Quels objectifs pour la Suisse?A propos du «Rapport sur la politique extérieure» du Conseil fédéralpar Marianne Wüthrich, docteur en droitLe Conseil national et le Conseil des Etats ont débattu, lors de la session de printemps 2010, du «Rapport sur la politique extérieure» (RPE)1 du Conseil fédéral et décidé à la majorité d’en «prendre connaissance».2 A la demande du Parlement, le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) avait, en septembre 2009, non seulement présenté son rapport d’activité annuel mais également un texte de 240 pages rendant compte de tout l’éventail des précieuses activités de politique étrangère de la Suisse dans le monde entier. Le DFAE, dirigé par la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey, a mille moyens de contribuer à un monde plus humain et de défendre en même temps les intérêts politiques et économiques de la Suisse. La Suisse profite pleinement de ces possibilités. Il n’y a aucune raison d’abandonner cette politique de notre petit Etat neutre, ami de tous les peuples du monde, et d’aspirer à un rapprochement militaire avec l’OTAN ou à une adhésion à l’UE. Le besoin du DFAE de rapprocher la Suisse souveraine toujours plus de l’UE jusqu’à atteindre l’objectif à long terme de l’adhésion est tout aussi injustifié. Celle-ci entraînerait le renoncement à beaucoup de caractéristiques de la Suisse: la neutralité et les solides structures du fédéralisme et de la démocratie directe. Ce sont ces tendances lisibles dans le RPE qui ont suscité au Parlement quelques remarquables prises de position critiques. Renforcement du droit international humanitaire«La Suisse s’attache traditionnellement à promouvoir et à développer le droit international. C’est une des constantes de sa politique extérieure. Elle y trouve un intérêt particulier, ne pouvant user de son poids politique ou militaire. Elle accorde dans ce contexte une place de premier plan aux droits humains et au droit international humanitaire.» (RPE, p. 138) Coopération au développement – aide à l’autonomieLa DDC et le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) soutiennent la population dans beaucoup de pays en développement grâce à de nombreux projets visant à résoudre des problèmes de développement. D’autres pays industrialisés le font également mais les organisations suisses ont l’habitude, en raison de la démocratie directe, d’aborder les problèmes dans un rapport d’égal à égal avec autrui. On trouvera des exemples impressionnants du travail de la DDC et du SECO dans le magazine Un seul monde publié par la Confédération. Résolution pacifique des conflits: les bons offices de la Suisse, pays neutreUn domaine central de la politique étrangère suisse sont ses efforts en faveur de la paix dans le monde. En tant que petit Etat neutre, la Suisse peut accomplir toutes sortes de missions mieux que les autres acteurs. La neutralité ne profite pas seulement à la Suisse. Au contraire, aujourd’hui tout particulièrement, le monde, avec ses guerres et la misère qu’elles provoquent, a un besoin urgent d’Etats neutres qui ne font partie d’aucune alliance politique ou militaire. La résolution pacifique des conflits correspond en outre à une tradition séculaire au sein de la Confédération et vis-à-vis de l’étranger. Aussi n’est-ce pas un hasard si la Croix-Rouge a été fondée en 1863 à Genève et y a toujours son siège. Seul un petit pays neutre pouvait et peut encore assumer le rôle honorable de principal responsable du CICR car la confiance de tous les gouvernements et groupes de population impliqués était une condition indispensable à des activités humanitaires efficaces. Et le terrain neutre qu’offre notre pays est également précieux pour des rencontres de parties en conflit. Le RPE mentionne plusieurs exemples de bons offices récents. Le dialogue et la médiation pour régler les conflits«Un des grands atouts historiques de la Suisse est sa