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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°39, 12 octobre 2009  >  Etre humain ou esclave, République ou Empire? [Imprimer]

Etre humain ou esclave, République ou Empire?

Du Saint-Empire romain germanique au «meilleur des mondes» du nouvel ordre mondial

par Jürgen Elsässer*

En s’inspirant d’un célèbre «bon mot», on pourrait dire: Les Suisses sont de Vénus et le reste des Européens de Mars. Vénus, la planète de l’amour. Cela me fait penser à une anecdote contée par une juriste suisse qui disait: «Nous autres Suisses, nous avons aussi des conflits.» Et de rappeler le dernier conflit important, la «Guerre du Sonderbund», en 1800 et des poussières, qui a fait cent morts. Eh bien, pourrait-on se dire dans le reste de l’Europe, quel beau pays que la Suisse. On aimerait bien s’envoler vers cette heureuse planète.

Berlin, capitale des teufs

Ce n’est pas de Suisse que je vous parle, mais de l’Empire. Peut-être pas exactement du cerveau du monstre, pour parler comme Che Guevara, mais plutôt du rectum de l’Empire, la capitale européenne des teufs, comme le dit notre maire en exercice, qui fait de la réclame pour notre ville «pauvre, mais sexy». Ce Berlin-là est effectivement l’un des grands laboratoires du nouvel ordre mondial, où s’élabore ce que l’on aurait peine à définir comme l’homme nouveau. Car le spectacle live que nous offre Berlin, c’est le collapsus social et la perte de ce que la société a d’humain.
La Suisse en revanche est une société intacte où l’on se respecte mutuellement, où les sentiments existent encore et où l’on s’aborde sur un pied d’égalité. Mais Berlin, est un marécage où l’humain s’enlise. L’évolution actuelle de Berlin a aussi des causes historiques. La ville a grandi beaucoup trop vite. D’autres capitales européennes ont eu des siècles pour grandir. Berlin a été projetée de l’ère bismarckienne dans l’âge impérialiste, est devenue ensuite en un instant la capitale de l’horreur nazie et tout cela avait développé une mentalité très particulière, bien longtemps avant l’avènement du nouvel ordre mondial. Vous connaissez peut-être cette histoire déjà ancienne: un Berlinois à Vienne. Il cherche la grande roue et dans la rue demande à un Viennois sur un ton assez bourru et sans même dire bonjour: «Mais où est donc le Prater?» Le Viennois rétorque: «Dites voir, vous ne pourriez pas être un peu plus poli?» Et le Berlinois de répondre «Je préfère me perdre!»
Telle est donc la mentalité berlinoise, depuis longtemps déjà. Les gens les plus aimables et les plus polis de Berlin sont les Turcs, peut-être pas tous, en tout cas les commerçants turcs. Mais le Berlinois normal, la grande gueule berlinoise type, tire sur tout ce qui bouge, sa bouche est une véritable mitraillette. Et cette mentalité grossière pré­existante, qui était là depuis toujours, a été maintenant aspirée par la psychologie de masse, cette pompe du nouvel ordre économique mondial. Et cette pompe c’est l’hyper-individualisme. Capitale des teufs du continent. A Berlin on ne travaille plus. A Berlin il n’y a plus d’industrie. Les revenus de Berlin proviennent pour l’essentiel de l’industrie de la teuf. Concrètement, les vols d’Easy Jet et autres compagnies du même type emmènent à Berlin pour une nuit ou un week-end toute la jeunesse espagnole ou grecque en mal de divertissements où ils feront la fête dans tous les clubs et laisseront derrière eux un sillage de dévastation. Voilà l’une des principales sources de revenus de Berlin.
L’idéologie qui caractérise la ville n’est que la fétichisation d’un individualisme déchaîné. A l’inverse tout sens du collectif, de la convivialité, est objet de mépris. On commence par la famille. La famille, c’est «ringard». La famille, c’est la cellule de base du fascisme. On continue par les associations, les associations de tir sur cible sont des pépinières de coureurs d’amok.1 Les tables d’habitués ne sont que des réunions entre hommes à caractère fascisant. Les Eglises et les religions: très mauvais, chasse aux sorcières, Inquisition, tout le monde sait ça. Et la nation et le peuple? Nation = nationalisme = fascisme, c’est ce que vous dira tout de suite à Berlin même un ado de niveau PISA [système d’évaluation du niveau de connaissances acquises en fin d’obligation scolaire par l’OCDE, ndt.].
Toutes ces formes de collectifs sont vouées au mépris ou suspectes de fascisme. Sur ce fond rayonne l’individu, qui doit se réaliser sous toute forme. Le point de fuite de cette évolution, c’est l’individu atomisé, isolé face au marché tout-puissant. Parce que toutes les formes de socialisation, de communauté ont été détruites. Et le seul partenaire qui reste à l’individu isolé c’est l’ordinateur, l’Internet. C’est là qu’on se récrée, là qu’on vit sa sexu­alité, de là qu’on tire son information. Et de l’autre côté de l’écran se trouve Big Brother pour vous donner tout ce qu’il vous faut.

