Les pensées utopiques dans les groupes de réseaux latino-américains à Genèvepar Emmanuel Broillet, PhD en anthropologie*bk. Emmanuel Broillet, anthropologue genevois, a, après des recherches sur le terrain en Mélanésie et en Amérique centrale, mené une étude scientifique d’une grande actualité sur des groupes d’immigrés d’Amérique latine à Genève qu’il va présenter comme thèse d’habilitation à l’Université de Fribourg. D’une part, il aborde la question de l’intégration de ces groupes d’immigrés dans leur nouvelle «patrie». D’autre part, il se demande quels trésors culturels ces immigrés ont conservés de leur pays d’origine malgré un exil forcé. Il appelle cela leurs «pensées utopiques», pensées que 500 ans d’une féroce colonisation n’ont pas pu détruire complètement et qui se manifestent aujourd’hui dans les mouvements d’émancipation politique d’Amérique latine. La rédaction d’«Horizons et débats» est heureuse de pouvoir publier les résultats de cette précieuse recherche et d’apporter ainsi une contribution scientifique au développement de la compréhension et du dialogue interculturels en montrant l’importance de la culture d’Amérique latine. Libérer l’histoire de sa dépendance du colonialismeLa chronique des autochtones latino-américains fait abstraction des dates et des faits répertoriés. Appliquées à leurs histoires, la vision et l’acceptation de leur indianisme leur permettent d’investir ces zones impénétrables du silence. C’est en cela que leur littérature est historique. Leur vision de l’indianisme, qu’ils ont placé comme centre de créativité, leur permet de reconsidérer leur existence, d’y voir les mécanismes de l’aliénation et d’en percevoir surtout les beautés. Cette vision les renvoie à la sollicitation de leur chaos historique. Grâce à elle, ils reviennent au magma qui les caractérise. Elle les libère aussi du militantisme littéraire anticolonialiste, si bien que lorsqu’ils se recherchent, ce n’est plus une idéologie à appliquer, mais le désir de se reconnaître eux-mêmes dans leurs tares et dans leurs écorces. La connaissance des langues: «une force de l’expressivité»La première richesse des membres des groupes de réseaux latino-américains est de posséder plusieurs langues: la langue vernaculaire de départ; ensuite, l’anglais, l’espagnol et/ou le portugais, comme langues de colonisation; et, maintenant, le français comme langue d’adoption à Genève. Ces langues sont donc une des forces de leur expressivité, ainsi que l’a démontré l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez (Prix Nobel 1982) qui, à partir d’elles, a su initier une poésie en rupture complète avec celle qui avait cours jusqu’alors, mariant la revendication politique la plus extrême à l’assomption d’une poétique enracinée. Aujourd’hui, l’antidote de l’ancestrale domination qui les accable est le langage qui, lui, peut exprimer ce que sont les indigènes latino-américains, leur présence en ce monde et leur enracinement. Se libérer de l’alignement sur les valeurs des colonisateursUne des entraves à la créativité latino-américaine est le souci obsessionnel de l’universel. C’est le syndrome du colonisé; ce dernier craint de n’être que cette personne dévalorisée, tout en étant honteux de vouloir être ce qu’est son maître. Il accepte donc – comme suprême subtilité – de considérer les valeurs de ce dernier comme les références du monde idéal. D’où l’extériorité des Latino-américains et d’où leur naufrage esthétique. Mais la littérature latino-américaine se moque de l’universel, de cet alignement factice sur les valeurs occidentales. Les autochtones veulent approfondir leur indianisme en pleine conscience du monde. En peu de mots, ils veulent donc penser le monde. Cette «pensée complexe», voir «utopique», peut et doit les y aider car, tout se trouvant mis en relation avec tout, leur vision s’élargit inexorablement. Echanges internationaux et renforcement de l’identité indigèneLe Pérou, la Bolivie, l’Equateur, le Guatemala et le Mexique, pour ne citer que quelques exemples, sont cinq pays considérés comme des fers de lance des mouvements indigènes. Ils ont, en effet, des contacts intimes avec d’autres mouvements appartenant aux nations démocratiques. Pendant ces recherches, je vais donc examiner la formation de la communauté transnationale au sein du modèle économique et politique dominant et globalisant. La concentration des minorités ethniques dans les pays d’Amérique latine, qui ont été des colonies espagnoles ou portugaises (le Brésil), et les définitions de la différence et du développement, favorisent les agendas internationaux. L’élargissement des opérations et la force des mouvements sociaux indigènes et des organisations politiques parlent en faveur des processus de trans-nationalisation et des idées politiques concernant l’identité indigène. En réalité, on ne peut plus dire que los Indios représentent des groupes socio-économiques isolés. Au contraire, la rhétorique d’un autochtone transnational permet à ce dernier de s’impliquer dans les échanges internationaux aux niveaux des personnes, idées, conférences, communication électronique et autres sources d’information. Débouchés des recherches: réponses et réactions de la diaspora latino-américaine face au développement contemporainA propos du choix du sujet et des débouchés des recherches, cette étude explore les relations négociées entre les acteurs nationaux, les Suisses – dont le but est de se conduire avec respect envers les «autres», d’intégrer la population immigrante et de défendre les intérêts nationaux, ethniques ou religieux – et les membres des groupes de réseaux latino-américains. Le principal intérêt de ces recherches concerne la manière dont la diaspora latino-américaine répond et réagit face au développement contemporain. Il semble correct de suggérer que cette diaspora est différente des autres communautés transnationales établies à Genève, en termes de positionnement social dans la ville hôte. 1 «L’Amérique latine ne joue aucun rôle […] personne ne s’intéresse à l’Amérique latine.» *Emmanuel Broillet collabore en tant qu’anthropologue avec le Bureau international d’éducation (BIE, UNESCO) à Genève et depuis peu, avec le Center for European Higher Education (pour l’Australie et la Suisse). Il a obtenu un master à l’Université de Queensland (Australie) et un doctorat à l’Université de Berne. Depuis le début des années 90, il a mené des recherches ethnographiques en Mélanésie (Nouvelle-Calédonie) et en Amérique centrale (El Salvador). Dans le cadre de ses recherches, il a développé une théorie de la dynamique de groupe et de la dynamique qui facilite les changements et le progrès. |