capacité de dialoguer et de promouvoir le dialogue. Le dialogue s’avère nécessaire pour affronter des situations conflictuelles ainsi que des défis délicats et complexes. La Suisse essaie de créer des alliances en vue de focaliser les efforts sur certaines questions importantes de la sécurité humaine. Le dialogue a été jusqu’à présent un instrument particulièrement utile de la politique étrangère helvétique: il a permis à la Suisse d’obtenir des succès remarquables et de se faire une place au sein de la communauté internationale. Il est devenu l’une des expressions les plus raffinées de la diplomatie. Ces dernières années, la Confédération s’est employée à mettre un terme aux violences dans plusieurs zones de conflit, a contribué à l’accomplissement de plusieurs processus de paix et a inscrit de nouveaux aspects de la sécurité humaine à l’ordre du jour international. La Suisse entend renforcer encore l’instrument du dialogue à l’avenir.» (RPE, p. 123s.) Ainsi, dans le conflit à propos du programme nucléaire de l’Iran, la Suisse entretient depuis 2006 de nombreux contacts avec l’Iran, l’AIEA et les grandes puissances occidentales, et en 2008 elle a réuni toutes les parties autour d’une table à Genève. Offre de bons offices sous leur forme classiqueLa sauvegarde des intérêts d’autres pays est un instrument traditionnel de la politique extérieure de la Suisse. La Suisse représente depuis des décennies les intérêts américains en Iran et à Cuba ainsi que les intérêts cubains aux Etats-Unis. En Iran, son mandat s’étend notamment au suivi de plus de 7000 citoyens américains qui vivent dans le pays. Une longue tradition d’accueil d’organisations internationales«La Suisse possède une longue tradition d’accueil d’organisations internationales. […] Genève, principal siège européen de l’ONU, passe avec New York pour l’un des deux grands centres de la coopération multilatérale.» (RPE, p. 172) Relations économiques et amicales avec tous les peuples du mondeAELE ou OMC?L’Association européenne de libre-échange (AELE) a été créée en 1960 par l’Autriche, le Danemark, la Norvège, le Portugal, la Suède, la Grande-Bretagne et la Suisse. D’autres Etats y ont adhéré par la suite mais la plupart d’entre eux ont adhéré depuis à l’UE. Bien que l’AELE ne compte aujourd’hui plus que 4 membres (Norvège, Islande, Liechtenstein et Suisse), elle a conclu des accords de libre-échange avec 21 Etats et territoires. Les Etats de l’AELE réalisent avec ces partenaires un volume commercial de 489,1 milliards de francs. De nouveaux accords avec d’autres Etats sont constamment préparés et conclus. Place financière suisseSelon le RPE, il n’était pas juste que dans le contexte de la crise financière, la Suisse et ses banques subissent des pressions de différents Etats qui cherchaient de «nouvelles sources de financement» pour leurs économies considérablement endettées. En particulier, le RPE s’élève contre le projet de l’OCDE de placer la Suisse, qui en est membre à part entière, sur une «liste grise» sans la consulter. En réalité, la Suisse a été le premier Etat, en 1997, à promulguer une loi contre le blanchiment d’argent qui contraint les banques à signaler les actifs acquis illégalement. La Loi fédérale de 1981 sur l’entraide internationale en matière pénale (EIMP) permet en outre la collaboration avec d’autres Etats lors de la saisie et de la restitution des valeurs acquises illégalement. Aucun autre pays n’a restitué autant d’argent ayant appartenu à des potentats: Des accords bilatéraux avec l’UE jusqu’au boutL’énumération des nombreux accords bilatéraux avec l’UE qui existent déjà ou doivent encore être négociés dépasserait le cadre de cet article. Plus tard, nous présenterons les projets d’accords qui auraient des conséquences déterminantes pour la Suisse, par exemple celui sur la libéralisation du marché de l’électricité, celui sur le libre-échange agricole ainsi que