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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°21, 31 mai 2010  >  Un homme sans prétention et proche des gens [Imprimer]

Un homme sans prétention et proche des gens

A propos du vernissage de l’exposition du château de Jegenstorf consacrée au général Guisan

thk. Un nombre considérable de personnes s’étaient rassemblées dans le jardin du château de Jegenstorf, chargé d’histoire, pour assister au vernissage de l’exposition1 pour le 50e anniversaire de la disparition du général Henri Guisan. Aujourd’hui encore, un demi-siècle après sa mort, nombreux sont ceux qui s’intéressent aux activités du Général à une époque extrêmement difficile. Il n’y avait pas assez de places assises si bien que la plupart des personnes présentes n’ont pas rechigné à écouter les orateurs debout.
Les intervenants étaient Hermann Weyeneth, président de la Fondation du château de Jegenstorf et ancien conseiller national, Ueli Maurer, conseiller fédéral, et Murielle Schlup, conservatrice du château. Cette cérémonie était la première d’une série de manifestations en l’honneur d’Henri Guisan et en même temps le vernissage officiel de l’exposition sur la vie et les activités du Général au château de Jegenstorf l’accent étant mis sur la période d’octobre 1944 à août 1945 lorsque le Général avait déplacé son quartier-général d’Interlaken à Jegenstorf.
Hermann Weyeneth a ouvert la cérémonie en souhaitant la bienvenue au Conseiller fédéral Maurer et aux invités d’honneur. Il a rendu hommage au grand travail qui a rendu possible cette exposition et le programme qui lui est lié et il a exprimé l’espoir qu’elle attirerait le public nombreux qu’elle mérite. En quelques mots il a tracé le portrait d’Henri Guisan tel qu’il apparaît dans divers ou­vrages historiques et biographiques.
Né en 1943, Weyeneth n’a bien sûr pas de souvenirs du séjour du Général dans le château de Jegenstorf, mais il a des souvenirs de rencontres postérieures, car Guisan est souvent revenu à Jegenstorf lorsqu’il participait aux fêtes nationales de tir, et a évoqué son attachement aux habitants de la petite ville souvent évoqué par les habitants qui ont vécu son séjour au château. Ces liens avec le pays et les gens constituaient un trait fondamental de la personnalité du Général. Le contact spontané et d’égal à égal avec la population est une attitude fondamentale de l’identité suisse.
Dans l’exposé suivant, le conseiller fédéral Maurer a rendu hommage à l’action histo­rique du personnage.
Il était pratiquement le seul à avoir à l’époque autant d’importance pour la population et la question se pose rétrospectivement de savoir quels étaient les traits de sa personnalité pour qu’il soit toujours aussi populaire? «Henri Guisan savait ce qui faisait l’essence de notre pays. Il savait que dans l’histoire de la Confédération, il s’est toujours agi de la liberté et de l’indépendance du pays et des citoyens.» Il a su rassembler les Suisses derrière cette idée et cela lui a permis de donner confiance en eux aux hommes et aux femmes de ce pays et il a reçu de la confiance en retour, confiance dans la possibilité de défendre la liberté contre tout pouvoir supérieur. Pour Maurer, c’est en cela que réside la grandeur du Général.
A la fin de la guerre, le Général a organisé un deuxième «Rapport du Grütli», cette fois au château de Jegenstorf. Un petit extrait de son discours du 19 août 1945, dans lequel il a dressé un bilan, montre combien ses pa­roles sont encore valables de nos jours: «[…] L’imagination est un don assez rare. La majorité de notre peuple ne se demandera pas dans les années à venir, pas plus qu’en 1920, 1930 ou même plus tard, si et comment ce pays pourrait être menacé une nouvelle fois. Ce que nous avons fait avant tout depuis 1933 pour réveiller le pays, pour faire appel à sa conscience et à sa vigilance sera toujours à recommencer.» Ces paroles n’ont rien perdu de leur validité. La prise en compte des problèmes réels comme la crise économique et financière et les menaces contre la collectivité qui en résulteraient, ou des convoitises d’autres nations envers la Suisse n’est facile pour personne. L’affirmation selon la­quelle «nous sommes encerclés d’amis» a son ori­gine dans la mentalité mentionnée ci-dessus.
