie était de non seulement de piller les biens matériels de la Russie, mais encore de précipiter le pays politiquement dans un abîme – tout à fait dans le sens de Zbigniew Brzezinski, le conseiller de poli­tique étrangère du nouveau président des Etats-Unis.
Depuis que la Russie a pris son destin en main, on poursuit une campagne contre le pays, menée ouvertement par des cercles américains, mais à laquelle participent des politiciens européens – en Allemagne de façon particulièrement fâcheuse et hypocrite la chancelière actuelle.
Faut-il considérer que le «conflit du gaz» entre la Russie et l’Ukraine, ainsi que les réactions officieuses européennes et américaines font partie de cette campagne?
Il semble bien que cette hypothèse contienne quelque vérité et que le terme «conflit» n’est pas le bon, car il ne s’agissait pas de dispute, mais d’une provocation menée pendant des semaines par le président ukrainien Viktor Iouchtchenko avec en arrière-fond le gouvernement américain.
Ce qu’on sait moins, c’est que le Premier ministre ukrainien, Ioulia Tymochenko, et le Premier ministre russe, Vladimir Putin, s’étaient entendus dans un mémorandum signé le 2 octobre 2008, après des tergi­versations de plusieurs années, que la Russie adapterait dans les 3 années à suivre le prix des livraisons de gaz à l’Ukraine au niveau mondial. (Cf. «Regierungschefs Russlands und der Ukraine unterzeichnen Gasmemorandum», RIA Novosti du 2/10/08, ainsi que, Eric Walberg: «Russia-Ukraine Gas War: Europe’s Winter of Discontent», www.globalresearch.ca du 20/1/09). Il fut, de plus, convenu que l’Ukraine paierait ses dettes provenant des livraisons de gaz russe (http://russland.ru du 24/11/08). Ce nonobstant, l’Ukraine avait cessé, fin novembre 2008, ses paiements pour le remboursement des dettes de livraison de gaz.
Jusqu’à fin 2008, la Russie avait livré du gaz à l’Ukraine, à des prix largement en-dessous de ceux de marché mondial, soit à environ 180 dollars par 1000 m3. Ces derniers temps, la firme Gazprom se vit obligée d’importer elle-même des pays d’Asie centrale le gaz livré à l’Ukraine – et cela au prix de 375 dollars par 1000 m3. Le résultat en avait été que les livraisons russes de gaz à ce pays avaient causé au fournisseur russe, rien qu’en 2008, un déficit de quelques milliards de dollars.
Fin 2008, les accords de fourniture de gaz entre la firme russe Gazprom et les firmes ukrainiennes, toutes deux étant largement étatisées, arrivèrent à échéance. Toutefois, l’Ukraine empêcha la fixation d’un nouveau prix du gaz dans le sens du mémorandum d’octobre 2008, valable dès le 1er janvier 2009, alors même que la Russie avait proposé de ne pas aligner dès le 1er janvier le prix au niveau mondial, mais d’en rester à 250 dollars par 1000 m3.
De ce fait, Gazprom cessa ses livraisons de gaz à l’Ukraine dès le 1er janvier 2009. Ce qui provoqua le fait que l’Ukraine se servit, de façon parfaitement illégale, du gaz des gazoducs de transit pour les autres Etats européens. Ce qui amena la Russie à cesser les livraisons de gaz de transfert.
Comment l’Ukraine en était-elle venue à changer d’avis? Il est vrai que ce pays subit une grave crise économique et qu’il a des difficultés en ce qui concerne les de­vises. Il n’en est pas moins vrai qu’à mi-décembre des représentants du département d’Etat américain rendirent visite à l’Ukraine et au président Iouchtchenko, négociant un traité dit de «Charte pour un partenariat stratégique», signé entre-temps par les mi­nistres des Affaires étrangères des deux pays. On trouve le texte de ce traité sur Internet: russland.ru/rupo10010/morenews.php.
Selon ce traité, les Etats-Unis sont notamment disposés à apporter une aide à l’Ukraine pour «reconstruire» et «moderniser» ses gazoducs. La Russie enregistra ce fait dans un esprit très critique – ce qui se comprend. Le journal russe «Iswestija» estima que les Américains tentaient de s’emparer des gazoducs ukrainiens. Le président de la commission économique parlementaire, Jewgeni Fjodorow, rendit les Etats-Unis responsables de la cessation de livraison de gaz à l’Europe.