l’adaptation de la législation suisse sur les substances chimiques à celle de l’UE. En outre, sous le titre de «Consolidation des relations avec l’UE», le Conseil fédéral cherche à imposer un accord cadre entre la Suisse et l’UE qui vise à «améliorer et à rationaliser» l’adoption par la Suisse du droit de l’UE, c’est-à-dire, en clair, pour soumettre encore davantage notre pays au joug dudit droit. En même temps, le DFAE insiste sur le fait que la reprise de l’«acquis communautaire» par la Suisse ne doit pas être automatique car ce serait une atteinte à sa souveraineté. Sinon il ne resterait plus à notre pays que d’adhérer à l’UE: Politique de paix ou participation aux guerres des grandes puissances?La demande de rejet critique un autre aspect fondamental du RPE, c’est-à-dire le fait qu’il accorde trop peu d’importance à la neutralité: «La neutralité, que le Conseil fédéral a la mission constitutionnelle d’appliquer, doit être réaffirmée en tant que pilier de la politique étrangère. Il faut mettre en pratique la non-intervention dans des zones en conflit (Afrique, océan Indien, etc.) fondée sur notre politique de neutralité.» ConclusionDepuis son arrivée au Département des Affaires étrangères, la conseillère fédérale Calmy-Rey a fait beaucoup pour renforcer la politique de neutralité de la Suisse et pour l’utiliser comme un instrument ultramoderne de solution de nombreux problèmes mondiaux. Nous lui recommandons instamment, à elle et à son équipe du DFAE, de réfléchir sérieusement à la question de savoir si la Suisse, petit Etat indépendant, n’a pas suffisamment à contribuer à la paix dans le monde sans marcher aux côtés des grandes puissances. Le renoncement aux engagements dans le cadre du Partenariat pour la Paix (PPP), du Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) et de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) libérerait des sommes qu’elle pourrait consacrer à bon escient au désarmement. 1 Rapport sur la politique extérieure 2009, réf. 09.052, pp. 1–232. www.sinoptic.ch/textes/rapport 2009/2009_DFAE_rapport.politique.etrangere-fr.pdf / Union européenne ou souveraineté du peuple?Extraits de l’intervention du conseiller national Ulrich Schlüer (UDC, ZH) du 4 mars à propos du Rapport sur la politique extérieure du Conseil fédéral 2009:«A propos de l’option UE: Selon le Conseil fédéral, il devient de plus en plus difficile de mener des négociations bilatérales. Mais ce n’est pas vrai. Le problème, c’est que cela ennuie le Conseil fédéral. Il faut continuer des négociations séparées et cela demande des efforts, ce qui est fatigant. Ce serait plus agréable d’en faire partie et de suivre le courant. Mais on est très loin d’un concept quand on répugne a faire des choses ennuyeuses. […] Question du Conseiller national Mario Fehr (PS, ZH) au Conseiller national Geri Müller (Verts, AG) lors du débat du 4 mars:«Une partie importante de ce Rapport concerne nos relations avec l’Europe et la question de savoir quelles suites leur donner. Vous n’en avez pas parlé. Je vous demande donc si oui ou non les Verts sont maintenant pour des négociations d’adhésion et pour l’adhésion?» Réponse de Geri Müller:«Peut-être que le microphone était en panne lors de mon intervention. Il ne s’agit pas ici de savoir si l’on est pour ou contre l’UE. J’ai dit clairement après cet état des lieux qu’il y avait deux possibilités: nous adhérons à l’UE et nous reprenons tout ce qu’elle implique, ou nous menons explicitement une politique de non-adhésion. Cette dernière option signifierait également que la Suisse développe une politique marquée par les particularités et les atouts du pays, mais ce n’est pas une politique contre l’UE. De nombreux parlementaires européens apprécient le fait que la Suisse n’en fasse pas partie car elle est favorable à certaines choses qui n’ont pas été réalisées en Europe, domaines qui pourraient constituer des champs