Une deuxième chose, d’après Maurer, a permis à Guisan de trouver, dans une situation presque sans issue, une solution propre à la Suisse, laquelle a épargné au pays des gros dommages. A ce propos, citons encore le Général: «Certainement, notre peuple se trouvera face à de gros problèmes qui se poseront demain à toutes les nations, auxquels il ne pourra se soustraire. Aussi généraux que soient ces problèmes, nous trouverons toujours une solution suisse. Tout ce que nous avons pu accomplir d’utile et de durable jusqu’à présent est issu de solutions suisses et de la pensée suisse. Elle seront toujours pour nous les meilleures et les plus pertinentes.»
Maintenant que les Etats nations d’Eu­rope ne sont plus menacés par des guerres de conquête de grandes puissances ambi­tieuses comme c’était le cas à l’époque de Guisan, mais par d’autres mécanismes comme la pression économique et politique avec les dépendances qui en découlent, exercée par la dictature supranationale qu’est devenue peu à peu l’UE, la question se pose de plus en plus de savoir si tous les Etats ne devraient pas exiger la restitution de leurs droits nationaux pour développer leur propres solutions démocratiquement légitimées. Quand la politique échoue, il appartient aux citoyens réfléchis de développer des solutions constructives, réalisables, ancrées dans la nation. Continuer de dépendre du FMI, de la Banque mondiale, de l’UE et de l’OMC etc. ne conduira certainement pas à des solutions sensées et adaptées aux peuples concernés. Les déclarations d’Henri Guisan n’ont donc rien perdu de leur actualité, même si la situation est différente aujourd’hui.
Murielle Schlup, co-responsable de l’exposition, a donné quelques dates clés des activités de Guisan au château de Jegenstorf et a attiré l’attention sur les objets exposés. A part quelques photographies, propriété de la Fondation Château de Jegenstorf, toutes les pièces de l’exposition sont des prêts privés ou publics.
«Le 19 août 1945 a eu lieu dans ce jardin, a déclaré Murielle Schlup, le dernier rapport de l’armée». Le Général a pris congé de ses officiers dans un assez long discours. C’était la fin officielle du service actif».
Dans une lettre d’adieu personnelle adressée au Conseil communal de Jegenstorf, le Général fait savoir combien il s’est senti à l’aise à cet endroit:
«Dans les murs de ce château spacieux idéalement situé, j’ai trouvé toutes les conditions essentielles pour remplir mes devoirs de commandant en chef de l’armée: le calme et l’indépen­dance, de même que la possibilité de travailler sans être dérangé. […] Ayant été […] agriculteur, toujours ancré dans la terre, je me suis senti à l’aise dans cet endroit et j’ai pu apprécier l’attachement et l’amitié de la population. Mes officiers, sous-officiers et soldats qui ont eu comme moi l’occasion de faire leur service dans votre beau village ont emporté de chers et beaux souvenir du pays et des gens.»
Lorsqu’on entre dans le château on peut se replonger, dans quatre pièces, dans l’ambi­ance de la Seconde Guerre mondiale. Dans l’une d’entre elles, on peut voir des documents filmés du Ciné-journal suisse produits alors une fois par semaine. Il apportait une vision différente de celle de la Wochen­schau de l’Allemagne nazie et a contribué de ma­nière importante à la relation de confiance entre l’armée et la population.
Dans la deuxième pièce du rez-de-chaussée, on trouve avant tout des photos et des documents écrits qui montrent le lien étroit de Guisan avec le pays et les gens. Deux autres pièces se trouvent au deuxième étage, avant tout la chambre à coucher et le bureau du Général. Est exposé aussi un lit de camp auquel est attachée la légende selon laquelle le Général y aurait dormi pendant son séjour au château. On montre aussi son uniforme complet et d’autres objets personnels. C’est depuis son bureau, qui a également été reconstitué, que le Général a annoncé en avril 1945, devant les caméras du Ciné-journal suisse: «La fin de la guerre approche, mais le mot d’ordre reste: vigilance!»
Le vernissage de l’exposition a marqué le début d’une exposition digne sur un homme digne et sur un chapitre décisif de l’his­toire de la Suisse. Notre petit pays a réussi à sauvegarder sa liberté et son indépendance dans une période extrêmement difficile où il était encerclé par un monstre militaire qui a fait des millions de morts et soumis presque une douzaine d’Etats. Ce fait historique impressionne encore aujourd’hui et doit servir d’exemple pour les générations futures lorsqu’on leur transmet les valeurs fondamentales suisses d’indépendance, de liberté et d’égalité. L’exposition et le programme qui s’y rattache y contribue de façon importante et offre aux enseignants et aux élèves la possibilité, lors de sorties de classes, de prendre conscience d’une période importante de l’histoire de la Suisse.     •