Ce même Fjodorow estima, dans une interview accordée le 14 janvier à la radio Echo Moskwy, que «le conflit entre Moscou et Kiev avait une origine commerciale, mais aussi politique, du fait que la révolution orange avait été menée avec pour but de causer des ennuis à la Russie.» De son côté, le président russe, Dimitri Medvedev, posa la question de savoir si les pays européens étaient au courant «que les Etats-Unis, qui n’extraient pas de gaz en Europe ni n’en transfèrent, avaient conclu un accord de transit de gaz» (cf. «Stecken die USA hinter dem Gas-Streit zwischen Russland und der Ukraine?», www.nachdenkseiten.de du 15/1/09).
Il faut savoir que la Russie s’efforce depuis longtemps de pénétrer dans le réseau de gazoducs ukrainien pour y investir et garantir ainsi des livraisons continues à l’Europe; elle a à plusieurs reprises proposé la mise en place d’un consortium international pour l’entretien de ce réseau (cf. RIA Novosti du 6/10/08).
Que faut-il donc penser du fait que le département d’Etat américain se soit montré «inquiet» au début de janvier à propos de l’arrêt des livraisons de gaz russe à l’Ukraine, exigeant des négociations immédiates et estimant que le comportement russe «posait sérieusement la question de l’utilisation de l’énergie comme moyen de pression poli­tique» (www.manager-magazin.de du 2/1/09)? Il y avait eu des négociations avant la visite américaine et aussi avec des résultats.
Malgré les événements précités, c’est grâce à la volonté russe de poursuivre sans cesse les négociations dans cette affaire – en se référant au mémorandum d’octobre – ainsi qu’aux efforts de milieux économiques occidentaux, notamment allemands, qui souhaitent une coopération avec la Russie, qu’un accord a pu être conclu. Mais il y a aussi le fait que le Premier ministre ukrainien est en compétition pour le pouvoir avec son «compagnon» d’alors, devenu président (ainsi s’exprimait le journal autrichien «Der Standard» du 21/1/09). Tymochenko a négocié l’accord avec le Premier mi­nistre russe, alors même que Iouchtchenko parlait d’une défaite catastrophique pour l’Ukraine.
Selon divers sondages, cet homme, qui représente en Ukraine la volonté du gouvernement des Etats-Unis, ne jouit plus que de 3% de voix en sa faveur. De son côté, Tymochenko s’efforce d’attirer dans son camp la grande partie de la population orientée vers la Russie. Ainsi, il faut s’attendre à ce qu’ici aussi le rêve américain fasse long feu.
Le comportement de certains gouvernements européens, ainsi que celui du président de la Commission européenne Barroso et de la chancelière Angela Merkel, laisse rêveur.
Au lieu de s’en tenir à la réalité, elle fit savoir le 16 janvier – juste avant la conclusion de l’accord – lors d’une conférence de presse gouvernementale que la Russie avait «perdu de sa réputation et de sa crédibilité», attribuant la «responsabilité» de cet arrêt de livraison aussi bien à la Russie qu’à l’Ukraine: «Il ressort que les deux Etats ne respectent pas leurs engagements. Voilà le point crucial.»
Entre-temps, un groupe de réflexion du gouvernement, nommé «Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik [Société allemande de politique extérieure] s’interroge sur le comportement futur de l’Union européenne: ne pas trop s’éloigner de la Russie – car ce ne serait pas possible – mais plus diversifier les sources d’approvisionnement en énergie. Pour cela il faut des gazoducs qui contournent la Russie et, qu’on se le dise, «une nouvelle stratégie, en vue de rattacher l’Iran». (Stefan Meister: «Gas-Streit zwischen Russland und der Ukraine. Eine dauerhafte Lösung ist das Ziel» [Le conflit du gaz entre la Russie et l’Ukraine. L’objectif est de trouver une solution durable.] DGAP Standpunkt, janvier 2009).
Il faudra avoir l’œil sur le développement et surveiller les «nouveautés» qui s’an­noncent au Moyen- et Proche-Orient, sur fond d’une éventuelle volonté de la part du gouvernement américain de renforcer les affrontements avec la Russie (tant le conseiller aux Affaires étrangères Brzezinski que l’ancien et nouveau secrétaire d’Etat à la Défense Robert Gates sont connus pour détester la Russie).    •