d’expérimentation. C’est cela que j’ai dit.» Luzi Stamm (UDC, AG) à Mario Fehr:«Vous vous énervez à l’idée que maintenant nous sommes dépendants. Vous voulez adhérer à l’UE. Voulez-vous nous faire croire que nous serions moins dépendants si nous étions dans l’UE?» Explications remarquables du Conseil fédéral dans le Rapport sur la politique extérieure 2009 au sujet des relations entre la Suisse et l’Allemagne«C’est avec la République fédérale d’Allemagne que la Suisse entretient les rapports les plus étroits, gage d’une collaboration constructive et durable. La consolidation de ces liens et l’intensité des échanges sont dans l’intérêt des deux parties; ils bénéficient en effet aussi à l’Allemagne. Employeur …Certes, la différence de taille se traduit par une certaine asymétrie, qui s’estompe toutefois à mesure qu’on descend dans le sud de l’Allemagne. Les échanges commerciaux sont par exemple symétriques avec le Bade-Wurtemberg. Dans la Bade du Sud, le rapport s’inverse: plus de 44 000 frontaliers allemands provenant majoritairement de cette région travaillent dans le nord de la Suisse. Dans le district de Waldshut, une personne active sur cinq gagne sa vie dans notre pays. … et pays de prédilection des émigrantsLa Suisse est d’ailleurs devenue le pays de prédilection des émigrants allemands qui sont plus de 31 000 à l’avoir choisie en 2008, ce qui représente la moitié d’une ville comme Lucerne. Il y a maintenant plus de 233 000 ressortissants allemands dans la population résidente étrangère; ils constituent la deuxième colonie étrangère après la communauté italienne, et leur contribution dynamique à l’économie, à la culture et à la science, mais aussi au système de santé suisse est tout à fait bienvenue. Prises de positions inacceptablesCes relations intenses ont été quelque peu perturbées ces derniers temps par le contentieux lié à l’entraide fiscale. Le problème ne provient pas des intérêts parfois divergents des deux pays, mais du ton qu’a pris le débat entre ces deux voisins très proches. Le ministre allemand des finances s’est exprimé à plusieurs reprises de façon inacceptable, et a continué de le faire alors que le Conseil fédéral avait décidé le 13 mars 2009 de reprendre les normes de l’OCDE en matière d’entraide administrative dans le domaine fiscal. Ses propos ont été reçus avec indignation par le gouvernement, le Parlement et la population suisse. La Suisse n’est pas un paradis fiscalNotre pays a clairement manifesté sa position à l’égard de l’Allemagne, publiquement et par les canaux diplomatiques. La Suisse n’est pas un paradis fiscal; elle collabore activement dans ce domaine et a conclu des conventions contre les doubles impositions avec 74 pays, parmi lesquels l’Allemagne – dont elle n’a reçu jusqu’à présent qu’une seule demande d’entraide administrative. Elle a prouvé ses bonnes intentions en concluant avec l’UE des accords sur la fiscalité de l’épargne et la lutte contre la fraude. Cela s’est traduit par un versement à l’Allemagne de 131 millions de francs de produits de la taxation des intérêts en vertu de l’accord sur la fiscalité de l’épargne pour la seule année fiscale 2007. Toute coopération doit être mutuelleLes restrictions imposées par l’Allemagne concernant les approches de l’aéroport de Zurich pèsent aussi sur les relations bilatérales. Cette inégalité de traitement pénalise l’aéroport de Zurich par rapport à ses concurrents de Francfort et de Munich. Les mouvements aériens sont pourtant nettement liés à l’Allemagne, puisque environ 70% d’entre eux sont le fait de compagnies allemandes ou en mains allemandes (Swiss, Lufthansa, Air Berlin, etc.), et que près d’un quart sont à destination ou en provenance d’Allemagne. L’aéroport de Zurich est la principale infrastructure aérienne de Suisse et occupe une place importante dans l’économie helvétique comme dans celle de la région transfrontalière. Source: RPE 2009, pp. 46s. |