Puis la guerre éclata, et un colonel commandant de corps apprécié du pays de Vaud, qui jusque-là ne s’était pas fait remarquer comme un génie militaire, s’avéra être le meilleur candidat à un des postes les plus élevés que la Confédération pouvait offrir.
C’est seulement en cas de guerre que l’on désigne un général. Cas unique en Occident, ce n’est pas le gouvernement qui nomme le commandant en chef inter-armes mais le Parlement qui l’élit. Possédant la même légitimité démocratique que le Conseil fédéral, il peut devenir un dictateur à terme en temps de guerre.
Guisan n’a pas abusé de son pouvoir. S’il y a une chose qui exprime la magie de sa personnalité, c’est bien le fait qu’un tel abus de pouvoir ne lui serait même pas venu à l’idée. Il n’était pas un dominateur sans scrupules; il a frayé son chemin avec efficacité mais avec classe. Peut-être parce qu’il est devenu, à l’été 1940, une sorte d’incarnation de la con­science collective de la Suisse. Avec ob­stination: Ce qu’il fallait alors, c’était un homme qui ne s’imaginait pas qu’il allait pouvoir faire l’histoire. Et c’est pourquoi il l’a faite. Il s’est laissé porter, par un pays qui, à vrai dire, ne se laisse pas mener.

Source: Markus Somm, General Guisan.
Widerstand nach Schweizerart. (p. 11)

Lorsque Guisan, jeune homme, fit uns stage au domaine du colonel von Wattenwyl à Oberdiessbach, il s’asseyait le soir sur un banc devant l’étable pour veiller sur les vaches. A côté de lui étaient assis les valets: «On fumait la pipe et on bavardait», se souvient Gustav Adolf Vogt qui travaillait à l’époque comme trayeur à la ferme. «Tout le monde était heureux lorsqu’il est venu.» Il nous écoutait. De temps en temps, il disait quelque chose en dialecte bernois. Pour dormir, Guisan retournait au petit château du domaine où le Colonel lui avait aménagé une chambre.

Source: Markus Somm, General Guisan. Widerstand nach Schweizerart. (p. 196)

Alors Henry Vallotton, président du Conseil national, lui adressa la parole:
«Dites à l’armée, mon Général, que l’Assemblée fédérale, la nation et les cantons lui accordent toute leur confiance. Du Général jusqu’au plus jeune soldat, ils sont tous prêts à sacrifier leur vie pour sauvegarder l’indépendance, la neutralité et la liberté. Mais dites aussi à l’armée qu’elle n’est pas seule, que tous les Suisses, les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, les vivants et les morts, que tous veillent avec elle aux frontières. Nous vous confions, mon Général, la protection de notre patrie que nous aimons de toutes nos forces, que nous n’abandonnerons jamais, sous aucun prétexte, à un agresseur, de quelque côté qu’il vi­enne. Dieu bénisse votre tâche, mon Général. Que Dieu bénisse notre pays et notre armée.» Et on a applaudi.

Source: Markus Somm, General Guisan. Widerstand nach Schweizerart. (p. 33)

Après avoir exprimé pour la pre mière fois en 1940 ce que la plupart des Suisses éprouvaient et pensaient, il est devenu un général populaire que l’on pouvait rencontrer partout: lors de matches de football, de services religieux, de com-
mémorations, de fêtes fédérales de tir, de courses de ski, aux foires-exposi-
tions, aux championnats de l’armée et lors de manoeuvres. […] Au fond, il s’est révélé le politicien le plus naturel que la Suisse ait jamais eu.

Source: Markus Somm, General Guisan. Widerstand nach Schweizerart. (p. 11)

Guisan a incarné les valeurs de l’Occident: le respect des hommes et de leur liberté. En s’opposant à la discipline prussienne de son rival Wille, il a pris position en faveur de l’Occident sans avoir besoin de le souligner. Il était du bon côté et l’on s’en rendait compte.

Source: Markus Somm, General Guisan. Widerstand nach Schweizerart. (p. 199)