«Le meilleur des mondes» de Huxley

C’est une telle évolution qu’a fort bien décrite, il y a 70 ou 80 ans déjà, me semble-t-il, Aldous Huxley dans son ouvrage «Le meilleur des mondes». Et je l’ai à mon tour utilisé et intégré dans mon propre livre «Nationalstaat und Globalisierung» [Etat-nation et mondialisation]. J’y écrivais à propos du «meilleur des mondes» de Huxley:
«Le nouvel ordre a apporté la paix. On a aboli le parlementarisme et la démocratie, introduit la reproduction humaine artificielle, régulé les pulsions par l’hypnose, garanti le luxe et le bien-être aux castes dominantes des Alphas et Bêtas, le plein emploi et la satisfaction aux castes qui triment des Deltas et Epsilons, la liberté sexuelle, le ‹cinéma sentant› et le Soma-Ecstasy euphorisant à tous. Une douce mort par euthanasie attend les vieillards.»
Le mot à mot de Huxley: «Le monde est stable, à présent. Les gens sont heureux; ils obtiennent ce qu’ils veulent et ils ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent obtenir. Ils sont à l’aise; ils sont en sécurité; ils ne sont jamais malades; ils n’ont pas peur de la mort; ils sont dans une sereine ignorance de la passion et de la vieillesse; ils ne sont encombrés de nul père et mère; ils n’ont pas d’épouse, pas d’enfants, pas d’amants qui pourraient leur causer des émotions violentes; ils sont conditionnés de telle sorte que, pratiquement, ils ne peuvent s’empêcher de se conduire comme ils le doivent.» (Traduction: Jules Castier, Editions Presses Pocket)
C’était la vision prophétique d’Aldous Huxley dans «Le meilleur des mondes». Comment en sommes-nous arrivés là, à ce «meilleur des mondes»? Le monde avait été auparavant ébranlé par une grave crise économique mondiale et des attaques terroristes à l’anthrax suivies de neuf années de guerre.
Huxley écrit: «La Guerre de Neuf ans, le Grand effondrement économique, il y avait le choix entre l’Administration mondiale et la destruction. (…) Le libéralisme2 avait péri sous l’anthrax.» (Traduction: idem) Ce qui veut dire: dans «l’anti-utopie» de Huxley, l’Administration mondiale, donc le gouvernement planétaire, est l’étape préliminaire à la «mise aux normes» de l’espèce humaine. Et pour établir cette Administration, ce gouvernement planétaire, il faut d’abord anéantir les Etats-nations et les républiques. C’est un point central, en matière d’anéantissement de la convivialité et de toutes les formes de vie communautaire ou sociale: l’ennemi n° 1, pour les protagonistes du Nouvel ordre mondial, c’est l’Etat-nation, parce qu’il fournit le cadre institutionnel pour les formes moins vastes de convivialité. L’Etat-nation protège la famille, encourage le mariage et la famille. L’Etat-nation veille à l’éducation populaire, à ce que les élèves issus de toutes les classes et couches sociales bénéficient au moins pendant quelques années du même enseignement, au bon usage de la langue, à encourager une certaine forme de sexualité. Et ainsi l’Etat-nation encourage un processus dans lequel l’être humain n’est pas tout seul, mais peut se développer par l’échange avec les autres, et c’est le seul moyen de faire naître des capacités humaines, des émotions humaines.
Mais cet Etat-nation est en danger dans le monde entier depuis le 11 septembre 2001, depuis qu’une attaque terroriste comme chez Huxley – mais pas à l’anthrax, ce sont d’autres moyens qui ont été mis en œuvre – a ébranlé le monde. Et maintenant nous sommes en pleine crise économique et en pleine discussion: ne devrait-on pas abolir toutes ces petites républiques avec tous leurs nationa­lismes et tous leurs atavismes, les abolir au profit d’une «Administration» que les grands de ce monde, au moyen d’une «bonne gouvernance» feraient fonctionner à notre place à nous, les citoyens.

Les Fugger, la mort et le diable

Le moteur de cette évolution, c’est le capitalisme financier international. Quand je discute avec des gens et leur dis que je crains l’émergence, dans l’Union européenne, d’une sorte de «quatrième Reich», et que les gens secouent la tête d’un air incrédule et disent «Tu ne crois tout de même pas que le ‹Troisième Reich› puisse revenir?», je leur réponds: Quand je parle de «quatrième Reich», ce n’est pas au «Troisième Reich» que je pense, mais au premier, l’Empire romain germanique du Moyen-Age.»
Ce que nous vivons en ce moment, c’est un retour au Moyen-Age. L’Empire allemand d’origine, le «Saint-Empire romain germa­nique», n’était pas comme sous les nazis une puissance centralisée à commande unique, au sein de laquelle la SS régnait de l’Atlantique à l’Oural. Cela, c’était le «Troisième Reich». Le premier, le «Saint-Empire romain germanique», était, lui, un magma informe, qui s’étendait de la Baltique à la Sicile, au moins dans ses meilleurs moments, mais jamais ce ne fut une entité unifiée; il n’y avait pas de capitale. On ne peut non plus parler d’un «Empire de nation allemande» car c’était un Etat pluriethnique, il était en définitive déchiré entre divers peuples, qui parlaient des langues différentes, étaient soumis à diverses dynasties, et dans cet Empire les rapports de force et les fronts communs ont constam­ment fluctué.
Au début, ce premier Empire ne fonctionnait pas si mal. Aux dixième, onzième, douzième et peut-être encore treizième siècles il a poursuivi un certain développement, on parle même de «l’âge d’or médiéval». Mais la structure est entrée en crise vers le quinzième-seizième siècles, avec l’apparition du capital financier. Et là tout échappe au contrôle.
Le capital financier, dans le «Saint-Empire romain germanique», tourne autour de la maison Fugger. Ceux-ci, originaires d’Augsbourg, originairement propriétaires de manufacture, vendeurs et producteurs de textiles, parviennent, avec l’aide de la grande puissance commerciale qu’était Venise et grâce à de bonnes relations avec le Vatican à devenir un trust de la finance. Le premier pas fut la colonisation du Tyrol, la mainmise sur les ressources minières tyroliennes, les métaux précieux, et puis en route pour la Hongrie. Et les Fugger utilisent ces richesses minières pour créer un monopole de la monnaie et faire une politique monétaire et, sur cette base, devenir les banquiers des empereurs allemands. Les empereurs d’alors, tout spécialement Maximilien Premier et Charles Quint, sont arrivés à ce siège3 uniquement grâce aux milliards des Fugger. Les Fugger se sont payé les empereurs. Et c’est alors que commence l’expansion de l’Empire germanique, alors gouverné par les Habsbourg, en direction de l’Espagne. Et grâce à une politique de mariages naît la lignée des Habsbourg d’Espagne. Et les besoins d’argent ou l’argent qu’il faut rendre aux Fugger contraint les empereurs à passer sur l’autre continent, l’Amérique du Sud. C’est à cette pé­riode que l’empereur allemand a pu dire: «Sur mon Empire le soleil ne se couche jamais.» Ensuite commencera l’un des plus effroyables chapitres de l’histoire de l’humanité, le pillage de l’Amérique latine. Ce sont les Espagnols qui ont été responsables du carnage, dit-on toujours. Mais derrière il y avait les Fugger. Car les Espagnols devaient fournir des richesses aux Habsbourg, pour que ceux-ci puissent rembourser les Fugger. Ce qui signifie que le véritable ressort de cette expansion était la prise de pouvoir du capital financier dans l’Empire romain germanique de l’époque.

Pirates et Confédérés

Pour terminer, cette évolution est l’une des causes des schismes et guerres de religion. Car qu’est-ce qui a déclenché le schisme, qu’est-ce qui a donné son impulsion à Luther? Il y avait eu avant lui bien des réformateurs qui n’avaient pas eu pareil succès. Mais si Luther a eu des masses de partisans, c’est à cause de l’indignation que provoquait chez les petites gens le trafic des indulgences: Tetzel, l’envoyé du pape, passait de ville en ville et vendait des indulgences qui permettaient en quelque sorte aux gens de racheter leurs péchés ad aeternum, en donnant de l’argent au pape. Mais qui a organisé ce trafic? C’était la banque d’investissements Fugger. C’était en fait une idée géniale – sur le plan des affaires – des Fugger. Et cette idée a poussé le pays et l’Empire tout entier à la révolte. Et donc a contribué à déclencher les guerres de religion.
Revenons au pillage des Amériques, au massacre des Incas et des Aztèques: l’or ainsi arraché a été emporté en Espagne. Mais là un nouveau rival entre dans le jeu, la puissance maritime montante anglaise. En effet, les Anglais abordent les caravelles espagnoles chargées d’or. Aujourd’hui, au cinéma, nous allons voir des films comme «Pirates des Caraïbes» avec Johnny Depp, et nous croyons que ce sont de simples aventures de mauvais garçons. Ces pirates n’étaient cependant pas de petits délinquants, mais des instruments de la politique de grande puissance menée par les Anglais.
Sir Francis Drake, le pirate de Sa Gracieuse Majesté, a attaqué des navires espagnols sur son ordre et à l’insu du Parlement britannique. L’or, que les Fugger vou­laient pour eux, a ainsi fini par atterrir en Angle­terre, à Londres. Ce processus a causé l’effondrement de l’empire planétaire espagnol, entraînant celui de l’empire Fugger, et a permis l’ascension de la nouvelle puissance mondiale, l’Angleterre, plus tard Grande-Bretagne. La première chose que fera cette puissance de son capital, de l’argent volé en mer, ce sera d’étendre son domaine commercial: on affrète davantage de bateaux, et le business acquiert une nouvelle base, plus aussi primitive que celle des Espagnols: on démarre la traite esclavagiste. Des esclaves, achetés en grand nombre en Afrique, en­tassés dans des bateaux et transportés aux colonies – pour le plus grand bien de l’Angleterre et avec d’énormes profits à la clé.
Et à cette époque, comme s’opposent d’une part les Habsbourg plus les Espagnols plus le Vatican et d’autre part la nouvelle puissance ascendante, l’Angleterre ou Grande-Bre­tagne, à cette époque donc ont lieu les plus effroyables guerres européennes: les guerres de religion. La guerre de Trente ans, en Alle­magne, fait périr un tiers de la population; en Angleterre, les souverains anglicans font la guerre aux Ecossais et aux Irlandais; en France on n’arrête pas de se battre. Un observateur superficiel voit dans toutes ces guerres des guerres de religion; mais ce sont les puissances financières rivales qui tirent les ficelles.
A cette sanglante époque, où l’âge d’or médiéval se transforme en période noire, à cette époque, la Confédération conquiert son indépendance et fonde une république démocratique. C’est une avancée historique. Et ce que nous vivons aujourd’hui, c’est une tentative d’anéantir cette avancée historique. Un retour au Moyen-Age, pour soumettre à nouveau tout le continent au pouvoir du capital financier, de structure impériale. Il faut noter qu’à la fin du Moyen-Age c’est tout l’Empire qui se délite, car la Suisse n’est pas seule à faire sécession, les Pays-Bas, alors possession des Habsbourg d’Espagne, deviennent indépendants. Mais sitôt l’indépendance acquise, les Pays-Bas espagnols se jettent eux-mêmes dans l’impérialisme. Seule la Suisse se dégage de la féodalité sans verser aussitôt dans le colonialisme et l’impérialisme. C’est une évolution tellement unique qu’elle mériterait d’être mieux reconnue.

Les monstres bancaires

Les Fugger, Charles Quint, l’or des Amériques, Francis Drake – le résultat des courses, c’est: l’or des Incas et des Aztèques est désormais à Londres et permet la fondation de la Bank of England. Cette banque est le prototype même d’un établissement bancaire très dangereux, toujours présent de nos jours: une banque nationale, mais à fonds privés, qui fonctionne comme une banque d’Etat et prête de l’argent à l’Etat. Cela signifie que l’Etat doit toujours s’adresser à cette Bank of England, banque privée, pour obtenir des fonds et qu’il est perpétuellement le débiteur des personnes privées qui sont propriétaires de la banque portant le beau nom de Bank of England.
C’est exactement sur ce modèle – banque nationale de nom, dans les faits banque privée – qu’a été fondée à la veille de la Première Guerre mondiale la banque monétaire des USA, la Federal Reserve. Et ces deux banques, la Bank of England et la Fed, restent à ce jour les institutions qui se sont emparées de tout un système monétaire et de ce fait sont à même de fabriquer et de prêter de l’argent hors de tout contrôle.
Je pourrais maintenant parler durant des heures de l’évolution du capitalisme financier. Mais j’écris aussi des livres,** et donc je ne vous raconterai que la fin de l’histoire. Elle date de l’après-11-Septembre, lorsque la Federal Reserve s’est mise à émettre des quantités astronomiques de monnaie. Entre le 11 septembre 2001 et l’année 2005, elle a mis en circulation aux USA plus de nouveaux dollars que durant les 200 années précédentes. On ne connaît les chiffres que jusqu’en 2005, car ensuite l’administration Bush a cessé de publier les chiffres.
Au cours des 15 derniers mois, selon des calculs non officiels, les dettes des ménages, firmes, banques privées et de l’Etat – donc l’endettement total de tous les secteurs de l’économie – est passé de 50 à 60 billions de dollars. Je parle, non de billions américains, mais européens. Donc, l’endettement américain s’élève au total à 60 billions de dollars, et les dix derniers datent des 15 derniers mois. 60 billions de dollars, ça fait 60 000 milliards de dollars. Ces dettes sont financées par du papier-monnaie ou des à-valoir électro­niques, créés par ces monstres bancaires privés et ne disposant d’aucune contre-valeur dans l’économie réelle. En fait l’inflation en dollars est telle qu’il faut s’étonner de voir quiconque accepter encore cette monnaie de singe.
Cette absurdité a pourtant un motif plausible: l’administration états-unienne, à la différence de tout autre Etat débiteur, peut promettre à tous les investisseurs en dollars de contraindre par la force des armes, n’importe quand et n’importe où, n’importe qui à échanger contre des marchandises ces chiffons de papier sans valeur. En parvenant à établir son contrôle sur l’Irak, détenteur des secondes réserves de pétrole mondiales, elle a fait la preuve de sa solvabilité sur tous les marchés de crédit. Mais à l’inverse, plus la situation à Bagdad devient instable, et plus les créanciers deviennent nerveux.
Plus les USA s’enfoncent dans le rouge et plus l’arnaque de l’émission monétaire de­vient évidente, plus les USA doivent désespérément tenter de compenser leurs insuffisances économiques par des succès militaires. Et plus grande se fait la tendance à briser tous les Etats-nations encore debout et intacts, tels que la Suisse, pour y pomper là aussi les dernières ressources afin de les jeter dans la spirale de l’endettement pour en boucher les trous. Cela signifie que, plus l’endettement et plus la cupidité du capitalisme financier s’accroissent, plus la tendance à la guerre se renforce, et plus nous devons craindre un retour au Moyen-Age.     •

1    amok: dérèglement psychique où le malade tue tout ce qu’il rencontre sur son passage, ndt.
2    libéralisme: au sens américain de «démocratie», exercice de la citoyenneté, ndt.
3    Les empereurs germaniques étaient élus par un collège d’électeurs, en partie laïcs, en partie ecclésiastiques, ndt.
(Traduit par Michèle Mialane. Edité par Fausto
Giudice, www.tlaxcala.es)

*Exposé tenu lors du congrès «Mut zur Ethik» qui avait pour thème «Souveraineté du peuple ou impérialisme – Qu’est-ce qu’une authentique démocratie?» et qui a eu lieu du 4 au 6 septembre à Feldkirch (Vorarlberg/Autriche).

**Cette conférence s’inspire des deux derniers ouvrages du conférencier: Jürgen Elsässer (éditeur): «Gegen Finanzdiktatur. Die Volksinitiative − Grundsätze, Konzepte, Ziele» [Contre la dictature de la finance. L’initiative populaire – Principes, concepts, objectifs ] (Editions Kai Homilius, juillet 2009) et Jürgen Elsässer, «Nationalstaat und Globalisierung» [Etat-nation et mondialisation] (Editions Manuscriptum, avril 2009)